Il est des carrières qui font office d’anomalie et dont on ne comprend pas le chemin, trop sinueux. La carrière de Jeff Green entre sans soucis dans cette catégorie. Ailier imposant, athlétique, complet, on le voyait exploser en NBA grâce à des facultés supérieures à la moyenne. Mais au cours d’un virage, il est passé de titulaire incontestable à remplaçant, sans qu’un élément majeur comme une blessure ne vienne tout changer. Le parcours tortueux de Green est une véritable énigme, dont percer le secret n’est pas des plus simples.
Il débarque en NBA après avoir passé 3 années chez les Hoyas de Georgetown, qu’il quitte après une défaite face à Ohio State emmené par Greg Oden, et est sélectionné en 5ème position par les Celtics, qui le transfèrent immédiatement à Seattle pour faire venir Ray Allen. Il arrive dans une jeune équipe, en reconstruction, dans laquelle il doit rapidement faire feu de tout bois pour progresser. Dès sa première saison il est rejoint par Kevin Durant, avec qui il forme un duo d’ailiers très prometteur. Pour son année sophomore, il passe de 10,8pts par rencontre à 16,5, se posant déjà comme un ailier qui compte en NBA.
A ce moment on se dit que la carrière de Green est lancée, qu’il va durablement progresser. Il déménage en même temps que la franchise à Oklahoma City pour participer à quelque chose d’unique, puisqu’il voit les Supersonics disparaître mais peut devenir aussi l’un des pionniers de la balle orange à OKC. Rejoint durant l’été précédent sa 2ème saison par Russell Westbrook et Serge Ibaka, l’équipe n’en reste pas moins une troupe de bas de tableau terminant dans les bas fonds de la ligue. L’arrivée de 2 forces offensives telles que Westbrook et Ibaka n’enraye pas la progression de Green qui reste une force évidente, entre ses qualités athlétiques hors norme, un tir présent bien qu’à perfectionner, et de belles aptitudes défensives.
Pour sa 3ème année, alors qu’OKC continue de réussir toutes ses drafts en faisant l’acquisition de James Harden, la franchise va connaître le premier revirement de son histoire, passant de 23 victoires à 50 ! Green opère une petite baisse de régime au scoring (15,1pts/rencontre) mais n’en demeure pas moins une force importante à OKC. On sent que quelque chose d’unique se met en place pour le Thunder. Pour sa première série de playoffs, la jeune troupe tombe sur les Lakers de Kobe Bryant, en route pour un titre. Malgré 2 victoires arrachées, le Thunder tombe, tandis que Jeff Green souffre dans la série, voyant son impact limité dans toutes les zones statistiques. Alors que Kevin Durant est déjà une star dans la grande ligue, le destin de Green s’apprête à changer.
Durant la trade deadline de sa 4ème saison, le Thunder décide de le renvoyer dans la franchise qui l’a drafté, les Celtics. On se dit de suite, à l’époque, qu’il est le futur de la franchise. L’acquisition est belle pour une équipe qui ne lâche que Kendrick Perkins et Nate Robinson pour obtenir un joueur qui devrait exploser, lui qui était barré par des talents montants comme Kevin Durant, Russell Westbrook, James Harden et dans une moindre mesure, Serge Ibaka. Néanmoins, il doit faire avec une équipe où trône toujours Paul Pierce. Il retourne sur le banc, réalisant une chute statistique compréhensible, dans la mesure où son temps de jeu est fortement réduit (37min à 23).
A ce niveau de sa carrière, on ne peut pas dire que les tournants soient particulièrement choquants. Évidemment qu’il ne pouvait pas faire beaucoup mieux, au milieu d’une légion de futures superstars. Par ailleurs, il apportait satisfaction à Oklahoma City, mais avec nombre de joueurs qu’il faudrait re-signer au maximum, obtenir une véritable force au poste de pivot était logique, tout en évitant de prolonger Jeff Green à un montant trop élevé que la franchise aurait pu regretter par la suite. De même, il était difficile de déboulonner Paul Pierce, qui bien que vieillissant restait un taulier de la maison verte. Néanmoins, le destin de Jeff Green va connaître un premier virage à 90 degrés durant la saison suivante.
Alors qu’en 10 décembre 2011, il signe avec Boston une extension d’un an pour 9M (Danny Ainge reste précautionneux), les médecins découvrent une semaine plus tard une insuffisance cardiaque chez l’ailier. Ce dernier se trouve dans une situation rarissime, tandis que le club le coupe dans la foulée. La carrière du joueur pourrait prendre fin, mais nous sommes en 2011 et la médecine lui permet se faire opérer, avec possibilité de revenir sur les terrains 1 an plus tard. Évidemment c’est un coup dur aussi tôt dans sa carrière de devoir faire une saison blanche, mais le joueur va revenir pour la saison 2012-2013. Il reprend chez les Celtics, où il signe pour 4 ans et 36M de dollars, contrat important à l’époque.
Les signaux sont au vert, sans mauvais jeu de mot, pour Green, alors que Boston se lance dans une reconstruction. Il reprend l’entraînement avec l’équipe pour préparer la saison suivante, et l’enthousiasme est au rendez-vous. Son coéquipier, Kevin Garnett n’hésite même pas à déclarer :
Il va devenir un des plus grands à avoir joué ce jeu […]. Quand vous voyez Jeff Green évoluer, vous sentez qu’il y a quelque chose d’unique.
La dithyrambe de KG n’est pas gratuite, on sent alors qu’il a un potentiel énorme qu’il n’a pas encore exploité, et ses qualités sont celle que l’on veut de la part d’un ailier NBA : mobile, puissant, athlétique. A fortiori, il fait cette déclaration pendant une absence de 12 matchs, qui a permis a Green de prendre des responsabilités. Il produit alors une série de matchs à 22,5pts, 7,5rbds et 59% de réussite. Son tir n’a pas encore connu les progrès qu’il devrait, mais le souvenir de sa saison sophomore à 38,9% laisse supposer que cela peut revenir. Justement, pour cette première saison responsabilisée à Boston, il retrouve ce standard, apporte des points, même si on reste un peu sur notre faim. Le vrai test vient pour l’exercice suivant.
Il est alors âgé de 27 ans, Paul Pierce n’est plus à Boston, et sa mission est de redresser les Celtics, avec Rajon Rondo. Son temps de jeu redevient celui d’un titulaire NBA, et l’explosion est attendue. Et c’est là que sa carrière connaît finalement son premier tournant. Il plafonne. Green a la pression sur les épaules et il ne semble pas l’embrasser, bien au contraire. Il revient péniblement à ses standards de sa 2eme saison, alors qu’il est censé entrer dans son prime. Il chute même à 15pts par match l’année d’après. La patience est prônée, mais on sent que c’est un discours de façade. Quant au joueur, on se demande s’il manque de talent, où s’il n’est tout simplement pas fait pour jouer les premiers rôles. Il est capable de marquer 43pts, et de disparaître les trois rencontres suivantes, avant de remettre une trentaine de points. On dit que la régularité est la marque des grands, mais le talent aussi. Et le talent, Green en a plein les mains. La piste qui semble la plus probable, c’est que la barrière est psychologique et qu’il ne veut prendre le statut de leader. D’ailleurs, Boston trébuche année après année, et finalement en cours de saison 2014-2015, il est envoyé à Memphis, où toutes ses fêlures vont être exposées.
Quand il débarque chez les Grizzlies, la franchise est une des valeurs sûres de l’Ouest, une des maisons auxquelles on ne s’attaque jamais facilement, et qui peut gêner n’importe qui en post-saison. Avec Mike Conley, Tony Allen, Zach Randolph et Marc Gasol, on se dit que la place de Green est au poste de titulaire, puisque Vince Carter et Tayshun Prince sont vieillissants. La franchise doit avoir compris que Green ne s’épanouit pas en leader, mais cela tombe bien : il y a 3 joueurs capables de prendre les responsabilités offensivement. En revanche, les qualités athlétiques et le shoot longue distance qu’il possède sont précieux pour le système des Grizz’ qui manque d’une menace à ce poste. S’il apporte bien du spacing, son impact offensif est réduit. Surtout, ce sont ses déclarations qui étonnent. Green démarre dans le cinq de départ, mais perd en production offensive surtout lorsqu’il est dans le 5 de départ. Finalement, il est remplacé dans le 5 par Tony Allen, mais la surprise, vient de David Fizdale : Green aurait demandé à sortir du banc !
Cela peut être un soulagement pour lui. C’est un peu plus compliqué pour moi. J’avais de plutôt bonnes rotations en tête. Je pouvais commencer en le faisant jouer ailier, le sortir, puis le faire revenir en tant qu’ailier fort. Cela va me prendre un peu de temps de trouver une nouvelle solution.
Green explique qu’en sortant du banc, il n’a pas à se soucier d’impliquer Randolph et Gasol. Mais ce qui semble surtout être réel, c’est qu’il n’arrive pas à se lancer lui, car il a du mal à prendre le jeu à son compte. David Fizdale n’est pas satisfait par la situation, quand bien même cela serait à l’avantage du joueur, car cela gêne ses rotations. Au final, 1 an après son arrivée, Green est envoyé aux Clippers, dans une autre équipe qui manque de solutions sur l’aile. Là, il rejoint Chris Paul, Blake Griffin et DeAndre Jordan. Pourtant, cet écueil à Memphis marque la fin d’un Jeff Green avec un statut de titulaire NBA. Il ne démarre que 10 de ses 27 matchs à LA, affiche des statistiques qui vont devenir son standard (une dizaine de points), avec un pourcentage derrière l’arc en chute libre depuis son début de second exercice à Memphis.
A l’été 2016, il rejoint le Magic pour une saison aussi dramatique individuellement que collectivement (9,2 pts – 39,4% au tir dont 27,5% à 3pts). Néanmoins, cette saison (2017-2018), Green, qui a désormais 31 ans, est une des bonnes surprises des Cavs, avec des statistiques… proches de sa saison rookie.
Finalement, le joueur a très rapidement atteint son plafond, mais dans les méandres de sa carrière, difficile de vraiment dire ce qui n’est pas allé. On peut se dire, qu’il est arrivé très NBA ready et qu’il a atteint son potentiel trop tôt. Mais compliqué de justifier qu’il se soit plus épanoui aux côtés de l’armada du Thunder, qu’en leader incontesté. Ni cette irrégularité constante qui a accompagné son passage à Boston. Enfin, je pense que son année à Memphis a hélas dévoilé une bonne partie du problème, peut-être celle d’un joueur qui n’était pas fait pour être un titulaire incontesté, mais qui a besoin d’être encerclé de leaders pour jouer son basket. En soit, il n’était pas mauvais lorsqu’il a débarqué aux Grizzlies, juste en deçà de ce qu’on attendait de lui. Aujourd’hui, il semble bien plus à l’aise avec des leaders comme LeBron James, ou Dwyane Wade – et surtout – avec l’étiquette de role player, de joker, qu’il semble avoir totalement fait sien sans jamais se plaindre depuis maintenant 3 ans. Jeff Green avait tout pour être un grand, mais il a préféré une autre façon de jouer au basket, quitte à observer une courbe de progression inversée. Un petit gâchis pour les fans.