Suite de notre série de portraits des légendes un peu oubliées de notre chère NBA. L’histoire de la Grande Ligue est parsemée de joueurs légendaires, qui résument parfois à eux seuls les décennies qu’ils ont éclaboussées de leur immense talent. Bill Russell, Kareem Abdul-Jabbar, Magic Johnson, Michael Jordan, … ce sont les premiers noms qui viennent en tête pour les fans. Même si elles le méritent amplement, toutes ces légendes occultent malgré elles les prouesses de certains de leurs collègues. Après un premier volet sur Mark Price, le meneur historique de Cleveland, que vous pouvez retrouver ici, on s’attaque aujourd’hui à une légende de San Antonio, j’ai nommé George Gervin.
George Gervin est la première légende des Spurs de San Antonio. Entre ABA et NBA, il a passé 12 saisons sous le maillot texan, avant de finir sa carrière aux Bulls pour une année en 1986. Les fans assidus de l’escouade de Gregg Popovich savent quasiment tout de celui qu’on surnomme Iceman. Pour les autres en revanche, le joueur peut paraître un peu plus secret.
Une patate qui change une vie
George Gervin est né en 1952 et a grandi à Detroit, dans le Michigan. En high school, il joue dans l’équipe de son lycée Martin Luther King Jr. C’est là-bas qu’il va cultiver son amour pour la balle orange. Gervin n’en n’aura conscience que bien plus tard, mais cette histoire qu’il entame avec le basketball va le sauver de bien des galères, inhérentes à la ville de Detroit à cette époque-là :
“J’étais dans la rue comme n’importe quel autre enfant, mais la différence, c’était que j’étais amoureux du basketball. Tu vis dans une ville comme ça, qui est en état de guerre. Tu ne le réalises pas de suite. Tu prends les jours les uns après les autres”.
A la sortie du lycée, Gervin accepte une bourse d’étude pour rejoindre l’Université de Californie. Mais le choc culturel sera trop rude. Passer de la pauvreté du Michigan et de Detroit au trop plein californien, c’est aller d’un extrême à l’autre. Gervin rentre à la maison après un semestre à peine, et rejoint East Michigan. Là-bas, bien au chaud à la maison, il tournera à 29.5pts de moyenne.
Puis un jour, à l’occasion d’un tournoi dans l’Indiana, George va mettre une belle patate à un joueur de Roanoke College, un certain Jay Piccola, qui passait par là. La sanction ? Un an de suspension. Mais impossible pour l’intéressé de ne pas fouler les parquets pendant un année entière. Il doit jouer, il veut jouer. Du coup, Gervin part voir du côté de la Eastern Basketball Association, une ligue mineure, où il intégra l’équipe des Pontiac Chaparrals. Là-bas, en plus de jouer, il était payé : 500$ par match. Un soir de match, Gervin claque 50 points. Ce soir-là, dans les tribunes, Johnny Kerr était présent. Kerr était scout pour les Virginia Squires, une équipe de l’ABA. Nous somme alors en 1972, et Gervin intègre l’ABA pour ce qui va devenir sa première saison professionnelle.
Petit point sur le bonhomme avant de continuer : Gervin est un spécimen physique. Une sorte d’elastic man de 2 mètres pour 77 kilos. La légende dit que s’il se mettait de profil, on ne le voyait plus. C’est simple, à côté de Gervin, Kevin Durant et Brandon Ingram sont des armoires à glaces. Bon je grossis le trait, mais vous voyez l’idée. Gervin était tout en bras, tout en longueur. Une fois la balle en main et décidé à aller au panier, il paraissait tout bonnement impossible de pouvoir arrêter Gervin et ce malgré la forêt de bras qui pouvait l’y attendre.
En arrivant en ABA à mi-saison, Gervin va être dans l’ombre d’un certain Julius Erving, qui évolue déjà au sein des Virgina Squires. Mais leur association sera de courte durée. La cause ? Les Squires ont une gestion catastrophique, et sont obligés de vendre leurs meilleurs éléments pour pouvoir récolter de la masse financière. Ainsi, Doctor J. est débarqué du navire quelques mois après l’arrivée du fil de fer, et Gervin se retrouve aux commandes. Il mène si bien le bateau qu’il est convié au All Star Game ABA en tournant à 25.4 pts de moyenne sur la première partie de saison… Avant que ça ne soit à son tour d’être largué en mer.
San Antonio, l’envol
Devant les difficultés financières de son équipe, Forman, le propriétaire des Squires, avait passé un deal avec son homologue de San Antonio, Angelo Drossos. Pour 225.000 dollars, Gervin passait chez les Spurs après le All Star Game ABA auquel il était convié. Sauf que notre petit Foreman va avoir très vite des regrets, et va expliquer à Drossos que le deal ne peut pas être fait. Mieux, il va lui proposer, à la place, de choisir n’importe quel autre joueur, de lui rembourser son argent et de lui offrir, en plus, 10% d’intérêts. Mais Drossos n’accepte pas : le deal est fait, Gervin est aux Spurs. Va suivre une petite bataille entre les deux équipes, l’ABA et la justice afin de régler cette histoire. Pendant tout le temps de cette brouille, George Gervin sera confiné dans un hôtel, privé de basket, avant d’être autorisé à jouer pour la fin de la saison 1973-74 sous ses nouvelles couleurs. A l’été 1974, Gervin est éligible à la draft NBA. Il est sélectionné par les Suns de Phoenix, mais décide de rester en ABA chez les Spurs.
Gervin ne repart pas de Virginia sans rien toutefois. C’est a priori là-bas qu’il va hériter de son désormais célèbre surnom pour la première fois. Fatty Taylor, l’un de ses coéquipiers, l’aurait surnommé un jour en plaisantant “Iceberg Slim“, du nom d’un proxénète notoire, au physique très mince, qui venait tout juste d’écrire une autobiographie sur sa vie passée. Ce surnom va vite évoluer en “Iceman” notamment par le fait que Gervin, peu importe ses efforts sur le terrain, ne rendait pas une goutte de sueur. Pour lui, tout était facile, inné, sans effort. Iceman était né.
Roland “Fatty” Taylor m’a donné ce nom à Virginia, et il m’appelait Iceman parce que je pouvais en planter 25 sans transpirer.
Au sein de cette nouvelle organisation des Spurs, George Gervin va développer son jeu offensif et devenir un véritable monstre en la matière, en ajoutant à sa panoplie déjà bien étoffée un nouvel élément : le finger-roll. Gervin va tellement user de ce lay-up tout en finesse, en délicatesse et en touché de balle, qu’il va finir par se l’approprier. Très difficile à réaliser techniquement, Gervin va faire du finger roll son joujou préféré, parce qu’il était fatigué de dunker selon ses dires. De son propre aveu, c’est un mouvement qu’il a étudié chez d’autres joueurs comme Wilt Chamberlain, Connie Hawkins ou encore son ancien coéquipier Julius Erving. Il est impossible de se lasser des images de George Gervin en train de déposer un finger-roll dans l’arceau. Pour faire un comparatif actuel, le numéro 44 des Spurs était une sorte de Giannis des années 70/80. Des bras immenses, interminables, mais il avait en plus de cela une grâce, un style, une classe qui le mettait dans une case à part entière. Gervin qui attaque le cercle, c’est de la poésie. Jugez un peu.
A son arrivée, Gervin va transformer les Spurs en les faisant passer d’un style très défensif à un style tout-pour-l’attaque. Malheureusement, les résultats collectifs ne seront pas au rendez-vous et Gervin ne permettra pas aux Spurs de passer une série de playoffs ABA en trois saisons. En 1976, les Spurs déménagent : fini l’ABA, il est l’heure d’intégrer la NBA.
Deux ans après l’arrivée en NBA, The Iceman va être au cœur d’un mano-a-mano formidable avec David Thompson, joueur des Nuggets de Denver, pour le titre de meilleur scoreur de la saison. L’année précédente, pour la saison 1976-77, Gervin avait terminé avec 23.1 pts de moyenne. En cette saison 1978, il a monté de plusieurs crans, pointant à près de 27pts de moyenne. Nous sommes le 9 avril, dernier jour de la régulière, les Spurs affrontent le Jazz et David Thompson vient de claquer 73 points, posant de ce fait une main et 8 doigts sur le trophée de meilleur scoreur. Pour reprendre son dû, le numéro 44 des Spurs devait scorer 58pts, chose qu’il n’avait encore jamais fait. D’entrée, il va louper ses 6 premiers tirs… avant de conclure le 1er quart-temps avec 20 unités. Puis dans le deuxième quart-temps, Gervin va entrer dans un délire à part entière, pour envoyer 33 points en 12 minutes. Si vous avez bien suivi le chantier, et que vous avez un niveau de mathématiques suffisamment correct, The Iceman termine sa première mi-temps avec 53 points. CINQUANTE TROIS. Au final, il va dépasser les 58 points nécessaires finger in the nose, et ira taper les 63 pions. Est-ce qu’on précise qu’il ne jouera pas une partie du 3ème quart-temps, et qu’il sera sur le banc tout le 4ème? Gervin décroche ainsi son premier titre de meilleur scoreur de la Ligue. Le premier oui, parce qu’il y en aura 3 autres.
Si individuellement la machine est rodée, collectivement les Spurs stagnent. En playoffs, ils ne passeront pas le premier tour, perdant contre les Washington Bullets (oui, les Spurs sont encore dans la conférence Est à cette époque). L’année suivante, ils seront à un match des Finales NBA, mais s’écrouleront devant ces mêmes Bullets après avoir pourtant menés 3 à 1 dans la série. Les années vont se suivre et se ressembler pour Gervin et les Spurs. Trois années consécutives, The Iceman va remporter le titre de meilleur scoreur de la saison régulière, en culminant lors de la saison 1979-80 à 33.1 points de moyenne. Dans le même temps, impossible pour les Spurs d’aller viser les sommets en playoffs. Pourtant auteurs de quelques très bonnes régulière en terme de bilan, les Texans n’arriveront jamais à se hisser en Finales NBA, notamment à cause d’un manque de rigueur défensive et ce même une fois au sein de la conférence Ouest. Cela aurait pu titiller Gervin et son égo, mais de ce côté-là aussi Iceman était à part. Il n’était pas à ranger dans la case des scoreurs-nés imbus d’eux-mêmes et qui se comportent parfois comme des enfants gâtés. Agissant comme un pionner chez les Spurs, Gervin était d’un naturel taiseux, lucide et compréhensif. Toujours impeccable avec ses coachs successifs ou avec ses coéquipiers, Gervin sait pourquoi il n’a pas réussi à gagner.
J’aime la façon dont on jouait. C’est plus fun pour les fans quand les équipes marquent beaucoup de points. Mais je n’ai jamais gagné de bague parce que notre défense n’était pas assez performante.
On préférera observer qu’en 12 saison avec Gervin, les Spurs vont participer 11 fois aux playoffs dont 10 fois consécutivement. Son talent était reconnu par tous, et unanimement, anciens joueurs et coachs NBA saluent l’artiste que George Gervin était à l’époque.
Dick Motta : “Vous n’arrêtez pas George Gervin. Vous espérez juste que son bras va se fatiguer après 40 tirs. Je crois qu’il pourrait marquer à chaque fois qu’il le veut. Je me demande s’il est fatigué par moment.”
Jerry West, en 1982 après que Gervin ait remporté son 4ème titre de meilleur scoreur de la Ligue : “C’est le joueur que je paierais pour voir jouer”
The Iceman terminera sa dernière saison en NBA du côté de Chicago, au côté d’un certain Michael Jordan, à 33 ans. Ça sera sa seule saison, avec sa saison rookie, où il ne dépassera pas les 20 points de moyenne.
Gervin clôt sa carrière avec 4 titres de meilleur scoreur NBA, 12 sélections au All Star Game, 7 sélections en All-NBA Team, un trophée de MVP du All Star Game 1980, plus de 26.000 points en carrière à quasiment 51% de réussite aux tirs, et un million de finger roll rentrés. Il sera la première figure emblématique des Spurs. Au passage, inutile de le souligner : le maillot est retiré, et le monsieur est au Hall of Fame.