Pourquoi la NBA a pris une telle place dans nos quotidiens ? Parce que nous sommes drogués à la balle orange ? Sûrement. Mais uniquement pour cela ? Sûrement pas ! La force majeure de la ligue américaine, au-delà du sport que nous partageons, c’est sa faim insatiable d’histoires, sa prodigieuse faculté à créer des narratifs. La création d’une fiction comme le fabuleux Game of Zones de Bleacher Report n’est pas un hasard, la NBA sait écrire des scénarios qui paraissent tout droit sortis de la plume d’un romancier ou du script d’une série de qualité. Découvrons dans cette série certains des plus réussis.
Pour ce premier épisode, je voulais faire simple et parler d’un des scénarios les plus longs et aboutis que la NBA nous a permis de visionner. L’histoire de LeBron James de son entrée en NBA et sa draft par les Cleveland Cavaliers, jusqu’à son sacre en 2016 paraît tout droit sortie d’un roman. Mystique, semée d’embûches, tourmentée, poussée vers les mauvaises routes jusqu’à ce que le héros aille au bout de sa prophétie. Le dénouement de ce scénario aurait presque quelque chose de propre aux contes, un sentiment de “trop beau pour être vrai”, que l’on réserve souvent aux histoires qui finissent trop bien. Je vous propose de lire ce roman ensemble et d’en aborder les étapes.
Storytellings NBA – Episode 1 : LeBron James, et la quête du Graal
Caractéristiques du personnage :
- Nom : LeBron James
- Surnom : L’Élu
- Lieu de naissance : Akron, Ohio
- Physique : Grand, puissant, athlétique
- Jeu : Polyvalent, altruiste
- Quête principale : Ramener un premier titre à sa ville
- Quête annexe : détrôner Michael Jordan
- Principale force : talent hors norme
- Principale faiblesse : capable de craquer au moment décisif
- Comparaison : Fantasy, Historique
Chapitre 1 : De la révélation au découragement
Tous les ans les principales villes du pays choisissent un jeune champion pour venir les représenter. En 2003, l’Elu, en provenance de l’Ohio a la chance d’être choisi en premier pour défendre Cleveland, ville majeure de l’Ohio.
Jamais un jeune n’avait été aussi attendu dans l’histoire. Jamais tant d’attentes n’avaient été cristallisées par un jeune joueur. Dans l’esprit du public, tout est clair, LeBron James, du haut de ses 18 printemps va rapidement se voir prêter plusieurs missions. La première, permettre à la ville qui n’a jamais brillé et remporté de championnat annuel d’enfin briser la malédiction. La seconde, remplacer Michael Jordan, plus grand de tous les temps dans leur cœur, en le rejoignant, voire en le dépassant. L’ensemble du pays est en quête d’un nouveau héros, d’une nouvelle gloire au-dessus de toutes les étoiles qui leur ont été données.
Comme son illustre prédécesseur, l’Élu ne perdra pas de temps pour montrer de quel bois il était fait. Dès ses débuts, tout le monde s’accorde, l’avenir du jeune champion sera sans comparaison, unique, glorieux. Si ses coéquipiers ne font guère envie, lui, illumine les fans, éclaboussant tous ses adversaires de son talent.
Quant à ses missions, il semble les embrasser sans crainte. Mieux, il prend à cœur la première, la plus importante en ce temps. LeBron, n’a pas peur de prendre sa ville, son État sur ses épaules en le criant : “Jamais il ne partira tant qu’il ne lui aura pas ramené son titre“. Dans la communauté, il s’investit. Il devient le héros de tous, et la ville de Cleveland, autrefois martyrisée par Michael Jordan, Sa Majesté, et il arrive enfin à lui redonner de l’espoir. L’espoir de briller au milieu de tous, de se faire un nom.
L’équipe gravit les échelons, et après 3 années, il commence à la faire rêver des grandes joutes, des finales. L’année suivante, il marche même sur l’ensemble des prétendants de l’Est pour offrir une première finale à son équipe, un moment historique de son histoire. Mais les champions de l’Ouest, ne feront pas dans la demi-mesure, rappelant à James une chose : le chemin vers la gloire est encore long.
Trop long, car les années s’enchaînent, et plus jamais l’équipe ne retournera au sommet de sa conférence. Chaque saison, le “Roi”, comme on le surnomme désormais est chahuté, sa couronne bafouée. Certains arguent que ses coéquipiers ne sont pas assez bons, d’autres lui rappellent qu’il ne sera jamais parmi les plus grands sans gagner. Alors que les échecs s’accumulent, que la frustration commence à gronder, l’ombre de Sa Majesté, Jordan, se fait de plus en plus lourde. Trop lourde à porter.
Jusqu’à cet été 2010. La frustration se fait plus grande que jamais. Les solutions envisagées ne paraissent pas satisfaisantes et la peur commence à grandir. L’heure pour James de douter, de se demander quelle est sa quête principale, sa place dans l’histoire. Comme toutes les personnes en proie à des doutes profonds, James va faire le choix de tout changer, de reprendre les choses à zéro. Et l’heure arriva.
L’heure de renier sa promesse, l’heure de penser à lui, de prendre son destin en main et de quitter la bourgade de Cleveland pour le faste de Miami.
Chapitre 2 : La gloire, sans la saveur
Rompre sa promesse fut difficile. Les réactions seront brutales, sans concessions.
L’enfant prodige, le bien-aimé de tous devient alors un paria, il va connaître la fureur de ses anciens défenseurs, adorateurs. Il faut les comprendre, il était l’Elu, il ne pouvait pas dévier de sa voie, pourtant, il est devenu égoïste, arrogant, imbu de lui-même et a placé sa propre histoire au-dessus de leurs espérances et de leur fidélité. Alors, ils la lui retireront.
A Miami, il est l’heure pour lui d’être ambitieux. Aux côtés de deux autres champions de sa génération, il forme un trio qui n’a pas peur de clamer ses ambitions. Dominer, dominer sans partage est leur objectif. Arrogants, ils écrasent la concurrence et foncent vers le titre devant des opposants ahuris, hébétés par cette force de frappe.
Mais le destin est retors, et il réserve des leçons. Et le trio, aux portes de son premier succès est battu par une bande de vieux briscards à qui rien ne promettait le succès. Les prétendants n’étaient même pas censés être là, mais LeBron va les regarder le priver une nouvelle fois de la victoire finale, alors que lui-même n’arrive pas à se ressaisir, tétanisé par la pression, terrassé par ses doutes et une peur qui l’a vidé de sa substance. Au bout milieu de la bataille, il apparaît comme le fantôme de lui-même.
De cette leçon, notre héros apprendra l’humilité. Et pendant deux ans, il goûtera enfin aux odes de la victoire, touchant enfin à la gloire. Et s’il échouera la 4eme année, observant sa nouvelle maison déjà rongée par les affres du temps, il comprendra aussi une chose : l’accomplissement de sa première quête le portera vraiment au pinacle, lui permettra d’entrer dans l’histoire, les yeux dans les yeux avec les plus grands. Il faut être honnête, ce qu’il vient de faire est grand. Mais ce n’est pas immense. Le public attend plus, mais surtout, il semble se rendre compte qu’aucun victoire n’aura le goût de celle qu’il a promis.
En 2014, LeBron James demande une seconde chance, cette fois certain de ses capacités.
Chapitre 3 : La rédemption
Le public fut-il vraiment surpris de cette nouvelle décision ?
Pas autant qu’en 2010. On le sentait que cela arriverait. Il fallait revenir à la maison, rien n’est pareil que son chez soi. Puis un héros, ne peut rompre sa promesse, car elle est plus grande que lui. Comme d’autres élus, il devra se battre, pour accomplir la prophétie. Et qu’il réussisse ou qu’il échoue, peu importe tant qu’il aura tout donné. Après tout, tout le monde connaît Lancelot, pas Galahad, alors autant le faire avec panache que triompher loin de son destin.
En revenant, il obtient enfin ce qu’il n’a jamais eu lors de sa première quête, du soutien. Il en manquait trop cruellement lors de ces 7 premières années. Sa solitude l’avait poussé à abandonner, mais cette fois ce serait différent.
Dès son retour, il montre la voie, emportant ses nouvelles ouailles dans son sillage, fonçant vers les finales. Mais le destin, une fois de plus, a décidé de se jouer du Roi James. Alors qu’il semblait enfin armé pour battre les meilleures maisons de la conférence adverse, qu’il arrive face à une jeune équipe, talentueuse au possible mais angoissée par l’évènement – il va devoir faire face seul, assistant, malchanceux, aux blessures de ses coéquipiers. Magistral, dominant, mais bien trop isolé, il devra plier l’échine face à cette jeune armada qui vient arracher une victoire malgré une performance historique de James.
Une défaite au goût amer.
Chapitre 4 : L’ascension d’un géant
Cette équipe qui vient de triompher, semble plus forte que personne ne l’imaginait. Pourtant, elle n’a pas encore touché à son firmament. Ironiquement, elle va aussi devenir tout ce dont notre héros avait besoin pour s’éprouver encore un peu plus.
L’ombre qu’il poursuit, celle de “MJ”, a dominé sans partager, faisant régner la terreur. Jamais il ne sembla avoir à affronter un adversaire plus fort que lui. Son équipe ? Il la porta jusqu’au record de victoires sur une année : 72 triomphes sur 82 possibles.
Alors, il fallait que James ait un challenge à la hauteur du fantôme qui pesait depuis 15 années déjà sur ses larges épaules. Les jeunes champions de la Baie d’Oakland vinrent ouvrir un chapitre grandiose de l’histoire, arrachant 73 victoires, renvoyant le record de Chicago à la seconde page, le rejetant comme une gloire d’antan.
En 2 ans, la troupe emmenée par Stephen Curry s’était transformée en ogre – devenant le plus terrible adversaire que LeBron n’ait jamais affronté, alors qu’il luttait au même moment pour sa victoire la plus importante. Un ultime défi, allant au-delà de ses batailles avec les immortels de San Antonio.
Chapitre 5 : Le dénouement
Alors que les champions actuels galvanisent toutes les attentions, notre héros se prépare à nouveau à tenter sa chance. Habitué des finales, il domine comme jamais, de toute sa puissance, de toute sa polyvalence. Il est prêt pour ce nouvel adversaire, identique à l’année précédente, mais pourtant si différent.
Plus sûr de lui, l’échec ne fait désormais plus peur aux joueurs de la Baie. Et alors que les joutes s’enchaînent, toute l’énergie que les hommes de Cleveland jettent dans la bataille est insuffisante. En 4 affrontements, ils perdent 3 fois et se retrouvent inexorablement dos au mur.
Et comme dans les plus grands romans de chevalerie, c’est à ce moment que le héros se révèle.
Dans le sillage de James, Cleveland se réveille, alors qu’un retour à ce niveau-là est un miracle. Il porte son équipe 1 fois, 2 fois, pour égaliser. Pour une bataille cruciale, décisive, aux allures de peplum.
Une défaite serait plus cruelle que jamais. Et alors que le dénouement approche, le résultat est on ne peut plus indécis. Mais l’adversaire s’envole pour un panier facile, peut être meurtrier pour les chances de victoire de Cleveland. C’est là que le récit atteint le grandiose, le tragique. Dans un ultime effort, James fond sur l’opposant pour un contre aussi brutal qu’inespéré – et quelques minutes plus tard, le bras droit du roi transperce l’adversaire d’une dague qui scellera la victoire.
Une victoire si viscérale, si épuisante, éreintante, que James, pourtant deux fois vainqueurs par le passé s’effondre, en larme, comme jamais nous ne l’avions vu. Revenu d’outre-tombe, il écrivit son plus grand chapitre en cette soirée de 2016. L’ultime chapitre d’une quête qui aura duré 13 ans, des années qui auront fait office de voyage initiatique pour le préparer à terrasser son plus féroce adversaire.
Remarques
Ce titre de 2016 fait parti des plus grands de l’histoire de la NBA. Le storytelling, le suspens autour de cette victoire ressemble presque à une fiction, tant les rebondissements furent nombreux et extrêmes. Difficile de voir un joueur plus acculé et près d’échouer que James cette année-là.
Ce titre est indubitablement le point d’orgue de sa carrière – et difficile d’imaginer que celui-ci puisse avoir un concurrent, peu importe ce qu’il sera passera d’ici la fin de sa vie en NBA. Quant à cette dernière, elle peut se targuer d’avoir été le théâtre d’un final à en faire pâlir les meilleurs auteurs de fantasy.