Cela ne vous a sans doute pas échappé, la saison qui vient de s’écouler fut statistiquement exceptionnelle. Des records au scoring de James Harden à la nouvelle saison en triple-double de Russell Westbrook, en passant par les records de tirs à trois points tentés ou réussis battus quasiment toutes les semaines, on en a vu de toutes les couleurs. Face à ce phénomène, chacun y va de sa petite explication, et j’ai donc fait un tour sur le mythique basketball-reference.com pour tenter de démêler le vrai du faux, à la recherche de tendances, d’évolutions statistiques qui pourraient expliquer ces records en pagailles. Et à vrai dire, quelle que soit la statistique regardée, la saison 2018/2019 dénote incontestablement par son caractère exceptionnelle, à commencer par le scoring. Petit tour d’horizon et bilan statistique de cette saison terminée.
Petit lexique statistique : - PACE : Le nombre de possession pour 48 minutes. - Offensive rating : Mesure le nombre de points marqué pour 100 possessions. - Efficiency field goal % : Le pourcentage au tir ajusté en comptant les tirs à 3 points comme 1.5 fois plus important que les autres. Calcul = ((FGM + (0.5 * 3PM)) / FGA - Turnover % : Le pourcentage de possession se terminant par une perte de balle. - Offensive rebound % : Le pourcentage de rebonds offensifs disponibles récupéré par une équipe.
Partons d’un constat simple, celui que l’on n’a presque jamais autant marqué de points en NBA. Cette saison, les équipes auront en moyenne scorées 111.2 points par match, un nombre au plus haut depuis la saison… 1970/1971. Dans l’ère moderne, seules les années 1980 s’en rapprochent. Pour donner une idée de l’explosion impressionnante du scoring ces dernières années, le nombre de points moyens en 2003/2004 était de 93.4. En 2014/2015, année du premier titre des Warriors, il était de 100.
L’explication la plus évidente à cette explosion, c’est évidemment le rythme de jeu, la PACE. Et, en effet, la PACE est particulièrement élevée cette année, puisque les équipes auront joué en moyenne 100 possessions par match. C’est le niveau le plus haut depuis la saison 1988/1989.
Pourtant… cette explication ne peut pas être suffisante. Reprenons notre comparaison. En 2003/2004, la PACE moyenne était de 90.1. En 2014/2015 ? 93.9. Autrement dit, le scoring a augmenté beaucoup plus vite que le rythme de jeu. La PACE a augmenté de 11% depuis 2004 (de 6.5% depuis 2015). Dans le même temps, le scoring augmentait respectivement de 19% et 11.2%.
Pour illustrer cela, il me semble intéressant de vous proposer un petit calcul. En effet, une des idées reçues de ces dernières années consiste à expliquer les records en tout genre par cette fameuse PACE. Or, notons (1) que si celle-ci est effectivement élevée, on est loin du record, cette saison n’est d’ailleurs « que » la seizième saison la plus rapide depuis que cette statistique est disponible (soit 1973/1974), comme le graphique ci-dessus nous le montre, et (2) que si la PACE impacte les stats, elle n’explique clairement pas les records. Prenons un exemple, celui d’un record assez célèbre de ces dernières années : celui de Russell Westbrook.
Lors de sa première saison en triple-double en 2016-2017, on jouait 96.4 possessions par match. Lors la saison la plus lente de l’histoire, en 1998-1999, nous en jouions 88.9. Soit 7,78% de moins. Reprenons les stats de Russ l’année de son MVP (31,6 points, 10,4 passes et 10,7 rebonds), appliquons les au rythme de 98/99, et cela donne : 29,1 points, 9,6 passes et 9,9 rebonds. Certes, il n’aurait pas fait une saison en triple-double, mais vous avez compris l’idée : la variation est relativement minime, et l’explication n’est donc pas suffisante.
Mais alors comment expliquer cette augmentation du nombre de points marqués si le rythme ne peut pas (à lui seul) l’expliquer ? Tout simplement parce que l’offensive rating est bien meilleur : Il atteint cette année 110.4. Un chiffre exceptionnel dans l’Histoire, le meilleur même, devant les deux dernières années (108.6 et 108.8), expliqué en partie par un efficiency field goal % lui aussi au plus haut dans l’histoire, avec 52,3%, un chiffre en constante augmentation depuis une dizaine d’année.
Bon, soit. Mais une réponse amenant à une autre question : Comment alors expliquer cette efficacité exceptionnelle ?
C’est là que ça devient intéressant. La réponse évidente à cette question est « parce que les joueurs sont plus adroits ». Ce n’est pas complètement vrai. Avec 46,1% de réussite, ce n’est « que » la 21ème meilleure saison en terme d’adresse, loin derrière les années 1980, par exemple. Cela dit, l’adresse est à la hausse aussi, puis ce qu’il s’agit de la meilleure depuis 1995/96. Mais clairement, on ne peut se contenter de cette réponse. « Alors c’est parce que les joueurs sont plus adroits à 3 points ? ». Non plus. 35,5% de loin cette année, c’est grosso modo dans la moyenne depuis 2000, légèrement en dessous de celle-ci pour être précis.
La première raison à cette efficacité historique (les plus malin.e.s l’auront deviné), c’est la sélection de tirs. C’est à dire que les équipes prennent en priorité les tirs les plus « rentables », ceux avec les meilleurs pourcentages, relativement à leur valeur : des shoots près du panier, parce que c’est ceux qui rentrent avec le plus haut pourcentage, et des shoots à trois points, pour la simple raison qu’ils valent un point de plus que les autres. C’est ce qu’on appelle le MoreyBall, d’après le nom du General Manager des Rockets, qui a poussé cette théorie à extrême. Cela ne vous surprendra donc sans doute pas d’apprendre que l’on a jamais autant tiré à trois points en NBA, avec 32 tirs par match (soit presque 35% du total), trois de plus que l’année dernière, et presque deux fois plus qu’il y a dix ans. Ce record est d’ailleurs battu systématiquement depuis la saison 2011/2012. L’autre facette du MoreyBall, c’est les tirs près du panier. Les shoots à moins de 3 mètres du panier représentaient cette année plus de 44% du total des tirs pris. Là aussi, un record. L’évolution illustrée ici est frappante :
L’on pourrait penser à la vue de cette évolution que cette augmentation des tirs près du panier devrait amener une augmentation du nombre de fautes. C’est d’ailleurs une idée assez répandue ces derniers temps. Et bien, c’est faux. Avec 17.7 lancers francs tentés par match (19,8% par tirs tentés), c’est l’une des cinq saisons où l’on en tir le moins, et on ne peut donc trouver ici une réponse à notre question. Ce qui nous permet d’ajouter au passage que l’effet des évolutions de l’arbitrage, qui a fait couler beaucoup d’encre, n’a finalement eu qu’un effet limité sur le scoring. Cependant, c’est au niveau des pourcentages que l’on peut trouver un autre élément explicatif : avec 76,6% de réussite, c’est l’une des meilleures saisons de l’Histoire.
Un autre point qu’il me semble intéressant de souligner, cette saison 2018/2019 est également un record en terme de Turnover % : c’est à dire que l’on jamais perdu aussi peu de ballons pour 100 possessions que cette année, avec 12,4%. À vrai dire, c’est une constante dans l’Histoire. La tendance est à ce que l’on perde de moins en moins de ballons, depuis toujours. Et forcément, c’est un autre élément explicatif : Qui dit moins de ballons perdus dit plus de possessions qui se termine par un tir, et donc nécessairement plus de chances de scorer.
Il y une stat qui peut paraître surprenante au premier abord, c’est celle de l’offensive rebound %. Avec 22,3%, c’est la deuxième saison la plus basse de l’Histoire (la première étant 2017/2018). Notre première réaction (ou en tout cas la mienne) est de trouver cela étrange. Les rebonds offensifs offrent la possibilité de marquer rapidement après un échec, cela ne va pas dans le sens des records de scoring. En fait, ce faible taux s’explique par le fait que les équipes reviennent plus rapidement en défense, en dépit donc du rebond offensif. La PACE qui augmente, cela veut dire plus d’attaques rapides, et donc une importance accrue de la défense en transition qui oblige les équipes à délaisser cette partie du jeu. Ce graphique nous montre que la corrélation est marquée, même si cette année fait office d’exception.
L’équipe qui symbolise le mieux cette tendance semble être les Bucks, une équipe réputée très grande, et ayant donc la capacité de prendre beaucoup de rebonds. C’est d’ailleurs le cas, puis ce que c’est l’équipe qui en prend le plus, avec 49,7 par match. C’est également la troisième équipe qui laisse le moins de rebonds offensifs à ses adversaires, avec 22,9%*. Pourtant… C’est aussi la cinquième équipe qui prend le moins de rebonds offensifs, avec 23,8%. Dans le même temps, les Bucks sont l’équipe avec la PACE la plus élevée de la ligue (103,57), et la quatrième équipe jouant le plus d’attaques rapides avec 18,5%. L’on peut alors supposer que les adversaires des Bucks anticipent cette attaque des Bucks, quittent à leur laisser des rebonds défensifs « facile ». Et de l’autre coté du terrain, les hommes de Budenholzer font de même, en se concentrant sur le fait de laisser le moins possible la possibilité à leurs adversaires de jouer ce type de possession, ce qui marche à merveille puis ce qu’ils n’en ont concédés que 14,6%, la sixième meilleure équipe de la ligue. Le système de jeu des Bucks repose donc sur la capacité à contrôler le jeu en transition, d’un coté comme de l’autre du terrain. Et pour cause, nous allons le voir, contrôler le jeu rapide, c’est maximiser ses chances de victoire.
*ndlr : Si les pourcentages entre le graphique et la démonstration varient quelque peu,
cela s’explique par le fait que l’offensive rebound % de Basketball-reference est calculé
par rapport aux joueurs, hors dans la démonstration il s’agit des rebonds de l’équipe.
La variation est donc liée aux team rebounds, ces rebonds qui ne sont attribués à aucun joueurs.
Nous l’avons dit, la PACE n’explique pas à elle seule l’augmentation du nombre de points marqués. Cependant, si les les équipes jouent si vite, il doit bien y avoir une raison. Et en effe(, plus l’attaque est rapide, plus l’efficacité augmente. Nous l’avons dit l’efficiency field goal % moyen est de 52,3% cette année, ce même efg% est, en transition, supérieur à la moyenne pour 27 des 30 équipes. Une autre statistique parlante, celle de Cleaning the glass qui nous apprend que le rating des équipes en transition est largement meilleur que leur rating général. C’est à dire que les équipes marquent entre 1.5 (Heat) et 4.7 (Raptors) de plus pour 100 possessions quand ils jouent rapidement que quand ils sont patients. Logiquement, les équipes ont donc tout intérêt à jouer vite. Et cela agit doublement sur le scoring : Plus de possessions donc plus d’opportunité de marquer, et plus d’efficacité donc… plus de points par opportunité.
Reprenons alors notre exemple des Bucks. Le MVP et ses coéquipiers sont la troisième équipe la plus efficace sur jeu rapide avec 1.15 points/possessions, la quatrième équipe en jouant le plus nous l’avons dit, et surtout la troisième qui augmente le plus son efficacité sur ce type d’attaque avec +3,7 points pour 100 possessions. De l’autre coté, les Bucks sont aussi et surtout la meilleure défense de la ligue en transition en terme d’efficacité, ne concédant que 1.025 points par possessions, et donc sixième en fréquence. Les joueurs de Wisconsin ont alors un différentiel de +13,5 points pour 100 possessions lorsqu’il s’agit de jeu rapide, et si l’on ajoute à cela le fait qu’ils jouent environ 5 possessions par match de plus que leurs adversaires dans cette configuration, l’on comprend mieux pourquoi l’équipe a dominé la ligue cette saison régulière.
Récapitulons. Pour expliquer ces records, la PACE est en effet une piste d’explication. L’efficacité accrue sur les possessions courtes entraîne une hausse du rythme, et marque une évolution du style de jeu, montrée notamment par un taux de rebonds offensifs extrêmement bas. Mais cette saison marque surtout des records en nombre de tirs près du panier tentés, et de tir à trois points, et c’est bien là la plus grande explication à la hausse du nombre de points. Le MoreyBall a tout emporté sur son passage, et l’on voit mal comment l’on pourrait sortir de cette tendance tant l’efficacité s’en trouve augmentée. Une autre explication est celle d’un record de propreté en nombre de balles perdues, et d’une saison également historiquement haute au pourcentage sur les lancers francs, qui symbolise une ligue plus « propre » que jamais. Autant de statistiques qui ont atteint des sommets cette saison, confirmant une tendance qui dure depuis plusieurs années. C’est bien la confirmation que le basket NBA évolue à vitesse grand V, et si l’on répète souvent que c’est une affaire de cycle, que le jeu lent reviendra, il y a des tendances soulignés ici pour lesquelles il sera sans doute difficile de faire marche arrière. Ces évolutions seront en tout cas à suivre dans les prochaines années.