On a coutume de dire, d’écrire, que l’Histoire est un éternel recommencement.
Ce lieu commun revêt plusieurs sens évidemment. J’ai tendance à penser que les divers évènements ayant pu avoir lieu, ont souvent une résonance en nous, et réactivent des sentiments, des émotions, que l’on a déjà pu éprouver. Ce serait cet ensemble de ressentis qui nous donnerait une impression de recommencement.
Quel est le lien, me direz-vous, entre cette citation de 1936 de Maurice Thorez, alors Secrétaire Général du Parti Communiste Français, et notre sujet de prédilection, la balle orange ?
J’y viens, j’y viens.
En cette période tumultueuse, d’un point de vue sociétal, nous avons pu lire ou entendre régulièrement cette citation. Il ne sera pas question dans cet article d’économie ou de politique actuelle, mais d’aborder cette “résonance” et de partager avec vous un vécu totalement subjectif de l’Histoire de la “grande ligue”, par le biais de deux “grèves” des joueurs NBA, les lock-out de 1998 (Juillet 98 – Janvier 99) et en 2011 (Juillet 2011 – Décembre 2011).
Un peu de contexte : des balbutiements au climax
Depuis sa création, dans sa mouture prémoderne, en 1946, la NBA a été vectrice de multiples mouvements socio-culturels.
De grandes figures du jeu, comme Bill Russell dans les années 60, Kareem Abdul-Jabbar au début des années 70, ont utilisé leur popularité et la tribune que représentait la principale ligue Nord-américaine pour sensibiliser la masse à des questions sociales, mais également en faisant évoluer les droits des joueurs.
Il est important de savoir que, jusqu’à l’aube des années 80, les basketteurs professionnels en NBA, n’avaient qu’une marge de manœuvre infime quant à leur carrière, et bien que les sommes conséquentes perçues forcent à relativiser la difficulté de leur condition, il aurait été impossible d’assister à des marchés comme celui de l’été 2019, et le regroupement des stars de la Ligue, tant les propriétaires de franchises étaient omnipotents.
L’arrivée en 1984 de David Stern en tant de Big Boss de la Ligue, qui grâce à un plan de communication incroyable, à tout point de vue, fera bouger les lignes, comme personne n’aurait pu l’imaginer alors.
Tout fan de basket, même néophyte, a entendu parler des grands noms de cette période.
JORDAN… MAGIC… BIRD…
Les nostalgiques, dont je fais partie, considèrent que la période 1984-1998 fut “l’Age d’Or” de la NBA,
Il est de noter que cette période correspond à la carrière de l’icone du Game, Michael Jordan, 1984 étant l’année de sa Draft et 1998, la conclusion du second Three-Peat des Bulls, par ce shoot qui restera dans l’Histoire.
14 Juin 1998 : Game 6 des NBA Finals contre le Jazz de Karl Malone et John Stockton.
30 secondes à jouer à Salt Lake City, 86-85 pour le Jazz… La balle dans les mains de His Airness, vous connaissez la suite. THE LAST SHOT.
Influence de l’inconscient ou pas, le nom de ce tir a eu selon ma perception des choses un aspect prémonitoire, une sorte d’augure (bon ou mauvais ?), de ce qui pouvait advenir.
The Last Shot… comme si quelque chose s’était achevé sur ce shoot, ou comme s’il s’agissait de la dernière image d’un basket que l’on adorait.
Jusqu’en 1998 : MJ et ses adeptes
Lorsque l’on traite de Michael Jordan, les superlatifs font légion, et bien souvent, le champ sémantique de la religion est utilisé.
Il est indéniable que Jordan a finalement incarné, pour la NBA de Stern, ce personnage quasi-divin, qui venait répandre la bonne parole par-delà les frontières.
Il fascinait (et fascine toujours) par sa capacité à repousser des limites et même atteindre une forme d’inaccessible, et ce sur bien des aspects (physique, technique).
Là où la projection messianique peut-être encore davantage soulignée, c’est finalement dans ce processus d’évangélisation hors microcosme américain, via les Jeux de Barcelone de 1992 avec la Dream Team, l’Open McDonald’s à Paris en 97, bref, tout ce qui a mené vers le miracle de Juin 1998 jusqu’à l’Ascension vers le Panthéon du basketball (nous omettrons volontairement l’épisode Wizards, hein ?).
A partir de cette date, et pour ceux qui avaient accompagné les Bulls jusqu’à ce climax, rien ne serait plus jamais pareil, et pour beaucoup, il y aura une NBA avant et après MJ (“oyez mes amis réfractaires au changement, rejoignez-moi!!!”).
Il faut savoir que dans les années 90, être fan de basket américain est moins facile qu’en 2020.
L’absence de réseau social, le manque de diversité des diffuseurs ne donnaient à l’aficionado que peu de possibilité pour vivre sa passion à la télévision (Canal + et George Eddy).
En caricaturant un peu, si l’on aimait la NBA dans les nineties, on était un adepte de Jordan.
Au sein même de la NBA, il semble que la (seconde) retraite de l’arrière des Bulls ait déclenché quelque chose, puisque le 1er Juillet 1998, débutait la grève des joueurs (lockout).
Deux grèves avaient déjà eu lieu, en 1995 et 1996, mais tuées dans l’oeuf.
La revendication des joueurs était essentiellement centrée sur une revalorisation de la part salariale entre joueurs et propriétaires.
L’explosion de l’audimat (30 millions de téléspectateurs pour ce Game 6 de 1998) et des droits télévisés, du merchandising, et plus largement des recettes ouvraient forcément l’appétit des acteurs principaux de ce sport-spectacle, les joueurs.
Sans s’étendre davantage sur le processus et la résolution du litige, retenons simplement que le syndicat des joueurs obtint finalement gain de cause et la saison pu reprendre, en étant largement tronquée, le 6 Janvier 1999.
Au terme de la saison, Les San Antonio Spurs de Popovich, Robinson et du jeune Tim Duncan furent sacrés champions NBA, en battant en Finales de vieux Knicks au terme d’un run de Playoffs épique pour ceux-ci.
Karl Malone obtenait son deuxième titre de MVP.
Certains joueurs-stars des années 90 ne s’en remettraient jamais (Shawn Kemp, Vin Baker notamment).
Anecdotique ?
Pas pour moi à cette époque.
Après 1998 : MJ et ses apôtres
Je récapitule, et en tant que grand narcissique, je voulais vous parler de moi.
En 1998, j’ai 14 ans (né en 1984, année de la Draft de Jordan, Olajuwon, Barkley, Stockton… Sam Bowie).
C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi… blablabla.
J’ai commencé à jouer au basket en Septembre 1992, après les J.O de Barcelone.
Nourri aux VHS des Bulls, de NBA Jam Session et des dunks monstrueux de Shawn Kemp, j’ai appris à jouer (poste 4) en regardant les Barkley, Kemp, Baker, Olajuwon, Malone, etc.
L’attachement à ce basket des early nineties n’est donc pas seulement évident, il est viscéral.
Or, à l’adolescence, on cherche à appartenir à quelque chose, faire partie d’un groupe.
Ce repère pour moi était le basket.
En Juillet 1998, la France est en effervescence.
Notre équipe de foot reçoit la Coupe du Monde, et la gagne le 12 Juillet.
En parallèle, j’apprends dans mon magazine préféré qu’une grève des joueurs NBA débute, sans y donner de sens.
Les mois passent, la saison est toujours en standby, et frustré, en manque d’émulation, je finis par décrocher, forcément marqué par l’intensité des émotions vécues sur les dernières années et par cette période si riche en personnages marquants, joueurs exceptionnels, etc.
Je n’aurai de cesse pendant les 13 ans de “trêve” que de clamer à qui voulait l’entendre, que la NBA, “c’était mieux avant”, que tel ou tel joueur “n’arriverait jamais à la cheville” de mes idoles, souvent avec une forme de condescendance, la conviction de celui qui a “vécu” le mieux.
Et si on se réconciliait
Il y eut bien eu cette année 2008, où, séduit par le regroupement de certaines de ces idoles survivantes, au sein même de la première franchise que j’ai aimé, j’eus un regain d’intérêt, et je suivis avec une étincelle, les Finals entre MES Celtics et les Vilains Lakers de Kobe (la Nemesis, le plagiaire de Mon Image Divine), mais le soufflé était aussitôt retombé.
Ironie du sort, et finalement pas vraiment, un nouveau lock-out pointa le bout de son nez (si tant est qu’une grève ait un nez), à l’été 2011.
Les réseaux sociaux étaient en cours d’expansion/explosion et curieux, mais d’un oeil, je fus comme attiré par les détails de ce conflit, une nouvelle fois entre les joueurs et l’establishment.
Je me plongeais donc avec passion (à nouveau) dans les dossiers, et la ligue dans son ensemble.
J’avais l’occasion de réparer ce qui avait été cassé. Cette NBA de 2011, n’était peut-être pas si différente de “la mienne”.
Cette trêve était l’occasion rêvée de rattraper un tant soit peu cette décennie écoulée.
Après tout, il ne devait pas y avoir grand-chose, puisque les meilleurs n’étaient plus là…
Ben, en fait…
L’éclosion d’Allen Iverson.
Le prime du Shaq, de Kobe, et les grands Lakers.
L’arrivée de Vince Carter, Tracy McGrady.
La domination de Jason Kidd.
L’internationalisation avec Dirk, Tony, Manu, Pau, Yao.
Le titre de MVP de Garnett.
La débâcle de Team USA, puis la Redeem Team.
Le retour des Pistons.
L’intensification de la défense, puis la réouverture vers l’attaque, symbolysée par les Suns de Nash.
L’arrivée de Wade, Bosh et surtout… Lebron.
La disparition des Sonics.
Et tout ça, tout ça.
Force était de constater que le basket ne s’était pas arrêté dès lors que ma “bouderie” avait commencé.
Il était d’autant plus vrai que l’héritage laissé par mes glorieuses idoles n’était que plus vivant, du fait d’une forme de transférabilité des émotions, qui n’étaient pas attribuables à un joueur ou ensemble de joueurs, à une période, mais à ce sport.
J’en vins finalement à me réconcilier avec moi-même et à me plonger avec autant d’amour dans ce sport qui m’avait déjà tant apporté.
Epiloguons un peu
“Tout ce charabia et cette grandiloquence pour quoi ?”, vous direz-vous en buvant votre huitème café depuis le début de cet article en savourant l’effet que le Doliprane a sur votre migraine naissante.
C’est tout simple en fait.
Tous autant que nous sommes, lecteurs, contributeurs, followers, passionnés, aspirons à une chose :
Éprouvons des émotions par le biais du basket.
Si un simple sport peut générer un spectre aussi large de ressenti, allant de la joie immense de voir TP lever un trophée, à la rage que l’on a tous vécu avec tant d’intensité lors de ce France-Espagne de 2013, l’état de choc des Slam Dunk Contests de 2000 et 2016, l’irritabilité lorsqu’on se lève à 4h du matin avec un litre de café pour regarder son équipe subir un blowout à domicile, ou la frustration d’un adolescent qui apprend qu’il ne va pas voir jouer ses modèles jusqu’à nouvel ordre.
Il s’agit d’un va et vient, comme si, en considérant la chance que l’on a eu de recevoir autant, on se devait de le partager.
Prenez cet article comme un préambule à ma démarche de transmission.
Les prochains seront certainement moins subjectifs, moins alambiqués, mais toujours aussi passionnés.
17 seconds… from Game 7… or from Championship #6… Jordan… Open…