Il est des anniversaires que nous ne célébrons pas. A juste titre d’ailleurs. Toutefois, dans la vaste Histoire de la NBA, certains événements, certaines performances, mériteraient qu’on les salue de temps à autre. Par leurs aspects historiques, les uns ont façonné la Ligue que nous connaissons aujourd’hui. Les autres, à l’héritage plus léger, font simplement partis des meubles, et ressemblent surtout à des anecdotes à raconter entre le fromage et le dessert. C’est toute l’ambition de cette série : célébrer des anniversaires dont tout le monde se fout, mais qui vous donnerons de quoi épater la famille le dimanche midi.
Allons-y gaiement pour ce premier épisode de Once Upon A Time in NBA.
“Parfait”. Si nous devions décrire en un mot la performance réalisée, il y a 31 ans, par Charles Barkley, ce serait avec celui-ci. Quoi que, le terme “chirurgical” serait également approprié.
Chaque observateur un peu avisé de la NBA connaît Charles Barkley. De Philadelphie à Phoenix, de la Dream Team 1992 aux plateaux TV, Chuck est un personnage marquant de la Grande Ligue depuis désormais 35 ans. Sélectionné en 5è position de la draft légendaire de 1984, derrière Olajuwon et Jordan, mais devant Kevin Willis et John Stockton, Barkley va faire les beaux jours de Philadelphie au cours de huit saisons bien remplies. Mais, une fois n’est pas coutume, il n’est pas question d’en faire le portrait détaillé.
Lorsque Sir Charles met les pieds sur le parquet en ce 24 mars 1989, les Sixers sont en position confortable pour accéder aux playoffs. Après une saison 1987 – 1988 conclue sans joute printanière, une première depuis 1975, l’heure était à la revanche en Pennsylvanie. Ainsi, avant ce 67è match de la saison, Philly affiche un bilan correct de 36 victoires pour 30 défaites. La 37è victoire n’allait pas tarder à tomber dans la musette, puisqu’en ce début de printemps, ce sont de biens faibles Spurs qui se présentent en ville. Les acteurs ne le savaient alors pas, bien entendu, mais il fallait savourer cet exercice, au cours duquel San Antonio se retrouve au fin fond du classement de la conférence Ouest. Le plaisir n’allait pas durer longtemps, puisqu’un rookie du nom de David Robinson se préparait à quitter la marine pour venir poser ses valises dans la raquette des noir et blanc. Pour repartir, quatorze ans plus tard, avec deux bagues aux doigts. C’est donc ça, l’impact.
C’est un euphémisme de dire que les Sixers étaient favoris de cette rencontre, disputée à domicile, qui plus est. Si la forteresse du Spectrum n’était pas imprenable, c’est sur ses performances à la maison que Philadelphie se fraye, tant bien que mal, un chemin jusqu’aux playoffs. Il faut dire qu’a contrario, les résultats à l’extérieur sont loin d’être dignes d’une franchise qui lutte pour le top 5 de sa conférence. Comme quoi, entre 1989 et 2020, il y a des choses qui n’ont pas changé, en Pennsylvanie.
A ce stade de l’article, vous êtes en droit de vous dire : mais nom de dieu, il va nous dire ce qui s’est passé, le 24 mars 1989 ? J’y viens, j’y viens. C’est fou, l’impatience des gens. Mettons ça sur le dos du confinement.
En 1989, Barkley dispute sa 5è saison NBA. Il s’est déjà affirmé comme un incroyable scoreur (28,3 points la saison précédente), et comme un rebondeur hors du commun. Il faut dire qu’il a fait ses gammes avec Moses Malone, surnommé “Le Président des rebonds”. A l’heure de la rédaction de ces lignes, c’est donc bien Chuck qui détient le record du nombre de saisons consécutives en double-double : 15, entre la saison sophomore (20 / 12,8) en 1985 et celle de son jubilé (14,5 / 10,5) en 2000, sous le maillot rouge de Houston.
Cependant, il est un autre aspect du basketball où Barkley excellait particulièrement. Un aspect bien pratique d’ailleurs, lorsqu’il s’agit de mettre une balle dans un cercle : l’adresse. Attention ! L’animal était certes adroit, mais pas dans tous les compartiments du jeu. Il était ainsi moyen sur la ligne des lancers-francs. Certes, il était loin d’afficher le niveau abyssale de certains intérieurs de l’époque. Disons que s’il en rentrait 75 %, c’était une bonne soirée. De la même manière, époque oblige, il n’a jamais été un grand tireur longue-distance, avec ses 26,6 % de réussite en carrière.
Par contre, quand il s’agissait de mettre le ballon dans l’arceau à 2 points, il était le meilleur. Et ce n’est pas une exagération : entre 1987 et 1991, c’est lui qui présente, chaque année, le meilleur taux de % de réussite à 2 points, dépassant toujours largement les 60 % de tirs convertis.
La saison 1988 – 1989 ne fait donc pas figure d’exception. Charles massacre les défenses, et sans fioriture. A la fin de la saison, il sera parvenu à scorer au moins 25 points à 60% de réussite au tir à 23 reprises. A ce petit jeu-ci, certaines rencontres font figure d’OVNI. Citons, en guise d’unique exemple, le 8è match de la saison, disputé et gagné contre les Knicks de Patrick Ewing, Mark Jackson et Charles Oakley, à l’issu duquel Barkley aura essuyé ses semelles sur l’ensemble de la raquette New-Yorkaise, avec ses 38 points, 13 rebonds, 4 passes et autant d’interceptions, à 14 / 15 au tir et 10 / 16 aux lancers. Le pire dans tout ceci, c’est que l’unique tir raté … est son seul 3 points tenté de la rencontre.
Précis et dominant, donc. Pour l’anecdote à deux sous, sachez que la rencontre que nous venons de mentionner est l’une des 78 performances de l’Histoire où un joueur est parvenu à scorer au moins 30 points avec 90 % de réussite au tir. Sans parler d’exploit, l’accomplissement ne court donc pas les rues. Par exemple, Michael Jordan (30,1 points de moyenne en carrière) a inscrit 30 points ou plus à 671 reprises en carrières (saison régulière et playoffs). Pourtant, à ces occasions, il n’a jamais affiché 90 % de réussite au tir. La statistique est toute aussi vraie avec Kobe Bryant, scoreur boulimique s’il en est (au moins 30 points 519 fois).
A y regarder de plus près, ils ne sont que cinq à avoir claqué au moins 30 points avec une telle précision à plusieurs reprises. Sans surprise, la part belle est faite aux intérieurs, qui sont bien avantagés à ce petit jeu, puisque par définition, ils évoluent plus près du cercle (sauf s’il s’agit de Brook Lopez, bien évidemment). Et quels intérieurs ! On ne retrouve que du beau monde.
- Wilt Chamberlain : 9 reprises,
- Dwight Howard : 4 reprises,
- Shaquille O’Neal : 3 reprises,
- Charles Barkley : 3 reprises,
- George Gervin : 2 reprises.
Que celui qui parvient à trouver l’intrus parmi les cinq joueurs remporte l’équivalent de son poids en gel hydroalcoolique.
Les plus perspicaces l’auront deviné. Le 24 mars 1989, dans ce qui devait ressembler à une balade de santé, Charles Barkley a réalisé une autre performance dans ce style. En mieux ; hors de question de parler de 90 % de réussite au tir. Ni même de 95 %. Il y a 31 ans, Chuck n’a rien raté, et nous a offert un petit morceau de légende.
Ici, l’étau se resserre. Nous pouvons désormais parler d’exploit. Nous ne recensons que 17 rencontres terminées par un joueur avec 30 points à 100% au tir. On s’aperçoit d’ailleurs que l’accomplissement est celui d’un autre siècle : le 20è. La performance n’a été réalisée qu’à 4 reprises depuis l’an 2000.
Certaines de ces rencontres méritent qu’on leur accorde quelques mots. Pour commencer, saluons la performance du joueur le plus anonyme du lot, Billy McKinney, qui, le 27 décembre 1978, a inscrit 30 points, sans rater un tir … dans une défaite. Dans l’Histoire, c’est tristement unique.
Tirons également notre chapeau à Wilt Chamberlain. Lorsqu’on met “record” et “NBA” dans une même phrase, l’enfant de Philadelphie n’est jamais bien loin. C’est ainsi que le 24 février 1967, the Steelt a marqué 42 points, à 18 / 18 au tir (double record). Il ne s’est cependant pas arrêté en si bon chemin, et ajouta à sa ligne statistique 30 rebonds, 10 passes décisives et probablement une brouette remplie de contres.
Vous vous dites probablement que la performance est unique. Ce n’est pas tout à fait véridique, puisqu’un autre pivot altruiste, certes bien moins affûté physiquement, est parvenu à nous conclure une rencontre avec un perfect triple-double. Il s’agit de Nikola Jokic, qui planta un 35 / 11 / 11, à 11 / 11 au tir, sur la frimousse de DeAndre Ayton pour lui souhaiter la bienvenue dans la Grande Ligue. Il est des bizutages dont on ne se lasse pas.
Et pourtant, d’une certaine manière, trois larrons sont parvenus à faire encore mieux. Croyez moi sur parole. Il existe un groupe, sur cette planète, qui comprend Charles Barkley, Gary Payton et … Thomas Bryant. Pour des raisons qui vous serons expliquées ci-dessous, nous n’évoquerons que la rencontre de Barkley.
Montons dans la DeLorean, et retournons en ce 24 mars 1989. Lorsque Monsieur Nolan Fine siffle le début de la rencontre, devant les 13 128 spectateurs amassés dans la Spectrum Arena, on ne peut pas dire que les ingrédients d’un grand match de basket étaient réunis. San Antonio restait alors sur une série de 28 défaites sur les 36 dernières rencontres, et se bagarrait avec Miami pour savoir lequel des deux aurait le droit de clore la marche dans cette conférence Ouest. Puisqu’effectivement, le Heat était alors considéré comme une équipe de l’Ouest.
Du suspens, il n’y en aura que très peu. Après 12 minutes d’efforts, les Spurs en ont déjà pris 48 dans la musette, et accusent un retard de 21 points. Nous partons donc sur les bases de 192 points encaissés pour les hommes de Larry Brown, et sur une énième purge pour leurs supporters, eux qui ont déjà connu 19 défaites avec au moins 15 points d’écart cette saison-ci. Nous vous avons déjà dit d’en profiter ?
Le score sera moins sévère les quart-temps suivants. Il faut dire que les stars des Sixers ne passeront pas un temps fou sur le parquet : aucun titulaire ne jouera plus de 33 minutes, Jim Lynam faisant tourner son effectif, appliquant là des préceptes très étrangers à Tom Thibodeau. La rencontre se soldera tranquillement sur le score de 135 – 122. Une victoire facile, mais importante dans l’optique de rejoindre les playoffs.
Sauf que voilà. Dans ce qui ressemble à un énième blow-out, Barkley a brillé plus que d’habitude : 31 points, 7 rebonds, 6 passes décisives, 3 interceptions et 1 contre, à 10 / 10 au tir. Vous n’auriez peut-être pas parié dessus, mais il a même converti ses 2 tentatives derrières l’arc.
Mais là où Sir Charles se démarque des toutes les performances citées ci-dessus, c’est qu’il a également fait ficelle sur l’intégralité de ses lancers-francs ! En carrière, il est allé en moyenne 8,1 fois par rencontre sur la ligne des lancers, en en convertissant 73,5 % (soit, pour les moins matheux, 5,95 tentatives réussies). Mais au diable les statistiques ! Après avoir terrassé celle du tir à 3 points, il passera outre la logique chiffrée dans l’exercice des lancers. Touché par la grâce de Nash, Curry et autre Reggie Miller, Barkley fera cette fois-ci un magnifique 9 / 9.
Ce jour-ci, la balle, aussi petite qu’une bille, aura donc quitté 19 fois ses mains, pour aller faire ficelle dans un cercle aussi grand que l’océan à autant de reprises.
C’est là que se fait la principale différence, entre Barkley, Payton et Bryant d’un côté, et les autres … de l’autre. Si la prestation de Chamberlain était absolument colossale (et parfaitement inenvisageable aujourd’hui), en terme d’adresse, elle n’était pas “parfaite”. Vous pouvez dire que nous faisons la fine bouche. Et vous aurez raison. Néanmoins, en ce soir de février 1967, il n’a converti que 6 de ses 14 tentatives. McKinney, en 1978, avait fait un 2 / 3 dans l’exercice, là où Jokic s’est fendu d’un 10 / 11.
Depuis lors, vous l’aurez compris, Gary Payton et Thomas Bryant ont rejoint le club formé par Chuck. 32 points, 5 rebonds, 6 passes décisives pour le meneur des Sonics, à 14 / 14 au tir et 3 / 3 aux lancers. 31 points, 13 rebonds et 2 passes décisives pour le pivot des Wizards, également à 14 / 14 et 3 / 3. Pourquoi, dès lors, n’opérer qu’un focus sur Barkley ? Le nombre de lancers convertis, sûrement. L’affect, sans aucun doute.
Voilà donc où nous voulions en venir. Voilà l’anniversaire que nous célébrons en ce 24 mars 2020 : celui du premier match à 30 points, avec 100 % au tir et aux lancers. Vous étiez prévenus, cela ne ressemble à rien de plus qu’une anecdote. Une belle anecdote, néanmoins, qui symbolise bien Charles Barkley : une brute aux doigts de fée.
Terminons cet article en formulant un souhait ; celui que Chuck devienne aussi précis dans ses analyses basketballistiques qu’il ne l’était sur le parquet en ce 24 mars 1989. Qui sait, cela lui évitera certainement, à l’avenir, d’embrasser les fesses d’un âne.