“CURRY, WAY DOWNTOWN – BANG! BAANG ! OH WHAT A SHOT FROM CURRY !”. Chaque fan de NBA se souvient de ces commentaires de Mike Breen ; de quoi rappeler de mauvais souvenirs aux fans du Thunder.
Depuis un peu plus de 10 ans maintenant, le soleil ne s’est jamais arrêté de briller sur la côte Ouest américaine. En effet, depuis l’arrivée de Stephen Curry dans la ligue en 2009, les “BANG” ont commencé à pleuvoir au même rythme que les trois points du joueur. L’artilleur de la baie de San Francisco a littéralement propulsé la NBA dans une nouvelle ère. Cette époque est remplie de shoots à trois points, de cartons individuels au scoring et de highlights offensifs. Que vous le détestiez ou que vous l’admiriez, Curry ne laisse personne indifférent. D’ailleurs, face à tant d’insolence et de facilité dans ses tirs, les débats sur l’instauration d’une ligne à quatre points n’ont jamais été aussi présents autour de la NBA. Alors que beaucoup cherchent à modeler leur jeu à partir du sien, sans jamais l’atteindre, le Chef restera à jamais celui qui a dicté le sens du jeu lors de la décennie 2010, et pour quelques années encore.
Certes, plusieurs facteurs en dehors de Curry ont contribué à cette explosion, à commencer par les règles favorisant et encourageant les joueurs à ouvrir le feu de loin, car leur zone de tir est plus protégée que dans la peinture. Mais aussi, l’avènement des statistiques avancées, un facteur pouvant encourager les performances individuelles exceptionnelles, en créant une idéalisation sur le niveau d’un joueur si l’on se base sur ses statistiques. En revanche, ce sont bel et bien Curry et ses Warriors qui ont confirmé que toutes les suppositions statistiques pouvaient se retranscrire en réalité, et de quelle manière !
Deux raisons m’ont poussé à écrire cet article. La première, c’est l’arrivée progressive de certaines règles ayant pour but de favoriser un peu plus la défense, ce qui risque, à terme, de diminuer légèrement les effets de la vague du trois points qui a submergé la ligue ces dernières années. La deuxième (attention c’est un spoiler), à moins d’une blessure, Curry deviendra le joueur le plus prolifique à trois points de l’histoire de la NBA d’ici quelques semaines. Quelque chose me dit qu’il risque de le rester pour un certain temps… Merci Ray Allen pour les travaux à trois points, mais la première place semble réservée à quelqu’un d’autre.
Une prise de conscience sur la valeur d’un trois points
Influencée par les Warriors de Curry, la ligue entière a suivi le mouvement. Avoir des joueurs élites à trois points fait gagner des titres ? Alors tirons à trois points.
Depuis l’introduction de la ligne à trois points, la part du nombre de tirs pris depuis le parking n’a cessé d’augmenter aux dépens du tir à mi-distance. C’est un processus logique étant donné la valeur supérieure de ce type de shoot.
Cependant, le processus avait tendance à légèrement ralentir vers le début des années 2010. La transition s’effectue officiellement l’année qui succède le premier titre des Warriors (en 2015). Passée cette victoire, la part de trois points tentés en NBA a pris un nouvel envol et n’a eu de cesse de faire disparaître le mid-range à vitesse grand V.
En conclusion, plusieurs facteurs peuvent expliquer ce changement dans la manière de jouer en NBA. En premier, l’influence de Curry & co que nous aurons l’occasion de développer plus en profondeur par la suite. Il y a notamment les règles arbitrales qui punissent les interventions défensives et le moindre contact avec le tireur, dès qu’il se trouve en dehors de la peinture. Et enfin, la plus-value naturelle d’être une menace à trois points : depuis le début du siècle, une équipe marque en moyenne 0.8 points par possession lorsqu’elle se conclut sur un tir mi-distance, contre environ 1.1 points lorsqu’un tir à trois points est rentré. En d’autres termes, en tirant 100 fois à mi-distance une équipe inscrit 80 points, contre 110 en shootant du parking. Le calcul est vite fait. De plus, être une menace sérieuse à trois points ouvre le champ des possibles offensivement. Créer le danger sur les lignes extérieures permet d’apporter plus de spacing, et donc logiquement plus d’opportunités pour driver ou multiplier les actions en pick & roll entre autres.
N’est pas Curry qui veut
Pour appuyer ces propos, penchons-nous sur les travaux du data scientist Corey Wade. Ce dernier a créé une mesure, le three point net gain, qui justifie l’intérêt de développer ses capacités à bien tirer de loin. Cette statistique est particulièrement intéressante, car elle couvre tous les aspects d’un bon shooteur à trois points. Il faut à la fois marquer énormément de trois points, tout en ayant d’excellents pourcentages, sans quoi, la valeur ajoutée sera beaucoup moins importante.
En moyenne, depuis 1980 chaque équipe inscrit approximativement 1.06 points par possession, signifiant que chaque fois qu’un joueur marque un panier à trois points, il apporte 1.94 points de plus par possession. S’il le rate, son équipe perd alors la valeur de 1.06 points.
En reprenant cette grille de calcul, voici les statistiques des 5 joueurs les plus prolifiques à trois points sur l’exercice 2020-21. Nous constatons tout d’abord que Curry se place premier, apportant donc 2.44 points de plus par match grâce à ses trois points. Seconde observation : on note assez largement l’impact négatif des tirs ratés sur la moyenne de Lillard qui a un 3 Points Net Gain inférieur aux autres, malgré un nombre plus important de trois points inscrits.
Sur l’exercice 2020-21, Curry inscrivait en moyenne 5.3 tirs à trois par matchs et en manquait 7.4.
(5.3*1.94-7.4*1.06) = 3NG
Il est désormais intéressant de jeter un œil aux meilleurs 3NG sur une saison depuis l’introduction de la ligne à trois points :
La domination de Curry est exceptionnelle, d’autant que nous ne sommes pas à l’abri de voir son nom truster les trois premières places du top 5 d’ici quelques mois . Ces chiffres sont déconcertants. Ajoutez à cela l’impact et la domination de la dynastie dorée des Warriors, et vous obtenez un modèle sur lequel toutes les équipes veulent se calquer pour gagner leurs titres également.
Avec ce génie à la mène, les Warriors ont pu créer une nouvelle manière d’appréhender le jeu, en cassant complètement les codes durement ancrés. Bien-sûr, les Warriors n’ont pas inventé le rôle du meneur playmaker plus leader d’une attaque, ils ont remis au goût du jour une recette qui a fonctionné par le passé et l’ont rendu extrêmement prolifique. Dans une NBA moderne, qui semblait être le terrain de jeu promis aux joueurs les plus athlétiques, dans le sillage de joueurs générationnels comme LeBron James, les Warriors, eux, ont maximisé le potentiel de leur équipe sur son côté « petit » et très rapide, sous l’impulsion de Steph.
En quoi ce shoot est-il si particulier ?
En faisant les recherches pour cet article, nous ne pouvons qu’être heureux et reconnaissant du développement de l’intelligence artificielle et des caméras ultra développées pour analyser plus en profondeur le jeu. Avec cette immense collecte de données il est désormais possible d’analyser la technique de shoot qui a révolutionné la NBA.
Premier détail important, Curry n’est pas très grand : il est répertorié à 1m91 chaussures aux pieds. Ce qui en toute logique le rend plus vulnérable aux potentiels contres, d’autant plus que l’une des particularités de sa routine est qu’il relâche son tir, avant même d’être arrivé au sommet de son saut. Il a donc dû adapter sa mécanique de tir pour se protéger.
Ce qui fait la létalité de ce mouvement est la rapidité avec laquelle Chef Curry relâche son tir. Tous les éléments mettant son tir en danger sont complètement annulés par sa rapidité de dribble et d’exécution une fois qu’il enclenche son trois points. Grâce au développement des technologies avancées, on a vu que Curry mettait un peu de moins de 4 dixièmes de seconde pour tirer, contre 5,4 en moyenne pour le reste de la ligue. En comparaison, le temps que le joueur moyen en NBA relâche son tir, celui de Curry se situe déjà à plus de trois mètres du sol.
L’autre force de son tir est l’angle moyen de sa trajectoire : Curry doit tirer plus haut pour éviter les possibles contres. Avec un angle d’environ 55 degrés en moyenne, la courbe de son tir augmente de 19% l’aire du panier car le ballon retombe plus droit, en comparaison avec le tir moyen en NBA à 45 degrés.
Désormais, la question est : est-ce que cela suffit pour ne pas se faire contrer ?
(statistiques arrêtées au 27/10/2021).
La réponse est oui. Sur ses 6 585 trois points tentés en carrière, Curry s’est fait contrer seulement 46 fois, soit 0.7% de ses trois points. Plus impressionnant encore, lors de la saison 2015-2016 au cours de laquelle Steph a tenté 886 tirs à trois points, seulement 4 ont été contrés, soit 0.45% de tentatives repoussées. En comparaison, les deux autres artificiers de la ligue, Lillard et Harden se font respectivement contrer 1.13% et 1.05% de leurs tirs en moyenne par année. Au vu de l’importance de l’échantillon de tirs tentés depuis le parking, ces différences sont assez importantes. Ces chiffres valent aux trois points de Curry d’être très souvent comparés au skyhook de KAJ.
C’est d’ailleurs peut-être avec Kareem Abdul-Jabbar que se joue le débat du joueur le plus influent de l’histoire ? Un petit rafraichissement de mémoire est nécessaire pour évoquer le dossier de ce joueur. Tout d’abord, s’il fallait le rappeler, Kareem est le scoreur le plus prolifique de l’histoire avec ses 38 387 points. Ensuite, il fait partie de ces rares joueurs qui ont entraîné une refonte des règles du jeu pour diminuer leur domination. À l’époque, Lew Alcindor roulait sur la NCAA et dunkait sur chaque joueur qui se présentait face à lui, la NCAA a tout simplement interdit le dunk pendant 10 ans, rien que ça. Pour répondre à cette restriction et pouvoir continuer à dominer le jeu, il a décidé de s’approprier le geste le plus indéfendable de l’histoire : le skyhook. Seuls quelques joueurs ont eu l’honneur de pouvoir le contrer (plutôt des goaltendings à vrai dire), parmi eux se trouvent Parish et Chamberlain. Seulement, depuis son époque le jeu a beaucoup changé, Kareem a lui même admis que l’ère du trois points avait renversé les codes de la NBA. Il reconnaît d’ailleurs l’instigateur de cette révolution, interrogé sur l’impact de Stephen Curry, KAJ a déclaré :
“C’est assez incroyable, je n’ai jamais vu d’autres personnes avec un tel talent, en plus il est un leader pour son équipe. Je pense qu’il est un boost pour la NBA et qu’il a permis d’accumuler encore plus de fans.”
Après avoir lu cet article, qui peut venir affirmer que Curry n’est pas le plus grand game changer de l’histoire de la NBA ?