Cette séquence semble avoir un air de déjà-vu, le genre d’images que nous nous sommes habitués à voir aux pires moments ces dernières années. Chris Paul est blessé, mais pour une fois il semblerait que ça tombe au meilleur moment, ou au moins pire. Il n’y a jamais de « bon moment » pour être blessé pendant six semaines, si ce n’est six semaines avant les playoffs.
Au moment du all-star break, les Suns avaient le meilleur bilan de la ligue, et de loin. Avec 6.5 victoires d’avance sur le dauphin Golden State, tout réussissait à Phoenix, qui avait de plus la meilleure série de victoires en cours, avec 7 succès consécutifs. Seulement, le principal artisan de cette saison sans fausses notes, passeur décisif le plus prolifique soit dit en passant, s’est fracturé le pouce. Les favoris au titre NBA, si l’on s’en tient à la dynamique de la saison, vont donc devoir préparer leur dernière ligne droite vers les playoffs sans leur principal dépositaire du jeu. Bien évidemment, cette absence n’empêchera pas les Suns de participer aux joutes printanières, cependant elle posera potentiellement un souci qui ne se ressentira pas de suite.
Même si le rythme de Phoenix en saison régulière venait à diminuer, leur avance est telle que ce ne serait pas un problème critique. Mais devoir débuter les playoffs sans CP3, ou avec lui mais hors de forme, pourrait constituer un début d’ennui.
Chacune de ses récentes blessures étaient souvent synonymes de défaite assurée pour son équipe (Houston contre Golden State), ou d’une potentielle crise sportive très inquiétante, tant son apport est exceptionnel partout où il passe. Il semblerait que pour une fois, la crise soit facilement évitable. Jamais les réactions autour d’une blessure du Point God n’avaient été aussi décontractées.
Il y a trois explications majeures à cette tranquillité. La première : les Suns ont de l’avance, et ont donc le temps de voir venir et de gérer leur fin de régulière. La deuxième étant que la profondeur de l’effectif entre les mains de Monty Williams est suffisamment grande pour s’adapter. Enfin, Phoenix a déjà eu à pallier l’absence de CP3 dans un contexte bien plus critique que celui-ci. En plus d’avoir déjà trouvé des alternatives qui fonctionnaient, cette fois le contexte est relativement tranquille.
Les mots de Devin Booker au sujet de cette blessure résument parfaitement la situation : « Cela fait malheureusement partie du jeu, mais nous sommes chanceux, ce n’est pas une blessure qui l’empêche de jouer à nouveau cette année. Il reviendra lorsque ça comptera vraiment ». En d’autres termes, Chris Paul va profiter de son repos pour revenir au moment venu. Attention toutefois à ne pas trop tarder, car comme nous le soulignions en amont, il serait dommageable d’arriver hors de forme en postseason.
Chris Paul version 2021-2022 ça donne quoi ?
Nous nous sommes tant habitués à son excellence qu’il a fini par banaliser son niveau de playmaking. Si les Suns sont aussi bien classés cette année, c’est grâce à la continuité qu’ils ont réussi à mettre en place. Et si cette continuité tient aussi bien, c’est parce que Chris Paul était à la baguette. Depuis le début de la saison, les Suns font leur chemin de leur côté. Loin des blockbusters trades, loin des problèmes sportifs de certains contenders, et encore plus loin des fantasmes futuristes d’Adam Silver et autres éléments surmédiatisés, il y a un favori qui roule sur la ligue doucement mais sûrement. Au cœur de cette équipe que l’on met légèrement de côté sur la scène médiatique tant sa domination semble logique, on en oublierait presque qu’il y a le meilleur passeur de la ligue qui y évolue.
Monty Williams est conscient qu’il ne pourra pas remplacer l’apport de CP3 quoi qu’il fasse.
« Chris est une part importante de ce que nous faisons. Donc nous n’allons pas essayer de le remplacer, mais plutôt essayer de jouer de la même manière, et de garder nos standards à un niveau toujours aussi haut. »
Que le contexte soit propice ou non, les Suns vont faire face à un problème de taille : sans les 10.7 passes décisives par match de Paul, le ballon ne tournera pas aussi bien. Ajoutez à cela ses 15 points de moyenne, ainsi que ses 4.5 rebonds, et vous perdez une part essentielle de votre jeu.
D’ailleurs, il y a un autre point qui est très souvent revenu dans les conversations sur CP3 : son importance en fin de match. Sans son apport phénoménal dans les 4ème quart-temps, les rôles vont devoir être redistribués. Dans les douze dernières minutes de chaque match, Chris Paul est celui qui joue le plus. Il est donc le scoreur le plus prolifique, mais également le meilleur passeur, meilleur intercepteur, troisième meilleur rebondeur. Rien que ça. Pour aller un peu plus dans le détail, dans les quatrième quart-temps, Chris Paul pèse pour 56% des passes décisives de l’équipe. C’est simple, personne ne fait mieux que lui dans la ligue. Son dauphin Doncic, ne pèse « que » 47%. En plus des passes décisives, l’apport de Chris Paul s’élève à 25% des points marqués par Phoenix. En bref, quand le moment est important, tout passe par lui. Désormais ce ne sera plus possible, d’autres joueurs vont devoir prendre leurs responsabilités, à commencer par Booker et Ayton.
Finalement, si son retour s’effectue sans problème, cette blessure pourrait être « bénéfique » sur le long terme pour les Suns. Même si, à choisir, il aurait été préférable de simplement réduire son temps de jeu (un sujet qui revenait souvent dans les débats). Maintenant la question ne se pose plus : il faut faire sans Paul. Les multiples blessures du meneur nous ont systématiquement amené à nous demander ce que ses franchises perdaient, en témoigne le dernier article en date à ce sujet.
A fortiori, nous constatons que les standards évoqués dans ce papier qui date des derniers playoffs n’ont pas bougé, Chris Paul étant indispensable dans tous les domaines. Dès lors, l’intérêt n’est plus de s’apitoyer sur ce que perd Phoenix, mais d’analyser comment la franchise compense, s’adapte, et fait face à ce problème.
Depuis sa blessure, trois matchs ont eu lieu et nous avons déjà quelques éléments de réponse.
Face au Thunder :
Le paradoxe Booker
Avec l’absence de Payne, nous nous demandions qui allait prendre la mène. Monty Williams avait le choix entre Aaron Holiday, Elfrid Payton ainsi que Devin Booker. Il opte finalement pour mettre le book’ à la mène, et c’est Cameron Johnson qui fait son entrée dans le 5. Un choix très intéressant. Devin Booker a battu son record de passes décisives de la saison, et a aussi battu son record d’interceptions en carrière. Ajoutons à ces deux records 25 points, ainsi que 5 rebonds, et nous obtenons une prestation statistique excellente pour une première sans CP3, après le all-star break.
La réalité du jeu est un peu différente. S’il bat son record de passes en saison, il n’a pas permis aux Suns d’avoir une fluidité optimale, ni d’installer une forme de sérénité dans le jeu, ces caractéristiques étant les principaux atouts de Paul. Si son dernier quart-temps est un quasi sans fautes, le reste du match a été assez compliqué. Premièrement, Booker a perdu ou fait perdre beaucoup trop de ballons à Phoenix. On lui attribue seulement 4 pertes de balles, mais la plupart de ses mauvaises passes qui ont contribué à des ballons perdus ont été assignées à ses partenaires. Ce que l’on peut retenir de ce match : Booker est au mieux quand Aaron Holiday le décharge de certaines responsabilités sur le terrain. Ce dernier a produit une très bonne prestation, qui a libéré beaucoup d’espace à D-Book. Non pas que Booker ait fait un mauvais match, loin de là, mais pas un aussi bon match que ses stats pourraient le laisser entendre.
Booker est capable de se voir confier la mène lorsque Paul sort, ou lorsqu’il est dans un temps fort, et ce pendant quelques actions. Mais face au Thunder, lorsque tout passait par lui, le jeu été très bridé, assez prévisible, et certaines actions semblaient « forcées » et manquaient cruellement de maîtrise. Finalement c’est au cours du dernier quart-temps que Booker a réussi à trouver une forme de rythme, débridant donc son jeu, ce qui a permis aux Suns de remporter ce match tranquillement, face à un OKC qui ne cherchait pas spécialement à l’emporter. Malgré cette constatation assez mitigée, Devin a globalement répondu présent, et a surtout été très concerné et efficace lorsqu’il s’agissait de défendre en coupant presque toutes les lignes de passes adverses.
Quid de l’axe 1-5 ?
Où était Ayton ? C’est la question qu’il convient de se poser tout au long du match. Trop peu servi, mais à la fois trop difficile à trouver, Ayton était aux abonnés absents. Certes, Paul n’était pas là pour le faire briller, mais Deandre a sorti un match assez symptomatique de son manque de volonté, comme il sait si bien le faire malheureusement. Le pivot n’a tenté que 5 tirs, s’en sort avec 6 points et 8 rebonds, mais également 5 ballons perdus. Un match à oublier pour lui, qui jusqu’ici, n’avait jamais perdu autant de ballons en marquant aussi peu de points cette saison.
Habituellement, 45% des ballons qu’Ayton reçoit, proviennent de CP3. Ce soir-là, face à Oklahoma, le pourcentage de passes provenant de Booker ne s’élevait qu’à 35%, soit autant que Crowder. Cette relation n’a pas été prolifique du tout, puisque Booker n’a donné aucune passe décisive à son pivot. Toutefois, Ayton n’a marqué que trois tirs contre la terrible raquette du Thunder, ce qui peut expliquer les mauvais chiffres de cette relation, dans laquelle on peut blâmer les deux joueurs.
Face aux Pelicans :
Difficile de créer sans créateur
Re-belote pour le 5 majeur, on continue de confier les clés à Booker, mais cette fois Monty n’avait pas le choix car Aaron Holiday était blessé, et Payne n’était toujours pas disponible. Elfrid Payton n’allait pas être meneur titulaire, pour des raisons assez évidentes … Voilà le résumé de son match : 2 points, 3 passes décisives, une perte de balle et sa meilleure action :
Assez parlé de Payton, parlons Basket désormais. Le coach des Pels, Willie Green, un ancien de la maison Phoenix, a parfaitement appréhendé la rencontre. En l’absence des excellentes minutes d’Holiday, Booker était le seul bon créateur chez les Suns. En toute logique, Green s’est concentré sur ce point et a asphyxié le nouveau meneur attitré de Monty pour court-circuiter le jeu de Phoenix. Décision qui s’est avérée rudement efficace, étant donné que les Pelicans ont remporté ce match.
L’autre clé de ce match en back-to-back perdu par les Suns est l’agressivité. À commencer par la bataille des rebonds outrageusement remportée par la franchise de la Louisiane, avec 53 unités contre 37 pour Phoenix. Dépassés, les Suns connaissent un arrêt dans leur série de 8 victoires consécutives.
Au-delà de l’absence de Chris Paul, c’est surtout l’absence d’une doublure viable qui a causé du tort à Phoenix. Nous l’avions vu face au Thunder, les minutes où Holiday évoluait aux côtés de Booker étaient les plus intéressantes dans le jeu. Cette fois, Devin s’est démené pour maintenir son équipe à flot avec ses 30 points et 5 passes décisives. Mais ce ne fut malheureusement pas suffisant. Face aux 60 points de l’intenable paire Ingram/McCollum, les hommes de Monty Williams concèdent une défaite logique, qui leur permettra de tirer des enseignements pour éviter d’autres déconvenues de ce genre.
Booker et Ayton corrigent le tir
Nous pointions, à juste titre, le mauvais fonctionnement de l’axe 1-5 de Phoenix contre OKC. Cette fois, face aux Pels, Booker et Ayton ont réglé les problèmes rencontrés la veille. Tout d’abord, Devin Booker a presque doublé son nombre de passes délivrées à Ayton, de quoi créer une meilleure relation entre les deux. Conséquence directe de cette relation : Deandre était bien plus concerné dans le jeu, et a inscrit 20 points à 9/12 au tir. Seulement, Ayton a été insuffisant au rebond face à Jonas Valanciunas, qui s’est régalé avec pas moins de 18 points et 17 rebonds, dont 4 offensifs.
Malheureusement, cette fluidité retrouvée dans le jeu n’a pas suffi pour empêcher la défaite : tout s’est joué dans le troisième quart-temps où la défense de Phoenix a pris l’eau, fait assez rare pour être souligné. En concédant 42 points durant ces douze minutes charnières, les Suns n’ont pas été en mesure de réagir dans le quatrième quart-temps, moment que Chris Paul affectionne particulièrement d’ordinaire. Malgré tout, ce match constitue une bonne base pour faire fructifier cette entente, encore plus pour les six semaines à venir.
Le match de la confirmation face au Jazz
Cette confrontation ressemble en tous points à un match référence … la victoire en moins. Les Suns perdent deux matchs consécutifs pour la troisième fois de la saison. Pas de quoi s’alarmer donc. Phœnix était pourtant bien parti, mais Utah a comme à son habitude fait pleuvoir les paniers à trois points (17 au total), pour finalement l’emporter de quatre longueurs. En ajoutant à cela les 11 points du banc de Phoenix, contre les 43 points de celui du Jazz, on obtient un début d’explication de cette défaite.
Mais l’important n’était pas là, les hommes de Monty Williams ont encore un matelas de six victoires d’avance sur Golden State, battu par Dallas cette nuit. Grâce à cette rencontre, ils ont surtout un match référence sur lequel s’appuyer dans le jeu, pour les bases des six semaines à venir.
Le premier motif de satisfaction est le rendu de la relation Booker/Ayton qui se montre enfin prolifique. Le nouveau point guard de Phoenix commence à prendre la pleine mesure de son nouveau rôle.
À voir l’évolution de cette entente, on en déduit que le match face à Oklahoma était effectivement difficile pour les deux hommes, qui ont su apprendre à se trouver sur le terrain. De quoi offrir de belles perspectives pour la suite.
Aaron Holiday, dont nous louions les bonnes minutes contre OKC, a vécu un match compliqué contre le Jazz. Pas en réussite au scoring puisqu’il n’affiche que 5 points, il reste tout de même un soutien de qualité pour accompagner Booker au playmaking. Mais pour pallier la perte d’un créateur comme CP3, on ne peut pas se contenter de le remplacer numériquement par un seul joueur. Seul Chris Paul fait du Chris Paul.
Et c’est là la principale source de satisfaction de ce match contre le Jazz : tout le monde était concerné par la création. Si nous n’avions pas parlé d’hommes comme Crowder ou Bridges jusqu’ici, il est indéniable qu’ils ont une part importante à jouer dans la perte de leur meneur. Pour la première fois depuis trois matchs, cela s’est vraiment ressenti. Monty Williams a bien compris que chaque joueur devait être concerné et en mesure de porter la balle, sans quoi n’importe quelle équipe se calerait sur le système monté par les Pels. Grâce à la bonne distribution des joueurs à la mène, il n’est plus possible de se contenter d’isoler Booker en envoyant deux ou trois défenseurs sur lui, et c’est une excellente chose.
À quoi s’attendre pour la suite ?
Les Suns sont désormais prêts à dépasser l’absence de leur meneur phare, ayant eu trois matchs pour se mettre dans le rythme. Cette période étant écoulée, il n’y a désormais plus d’excuses : Phoenix a une profondeur d’effectif largement suffisante pour ne pas paniquer et relancer la machine. Les principales préoccupations reposaient sur l’entente de l’axe 1-5, et sur l’adaptation de Devin à son « nouveau » poste. Désormais les automatismes sont en place et la recette est trouvée. Avec un peu plus de réussite, Phoenix devrait normalement réussir à trouver une bonne dynamique, avant de démarrer leur campagne de playoffs. Le retour de Cameron Payne devrait aussi apporter un peu de stabilité au banc des Suns, qui a connu plusieurs séquences de creux au cours des trois derniers matchs. Pas de panique pour Booker & co qui devraient normalement retrouver le chemin de la victoire face au tank de l’Oregon, les Blazers.