Au-delà du sportif, quelle histoire nous raconte la carrière de LeBron James ?
I love this game
Une grande partie du plaisir que je prends à suivre la NBA réside dans la dimension dramatique de cette ligue. Pas dramatique au sens d’un rebond mal négocié de JR Smith ou d’une politique sportive des Kings, mais au sens de la construction d’un drame, c’est-à-dire d’un récit mettant en jeu des émotions, mettant à l’épreuve l’humanité de ses protagonistes – couronnant des héros, pleurant des vaincus.
La NBA, je la suis comme je regarde des séries, comme je lis des livres ou comme je regarde des films : en donnant aux sportifs la qualité de personnages, en suivant les rebondissements du scénario, en espérant que les quêtes aboutissent, que mes gentils l’emportent, et en me désignant des méchants dont je souhaite l’échec.
Les grands architectes de cette ligue désormais mondiale et multi-millionaire ont misé au plus tôt sur cette scénarisation spectaculaire du sport. Les sportifs ne suffisent pas, les matchs non plus. Pour séduire le grand public, il faut de la tragédie, de la comédie, des héros, des méchants : des personnages construits par une narration qui nous emporte.
Ainsi, à l’origine, il y a le duel fratricide : Abel et Caïn, Rémus et Romulus, Magic et Bird. La naissance de la NBA moderne est souvent reliée à ce récit originel, avant lequel on parle même de préhistoire de la NBA. Par ce récit fondateur, le simple match de panier ballon prend une dimension sociale, politique, universelle.
A ma connaissance, aucune autre fédération ou ligue n’inscrit autant son sport dans des narrations successives : celle du personnage, celle de la franchise, celle de la saison en cours, celle d’une carrière, celle des récompenses…. Aucune autre ne tient autant compte de ses fans à la fois en tant que consommateurs, évidemment, mais pour cela aussi et avant tout en tant que spectateurs d’un récit en déroulement constant.
Et devant nous, actuellement, un personnage immense, épique, plus grand que nature, qui ferraille, combat et terrasse, et qui s’apprête à tirer sa révérence.
Le King, carrière épique
Que vaut LeBron en tant que personnage ? En tant que héros ? A 37 ans et des brouettes, LeBron James n’en finit plus de terminer une carrière sportive qui mérite tous les superlatifs. Les sommets atteints en termes de statistiques, de records ou d’accomplissements composent un Himalaya sportif qui ne peut tolérer que de rares comparaisons, tous sports confondus. Mais au-delà de l’aspect terrain, il existe une autre dimension qui rend la carrière et le personnage LeBron James si remarquables : la narration qui l’entoure depuis son plus jeune âge emprunte les codes les plus importants de l’héroïsme, de l’épopée et, bien souvent, colle au légendaire personnage du roi Arthur.
Cela confère au sportif d’exception qu’il est déjà une dimension supplémentaire, une aura particulière, qui n’a sûrement pas fini de s’amplifier.
L’enfance difficile : un passage obligé
Un grand nombre de héros a connu cette tragédie initiale : malgré une ascendance royale, l’enfant perd ses parents (par la mort ou symboliquement), est élevé à la dure par un proche ou par un oncle, et doit reconstruire tout seul son identité royale, par l’effort, le travail et l’abnégation. Tristan, le héros du blockbuster médiéval Tristan et Iseult, en est un exemple assez pur. Bruce Wayne, Luke Skywalker ou Arnold et Willie en sont d’autres versions.
L’enfance de Lebron James s’inscrit dans ce cadre-là. Sans entrer dans la précision biographique, citons Wikipedia, qui énonce des faits bien connus du grand public :
LeBron James est né le 30 décembre 1984 à Akron dans l’Ohio. Sa mère Gloria James, alors âgée de 16 ans, doit l’élever seule. Elle peine à trouver un emploi stable et déménage souvent. Gloria James autorise LeBron, alors âgé de 9 ans, à habiter chez Frank Walker, un entraîneur de football local pour qu’il grandisse dans un environnement familial stable.
Le roi Arthur, lui, est bien fils de roi, fils d’Uter Pendragon plus précisément. Mais, ignorant de son ascendance royale et employé chez sire Hector comme écuyer, il a la vie dure et doit travailler sous les brimades de Kay, le bourrin de service (je m’appuie ici sur le Merlin l’enchanteur de Disney, qui a ancré, ici comme aux USA, ses bases arthuriennes dans l’imaginaire collectif). C’est Merlin l’Enchanteur qui jouera le rôle de l’entraîneur d’Arthur, le menant peu à peu vers sa destinée : retirer Excalibur de son socle pour réaliser la prophétie.
Ainsi, LBJ et Moustique, surnom d’Arthur dans le Disney, ont en commun cette enfance difficile, qui est un socle sur lequel élever les héros les plus purs. Si chacun doit finir roi, chacun aura commencé au plus bas : dans la rue pour l’un, dans les écuries pour l’autre. Puis, chacun, repéré pour ses évidentes qualités par un homme d’une qualité supérieure et d’une perspicacité redoutable, sera entraîné loin de chez lui, se forgeant un mental dur, grandissant trop vite, devenant homme dès la plus jeune adolescence.
Quelle est l’importance narrative de cette étape ? Observons un personnage de la NBA au parcours inverse : Bill Laimbeer, le méchant des méchants dans la team des super-méchants, qui est un enfant de bonne famille, et qui le porte sur lui. Cela ajoute, narrativement, à son côté détestable, non pas forcément par réflexe anticapitaliste, mais parce que cela signifie pour le spectateur du drame en cours que le personnage a pris ce qu’on lui a donné, plutôt que de se battre contre l’adversité pour obtenir, contre le destin, ce qu’il méritait. Un peu comme si on comparait Harry Potter et Dudley Dursley, son affreux cousin.
Dans le récit, une enfance trop favorable est un accroc dans la construction du héros pur. Inversement, le héros épique, à l’instar de LeBron, ne doit rien à personne, sauf à celui, père de substitution, qui lui a tendu la main. Cela lui confère une street cred irrévocable et une légitimité profonde qu’une enfance dorée lui aurait refusée. Self made man, c’est par ses qualités extraordinaires qu’il lui revient, dès lors, de changer de statut et de se révéler aux yeux du monde.
The Chosen One :
En effet, on ne parle pas ici d’un second rôle. Peu importe l’ascendance d’Han Solo, c’est celle de Luke Skywalker qui nous intéresse, quand bien même il est un être humain bien plus fade. Cela tient à la prophétie.
Le héros doit accomplir la prophétie. Unifier la couronne, détruire la matrice, tuer les méchants, apporter le bonheur et la paix : en un mot, régner, et de manière indiscutable.
Or, la narration de la prophétie de LBJ, toute surjouée ou opportuniste qu’elle ait pu être, est exemplaire. Jugez plutôt : depuis la retraite du Roi-Goat Michael Jordan, le trône était vacant en NBA. La couronne ne trouvait personne à sa taille. Ni Grant Hill, ni Tracy McGrady, ni Penny Harddaway, ni Kobe Bryant malgré les espoirs qu’ils avaient pu faire naître, n’arrivaient à unifier la communauté basketballistique. Aucun ne parvenait à allier les qualités physiques, mentales et humaines nécessaires pour que les autres acceptent de se prosterner. Et en même temps, comment porter un poids aussi lourd, comment s’approcher d’His Airness ? Demandez à Marvin Martin s’il est facile d’être le nouveau Zidane… Ce jeu de la couronne, qui sera exploité par la série Games of Zones, offre un scénario plaisant à court terme, mais demande des personnages à la hauteur. Pour des raisons différentes, aucun des joueurs d’exception cités ci-dessus ne purent passer le casting avec succès.
LBJ sera celui-là, en déroulant des éléments de récit à la symbolique extrêmement puissante. En effet, à l’approche de la draft 2003, l’année-même de la dernière saison de Jordan, voici le sauveur : celui qui saura ramener le sport aimé au niveau de MJ, le successeur, le prochain roi. Superstar dès le Lycée Saint Vincent-Saint Marie, LeBron est baptisé The Chosen One par Sports Illustrated avant même sa draft. Il est présenté comme le successeur du Dieu vivant et signe un contrat mirobolant avec Nike avant même d’avoir foulé les parquets.
Le poids est immense. Personne ne nie que les qualités sont là, mais la barre est d’emblée posée au plus haut, et de manière assez peu subtile. Dans un étrange cocktail médiatico-sponsoro-sportif, LeBron pose pour le futur. Cela transpire l’assurance déplacée et le manque d’humilité. Or, normalement, c’est l’épreuve initiatique qui révèle au héros ses qualités, par un défi plus grand que nature. Le jeune chevalier doit douter de lui, mais briller par ses valeurs : humilité, altruisme, générosité.
LeBron n’a pas le time pour ce genre de salamalecs. Il attend la couronne et vous verrez bien ce que vous verrez. L’histoire lui donnera raison.
Pourtant, selon les canons de la fiction, le personnage arrogant et vantard est en général puni pour son manque de mesure. Les scénaristes se sont-ils plantés ? Pour le grand public, l’effet de ce décalage avec la figure héroïque est difficile à apprécier précisément : ainsi, Grant Hill, mister nice guy, a pu être à la fois aimé et moqué pour son côté soft et gentil. L’arrogance et la communication agressive ne constituent pas un problème pour tout le monde dans un monde de compétitivité pure où chaque Dillon Brooks s’imagine être le meilleur joueur du monde dès qu’il entre sur le parquet.
Toujours est-il que LeBron a brûlé une étape. Sans avoir fait ses preuves, il réclame la couronne. Le défi est lourd.
L’épreuve initiatique :
En effet, pour passer de gosse à bonhomme, de personnage à héros, de quidam à star, le personnage a besoin d’un exploit, d’une épreuve initiatique, celle qui lui permet de changer de statut, et d’être enfin pris au sérieux.
Tristan vaincra le géant Morholt, Lancelot, le meilleur chevalier au monde, multipliera les exploits dans les tournois et sur les champs de bataille, Seya acquiert l’armure de bronze de Pégase contre le surdimensionné Cassios. Le grand roi Arthur sera le seul chevalier à parvenir à extraire Excalibur du socle dans lequel elle était enfoncée, révélant à tous qu’il est bien l’élu.
LeBron avait-il retiré son Excalibur avant même sa draft ? Était-il déjà le King ? Bien sûr que non. Désigné successeur, élu sur la base de performances extraordinaires au Lycée, il restait à LeBron à construire sur les parquets ce qu’Excalibur avait donné de droit à Arthur : un trône et une légitimité.
Personne ne discute vraiment à ce moment-là des qualités exceptionnelles du gars LeBron. Il est bon, il est meilleur même. Tout le monde le sait, il le sait. Il possède en réalité, à ce stade de sa carrière, beaucoup de caractéristiques du méchant : trop fort, pas assez humain, trop sûr de lui. Celui qui parle avant de se battre. Celui qui annonce avant d’avoir prouvé. Cela peut-être une force pour les compétiteurs amateurs de personnalités fortes et de trashtalk, mais cela constitue aussi une première pierre pour ses haters à venir.
Le personnage divise, n’est pas encore indiscutable. Malgré son enfance, il part de trop haut et survole sans la grâce et l’élégance nécessaire. Il écrase, détruit, plus Yvan Drago que Rocky. Et les gens aiment les outsiders. Le héros se plait à être un outsider avant de régner.
Et puis il n’est pas spécialement beau. Il n’est ni fin ou aérien comme MJ ou Kobe, ni souriant et sympathique comme Magic, il est fort, puissant, mécanique, robotique.
Irrémédiablement, il va falloir prouver sportivement, mais également gagner sa couronne morale, par la construction d’un personnage plus consensuel. Le processus sera long.
Les exploits initiatiques :
Sportivement, LeBron doit gagner. Narrativement, LeBron doit prouver sa grandeur humaine et morale. La route est longue vers la gloire et le trône : ce sont les combats, les victoires et les défaites qui construiront la légende. Pas les paroles.
Ainsi, une succession d’épreuves initiatiques et d’exploits chevaleresques est nécessaire au chevalier pour qu’il se découvre lui-même et fasse l’étalage de sa greatness. Le doute, l’échec, font partie de la route et rendent le héros plus profond, plus humain, et donc plus grand dans sa gloire finale.
Les premières saisons de LeBron James en NBA sont stratosphériques en termes de stats, d’impact médiatique ou de domination physique. De la même manière que le chevalier Rolland, neveu de Charlemagne, massacre ses ennemis et tranche des chevaux dans le col de Roncevaux, LBJ fait du petit bois de ses adversaires. Mais Rolland, malgré toutes ses qualités, est vaincu. Il meurt, défait par une armée maure trop nombreuse. LeBron James, de la même manière, est peut être dès ses premières années le meilleur des basketteurs, mais il est systématiquement battu par des équipes mieux construites, plus fortes, tout simplement.
Considéré comme un des plus grands chevaliers du royaume, LeBron ne peut plus se contenter de vaincre en saison régulière et d’établir des records de précocité. Tout le monde le sait, il est l’élu, the Chosen One, et il doit viser plus haut.
Pour le héros, la défaite est une alliée. Elle crée la frustration, elle le renvoie à ses limites, l’empêche de se reposer sur ses qualités. En général, la défaite révèle au héros qu’il est lui-même son meilleur ennemi. C’est son attitude face à la déception qui pose la première pierre de l’être d’exception qu’il deviendra.
Ainsi, la défaite fait partie intégrante du parcours de Michael Jordan ou de Dirk Nowitzki. Chacun a chuté et cela a même construit une attente chez le public et une côte de sympathie qui aura rendu le triomphe futur plus beau encore.
A ce stade-là, le personnage LeBron est tout à fait en mesure de produire du beau sur du sale, de la grandeur sur de la défaite, comme beaucoup l’ont fait avant lui. Quelle stratégie emploiera-t-il pour changer le plomb en or ?
The Decision :
Voici l’épisode le plus controversé de la carrière pourtant plutôt proprette de LBJ. A grand renfort médiatique, il annonce son départ pour le Miami Heat, où il va constituer avec Dwayne Wade et Chris Bosh une superteam destinée à lui ramener enfin le titre attendu.
Pourquoi cette décision est-elle si mal acceptée par le public ? Si l’on reste sur la dimension chevaleresque : c’est tout simplement car elle montre un grand chevalier en faute. Explications.
L’échec a un prix. Dirk Nowitzki va payer son « choke » de 2006 par une errance sans titre de 5 ans et une image ponctuelle de gentil loser, de la même manière qu’Ulysse a payé son affront à Poséidon par une errance de 20 ans sur la Méditerrannée, et de multiples déconvenues. A Dallas ou à Ithaque, chacun reviendra triomphant, lavant son honneur et montant instantanément sur le trône de sa ville, fort de l’expérience de ses échecs et légitime du poids de ses souffrances.
LeBron, en créant les Heatles, n’accepte plus de perdre. Il ne passe pas à la caisse et veut empocher sa bague immédiatement. Le ressenti du grand public sera similaire avec le trade de KD vers GSW : au lieu d’insister dans sa voie, de persévérer et d’évoluer, le héros court-circuite les règles et parvient à gagner sans se remettre en question ni payer le prix de l’échec.
Par ailleurs, l’échec permet de grandir. Le merveilleux et égoïste chevalier Yvain va payer d’avoir oublié sa meuf pour mieux pouvoir tournoyer : il est puni par son épouse, qui le quitte comme un malpropre. La traversée du désert qui s’en suit lui permettra de renouer avec les valeurs courtoises et la pureté de comportement du chevalier. Il reviendra de son errance transformé et glorieux : il sera désormais le légendaire Chevalier au Lion.
De son côté, le merveilleux et soliste Mickael Jordan va payer sa supériorité individuelle en subissant les Jordan rules. Pour surmonter ces échecs successifs, il se verra contraint de reconsidérer l’aspect collectif de son sport. Acceptant de faire évoluer son jeu en même temps que le 5 majeur autour de lui évoluait dans le meilleur des sens. Il reviendra mieux entouré et sera enfin victorieux.
Ainsi, l’échec est l’arme qui frappe les plus pressés pour leur rappeler l’humilité.
Or, avec The Decision, LeBron médiatise sa félonie. Il rompt avec le code d’honneur et le crie haut et fort. Cela est moralement d’autant plus pénible pour le spectateur qu’il sait que cette stratégie félonne portera ses fruits, qu’il ne peut en être autrement.
Ainsi est-il promis à la victoire en tant que sportif alors que son personnage s’éloigne de l’idéal chevaleresque. Paradoxalement, au même moment, Dirk, le loser sympa, entre dans l’histoire des héros en gagnant en outsider complet, après des années de lutte, contre LBJ et son armée des ombres. James est momentanément passé du côté obscur du scénario.
Heureusement, en sport, la victoire efface beaucoup de choses. Double champion, double MVP, MVP des finales, le sacre est là l’année suivante. Mais LeBron ne prétend pas être n’importe quel roi. Il est Le King.
A-t-il, à ce moment-là, atteint ce qui était attendu de lui, son Graal ?
La quête du Graal
Qu’est-ce que le Graal pour les chevaliers de la Table Ronde ? La question est si compliquée que la série parodique Kaamelot n’est même pas si parodique que ça lorsqu’elle montre les chevaliers débattant du fait de savoir s’il s’agit d’un banal contenant, d’un bocal à anchois ou d’un plat de poissons. Dans la tradition établie par l’écrivain Chrétien de Troyes, il n’est en effet pas possible de savoir ce qu’est, précisément le Graal. Toujours est-il que nous savons ce qu’il représente : au-delà d’un objet, il symbolise la quête ultime.
Quel est le Graal de LeBron James ? La question est tout aussi complexe. Un titre ? Un titre avec les Cavs ? Un trophée de MVP ? La casquette de Goat ? Ce qui est remarquable avec lui, c’est que son Graal à lui, il le poursuivra toute sa carrière et en fera toujours évoluer la nature. Les chevaliers de la Table Ronde ne firent pas autrement : ils parcoururent le monde à sa recherche, ne sachant jamais ce qu’il était. Mais c’était sa quête même qui faisait d’eux les meilleurs et les plus grands des chevaliers.
C’est à partir du constat que les titres des Heatles n’étaient pas suffisants que LeBron, en tant que personnage, est enfin devenu autre chose.
Réaliser, après la domination de 2012/2013, que les accomplissements de James n’étaient pas encore jugés suffisamment satisfaisants pour en faire le Roi des Rois permet de comprendre à quel point les attentes autour de lui étaient immenses.
Personne ne s’attend à ce que Krilin puisse vaincre Freezer, mais le moindre de ses gestes sera perçu positivement. En revanche, grandes sont les déceptions que provoque SanGohan, malgré ses différents exploits. Pour les plus grands héros, les attentes sont les plus élevées, car les promesses sont immenses dès le début. Luke Skywalker, John Snow, Le roi Arthur… Usain Bolt, Cristiano Ronaldo, Roger Federer… chacun à sa manière ne peut clore son récit qu’en comblant les promesses qu’il a lui-même fait naître. Ce sont des êtres à part, dont le destin appartient en partie au public, qui, seul, aura le pouvoir de sacrer un personnage en déclarant, au moment opportun, qu’il a enfin réalisé une œuvre à sa hauteur.
Or, après les années Heat, les calculs ne sont toujours pas bons pour LBJ. Il manque, encore, quelque-chose.
Cleveland, this is for you !
Le titre avec les Cavs est probablement ce quelque-chose. Sportivement, ce titre est fabuleux. Mais narrativement, il est sensationnel et fait basculer le personnage dans une caste à part, herculéenne. L’entrée dans la discussion des plus grands se fait à ce moment-là.
Tout n’a pas été rose pour le retour de LeBron dans sa franchise, car la vie n’est pas un conte de fées. Mais la mémoire du spectacle est ce quelle est et voici ce que l’histoire retiendra :
- Avant de gagner, LeBron a perdu. Dignement. Contre une équipe suprême, extraordinaire. Enfin, il n’est plus dans l’armée des orques, il fait partie des valeureux outsiders en conquête de l’impossible.
- LeBron a gagné chez lui, sous ses couleurs, avec sa bannière. Oubliée la trahison et le combat mercenaire : LeBron a fait triompher les oubliés des titres et de la gloire. Il réalise ce que les plus grands héros ont de plus patriotique.
- LeBron a pleuré, LeBron a crié, à l’issu d’un combat sensationnel, à la suite d’un geste dont lui seul était capable (le chase-down block), et qui incarne des vertus défensives, de don de soi et de solidarité.
- LeBron reperdra encore contre les terribles GSW, par la faute de son éternel second qui parviendra même à être le Poulidor de la félonie en rejoignant les Dubs : KD.
La prophétie est réalisée. En tant que spectateur et en tant que fan de LBJ, je me souviens avait regardé ce titre avec les larmes aux yeux, comme la fin d’une épopée ou, après les doutes, les combats, les échecs et les errances, le héros parvient enfin à s’assoir sur le toit d’un monde pacifié, ordonné, sa famille autour de lui.
Je me souviens également que le consensus s’est fait à ce moment-là : c’est le signe que les attentes avaient été remplies. Il fallait un des plus beaux titres de l’histoire pour écrire une fin à la hauteur du personnage LeBron, mais également pour le laver de ses errances passées.
Le règne :
A partir de ce titre, il est définitivement le King. Son surnom de toujours est enfin légitime. Les seules discussions acceptables sont désormais celles qui évoquent la hiérarchie avec MJ.
Le drame est plié, nous sommes dans les 20 dernières minutes du Retour du Roi. La situation finale traîne en longueur, mais on reste pour regarder, évidemment.
Son départ aux Lakers ne se discute plus moralement car il n’y a plus de discussion. LeBron, par son retour aux Cavs, a gagné le droit de faire ce qu’il veut.
Sportivement, il y a beaucoup à dire. En bien : un titre, MVP des finales, une saison en meneur, une longévité délirante… En bémols aussi : les blessures, le leadership, le teambuilding, le désastre Laker actuel…
Mais, au niveau narratif, l’arc est fermé. Tout ce qui vient désormais vient en bonus.
Humainement, il dégage humanisme et sérénité : il se positionne fréquemment sur des sujets de société. Il est en général impeccable dans sa communication, évitant de trop se salir, mais restant présent, en patriarche. Engagé pour Black Lives Matters mais pas trop, à côté de la plaque pour Taïwan, mais on oublie vite. Il est là en darron, comme Arthur, le Roi des Rois qui exerce avec sagesse et justice du haut de son expérience et de son grand âge. Il encadre les jeunes, espère jouer avec son fils, prend soin de lui. Il fait du cinéma, fait rentrer la moula, ses cheveux ont définitivement repoussé.
Preuve de cette maîtrise des éléments : il évolue au poste de meneur. Il domine toujours physiquement, mais ce sont ses qualités de vision, de QI qui sont soulignées.
Et ça ne s’arrête pas. Ça ne veut pas s’arrêter. Et on ne veut pas que ça s’arrête ! Personnellement, je n’aime pas les Lakers. Pourtant, je serai ébahi de les voir remporter un nouveau titre avec LeBron, car cela signifierait qu’il pousse le curseur encore plus haut.
Voila l’avant dernier spectacle : les records, les premières fois, le jamais vu. Le 30k 10k 10k. Le record de Kareem. Le titre de meilleur scoreur. Les matchs à 50 points à 50 ans. Le graal se redéfinit encore et encore, en attendant Avalon.
Avalon / l’héritage :
Dans la légende Arthurienne, Avalon est cette île mystérieuse dans laquelle vivent les fées et où se retranchent les rois ou héros touchés par la mort humaine, mais qui accèdent ainsi à l’éternité des Dieux. Selon la légende, Arthur serait devenu un Dieu parmi les Dieux. Il aurait gagné sa place au dessus des hommes, auprès de la fée Viviane, par sa valeur physique, mais avant tout humaine, sa capacité à diriger, apaiser, son aptitude à la justice.
Dernièrement, Dwayne Wade déclarait que, peu à peu, pour la génération actuelle, LeBron James remplacerait Jordan dans les mémoires et comme référence supérieure. Il a probablement raison. Cela signifierait que, en dépit de son arrogance, de ses erreurs, ou de ses échecs, LeBron James aura conquis le statut ultime. Au dessus du héros, il y a la Légende. Cela ne fait pas de lui, en soi, le meilleur joueur du monde, ni le joueur préféré des fans, cela fait de lui un personnage qui s’est promené sans cesse dans les standards héroïques et aura comblé toutes les attentes les plus démesurées autour de lui, repoussant les limites du possible.
Aujourd’hui, la saison dégueulasse des Lakers et le rôle de LeBron James dans ce désastre interpellent et empêchent de profiter pleinement du scénario Avalon. Certes, la place sur le Mont Olympe est encore davantage validée par ses stats exceptionnelles à 37 ans, mais, jusqu’au bout, la route reste imparfaite, cabossée. Les LeBron Haters en profiteront toujous pour ajuster leurs arguments, mais ils devront bien se résoudre à constater que le colosse est parvenu à ses fins : The Chosen One, qui devait succéder au Goat, a réalisé la prophétie, comme Arthur a succédé à Uter Pendragon.
Un de ces jours, sa carrière se terminera, et on restera cons comme après le dernier épisode des Sopranos ou de The Shield. Puis, peu à peu, chacun de ceux qui auront vu LBJ de son vivant se transformera progressivement en ce sympathique vieux con qui viendra expliquer aux jeunes ce que c’était, LeBron James. En plus d’un joueur d’exception, il aura été un personnage assez grand pour écrire son nom tout en haut de la mythologie de la NBA.