Azad, c’est le mec qui respire le basket, tout le temps. Et ce n’est pas une image : le gars respire, littéralement, le basket. Enfin, soyons honnêtes : si vous voyez sa mécanique de tir, il respire pas vraiment, vraiment le basket. Mais disons qu’il adore ça. Il suffit de voir le replay de son interview avec Mike Prada et ses yeux émerveillés pour s’en rendre compte, ou encore se rappeler que nous sommes ici en présence d’un homme qui a survécu à un regard assassin de Joe Mazzulla en conférence de presse, quand il a eu l’audace d’évoquer le peu de fréquence au cercle des Celtics devant leur propre coach.
Bref, Azad aime le basket, et aime le comprendre. Alors, de fil en aiguille et sans trop savoir comment, il s’est retrouvé à partager le quotidien d’une équipe professionnelle de Betclic Elite pendant une semaine, le MSB. Comme quoi, à force d’enfoncer des portes, il y a parfois de la lumière à l’intérieur. Carnet de bord d’une semaine sur la route, et sur les parquets.
Mercredi 5 février, 10h – Le Mans
Après un trajet en train dans la nuit noire, je découvre le ciel bas au-dessus de la ville du Mans. À peine arrivé à la gare, je me mets en route pour Antares, là où les matchs et les entraînements du Mans Sarthe Basket (MSB) ont lieu. Au bout de la ligne de tram, nous voilà arrivés à destination, aux limites du circuit des 24h du Mans.
Cette première matinée, c’est l’occasion de découvrir le premier entraînement collectif. La semaine précédant un match, le programme des séances est adapté en fonction des futurs adversaires. À la fin de la semaine, c’est l’Élan Chalon qui se présentera face au MSB. Après une lourde défaite contre Le Portel, le MSB se doit de gagner ce match : premièrement, afin de se donner les meilleures chances d’être en playoffs, mais aussi, pour relancer le momentum de la saison. Puis, enfin, parce que le coach de Chalon (Elric Delord) est l’ancien coach du MSB, que Guillaume Vizade a remplacé.
C’est d’ailleurs grâce à Coach Vizade que je suis présent au Mans cette semaine. Le hasard de la vie nous a amené à collaborer, et c’était l’opportunité de discuter comment nous pourrions aller plus loin dans notre collaboration – puis aussi l’occasion de voir des mes propres yeux le monde professionnel. En tant qu’outsider – au sens propre, tellement je n’ai normalement rien à foutre ici -, c’est un honneur d’être invité dans les coulisses d’un club historique du basket français.
Le MSB au cas où ça ne vous parle pas, c’est, entre autres :
- 5x Champion de France, et 7x Vice-Champion ;
- 4x vainqueur de la Coupe de France ;
- 3x vainqueur de la Semaine des As/Leaders Cup ;
- Le club d’illustres joueurs ou entraineurs, notamment le très jeune Nicolas Batum jusqu’en 2008, Charles Kahudi, Antoine Diot, Alain Koffi, João Paulo Batista, Vincent Collet, JD Jackson…
Retour au programme de la semaine.
On commence par se préparer à défendre face à Chalon. Pour ça, le coaching staff croise l’utilisation des statistiques pour repérer des tendances, et croise le tout avec des analyses vidéos. Le coaching staff est composé de trois assistants : Antoine Mathieu, Champion de France espoir en 2012 avec le MSB, Romain Zwicky, présent au club depuis 2021, et Jordan Bernard, lui aussi au club depuis 2021 et entraîneur des Espoirs.
Suite à ça, le staff prépare ses vidéos et une séance d’entraînement adaptée pour se préparer à défendre face aux systèmes repérés comme étant les plus utilisés par leur prochain adversaire. Pour les adeptes de la tactique, voici ceux que j’ai repéré pendant que j’observais l’entraînement :
- Iverson Cut avec 2 écrans, suivi d’un cross screen pour un post-up ;
- Stagger Screen, enchaîné sur une Chicago Action ;
- Horns Flare pour générer du catch-and-shoot dans les corners ;
- Horns Flare combiné avec un hammer screen.
Sur cette base, ils continuent les oppositions en cinq contre cinq, mais avec un format particulier : pour marquer un point, il faut réussir un enchainement “Stop-Score-Stop“. La raison est simple, mais réfléchie : comme Chalon est avant tout une très bonne attaque mais une défense fragile, le staff veut insister sur la nécessité de réaliser des stops. De plus, l’objectif est de défendre du mieux possible des systèmes que Chalon devrait jouer le samedi soir lors du match.
Lors de l’entraînement, je remarque aussi des détails comme le fait que David DiLeo et Tyshawn Thomas sont les plus vocaux en défense.
À midi, pause déjeuner. Dans la salle de repos, ça parle du PSG, qui a joué la veille en ville : 25.000 personnes dans le stade, apparemment ça faisait un moment qu’on n’avait pas vu ça au Mans.
Un autre débat anime la salle : la machine à café Nespresso a été réquisitionnée pour le bus lors des déplacements. Résultat, ce sera café filtre pour tout le monde aujourd’hui. Perso, je suis ravi, mais pas sûr que ce soit le cas de tout le monde. Comme quoi, même dans le monde du sport professionnel, on ne rigole pas avec le café. Babac appréciera.
Retour au bureau.
Les assistants passent en revue des matchs pour préparer la séance vidéo de jeudi après-midi, avec toujours en principal objectif l’aspect défensif du match face à Chalon. Pendant ce temps, trois joueurs du MSB ont passé un moment au centre hospitalier du Mans, l’occasion d’apporter de la force et du bonheur à des enfants qui en ont bien besoin. En fin d’après-midi, ils finissent la journée avec des entraînements spécifiques : Léopold Delaunay, qui revient d’une entorse, bosse seul sur un demi terrain avec un assistant. Du volume, des répétitions, pour se remettre en confiance.
La journée d’entraînement se finit alors que le ciel est déjà noir, l’air froid et humide. Guillaume me ramène jusqu’à mon Airbnb, c’est l’occasion de continuer de parler du basketball. Le grand sujet de la semaine en NBA c’est la trade deadline, on échange nos avis, nos convictions et nos doutes sur certains transferts. Comme c’est le cas depuis notre première conversation matinale, on parle de basket, sous toutes ses formes. Et quelle sensation que celle de faire face à quelqu’un du même moule, capable d’enchaîner des conversations sans fin autour de la balle orange, juste par passion.
Pour lui, c’est sûrement un jour comme un autre, une conversation de plus sur la tactique, le basket, son boulot quoi. Pour moi, c’est l’occasion d’être un interlocuteur privilégié. Quel kiff.
Jeudi 6 février, 8h – Le Mans
Matinée off : pas d’entrainement prévu. De mon côté, j’en profite pour faire un footing afin de découvrir les environs du Mans. Bon, c’est sûr que c’est pas la Côte d’Azur, mais que voulez-vous, il parait qu’ils font des bonnes rillettes. Au programme de la matinée, il y a aussi un enregistrement d’un podcast avec Baptiste du Dreamcast Show sur les meilleurs role players. Je vous ai dit que j’aimais parler de basket ?
12h30, départ pour l’entraînement. En voiture, discussion autour de l’association Giving Back. Parce qu’être coach c’est seulement une des facettes de la vie de Guillaume, et je comprends bien que son impact va au-delà de celui qu’il peut avoir sur le parquet.
L’après-midi est dédiée à la défense de Chalon, et comment les attaquer le plus judicieusement possible. Avec le coaching staff, on discute des problèmes de spacing, notamment avec Abdoulaye N’doye. Peut-on l’utiliser comme porteur de balle sur des écrans entre petits ? Ou plutôt comme poseur d’écran ? Il revient de blessure, l’objectif est aussi de le remettre en confiance.
Le staff se décide finalement sur deux systèmes à travailler sur la séance de l’après-midi avec Abdoulaye comme porteur de balle :
- Un ball-screen d’un autre arrière qui peut enchaîner sur un flare screen ;
- Un Horns Set avec le ballon à l’elbow (coude de la raquette), un arrière à l’autre elbow pour poser un down screen ou enchaîner sur un main-à-main si la défense arrive à couper la passe vers le joueur qui coupe au cercle.
Pendant l’entraînement, je me plonge dans un code Python pour essayer de clustériser les joueurs de Betclic Elite, et voir si la théorie sur les 11 groupes de joueurs peut-être utilisée.
En effet, avec Guillaume Vizade et son staff, on a échangé sur l’utilisation des 11 clusters de joueurs présentés dans le livre Basketball Data Science, par Paola Zuccolotto et Marica Manisera. Ça pourrait être une de mes missions de les aider à préparer les prochains recrutements.
Pendant ce temps, le niveau monte sur le terrain d’entraînement. Les joueurs trouvent leurs repères sur les nouveaux systèmes. Je remarque néanmoins qu’en match, les joueurs considérés comme “non-shooters” ne sont pas défendus sur la ligne à 3 points, mais ici, à l’entraînement, ils le sont. Et ça change tout.
Une question que cela pose notamment : celle de la nécessité de répliquer une approche aussi “agressive” en entraînement, et l’impact que ça peut avoir sur la condition mentale d’un joueur. Je m’explique : ne pas respecter un non-shooter à 3 points pendant l’entraînement permettrait de peut-être mieux préparer les conditions de match… Mais l’impact sur la confiance et la motivation du joueur pourrait être bien plus négatif. Comme souvent, la réponse est plus compliquée que la question, et c’est au coaching staff de trouver l’équilibre.
Après l’entraînement, c’est encore l’occasion de parler de basket avec Guillaume sur le trajet du retour. L’assoiffé de connaissance basketballistique que je suis a trouvé un puits de connaissance sans fond. Le soir je pars découvrir un petit restaurant, Aromate. Mais on y reviendra plus tard. On est jeudi soir, et qui dit jeudi soir dit… live Twitch de trade deadline pour le Basketlab !
Comme si un podcast le matin, une après midi au sein du MSB n’avait pas suffit, j’enchaîne avec une émission avec la crème de la crème pour analyser les derniers échanges de la trade deadline. Quand il y en a plus, il y en a encore, j’adore.
Vendredi 7 février, 6h30 – Le Mans
6h30, le réveil sonne. J’ai 2h devant moi avant que Guillaume vienne me récupérer pour aller à la salle d’entraînement. Le temps de boire un café et analyser le match des Boston Celtics contre les Dallas Mavericks pour le CelticsBlog. Oui je sais, ça commence à faire beaucoup.
8h30, départ sous la pluie et dans le froid. Avec Guillaume, débrief sur la trade deadline pendant le trajet. On parle notamment des derniers moves des Clippers qui pourraient être une des clés de la fin de saison à l’Ouest. L’occasion aussi de me plaindre que les Celtics n’ont pas bougé à la deadline, mais bon.
L’entraînement du matin est centré sur les principes défensifs et les spécificités de Chalon. Séance à basse intensité pour éviter les blessures. On a passé la moitié de la saison et les corps sont fatigués. Le basket professionnel est rarement un sport pratiqué à 100% de ses capacités par les joueurs. On compense la fatigue et les pépins physique par la technique et par l’approche tactique.
Pendant la séance, j’en profite pour discuter avec la préparatrice physique sur la data – l’objectif est de pouvoir l’aider avec mes compétences techniques et ma compréhension du basket afin qu’elle puisse étoffer son suivi des athlètes. Toutes les semaines, elle prend différentes mesures sur les joueurs pour suivre leur santé physique et mentale. Néanmoins, difficile de corréler ça pour l’instant avec la performance des joueurs – c’est potentiellement un autre projet où je pourrais collaborer avec le MSB. Cette matinée, c’est aussi l’occasion de rencontrer et d’échanger avec Valentin d’Atom Basket.
À midi, petit resto avec Guillaume – il voulait me faire découvrir un de ses endroits préférés, Aromate. Ayant le nez fin et le ventre creux la veille, ou l’inverse, j’avais néanmoins découvert l’établissement la veille. On opte donc pour un restaurant thaïlandais, et on parle recrutement, principes tactiques, et de la fameuse question de l’importance du cinq majeur. À travers une canette de jus de litchi, une bière vide, et des verres d’eau, il schématise les principes de jeu du MSB. How can you not be romantic about basketball?
Le vendredi après-midi, c’est le moment off pour le coaching staff, l’occasion d’avoir du temps pour mettre le basket sur pause. De mon côté, c’est l’opportunité de partir à la découverte des forêts autour du Mans en courant. Spoiler alert : ça ne vaut pas le Vercors. Mais bon, il parait qu’ils font des bonnes rillettes.
Samedi 8 février, 8h30 – Le Mans
Jour de match – aujourd’hui on mange de l’Elan. Dans la voiture en direction d’Antares, on débat sur l’utilité et les limites des séances vidéo : comment faire pour que les joueurs retiennent les infos sur le long terme ? Pas simple.
Guillaume me parle aussi d’Armel Traoré, qu’il connaît bien et qui s’est fait couper dans la nuit. Entre le fait d’avoir été coach des U20 de l’équipe de France, et sa carrière de manière générale, j’ai parfois l’impression que son répertoire contient tous les numéros possibles du basket français. Au bureau, ça discute des résultats de la veille et on évoque aussi un joueur suivi pour un potentiel recrutement.
Dernière séance d’entraînement avant le match : pas d’opposition, juste des répétitions et une séance vidéo pour récapituler la semaine. On discute aussi avec la préparatrice physique sur la gestion de la charge de travail.
Au moment du déjeuner, c’est l’heure d’un petit cours d’histoire sur la ville du Mans – mais on revient vite à parler du basket et notamment de l’impact de la Grinnell Offense sur le jeu moderne. Pour vous, c’est du chinois, pour moi, c’est du kiff. Pour le repas, on tape le back-to-back chez Aromate.
Coach Vizade me raconte sa rencontre avec Zion lors d’un Adidas Tournament, on parle aussi de Yabusele et de son profil atypique, sans oublier le passage d’Ime Udoka à Vichy. Encore un repas où les discussions s’étendent sans fin, mais c’est l’heure de la sieste d’avant-match.
Samedi 8 février, 17h30 – Le Mans
On arrive au stade pour voir la deuxième mi-temps et la prolongation des Espoirs. Dans les gradins, on croise le coach de Chalon Elric Delord, ancien du MSB. Une fois le match des espoirs terminé, je laisse le coaching staff et pars m’installer derrière le banc, dans les gradins. Petit à petit, l’arène se remplit.
18h30, c’est enfin le début du match. La conclusion d’une semaine de préparation pour le coaching staff et l’équipe de joueurs. Dès l’entame, le MSB applique à la lettre le plan de jeu travaillé toute la semaine. Deux fois le même système pour Abdou N’doye, deux fois une opportunité de tir efficace. Tout ce mouvement et cette préparation adéquate engendre un 11-0 d’entrée, Chalon ne s’en relèvera pas.
Depuis les tribunes, je remarque des détails qu’on ne voit pas toujours à la télé : où se portent les regards, la communication en défense, les interactions avec le staff. Le basket exécuté par le MSB est limpide, malgré un déficit de taille. Leur mobilité et leur activité gênent les intérieurs adverses.
Après le match, je me glisse discrètement dans la conférence de presse pour poser quelques questions sur le spacing et la défense du post-up.
Puis, direction le salon VIP. Buffet, discussions avec quelques membres du staff, et une longue conversation avec Wilfried Yeguete. Analyser un match et une semaine d’entraînement en immersion, c’est déjà une chance énorme. Pouvoir en parler avec ceux qui l’ont vécu, directement ? C’est encore mieux. Je me rappelle plus si je vous ai dit que j’adorais parler de basket ?
Dimanche 9 février, 00h30 – Dernier trajet
Guillaume me ramène une dernière fois. J’aurais dû mal à dire si c’est le confort des sièges ou les discussions (clairement les discussions), mais ces moments m’ont marqué. Pendant quelques jours, j’ai eu l’impression de quitter mon monde afin d’explorer la planète basket. Après des années à observer cette sphère à travers mon télescope numérique, j’ai enfin pu m’y poser.
Merci à Guillaume Vizade pour m’avoir fait confiance, et merci à toute l’équipe du MSB de m’avoir ouvert les portes. Merci aussi aux lecteurs, aux auditeurs et à tous ceux qui m’encouragent à continuer dans mes projets autour du basket. Ces projets qui ont commencé par l’analyse tactique et l’utilisation de la donnée, et qui m’ont amené à rencontrer les humains derrière les chiffres. La dimension humaine est d’ailleurs ce qui m’a le plus frappé lors de cette semaine au sein du coaching staff du MSB. Pour chaque joueur ou entraîneur évoqué, ils parlaient autant de ses performances que de sa personnalité.
Cette semaine en immersion m’aura appris plus sur la perception et l’importance de l’humain dans l’approche tactique. Tout ça reste impondérable, mais ma perception et ma compréhension de la composante humaine dans le basketball professionnel a certainement évolué après avoir été au contact de ces femmes et ces hommes qui font vivre Le Mans Sarthe Basket. En plus, il parait qu’ils font des bonnes rillettes.