C’est désormais un secret de polichinelle : Giannis Antetokounmpo commence à avoir des envies d’ailleurs et il n’est pas impossible de voir le MVP des saisons 2019 et 2020 porter un autre maillot que celui des Bucks d’ici la trade deadline, prévue le 5 février 2026. Sur twitter, les rumeurs vont bon train. On y lit des débats sur les package que certaines franchises (San Antonio Spurs, Miami Heat, Toronto Raptors, Detroit Pistons, etc…) pourraient envoyer – ou non – à Milwaukee en échange du grec. Plusieurs observateurs souhaitent d’ailleurs éviter de transférer certaines jeunes pépites de leur roster actuel. Dylan Harper ? Hors de question. Austin Reaves ? Grand maximum. Jalen Duren ? Cela ferait manifestement braire.
Alors, faut-il faire sauter la baraque pour acquérir Giannis Antetokounmpo ? Voici les avis croisés de deux de nos rédacteurs.
Vincent Schoepfer :
À mon sens, la réponse ne peut qu’être nuancée.
Bien évidemment, intrinsèquement, acquérir Giannis Antetokounmpo constitue une incroyable plus-value pour n’importe quel roster de la Ligue. Les 29. D’ailleurs, comme l’ont judicieusement fait remarquer plusieurs twittos, rares sont les joueurs qui – sur le papier – ne sont pas transférables contre le double MVP grec (Jokic, SGA, Doncic, Curry, Wembanyama, Tatum ont été cités, peut-être peut-on ajouter Haliburton, voire Cunningham ?). L’équation est cependant plus complexe que cela.
Il ne s’agit en effet pas que d’un échange de joueurs entre deux ou plusieurs équipes. Parce que si Milwaukee transfère Antetokounmpo, la franchise va exiger – à juste titre – une tripotée de choix de draft. Or, l’exemple actuel des Clippers, qui se sont mis à poil en 2019 pour attirer Paul George, peut pousser à la méfiance ; après tout, malgré l’horrible saison 2025-26 de la franchise de Los Angeles, c’est bel et bien OKC qui draftera à sa place en 2026 (au-delà même du fait d’avoir mis Shai Gilgeous-Alexander dans la balance du trade).
Or, qui dit transférer des picks de draft, dit aussi faire soit all-in – en vue de gagner un titre très rapidement, comme ont pu le faire les Raptors en 2019 – soit avoir une confiance certaine en son avenir sportif ou dans son recrutement à venir. Et je ne suis pas certain que nombreuses sont les franchises prêtes à se lancer dans une de ces deux situations, surtout à une époque où les choix de draft – et les rookies – ont une valeur toute particulière en raison de l’état de l’actuel CBA.
Alors attention, je ne dis pas qu’il ne faut pas tenter le « coup » Giannis Antetokounmpo. Étant fan des Mavericks, je serais ravi que le front office de Dallas tente sa chance, bien que je perçoive qu’avec difficultés les assets qui pourraient intéresser les dirigeants des Bucks. Je pense par contre qu’il ne faut pas seulement regarder le trade par le prisme de ce qui est échangé (joueurs et choix de draft) ; il faut aussi le voir à travers de ce qui reste.
Et pour cause ; Antetokounmpo, aussi fort soit-il (top 4 de la Ligue, à la place que vous voulez), vient d’avoir 31 ans. Il lui reste éventuellement quatre à cinq années au top, sauf s’il dure plus longtemps que la moyenne au très haut niveau, ce qui n’est pas inenvisageable. Aussi, j’imagine plusieurs franchises être frileuses à l’idée de « vendre la baraque » pour l’acquérir.
Prenons l’exemple des Raptors, qui sont souvent cités comme l’une des équipes les plus intéressées par l’ailier-fort d’Athènes. Aujourd’hui, Giannis gagne 54M$ par an. Pour matcher le salaire, Toronto (dans l’hypothèse peu probable d’un trade à deux équipes) devra envoyer, a minima, deux des quatre joueurs suivants : RJ Barrett (27,7M$), Immanuel Quickley (32,5M$), Brandon Ingram (38M$) ou Scottie Barnes (38,7M$). Étant entendu qu’il est tout sauf certain que les Bucks soient satisfaits d’un package comprenant Barrett, Quickley et des tours de draft en compensation du meilleur joueur de leur histoire.
Imaginons qu’ils exigent Scottie Barnes. Les Raptors pourraient-ils envisager de remporter le titre NBA avec Antetokounmpo, Ingram et Quickley (par exemple) ? C’est loin d’être gagné, d’autant plus que la franchise n’est pas réputée pour son attractivité sur le marché des agents libres et que, de toute manière, la flexibilité financière ne serait plus très grande pour ajouter du talent significatif.
En somme, à mon sens, l’équipe qui se positionne sur Antetokounmpo devra être en mesure de conserver suffisamment de talent(s) pour pouvoir jouer le titre tout de suite, ou à tout le moins très rapidement. Ou, si tel n’est pas le cas, être un marché suffisamment grand pour pouvoir légitimement espérer attirer de gros agents-libres, intéressés par le cadre de vie et l’idée de jouer avec la superstar grecque. Vous m’accorderez que cela limite grandement le nombre de franchises. J’en vois surtout deux, en réalité.
Ce peut d’abord être l’exemple des Knicks de New York, bien que Milwaukee puisse être tiède à l’idée d’envoyer son franchise player chez un concurrent direct. New York dispose de tous les arguments pour monter le trade : manifestement, c’est le destination préférentielle d’Antetokounmpo, ce qui peut aider. Ensuite, il s’agit clairement d’un immense marché. Enfin, le roster actuel est composé de nombreux talents éventuellement attractifs pour Milwaukee. Karl-Anthony Towns, qui gagne le même salaire qu’Antetokounmpo, pourrait faire ses valises pour le Wisconsin, avec quelques picks du premier tour.
Ce pourrait aussi être OG Anunoby et un salary filler, ainsi que des picks. Avec Brunson et Antetokounmpo (ainsi que Mikal Bridges et Anunoby ou Towns), les Knicks deviendraient les grands favoris de l’Est, voire de la NBA, pour remporter le titre 2026 et mettre fin à une disette qui dure depuis 1973.
Ce pourrait aussi être l’exemple des Spurs, qui, à l’inverse de New York, disposent d’un avantage concurrentiel extraordinaire : leur franchise player – Victor Wembanyama – est encore en contrat rookie pendant 1,5 an. L’an prochain, il ne gagnera « que » 13,4M$. Cela facilite bien évidemment l’adjonction dans le salary cap du salaire imposant d’Antetokounmpo. Par contre – et c’est là que la fan base des Spurs s’illustre ces derniers jours – il est certain qu’il faudra envoyer Dylan Harper et (probablement) Stephon Castle à Milwaukee. Ajoutez-y Devin Vassell et son contrat (27M$) ainsi que des picks et le transfert serait très probablement signé. Les Spurs pourraient donc aligner De’Aaron Fox, Giannis Antetokounmpo et Victor Wembanyama dans le même 5 majeur, entourés par Harrison Barnes, Luke Kornet, Jeremy Sochan ou Keldon Johnson. Avouez que cela a de la gueule.
Pour conclure, permettez-moi de synthétiser mon propos. Tout d’abord, je ne crois pas que l’affection que l’on porte à des jeunes joueurs doive constituer un frein à l’acquisition de Giannis Antetokounmpo. S’il faut mettre un rookie ou un sophomore prometteur dans la balance – sauf exception – qu’il y soit ! Bien sûr, l’idée de perdre Cooper Flagg – pour prendre un exemple qui me parle – ne me réjouirait pas. Il faut toutefois faire preuve de bon sens : pour convaincre les Bucks de lâcher leur superstar, il faut formuler une offre attractive. Or, rien n’est plus séduisant qu’un jeune joueur bourré de talent.
De surcroît, je tiens à rappeler qu’au cours des 15 dernières années, rares sont les jeunes qui n’étaient pas destinés à devenir une superstar et qui le sont devenus « par surprise ». Évidemment, la jurisprudence Shai Gilgeous-Alexander peut refroidir un front-office bien décidé à ne pas passer pour le dindon d’une mauvaise farce dans 10 ans. Toutefois, faisons le pari d’affirmer que la probabilité de « perdre » le trade en recrutant Antetokounmpo en 2025 est minime.
Ensuite – et cependant – je ne suis pas certain que les 29 franchises aient un intérêt véritable à tenter le coup. Et pour cause ; si cela revient à affaiblir trop grandement le roster restant aux côtés du grec, cela me semble être tout sauf une bonne idée, puisqu’aussi fort soit-il, Antetokounmpo ne gagnera pas un titre NBA tout seul. Et, dans cette hypothèse, se délester de ses de premiers tours de draft sur plusieurs années pourrait être regrettable à moyen/long terme. Cela exclurait de mon raisonnement de nombreuses équipes. Par exemple, quel serait l’intérêt des Nets, aujourd’hui, d’attirer Antetokounmpo et de le faire jouer avec douze rookies et Nic Claxton (par exemple) ? Certes, l’histoire récente a démontré que Brooklyn était capable d’attirer Durant, Irving et Harden, mais rien n’assure que le front-office soit capable de réaliser une rebelote pour entourer Giannis.
Enfin, j’estime que les équipes qui, en ajoutant Antetokounmpo à leur roster, deviendraient en mesure de se battre pour le titre NBA, seraient bien bêtes de ne pas tenter le coup. Aussi, à la question « Faut-il hypothéquer son avenir pour Giannis Antetokounmpo ? », ma réponse est : oui, bien sûr, à condition de le faire intelligemment. Ou de tomber sur Nico Harrison.
Benjamin Revel, @DebriefSportif :
Il y a un phénomène étrange avec les réseaux sociaux : l’immédiateté des sujets impose l’immédiateté des avis. Bien souvent, on en vient à trop peu creuser. Au sujet : « Giannis veut partir, qui en veut ? », les gens pensent souvent à : « ai-je envie de voir Giannis dans mon équipe ? ». Et alors là, je dois dire que nous avons eu le droit à un défilé de surprises.
N’est-il pas fou de lire des fans des Raptors préférer conserver Immanuel Quickley, RJ Barrett, Colin Murray Boyles et Gradley Dick plutôt que d’accueillir un joueur qui est depuis 7 ans déjà l’un des quatre meilleurs joueurs de la ligue ?
Je concède que j’ai du mal à croire que ce genre de conclusion vient d’une réflexion posée. Etienne Klein assure que c’est l’un des maux de notre temps. Que les réseaux sociaux poussent à choisir un camp. Celui du contre ou celui pour. Du like ou du dislike. Alors que, d’après lui, la réalité se trouve souvent dans l’imbrication et la superposition de points de vues.
J’ai l’impression qu’à vouloir se décider vite, on oublie de décortiquer la question. Alors, je vais m’essayer à ce découpage de la question « Faut-il faire sauter la baraque pour acquérir Giannis Antetokoumpo ? »
Première question : de quel joueur parle-t-on ?
La première comparaison passée était avec Paul George. Le trade entre les Clippers et OKC est un tel traumatisme qu’il faudrait qu’il devienne la valeur comparative de toute acquisition de star. Mais est-il vraiment sérieux de comparer Paul George et Giannis Antetokoumpo ? Je vais éviter les défilés de stats gênants et simplement vous dire que dans sa carrière, George dispose de 2 classements dans le top 10 MVP. En 2013-2014 (9e) et en 2018-2019 (3e), l’année qui précède son trade.
Sur les 7 dernières années, Giannis a été :
- 2 fois MVP, en 2018-2019 et 2019-2020 ;
- 3 fois top 3, en 2021-2022, 2022-2023, 2024-2025 ;
- 2 fois top 4, en 2020-2021 et 2023-2024 ;
C’est bien simple, le seul joueur qui peut entrer dans la conversation avec le Grec, c’est Nikola Jokic. Même la mise en secret sur le marché de Luka Doncic n’était pas de cette valeur.
Admettons que sur les 5 dernières années, Giannis, Luka et Jokic aient été les trois meilleurs joueurs de la ligue – mettons de côté Shai qui a explosé durant les trois dernières années.
Quelle est la probabilité de drafter ou disposer d’un joueur de ce niveau-là ? Disons que 4 équipes y ont eu le droit, cumulant 15 saisons de jeu sur les 150 saisons que représentent les 5 années des 30 franchises NBA sur cette période, avec des effectifs de 15 joueurs. La probabilité d’avoir un joueur de ce niveau est de 0.6%. Sachant qu’ils n’ont bougé qu’une seule fois sur la même période. A l’intérieur de ces 0.6%, il n’y a que 6% de chance d’avoir une opportunité qui s’ouvre (1 mouvement sur 15 saisons).
Vous n’y comprenez rien ? C’est normal. Je pousse l’absurde. Et poussons le encore plus en évoquant des chiffres qui ne veulent plus rien dire : comment calculer la probabilité d’avoir une fenêtre qui s’ouvre pour récupérer l’un des trois meilleurs joueurs des 5 dernières saisons ? Vous l’aurez compris, elle est quasiment nulle.
Probablement que notre cerveau est biaisé par l’affaire Luka Doncic, mais là réalité est telle que cette mise sur la marché est d’une rareté immense.
La probabilité d’intégrer dans son effectif un Giannis par draft relève du hasard, plus que d’une confiance dans le scouting.
Mais enfin, pour en avoir le cœur net, j’ai quand même effectué mes petites recherches pour rapporter un trade équivalent. J’ai cherché si fort que j’aurais pu trouver de l’or. Parce que je n’ai rien eu entre lui et Kareem Abdul Jabbar, en 1975, lorsqu’il arriva aux Lakers.
Donc, réponse à la première question : le joueur est sans commune mesure avec les autres joueurs mis à disposition ces 50 dernières années.
Deuxième question : Quels sont les contextes optimaux pour lui ?
On a déjà répondu à “de quel joueur parle-t-on ?”. Il faut maintenant répondre à “de quel type de joueur parle-t-on ?”
Les trois grands atouts que vous allez obtenir avec Giannis : pression au cercle, transition, protection de cercle. C’est un joueur qui fabrique de l’efficacité dans les zones les plus rentables de l’attaque : le cercle, les lancers francs et les tirs ouverts générés par sa gravité. Giannis est moins un shot-maker qu’un créateurs d’avantages qui feront effet domino.
Un créateur d’avantages déforme la défense en générant du chaos. Il te faut donc ensuite les bons profils pour l’exploiter.
C’est exactement pour ça que la question “faut-il faire sauter la baraque ?” n’est pas idéale. La question n’est pas “Giannis vaut-il quatre picks et deux jeunes ?”. La question, c’est : ton équipe pourra-t-elle convertir les avantages qu’il te génère en attaque ? Tout en restant une bonne défense ?
C’est là qu’on arrive à un principe presque “ingrat”, mais très réel : une superstar augmente surtout la valeur d’un roster déjà bon.
Giannis est au maximum de sa valeur quand une équipe coche quatre cases :
- du spacing à trois points,
- un relai de création qui tient debout : au moins un créateur balle en main capable de punir quand on se concentre sur Giannis,
- des connecteurs de qualité,
- une défense déjà en place, puisque si Giannis est un lowman extraordinaire, il a besoin de schémas qui ne dépendent pas de lui.
Donc, avant de parler packages, je poserais une question simple, presque bête : Pourquoi le prendre ? Pour être champion ? Alors que reste-t-il une fois le trade fait ? Est-ce qu’il reste un écosystème où l’on va profiter des avantages de Giannis ? Est-ce qu’il reste assez de talent pour que l’adversaire ne puisse pas se contenter de construire un mur et de vivre avec le reste ? Et tout ça peut-il se faire dans une timeline qui lui correspond.
Troisième question : qui doit avoir envie de le récupérer ?
Ou presque l’inverse : qui peut se permettre de ne pas avoir envie de le récupérer ? Parce que l’argument de la rareté de la mise à disposition d’un joueur si fort devrait suffire. Giannis dispose d’un contrat qui arrive à son terme à l’été 2027. Toute équipe dans l’incapacité de créer un roster compétitif d’ici l’année prochaine peut légitimement ne pas avoir intérêt à l’approcher. En vif, je pense aux Wizards, aux Nets et aux Pelicans. Qui me semblent tout à la fois partir de très loin et avoir insuffisamment d’assets pour construire un roster adapté.
Pour toutes les autres équipes : si les Bucks vous le proposent et que vous pensez pouvoir ajouter des joueurs à l’été, la réflexion mérite d’être menée.
Dernier profil d’équipes qui s’interrogent : celles qui ont un young core de qualité et qui ne veulent pas le briser dans l’espoir de l’avenir. Quelques éléments de réponse :
- si vous conservez un autre joueur top 10 à ajouter à Giannis, ne vous inquiétez pas trop de la profondeur. Ca se construit. (Coucou les Spurs),
- si vous avez des jeunes joueurs à fort potentiel, ayez conscience que la dystopie dans laquelle ils dépasseront le Grec sera probablement plutôt pondue par une prédiction hasardeuse que par un scouting sérieux. Les joueurs comme Giannis sont « trop » rares. Harper et Castle sont géniaux, mais la probabilité qu’à leur prime vous ayez plus envie de les avoir eux que lui aujourd’hui est très faible (coucou les Spurs),
- La question de la timeline est centrale. Il faut que le projet individuel de Giannis correspondent à un moment de votre timeline où vous arrivez à profiter d’un avantage. Par exemple, si vous avez un joueur qui est toujours dans son contrat rookie mais qui est déjà un joueur top 10, ou top 5 NBA, c’est le moment d’en profiter ! (Coucou les Spurs).
Je conclurai avec deux dernières questions :
- à quel point est-il difficile de construire un roster de contender ? Avec la nouveau CBA, les timelines se sont raccourcies et il faut profiter du moindre avantage concurrentiel pour avancer ses pions. On voit qu’il n’y a pas eu de back to back depuis les Warriors de Curry et KD et que les franchises championnes mettent du temps avant de reconstruire un roster qui est réellement un contender. Denver en est un bon exemple. Il aura fallu 2 intersaisons pour redevenir un effectif top 3,
- Qu’est-ce qui fait la différence entre un très bon effectif et un effectif top 3 ? La profondeur est essentielle. Mais les stars vont permettre de créer plus d’avantages qui feront effets dominos. Le plus dur n’est pas de faire tomber les derniers dominos, mais le premier.





