Il figure au jardin des icônes de la grande ligue, galvanisant diverses formes d’émotions, parmi les grands personnages qui l’auront marquée et influencée. Aux premières heures de sa carrière, il est apparu comme un futur grand, il trône aujourd’hui tel un monument dans le monde du coaching. Un monument qui a accouché d’un enfant, que l’on peut qualifier de méthode, d’école. L’école Popovich est rapidement devenue une pieuvre qui a placé à la tête de la NBA une quantité phénoménale de disciples, développant son courant, fait d’humanité et de rigueur. La rigueur appelle la discipline, et si elle s’acquiert, elle n’est pas donnée à tous, innée.
Pop’ le sait et il choisit ses ouailles en conséquence, car qu’elles soient sur le terrain ou en coulisses, on ne se frotte pas à la voie qu’il a tracé sans en avoir les capacités et les valeurs pour l’endurer et la propager. Non pas que l’ambition soit sa marque de fabrique, Popovich n’est pas un personnage à l’avidité dévorante, mais lorsqu’on le rejoint, on doit en revanche être préparé à l’excellence, à la quête de l’amélioration continue. Toucher les limites de ses capacités et les exploiter jusqu’à leur plafond, tenter de le briser pour les mettre au profit d’un seul maître : le collectif. Quand on y pense, Gregg Popovich a su tirer profit d’un courant majeur dont la recherche de la perfection était le maître mot. Oui, en quelques sortes, il est un Samouraï.
On pourra sans difficulté arguer qu’il n’en épouse pas tous les codes, qu’il a su les humaniser, les adapter à son époque. Après tout, oui, sous cette apparence parfois colérique sur les parquets, derrière un côté bon vivant qu’il ne peut renier, il ferait offense à l’honneur des samouraïs. Pour autant, il y a également un homme de précepte, une philosophie de vie et de pensée qui pourront se réconcilier avec le bushido, la voie du guerrier, si précieuse à un ordre respecté et fantasmé à travers les époques pour son excellence. Très certainement qu’à la fin de l’ère Popovich, il y aura du monde dans son entourage, des observateurs assidus, pour plonger dans sa philosophie et en écrire l’essence, comme le Hagakure a fait office de Graal dans la transmission de la voie du Samouraï.
Les analogies entre ce code et la méthode Popovich comme nous l’observons nous, spectateurs assidus du basketball et de la NBA, sont déjà légion. Entre interviews, anecdotes, vidéos ou simple sens de l’observation, il est déjà possible de dresser un portrait des points communs, plus ou moins limpides.
Il est par exemple bien connu que les joueurs qui viennent s’entraîner à San Antonio prennent régulièrement 2 leçons. La première, c’est que ce dernier est absolument crucial: on n’y réchappe pas, on ne resquille pas, parce que toutes les étapes font parti d’un processus. Même les meilleurs n’échappent pas aux premières pierres de la fondation qui va se construire jour après jour. Pas même lorsque vous vous appelez Tim Duncan, et que vous êtes une légende. Car l’entraînement est l’unique façon d’atteindre la perfection, et avant de chercher à faire preuve de son talent, il faut répéter ses gammes, le tailler, le polir. On ne pondra jamais meilleure mélodie qu’en maîtrisant chaque note. Ainsi, jouer à San Antonio nécessite de réviser ses bases, les b.a-ba du basketball : la passe, le positionnement, le dribble. Par ce seul geste, plusieurs vérités sont enseignées : on ne se perfectionne pas sans connaître ses fondamentaux d’une part, on ne transige pas sur l’humilité d’autre part.
Être humble, est d’ailleurs un autre des ciments de la bâtisse des San Antonio Spurs. Elle s’apprend pour certains, elle est innée pour d’autres. Dans l’histoire récente de la franchise, certains comme Tim Duncan ou Kawhi Leonard la portaient si profondément ancrée en eux qu’ils sont devenus les fers de lance de l’équipe de manière naturelle. Dans une ligue dopée à l’égo et la testostérone, San Antonio a su s’imposer à sa manière en jouant le contre-pied, car ici, on fait la part belle aux taiseux, aux altruistes, à ceux pour qui le nous prévaut sur le je. Cela marche si bien qu’on peut apprendre à se mettre de côté pour monter dans le bateau et l’emmener à bon port. Danny Green l’a prouvé récemment lui qui, élevé dans le culte de son talent, de son supposé droit aux étoiles et aux égards, a su comprendre sa place, son devoir de modestie pour faire parti de l’aventure. Ce ne fut pas sans peine et sans une prise de conscience nécessaire, mais il a su se mettre au diapason pour répondre à la voie Popovich.
D’autres comme Stephen Jackson, trop désireux de tirer la couverture sur eux, ont subi le courroux du gourou Spurs, car oui : cette future maison ancestrale sait s’adapter aux talents de chacun, mais si elle a une intransigeance toute particulière, c’est qu’on accepte ses préceptes ou qu’on la quitte. Pas tout le monde n’est fait pour incorporer ses valeurs. Quand ce n’est pas votre cas, quelles que soient vos capacités, vous partez. Un guerrier ne se retourne pas contre son maître, ne l’affronte pas, et le maître en ces terres, c’est le groupe : faire parti d’un groupe nécessite de l’humilité.
L’image du guerrier, l’idéalisation de ses facultés guerrières, ont pu laisser une image sanguinaire à travers les âges. Pourtant, tout comme Popovich cherche à former une famille autour de lui où la convivialité règne, les Samouraïs avaient au centre de leur code la bienveillance. Gregg a toujours su mettre le basketball à sa juste place. Oui, il est passionné et il s’enflamme durant les rencontres, mais l’individu reste au premier plan. On ne peut pas enlever à ce coach capable de faire feu de tout bois sur un arbitre ou un de ses joueurs, une humanité débordante. Une humanité qui se traduit par ses regards, par les éloges qu’il est susceptible de faire sur ses anciens et actuels joueurs, par sa faculté à pousser ses meilleurs éléments à s’en aller pour obtenir ce qu’il ne peut leur fournir : en somme, une bienveillance qui déborde de toute part. Il n’a pas hésité à mettre un coup de pied aux fesses à Boban Marjanovic, à Sean Marks pour qu’ils obtiennent tout ce que la NBA pouvait leur offrir comme responsabilité et comme stabilité. Non pas que ce ne soit pas à contre-cœur, mais jouer au basketball n’est pas une fin en soit, et quoi que le personnage puisse parfois laisser supposer, il sait que gagner des matchs ne fera pas tout. De fait, il n’est pas étonnant de savoir que la maison Popovich reçoit régulièrement les joueurs comme les membres du staff à diner, qu’on n’y parle pas basket, et qu’on sache y apprécier la nourriture, et le bon vin. Alors oui, on fait une entorse au mode de vie supposé par cet article, mais il faut savoir vivre avec son époque, non ?
Pour complètement embrasser cette voie sur le long terme, on retombe sur une des problématiques : il faut correspondre à cette philosophie. Oui, on peut monter dans le wagon et tenter de s’y accrocher, mais si elle ne devient pas vôtre et spontanée, elle vous fera exploser en cours de route. C’est comme ça que Robert Horry, qui a semblé trouver sa place dans la maison Spurs, finit par réaliser des sorties pas toujours bien tendres envers la méthode Popovich, dans laquelle il faut pour lui “se comporter comme un robot”. La spontanéité est clé pour pleinement vivre l’expérience, et ce n’est pas pour rien que le trio Duncan-Parker-Ginobili s’est trouvé comblé à San Antonio et est resté ensemble jusqu’à la fin. Pour d’autres, comme Richard Jefferson, Stephen Jackson ou Robert Horry, être sincèrement eux-même dans cet environnement était trop difficile, provoquant des fins mitigées voire désastreuses. En revanche, lorsque vous êtes honnêtement vous-même à San Antonio, que vous vous retrouvez dans le système de valeur et de jeu de la machine Texane, vous êtes prêt pour l’étape ultime : vous vouer au collectif.
On l’a déjà dit, les Spurs ont fait du collectif leur maître, et à la manière des Samouraïs dévoués à leur cause et leur maître, celle de San Antonio est d’emmener le collectif au plus loin de ses possibilités, avec comme ce fut souvent le cas dans ces 2 décennies de l’ère Popovich, un titre en ligne de mire. Dans cette quête, il est dès lors crucial que chacun trouve sa place sans amertume, afin d’exploiter le potentiel de l’effectif à plein régime. En compilant cet état d’esprit particulier et des joueurs sûrs de leur basket, collectivement comme individuellement, Popovich permet alors aux siens d’arriver à un état que l’Hagakure définissait ainsi : “Quand un Samouraï atteint un niveau supérieur, il est capable de prendre, de sa propre initiative, des décisions en n’importe quelle situation, de sorte qu’il n’a plus besoin des conseils des autres. Il acquiert plus de confiance en ses possibilités, se réjouit d’être loué et déplore les insuffisances des autres. Un tel Samouraï est, on peut le dire, utile au Daimyo.“. Une différence toutefois : la méthode construite par Popovich encourage les conseils, le dialogue, l’écoute. A la manière des sophistes, il considère que c’est dans la discussion et l’émulation qu’émergent les solutions. Ce travail préalable n’empêchant évidemment pas les joueurs d’exécuter leur basket, et de prendre des décisions une fois sur le terrain, aboutissant souvent sur un jeu exploitant les facultés des joueurs à disposition, et les tendances de la ligue.
Cette faculté à choisir et exécuter en vient donc au centre de ce que le stratège laisse selon moi, comme image. Sur cette perspective que je perçois repose l’essence même de son personnage et de la philosophie qu’il a mis en place. Dans le code du Samouraï, il y a un commandement qui apparaît comme central : l’équanimité. C’est-à-dire une disposition affective de détachement et de sérénité à l’égard de toute sensation ou évocation, agréable ou désagréable – autrement dit, tout donner afin d’avoir l’esprit libre dans la victoire comme dans la défaite. L’important est de triompher tant que faire se peut, et de ne pas avoir de regrets sur ce que l’issue aurait pu être, symbolisée par la mort pour les Samouraïs, par la défaite pour les Spurs, auxquelles dans les 2 cas on ne peut se soustraire tôt ou tard.
Pour tous les points que j’ai évoqué précédemment, Popovich épouse pour moi le code du Samouraï. Un code qui sied parfaitement à une des personnalités les plus hautes en couleur, attachante que la grande ligue possède aujourd’hui. Savant mélange de génie tactique, d’humanité et de vivacité, il s’est imposé au fil des décennies comme un des gagnants magnifiques de la balle orange, dont à la retraite resteront pléthore d’images magiques, susceptibles de produire des hommages retentissants à nous faire dresser les poils, par sa relation avec ses joueurs, par ses trophées, ses interviews, ses coups de gueules sur et hors des parquets. Mais avant de tomber dans la nostalgie, apprécions les dernières années du dernier Samouraï.
très juste et bien écrit. Bravo jeune homme