Depuis combien d’années parlons-nous des « sublimes losers », les Ewing, Malone, Barkley ou autre Baylor, qui, malgré de superbes carrières, n’ont jamais eu en main le fameux graal, le trophée O’Brien ? Que de regrets, de talents non récompensés. Avec le temps, les fans de NBA ont fait émerger le terme de « sublime losers ». Mais durant les années où LeBron peinait à obtenir son premier titre (oui, cette époque a existé), un gag récurrent faisait surface dans la websphère des basketteurs : « Scalabrine a plus de titres que LeBron ». Est alors apparue la catégorie que nous appellerons les « golden losers ». Par ce terme, on entend des joueurs improbables, qui posent les pieds sur un parquet NBA, d’une discrétion telle que personne ne se rappellera qu’ils étaient là. Et pourtant, ces petits gredins terminent leurs carrières NBA dans l’oubli, mais dans leurs cartons, il y a un petit anneau qui manque injustement à tant de stars ! Chez QiBasket, on adore fouiller pour trouver ces petites perles de notre NBA history. Troisième profil, troisième « Golden Loser ».
Le Magic Johnson chinois
Après Mengke Bateer, encore un joueur d’origine asiatique ? Aurions-nous une dent contre l’Asie à Qibasket ? Pas le moins du monde, car d’une part il sera le dernier joueur originaire de l’Empire du milieu présenté, et d’autre part son profil NBA vaut le coup d’écrire ces quelques lignes !
Mais ce joueur ne nous est pas si étranger, car il appartient à une période NBA connue par davantage de fans que pendant les années 90. Mieux encore, il faut savoir que ce joueur est encore en activité ! Enfin, sachez qu’un de ses coéquipiers est au programme d’un futur épisode de Golden Loser !
Mais qui es-tu, oh sublime champion NBA ? Il associe le soleil à son patronyme, mais n’a jamais porté le maillot des Suns. Non, c’est bien sous la tunique pourpre et or des Lakers qu’il s’est imposé durant une période hallucinante de…10 matchs, le conduisant à une bague, rien que ça. Ses stats puent le talent : 0.6pts, 0 rebonds, 0.2 passe (je ne peux même pas mettre un S à passe c’est vous dire…) 0.1 contre et 0.1 interception par match ! Le tout avec un légendaire pourcentage au shoot de 27.3% pour 2.8min en moyenne sur le parquet.
Cet homme, improbable, inconcevable, a suivi le même chemin que notre golden loser numéro un, puisque lui aussi est passé par les Canards de Pékin où il évolue encore aujourd’hui, à ceci prêt qu’il se positionne non pas à l’intérieur, mais bien à la mène ! Et pourtant, même après ce portrait dramatique, je dois préciser qu’il fut surnommé, pour son style, son poste et la couleur de son maillot, le Magic Johnson chinois.
Chers Lecteurs, sous la chanson « teenage wasteland » des Who, je vous annonce :
At guard, 6-9 (2m06), number 9 from China : SUN YUE
Oh merde ! Ils m’ont vu !
Rendre à Sun ce qui appartient à Sun
Cette introduction moqueuse doit laisser place à un regard plus objectif. Sun Yue (孫悅) nait à Canghzou dans le canton de Hebei en 1985. Attention à ne pas le confondre avec Sun Yue la joueuse de volley-ball ou Sun Yue l’acteur qui joua dans Goodbye M.Vampire l’an passé, sachez faire la différence dans vos références que diable !
J’ai dit que Sun puait le talent, c’est vrai, le gamin transpire le basket. Au sens propre car c’est dès ses 17 ans qu’il intègre la ligue de basket chinoise, la CBA. Il rejoint les Beijing Olympians, une équipe prometteuse qui se voulait l’héritière des Vanguard Aoshen qui avait sa petite notoriété dans l’histoire du basket-ball chinois. Et ça va très vite pour le jeune meneur, car deux ans plus tard, l’équipe nationale le convoque ! Les moins de 20 ans bien évidemment, mais cela sera hélas source de conflit. Les Olympians s’opposent à cette convocation, difficile de retrouver aujourd’hui la raison valable. Mais cela conduit l’équipe à se faire bannir de la CBA, s’exportant à Taïwan d’abord…puis…aux Etats-Unis !
L’American Basketball Association (organisme différent de la ABA qui fusionna avec la NBA) était en effet une ligue mineure prometteuse et attractive après sa création en 2002. Toutefois, des soucis financiers et des comportements douteux des dirigeants (dont l’ancien joueur NBA John Salley) forçaient la ligue à chercher des participants (jusqu’à 50) ! En manque de compétition, les Olympians décidèrent alors de payer leurs droits d’inscription, tout en jouant les matchs à Singapour.
Sun Yue est alors un meneur prolifique, grand, mobile, il dépasse les deux mètres, s’attaque aux intérieurs dans la bataille du rebond et remonte le terrain rapidement (on fait vite le lien avec Magic). Sa première année atteste de ses capacités puisqu’il tourne à 9.7pts et 6.7ast ! Les Olympians atteindront même les playoffs cette année-là. La saison suivante Sun tourne à 13.5pts pour 10.5ast ! Il est nommé dans la All-NBA…ABA-First team, pardon. Côté Chine, Sun est incontournable, et surtout, il gagne ! Médaille d’Or aux Asian Games de 2006 et plus tard en 2010, ainsi qu’aux FIBA Asia Championship de Doha en 2005 puis 2011, médaille d’argent en 2009. Bref, ce gars est bon.
Décollage pour la NBA dans 3…2…1…tiens, c’est quoi ce bouton qui clignote ?
Arrivée en NBA avec…la Chine
Sun est donc un membre important de son équipe nationale, la Chine de Yao, et veut faire bonne figure pour les Jeux de Pékin ! Mais tout le monde sait que l’ogre Team USA sera présent. Alors la fédération de basket chinoise a une idée : faire jouer son équipe…à la NBA Summer League ! Et voilà que Sun fait face à Memphis, Sacramento, Cleveland ou encore Boston, comme le montre ce résumé :
Et les JO ? La Chine fera bonne figure, pendant que Sun se démarque contre Team-USA en bâchant Dwight Howard :
Sun avait alors déjà tapé dans l’oeil des scouts NBA. Observez sa taille et son adresse, vous savez que ça serait intéressant de voir ce qu’il est capable de faire dans la grande Ligue. Surtout que la NBA est aussi dans sa période Yao Ming et que le recrutement asiatique offre d’immenses opportunités marketing. Sun Yue pense à la NBA, c’est sûr. Mais il hésite et se retire de la draft en 2006, période instable où il n’avait pas encore fait ses preuves. Mais en 2007, bingo, il prend le pari ! Son compatriote Yi Jianlian est sélectionné, mais le nom de Sun ne raisonne pas encore dans le Madison Square Garden…on attend, on attend, et finalement, c’est une équipe qui va vers son destin, emmené par l’un des meilleurs joueurs de l’histoire et un coach légendaire qui décide de tenter le coup : with the 40th pick of the 2007 NBA draft, the Los Angeles Lakers select…Sun Yue ! 2e tour, 40e place, c’était chaud !
Mais les Lakers ne veulent pas précipiter ce jeune talent de 22 ans, et souhaitent le laisser mûrir encore un peu, tout comme les Spurs avaient laisser mûrir Ginobili…oui j’ai comparé Ginobili à Sun Yue, y’à un problème ? L’année 2007-2008 se passe, les Lakers de Kobe sont de nouveau à leur place : en Finales NBA. Mais les Celtics sont surmotivés. Cette saison et ce retour de la rivalité sera probablement une source d’inspiration pour beaucoup de fans des Celtics d’aujourd’hui, mais il marque aussi le retour au premier plan tant attendu par les fans de Kobe. Mais voilà, les Lakers n’ont pas su relever le défi physique et doivent revoir les dernières lignes de leurs copies ! C’est à ce moment là que Sun Yue débarque dans une équipe revancharde, un contexte favorable puisqu’il va forcer à la motivation.
Not one, not two, not three, not four, not five, but SIX…….points in NBA !
Autant d’abdos que de points en NBA
Le six pack de Sun fait rêver certes, mais nos ardeurs sont sacrément calmées quand on voit la réalité : Sun Yue ne va absolument pas percer en NBA. Il ne percera ni avec les Lakers, ni avec aucune autre équipe, aucune chance ici, aucun contrat de 10 jours, rien. Sun Yue en NBA, c’est ça : 10 matchs, 0 fois starter, 28 minutes jouées, 3 paniers marqués pour 6 points, 27% de réussite au tir, 6 trois points tentés, aucun rentrés, aucun rebond, 1 contre, 1 interception et 3 balles perdues. Voilà. Point, une carrière NBA résumée en une phrase. Ou plutôt deux : champion de division pacifique, champion de conférence Ouest et champion NBA.
Et oui, Sun Yue était bien tombé dans la bonne équipe. Car aux côtés d’Adam Morrison ou parfois DJ M’Benga, Sun va observer en costard cravate une saison de rêve pour Kobe. Le jeu en triangle est de retour, Bryant est jordanesque de bout en bout, Gasol est à son meilleur niveau, Bynum s’impose comme un pivot dominant de la NBA, Ariza et Fischer sont des role player décisifs. Cette équipe sera un vrai régal à regarder jouer. Le banc est mené par Lamar Odom suivit par Luke Walton, Jordan Farmar, Shannon Brown, Josh Powell ou encore Sasha Vujacic. Cette équipe est même l’identique de celle que Phil Jackson avait aux Bulls : un leader (sur)naturel à la hauteur de sa légende, un lieutenant exceptionnel de talent, des seconds rôles iconiques, un sixième homme charismatique et un reste de banc qui regardait les yeux plein d’étoiles avant de prendre les miettes. Après Jordan, il y eu Kobe, après Pippen, il y eu Gasol, après Kukoc, il y eu Odom, après Harper il y eu Fischer, après Wennington il y eu même Walton, après Phil Jackson il y eu…Phil Jackson, toujours. Mais dans ce tableau, Yue était Dickey Simpkins.
Résultat des courses : Sun est champion NBA 2009 après une série sans suspens, qui voit les Lakers gagner sans contestation le titre, et s’affiche sur la photo finale (à droite deuxième rang) :
Cette image aura bientôt 10 ans… #nostalgie
Autopsie du bide
La carrière NBA de Sun se termine sur cette photo, on ne va jamais le revoir porter le maillot des Lakers, enfin…bon de toute manière il ne l’avait pas beaucoup porté. Déjà, il faut savoir qu’à peine arrivé à Los Angeles, Sun souffre du syndrome de la mononucléose qui va lui faire rater le début de la saison avec L.A. Il ne débutera sur les parquets qu’en décembre. L’année suivante, alors que les angelinos iront chercher un back-to-back historique, Sun est rapidement expédié en D-League chez les Los Angeles D-Fenders. Et vous savez quoi ? Ses stats n’iront même pas plus haut. Parce que Sun Yue tourne à 0.7 point et 0.2 passe…et une blessure qui suffira à le mettre OUT pour la saison entière. Bref.
New York, toujours avide de bonnes idées, se dit que ça pourrait être une opportunité de recruter le meneur géant…mais non. Tout juste arrivé, immédiatement coupé. Sun ne jouera aucun match et aura juste le temps de prendre la photo avec le maillot.
-“Sun, tu es sûr pour New York ?”
-“T’inquiète Kobe, c’est juste pour pas avoir à payer le maillot 120$ au NBA store”
Retour aux sources
Les Beijing Olympians existent toujours, mais leur situation est toujours aussi chaotique. Sun décide de revenir malgré tout dans son équipe. Encore faut-il trouver une ligue car la ABA est dans de sales draps. Et finalement c’est dans la WPB…la WBCP…la WCPBL que les Olympians s’inscrivent. Comprenez West Coast Pro Basketball League (…bitch !). Sauf qu’il s’agit d’une ligue d’été…et qu’elle est au bord du dépôt de bilan (allez sur leur site, les inscriptions sont toujours ouvertes pour la saison 2013 dépêchez-vous !)
Et voilà Sun sans rien, Sun est sans le flou, Sun a le seum, bref, imaginez tous les jeux de mots débiles possibles, ce grand champion est totalement perdu, tout comme son équipe. Et pourtant, il va lui rester fidèle, demeurant en Californie jusqu’en 2013. Je vais être franc, je n’ai trouvé ni statistiques, ni scores, ni classements, ni résultats sur cette fameuse WCPBL. Sun Yue est certes membre de cette équipe, mais la ligue dans laquelle il opère se résume à une page facebook avec 61 likes. Bref. Que fait un champion NBA ici ?
Ce “ici” il finit enfin par le quitter, alors que la saison 2013 est la dernière campagne de la WCPBL, Sun retourne en Asie, ce qu’il aurait vraiment du faire plus tôt. Pourquoi ? Parce qu’il rejoint les Beijing Ducks. Et à partir de là, tout change : deux titres de CBA, back-to-back, 2014 et 2015, auxquels il prend pleinement part. Ses highlights donnent envie et nous interroge sur ce parcours si atypique. (les connaisseurs reconnaîtrons Stephon Marbury…)
Une carrière plus difficile à saisir que son titre
Ce cas de golden loser est exceptionnel car l’on pourrait dire qu’il s’agit d’un joueur qui était bon ailleurs et qui a simplement fait un passage anecdotique en NBA. C’est le cas, mais ce qui reste ahurissant c’est qu’une fois sorti du Staples Center des Lakers avec sa bague, Sun va disparaître inexplicablement dans une équipe fantomatique, enchaînant les déboires dans son exil forcé par la CBA, avant de resurgir naturellement dans l’une des meilleures équipes de Chine pour exprimer tout son talent. Ses performances en équipe nationale sont remarquables et son talent indéniable. Alors pourquoi n’avoir pas tenté l’Europe ou tout simplement essayé de percer en CBA au lieu de rester aux Olympians qui se réduisent à jouer pendant des années dans une ligue ultra-mineure ?
Il y a des zones d’ombre chez Sun Yue, un talent évident, mais un blocage de son équipe qui l’empêche de rejoindre la sélection nationale qui aurait pu lui donner tous les arguments pour s’en aller ailleurs et percer. Mais non, avant et après les Lakers, Sun a tenu à rester dans cette obscure franchise qui n’avait même plus de base géographique. Et au milieu de ça ? Un titre, une bague, une place à côté de Kobe Bryant, de Pau Gasol, de Derek Fischer…et le tout avec 10 misérables petits matchs. Cela aura suffit à Sun Yue pour avoir le trophée doré dans les mains, de le savourer, de le contempler, de le savoir officiellement sien. Ses titres de CBA seront bien plus authentiques, mais ils auraient pu être son quotidien s’il avait compris que son talent, bien que rejeté par la NBA, pouvait séduire de nombreuses équipes de qualité en dehors de l’Amérique. Il faut saluer cette fidélité aux Olympians de Beijing, mais Sun Yue a clairement été un TGV qui ne s’est pas arrêté aux bonnes gares, fort heureusement, l’une d’entre elles avait une bague sur le quai.
Pour cette carrière si singulière, ces 28 minutes de NBA récompensées par une bague et cette fidélité à une équipe qui n’existe plus, Sun Yue, tu es notre Golden Loser numéro 3 !
Sun Yue portant le trophée Larry O’b…ah non merde elle c’est la joueuse de volley.