L’objectif de cet article est de faire émerger la vision que les entraîneurs de basketball de haut niveau ont de leur rôle de manager. Ici, nous ne chercherons rien à prouver mais à analyser en quoi et comment l’entraîneur de basketball manage son équipe.
Pour répondre à nos objectifs, nous avons choisi de nous entretenir avec six entraineurs de basketball de haut niveau : deux entraîneurs de ProA (première division française masculine), deux entraîneurs de LF2 (deuxième division française féminine) et deux entraîneurs de Centre de Formation (meilleur niveau jeune). Nous avons pris le parti d’interroger des entraîneurs intervenant sur des publics différents car :
- L’entraîneur de ProA aura, dans son groupe, uniquement des joueurs expérimentés et le seul but sera le résultat collectif, la performance.
- L’entraîneur de LF2 aura, dans son groupe, des joueuses expérimentées mais également trois joueuses de moins de vingt-trois ans (obligation légale) relativement novices dans le haut niveau adulte.
- L’entraîneur de Centre de Formation aura, dans son groupe, des joueurs qui n’ont pas encore atteint le haut niveau adulte et dont l’objectif de formation sera de les y conduire.
Le caractère limité de notre échantillon est relatif à la spécificité et à la rareté des profils concernés.
L’analyse que nous allons faire à présent n’est pas propre uniquement au monde du basketball de haut niveau. Les éléments que nous allons tenter de faire ressortir de cette recherche peuvent être appliqués à n’importe quelle situation. Que vous soyez entraîneur sportif, chef d’entreprise ou enseignant, les notions de transmission de savoirs, de management et de leadership, mis en avant dans cette étude, peuvent être appliqués dans votre contexte.
Désormais, le rôle d’un entraîneur n’est plus uniquement d’entraîner. Le coach d’une équipe de haut niveau a des fonctions très similaires à un dirigeant d’entreprise. L’un des entraîneurs souligne cette mutation : « Un entraîneur c’est quelqu’un qui est à la fois sur le terrain et à la fois en dehors du terrain. Il a une grosse présence dans la hiérarchie du club. Ca ne se limite pas qu’à l’aspect technique ou tactique mais au-delà. Un coach aujourd’hui c’est un vrai manager dans tous les sens du terme, E6». Un autre pense être « avant tout un manager avant d’être un entraîneur. Moi ce qui m’intéresse c’est de tirer le meilleur des gens, de développer les gens ».
Définir précisément les attentes, expliquer clairement le positionnement de chacun des membres de l’équipe et du staff est une des priorités managériales des entraîneurs interrogés. L’objectif étant que les joueurs trouvent du sens dans le travail qu’on leur demande de faire. Un entraîneur souligne que « ce qui va donner la motivation pour que le joueur s’investisse dans le projet collectif c’est qu’il se reconnaisse dans son projet individuel ». Pour ce faire, les entraîneurs passent par l’échange, la discussion. Ils cherchent à établir « un cadre très unitaire où la discussion était au centre » et essaient « d’impliquer tout le monde » dans le projet. Ils visent à ce que la somme des projets individuels corresponde au projet collectif. Ils cherchent à valoriser leurs joueurs mais également les membres du staff en les responsabilisant. Offrir à chacun sa part du projet ouvre les portes d’une aventure saine et durable. On observe dans les entretiens que c’est en favorisant les échanges que l’entraîneur augmente les chances que l’objectif collectif devienne l’objectif de chacun, il fait ainsi passer en priorité la primauté de l’individu pour mieux servir l’intérêt général.
L’analyse des entretiens nous permet d’observer que les entraîneurs de basketball de haut niveau managent leurs équipes de manière dite participative. Iazykoff (Le management participatif à France-Télécom, 1991) définit le management participatif comme :
« Un ensemble de pratiques instrumentées par des dispositifs ad hoc, vise à associer le personnel à la définition et la mise en œuvre des objectifs qui le concernent dans l’entreprise. Sa finalité est de faire participer davantage les individus au fonctionnement, en vue d’une meilleure performance et efficacité collectives. » (p. 121)
On peut alors se demander pourquoi les entraîneur utilisent ce modèle de management ? Les motivations qui poussent ces derniers à favoriser un management participatif peuvent s’expliquer en deux points :
- La participation en tant que droit.
- La participation en tant que moyen de s’impliquer dans le projet de l’équipe ou de l’entreprise et d’être plus efficace dans le travail.
Dans la premier point, le management participatif est utilisé dans un contexte de codétermination et de démocratie industrielle (Poole, Industrial Relations : Origins and Patterns of National Diversity, 1986). Le pouvoir au sein de l’organisation a été redistribué. Désormais, tous les acteurs de l’équipe ou de l’entreprise ont le droit de participer aux décisions qui vont affecter leur vie. Ceci implique que les individus ont la possibilité de participer intelligemment pour faire grandir l’organisation. De ce fait, ils se sentent pleinement impliqués dans le projet collectif puisqu’il a un impact sur leurs projets individuels.
Dans le deuxième point, on cherche directement à améliorer la qualité de la vie au travail. Ici, le management participatif rend les agents acteurs voir auteur du projet (Ardoino, 1987), ils sont donc pleinement impliqués dans la réussite de ce dernier puisqu’ils ont la sensation de l’avoir construit. Pour l’entraineur ou le directeur d’entreprise, cette motivation engendrée par le management participatif, est un moyen d’augmenter la productivité et l’efficacité des joueurs ou des employés.
Dans ce management participatif, les entraîneurs interrogés cherchent à rendre les joueurs autonomes dans leurs pensées et leurs actions sur le terrain. Le rôle de l’entraîneur est de guider et non pas de téléguider ses joueurs. Ce modèle de management tend à rendre les joueurs toujours plus créatifs et libres, en les responsabilisant et en les rendant autonomes, pour qu’ils s’émancipent de leur égocentrisme primaire et que chacun s’approprie une part du destin collectif.
Dans cette quête de dialogue, de délégations de pouvoirs, de recherche de l’autonomie du joueur, l’entraîneur vise l’épanouissement de ce dernier. Donner ce rôle d’inspirateur, d’auteur, est l’essence même du management participatif.
Qui de mieux placé que Claude Onesta, qui a élevé le management participatif au sommet du monde sportif avec l’équipe de France de Handball, pour synthétiser nos propos : « La possibilité de construire un univers où les gens peuvent se réaliser individuellement, bien vivre ensemble, s’associer non par contrainte mais par intérêt partagé, et où, au final, la récompense est naturelle car elle couronne la qualité » (Le règne des affranchis, 2014, p. 171).