Phénomène physique et sensation en NBA dès sa première saison, Blake Griffin fait partie de ces joueurs qui n’ont pas laissé indifférent. Alors que l’intérieur a aujourd’hui 31 ans, sa dernière saison inquiète. Seulement 18 matchs joués, une opération au genou gauche inévitable et une nouvelle rééducation pour un joueur qui n’en ait pas à sa première intervention. Jouer en NBA plus d’une décennie est une performance rare, qui l’est toutefois moins lorsque l’on est au rang de superstar. Car si la carrière de Blake commence à inquiéter, il était un membre indiscutable de l’élite de la grande ligue il y a peu. Alors que le joueur clame encore son amour pour le basketball et se prépare à revenir jouer pour des Detroit Pistons en pleine reconstruction, on peut lire ci et là, un certain scepticisme quant à l’état de ses genoux.
Pour cause, lorsqu’on y pense, la carrière de Griffin fut contrariée par les blessures avant même de démarrer. Alors que certains joueurs connaissent des coups d’arrêts, que d’autres adaptent leur jeu pour encaisser le poids des ans, j’en suis venu à me demander si la trajectoire de l’intérieur ne fut pas un brin différente ? Connu dans ses jeunes années comme un monstre physique, il a rapidement évolué vers un statut tout autre : celui de joueur polyvalent. Mais a-t-il maximisé son potentiel ? A-t-on connu ce moment, appelé “prime” avec Blake Griffin ? Ou au contraire, avons-nous raté quelque chose ?
Des questions auxquelles nous allons tenter de répondre.
Qu’est ce que le “prime” finalement ?
Lorsque l’on parle sport, on aime bien parler de “prime”. En traduction littérale, dans ce contexte, nous pourrions en français parler de “pic”, de sommet”, ou de “fleur de l’âge”. En étendant un petit peu, nous pourrions le rapprocher “d’excellence” ou de “zénith”. C’est-à-dire ce moment où le joueur connaît son état de grâce. En pratique, cela veut dire le moment où la technique, l’expérience, le mental et le physique du joueur arrivent à un croisement, laissant penser que cette période sera le sommet de sa carrière.
A force d’années à observer la NBA, on peut d’ailleurs en général anticiper quand ce moment arrivera. Pas seulement à l’étude d’un joueur, mais en fonction de son poste et de son style de jeu. Le prime à ses normes que vous soyez un meneur, un ailier ou un pivot. Le prime à ses normes en fonction de ce sur quoi repose votre style de jeu. En général, on tend à penser que cette période se situe entre 27 et 30 ans, même si on entend qu’il peut arriver plus tôt chez des joueurs plus petit (meneurs, arrières) et plus tard pour les grands (ailiers forts, pivots).
Evidemment, a posteriori, on se rend compte que ces “normes” ne s’appliquent pas à tous, que certains joueurs l’atteindront beaucoup plus tôt, tandis que les aléas d’une carrière peuvent évidemment modifier la trame de manière assez brutale.
Ainsi cette notion peut, selon la résistance physique et mentale du joueur, les éléments extérieurs à son seul talent, devenir assez flou. Parmi quelques exemples récents, si on tend à penser que le prime de LeBron James devait se situer durant ses années à Miami, il est devenu difficile de vraiment le délimiter, tant le King a encore semblé dominant les années suivantes. A l’inverse, si le prime de Carmelo Anthony est souvent situé au cours de son premier contrat avec les Knicks, on peut facilement arguer qu’il avait déjà décliné athlétiquement à cette période.
Dans d’autres cas, nous avons des évidences. Par exemple, il n’est pas nécessaire de préciser que celui de Dwight Howard se trouve à la fin des années 2000. Joueur dominant grâce à son physique, il est forcément arrivé au moment où ces dernières étaient à leur zénith (donc assez jeune). A l’inverse, il est évident que celui de Derrick Rose n’a pas eu lieu, fauché par les blessures, alors qu’il a été le plus jeune MVP de l’histoire.
En réalité cette notion peut être remise en cause dans de nombreux cas. Souvent, ce que les yeux voient, ce que la raison nous dit, n’est pas forcément la réalité. Est-ce qu’un joueur moins ahtlétique est-il forcément une moins bonne version de lui-même ? Un joueur plus complet est-il forcément plus impactant ? Les années dans la ligue font-elles nécessairement du joueur, un joueur plus aguerri ? Autant de questions qui peuvent être mises en doute, et auxquelles le “cas Blake Griffin” peut donner des réponses.
Blake Griffin : historique
L’objectif ici n’est pas de délivrer une historique détaillée de la carrière de Blake Griffin, mais de rappeler quelques faits qui vont impacter notre analyse.
Contrairement à beaucoup de futures stars, le joueur s’installera pas une mais deux années à l’université. Après une première saison très solide, il va devenir un joueur phare du championnat universitaire. A quel point ? Au point d’être nommé “joueur universitaire de l’année” en 2009. Arrivé à la draft, il ne fait aucun doute que l’ailier fort sera le premier choix de la draft. Phénomène physique, Griffin est amené à s’installer sur un poste en train de connaître sa révolution en NBA. De plus en plus d’équipes comprennent l’intérêt d’écarter les missions entre les ailiers forts et les intérieurs, c’est d’ailleurs probablement à cette position que les premières pierres de la NBA actuelle vont être posées.
En possession du premier choix, les Los Angeles Clippers, franchise peu connue pour ses succès en NBA ne prennent donc pas de risques et draftent le meilleur joueur de la cuvée : Blake Griffin (oui, en 2009, Stephen Curry et James Harden ne sont pas des prospects aussi “évidents” que Griffin).
Brillant en summer league, le joueur fait l’unanimité et tout porte à croire que cette saison sera la rampe de lancement de la reconstruction de “l’autre franchise de Los Angeles”. Sauf que. Sauf qu’à quelques encablures du début de saison, l’ailier fort ressent une gêne dans un de ses genoux. A quelques jours de la reprise, la nouvelle tombe, le joueur est touché par une fracture de fatigue au genou gauche. Sa saison rookie prend un coup d’arrêt avant de débuter et après une réévaluation courant janvier, le joueur et la franchise décident de reporter ses débuts à la saison 2010-2011.
Connu pour être très explosif, la blessure inquiète, tant les genoux sont sources de problèmes au basketball.
Pourtant, sa saison rookie va être historique. En compétition avec un des prospects les plus attendus de la décennie (John Wall), l’intérieur va rafler la mise, en faisant plus qu’une grosse saison. Non, Blake Griffin est un ras-de-marée. Plus longue série de double double pour un rookie depuis 1968 (27 fois), premier rookie à marquer + de 40 points à 2 reprises depuis Allen Iverson, premier rookie sélectionné pour le ASG depuis Yao Ming et voté par les coachs depuis… Tim Duncan.
Véritable monstre, il termine sa saison en double double de moyenne, tout en étant un passeur très correct à la fois pour son poste, mais surtout à cette période. Ses statistiques ? 22,5pts, 12,8rbds, 3,8asts. Comprenons-nous bien : Blake Griffin était une star en NBA… dès son arrivée. Il sera d’ailleurs le premier à gagner le trophée de Rookie of the year à l’unanimité depuis David Robinson, 21 ans plus tôt.
Cette vidéo de highlights de sa saison rookie, outre son côté spectaculaire pointe un aspect qui me semble intéressant : le physique de Griffin. Si vous êtes attentif et regardé des matchs récents de l’ailier fort, vous verrez que le joueur possède déjà, dès sa première saison, le physique qu’on lui connaît aujourd’hui. Notion même de “NBA Ready”, Blake possédait déjà les mêmes mensurations qu’il possédera 5 ou 8 ans plus tard. Il n’a donc pas dû connaître une transformation physique pour s’étoffer aux joutes de la grande ligue et contribuer à atteindre ce “prime”. Fin de la parenthèse.
Blake Griffin place les Clippers sur la carte NBA en une seule saison d’activité et est rejoint dès 2011 par Chris Paul. Premiers Playoffs en 2012 et premier tour passé. Le joueur fait sensation pour sa faculté à attaquer le cercle sans fin, et avec un passeur du niveau de Chris Paul, le spectacle est au rendez-vous. A l’été 2012, il est supposé faire partie de l’équipe en route pour les JOs 2012, mais sera retiré de l’équipe après une nouvelle blessure au genou à l’entraînement. Pas de catastrophe, mais nouvelle alerte pour le joueur.
A la fin de la saison 2013-2014, Blake Griffin score presque 25 points par match, fait partie des rares joueurs en NBA à réaliser des triples-doubles, trône dans le top 3 de la course au MVP et les Clippers battent le record de franchise avec un bilan de 57-25. En Playoffs, ils battent les Warriors en 7, mais sont éliminés par le Thunder en demi-finale. L’année suivante, après une série chargée en émotions, ils viennent à bout des Spurs en 7, mais sortent face aux Rockets après avoir mené…3-1.
Après une saison 2015-2016 amoindrie par diverses blessures et une suspension (47 matchs manqués), il démarre 2016-2017 en retrouvant un rôle majeur dans la ligue. Il doit s’absenter pour une petite intervention sur son genou droit courant janvier, mais retourne rapidement à l’action. Les Playoffs 2017 seront à nouveau décevantes malgré une solide régulière. La franchise perd Griffin au match 3 et sort en 7 face au Jazz.
C’est la dernière fois que Griffin jouera les joutes éliminatoires avec les Clippers, échangé en janvier 2018 aux Pistons.
Le bilan
A ce point de sa carrière, il est important de tirer un bilan. Sur ses 10 premières saisons NBA, a connu des hauts et des bas et surtout une évolution.
Tout d’abord, le joueur s’est imposé comme un All-Star incontestable dès ses premières minutes sur les parquets. Au départ intérieur très agressif offensivement, Griffin est un joueur vivant dans la peinture adverse, l’attaquant sans relâche, se faisant une réputation de dunker infatigable et de redoutable rebondeur dès sa saison rookie. Associé à Deandre Jordan dans la raquette, il va au fil des saisons chercher à étoffer son jeu. Moins agressif au rebond, il se veut en revanche de plus en plus créateur. Souvent utilisé poste haut, il développe un tir mi-distance puis à 3 points, se jetant moins souvent à l’assaut de l’arceau. Plus complet, il devient comme un symbole de cette maturation, un habitué du triple-double, repoussant chaque saison ses records à la passe, et ce malgré la présence de Chris Paul à ses côtés.
Dans les résultats toutefois, les Clippers peinent à faire mieux que le second tour. Parfois dépassés par leurs adversaires, parfois incapables de finir le travail, ils sont également souvent gênés entre 2015 et 2017 par des blessures de leurs cadres : particulièrement Paul et Griffin lui-même. Plusieurs fois touché aux genoux, le joueur accumule aussi d’autres blessures qui font de l’ailier fort un “injury prone”. Lors de son transfert en 2018, l’équipe avait débuté une reconstruction dont le joueur, encore dans ce qu’on estime “le prime” (~28 ans), semblait faire partie. Pourtant, son transfert en janvier 2018 est accompagné de commentaires, notamment de son nouveau coach, Stan Van Gundy “Un joueur comme Blake, même avec son historique de blessure, vaut le risque que l’on prend.”, sont édifiantes quant aux certitudes entourant sa carrière. La santé déclinante du joueur, malgré des performances toujours aussi impressionnantes en apparence, sont désormais une réalité bien établie.
Et pour cause, dans ses 9 premières saison NBA, il a raté 233 matchs de saison régulière (quasiment 3 saisons blanches). De quoi à la fois imaginer la complexité de construire autour de lui, mais aussi le talent du joueur pour rester au sommet de la pyramide malgré cette épée de Damoclès.
Une question se pose néanmoins : Griffin a-t-il réussi à compenser ce déclin physique ? Et d’ailleurs, avait-il, même avant son transfert, réussi à progresser pour atteindre ce prime ?
Blake Griffin et la difficile question du prime
Tout d’abord, pour remettre le contexte de ce qui arrivera ensuite : Griffin arrive dans une équipe fragile en 2018 et ne verra pas les Playoffs. Mais pour sa première année complète avec les Pistons, il va réaliser une saison 2018-2019 de haut vol, portant les siens jusqu’aux joutes printanières, malgré une effectif léger en talent, mal équilibré et une blessure qui va lourdement l’handicaper. Jouant malgré la douleur, il devra pourtant abdiquer au dernier match de la saison régulière, ratant les deux premiers matchs de Playoffs et revenant diminué aux matchs 3 & 4. Malgré 75 matchs joués en 2018-2019, le bilan est mitigé, tant il semble que cette envie d’atteindre les Playoffs ait eu un coût élevé. Pour mettre une image sur ce que traverse le joueur, voici la liste des raisons de ces absences ces dernières saisons selon FOX SPORTS.
A l’été 2019, le joueur subit une nouvelle intervention sur son genou gauche, mais semblera toujours aussi gêné au début de la saison en cours. Proposant des performances très loin de ses standards en carrière et bien inférieures à sa seule saison rookie, il est clair que quelque chose ne va pas. Résultat, après 18 rencontres, et alors que le joueur compile 15,5pts, 4,7rbds et 35% au tir, une nouvelle intervention est décidée, mettant fin à sa saison. Désormais en possession d’un contrat long terme (75M à toucher jusqu’à l’été 2022) et très diminué, il apparaît bloqué dans une équipe en reconstruction.
Alors qu’il apparaît certains que le prime théorique de Griffin a été détraqué par une pluie de blessures, il convient pourtant et surtout, d’interroger l’évolution technique du joueur.
Une évolution dans le jeu
Alors que nous disions qu’à son entrée en NBA, Blake Griffin était surtout un finisseur et rebondeur agressif, nous précisions également un sens de la passe aiguisé pour sa taille et pour le poste. Surtout à la fin des années 2000/début des années 2010. Il était déjà clair que Griffin pouvait faire plus que cela, d’autant qu’il possédait déjà un handle étonnant. Capable de prendre le rebond défensif et de partir en contre-attaque, le joueur avait déjà tout ce qui fallait pour devenir beaucoup plus polyvalent. Si le seul véritable absent était le shoot, le toucher tout à fait correct du joueur indiquait qu’il était capable de développer un tir mi-distance assez fiable. Un élément également intéressant alors qu’il partageait la raquette avec un pivot très frustre (Deandre Jordan), et que s’écarter permettait de maximiser le pivot en le postant dans la peinture, l’assignant à la défense et au rebond.
C’est ainsi, qu’au cours des 2010s (seconde moitié), Blake s’écarta un peu de la raquette. En ce faisant, le joueur et les Clippers faisaient le choix de la polyvalence plutôt que de la spécialisation. Un partie pris qui fera toujours l’objet de débat et qui est sûrement passionnant par l’absence de bonne ou mauvaise réponse qu’il propose. Dépendant du joueur, de l’équipe dans laquelle il évolue, de la position qu’il occupe ou encore de ses facultés de base, il trouve finalement sa réponse juste dans “le cas par cas”. Alors qu’en fut-il pour Griffin ?
Quelle matérialisation pour cette évolution ?
Voici quelques données qui semblent intéressantes pour jauger Blake Griffin et son évolution. L’avantage le concernant, c’est qu’il évolue dans la même équipe l’essentiel du temps (2010 à mid-2018), avec un groupe qui aura le même noyau dur pendant presque toute la période (hors saison rookie et 2017-2018). Que peut-on apprendre de celui-ci ?
Tout d’abord, les saisons où il a été le plus efficace au tir (global : TS%) se retrouvent principalement lors de la première partie de sa carrière. Que d’ailleurs, hormis 2016-2017, ce sont durant ces deux saisons où l’équipe est la plus efficace offensivement. Étrangement (du moins c’est ce qu’on pourrait se dire), c’est au cours d’une saison où il porte le moins le ballon (USG% le plus bas) qu’il va réaliser ce premier tour de force. On note aussi que sa seule saison complète aux Pistons, Blake Griffin va connaître une sorte de renaissance, qu’il faudra peut-être nuancer.
Enfin, on peut noter, qu’il est rarement parmi le top 3 des joueurs les plus efficaces de son équipe. S’il est normal qu’un pivot comme Deandre Jordan soit devant, il est assez intéressant de noter que des joueurs comme Chris Paul et JJ Redick ont souvent devancé l’intérieur (preuve également de leur excellence, trêve de digression).
Evidemment, précisons que la saison 2019-2020 ne peut être utilisée tant il est apparu emprunté en raison de son genou gauche.
Dis moi d’où tu tires, je te dirai qui tu es.
Comme nous le disions, lorsqu’il est arrivé dans la ligue, Griffin était un cauchemar pour les intérieurs adverses. Bon mouvement sans ballon, sans peur, parmi les intérieurs les plus spectaculaires de l’histoire, il matraque la peinture. Son identité se trouve dans sa faculté à martyriser ses adversaires au poste bas. Aussi, c’est sans surprise que vous découvrirez une shot chart… orientée :
Certes ce ne sont pas ses meilleurs chiffres en carrière, mais ses statistiques, seront, comme vous avez pu le noter, sensiblement proches toute sa carrière. Il est intéressant de noter, qu’alors qu’il est encore rookie, dans une équipe dont le coeur est très jeune et donc sans Chris Paul à la baguette, il arrive à être efficient grâce à son profil. Alors, ceci étant dit, comment jouait-il en 2013-2014, avec CP3 et dans ce qui est, d’après le tableau, son pic d’efficacité ?
On note que pour sa 4eme saison sur les parquets NBA (donc sa 5eme), il a commencé à étendre avec parcimonie les zones dans lesquelles il tire. Quelques corners 3s sont venus s’ajouter à la liste, une belle efficacité à mi-distance proche de la ligne de fond. En revanche, ses premières tentatives dans toutes les autres zones laissent à désirer. L’avantage, c’est que ces “nouveaux shots” sont contrebalancés par un pic d’efficacité lorsqu’il s’agit de finir dans la peinture. Je pense qu’on ne peut pas, à ce titre, voir comme une coïncidence le fait que ce soit lors de sa seconde saison consécutive à 80 matchs.
Ce n’est pas non plus une coïncidence si son efficacité chute ensuite, lorsqu’on voit qu’il commencera, dès 2014-2015 à réduire drastiquement la part des tirs pris dans la peinture (1er passage sous les 40%).
Enfin, et dernier point statistique, à partir de 2015-2016, Blake Griffin prendra toujours autour des 35% de ses tirs dans la raquette. Ce qu’il est intéressant d’observer, c’est que c’est la première saison où il enchaîne plusieurs blessures (seulement 31 matchs joués). On peut alors imaginer plusieurs raisons qui ont poussé BG42 à changer son jeu.
D’une part, une perte d’explosivité due à un déclin physique amorcé plus tôt que la moyenne (il n’a alors que 26 ans). D’autre part, une appréhension psychologique. On peut sans soucis comprendre que lorsque vous avez un jeu à risque, vous soyez plus hésitant à le pratiquer lorsque vous manquez beaucoup de matchs et avez été éliminé plusieurs fois en Playoffs sans pouvoir défendre vos chances à 100% (à cause de vos propres blessures ou celles de coéquipiers). Pour finir, la NBA est alors en plein changement et encourage la quasi-totalité des joueurs à modifier leur jeu (développement d’un tir longue distance, responsabilisation croissante des non-meneurs à la création). La NBA entre dans l’ère de la polyvalence et comme beaucoup, Griffin a voulu s’inscrire dans cette tendance. Ainsi, en 2017-2018, saison qui pour moi marque officiellement la fin d’une fenêtre pour le joueur, il présente ce qui doit être sa “pire shot chart”.
Pourquoi ? Parce que cette saison marque tout le paradoxe de l’évolution de Blake Griffin. Tout d’abord, un joueur qui shoote moins et moins bien lorsqu’il le fait dans la zone qui est le pilier de son jeu. Un joueur qui shoote mieux dans de nouvelles zones, mais est à la fois, à peine dans les moyennes de ladite zone, ou en deçà. Dont la nouvelle polyvalence ne profite pas pour progresser dans le cœur de son jeu. Autrement dit, mieux shooter n’ouvre pas le terrain à Blake lorsqu’il créé ses propres tirs.
En prime de cette shotchart moins convaincante, il est lors de la fin de son passage chez les Clippers, dans la période où il portera le plus le ballon durant son passage dans la franchise, avec un USG% de 29,2. Certes, le départ de Chris Paul n’y est pas pour rien. Mais l’ailier fort avait depuis plusieurs saisons déjà, tendance à plus porter le ballon… que son meneur. Un problème d’autant plus évident que le meneur en question est l’un des plus efficaces et créatif de l’histoire balle en main. Et c’est bien pour cela que 2017-2018 est un symbole, car elle tend à prouver que l’évolution du joueur débutée 3 ans plus tôt n’améliore pas son rendement et le pousse à forcer un jeu qui n’est pas forcément le sien.
En quelques sortes, on peut avoir deux images de Blake Griffin. Un joueur en début de carrière qui réclame le ballon afin d’attaquer l’arceau. Un joueur qui dans sa deuxième partie réclame le ballon et agit en triple menace. On peut sans problème avancer que le second est un meilleur joueur que le premier : plus complet, plus dangereux en pratique. Pourtant, le premier est tout simplement plus efficace, parce qu’il fait trop bien ce pour quoi il est le meilleur.
Évidemment, si Blake Griffin n’avait pas été un intérieur aussi athlétique, le constat aurait été probablement bien différent. Pourtant, et en dépit d’une résurgence éphémère en 2018-2019, l’évolution qu’elle soit contrainte ou volontaire de la part du joueur, n’a pas réellement portée ses fruits.
Alors, qui fut prime-Blake Griffin ?
C’est là que le débat prend forme, finalement. Il dépendra forcément de notre vision du basket, de ce que l’on a préféré du joueur.
Quelques éléments de réponse, néanmoins : En théorie, le prime correspond à cette période, comme nous le disions, où se croisent l’acquis (expérience, technique, QI Basket, etc) et l’inné (mobilité, détente, vitesse latérale, explosivité, etc). Ce croisement se manifeste par une période où le joueur est plus efficace, plus dominant et plus impactant pour son équipe. Le soucis qui semble évident pour BG42, c’est que ce croisement… n’a pas eu lieu. Ainsi, il est un meilleur joueur de basket quand il est plus polyvalent, mais il est un joueur plus efficace avant d’amorcer sérieusement cette transition.
Difficile d’imputer cela à une véritable erreur. Tout d’abord, car il a toujours été un joueur physiquement affûté. Ses blessures, particulièrement aux genoux, sont comme pour d’autres avant lui : des impondérables contre lesquels il ne peut réellement lutter dans le manège NBA. Son déclin physique est juste arrivé trop tôt. Ensuite, s’il a certes tenté de faire évoluer son jeu, il a commencé au moment où la ligue connaissait sa révolution : lors de l’émergence des Golden State Warriors. Peut-être que son évolution aurait-elle été gérée différemment si la ligue avait eu plus de recul sur ce qui fonctionne ou pas. Car si donner le ballon à Blake apportait de la création supplémentaire (ce qui est un avantage), cela stoppe beaucoup trop le mouvement de ballon (ce qui est meurtrier dans la NBA actuelle, si vous n’avez pas un monstre d’isolation). De fait, si lui confier la balle était acceptable dans le cadre des Detroit Pistons, privés de d’arrières très doués balle an main, cela n’était pas nécessairement productif chez les Clippers, mieux construits.
Par ailleurs, on peut ajouter que “prime-Blake Griffin” n’a pas réellement existé puisqu’en définitive, son efficacité reste sensiblement la même de sa saison sophomore jusqu’à la saison passée. A titre personnel, je pourrais compléter en disant qu’il me semble que le meilleur du joueur se trouve sur la période 2012-2014 (il n’a alors 23/24 ans, loin du prime théorique), quand bien même il est moins “développé” qu’entre 2015 et 2019. Autrement dit, nous n’avons pas réellement eu la chance de connaître ce joueur.
Pour preuve, le Blake Griffin moins athlétique (donc forcément moins fort, en raison du socle de son jeu), propose une saison 2018-2019 de haute voltige à Detroit. Démontrant que même si son évolution a des aspects critiquables, elle aurait pu porter ses fruits s’il avait gardé toute son explosivité plus longtemps (et donc utilisé un jeu plus varié pour gagner en efficacité dans la raquette).
Le “cas Blake Griffin” : piste de développement ?
Pour finir sur Blake Griffin, il va sans dire que son cas semble particulier et dur à définir. Débarqué en NBA, préparé comme peu de joueurs avant lui, l’ailier fort a forcément connu une progression moins nette, car possédant un plancher déjà très élevé.
On aime dire que faire progresser un intérieur peut être plus long que pour les extérieurs. Avancer que les blessures ont privé Griffin du temps pour être la meilleure version de lui-même n’a rien de malhonnête. Toutefois, son évolution peut aussi interroger sur la nécessité de prôner la polyvalence pour certains joueurs. Peu d’intérieurs, aujourd’hui encore, sont des premiers créateurs légitimes balle en main (seul Nikola Jokic semble l’être, à vrai dire), poussant également à dire que Blake Griffin aurait également pu être meilleur en portant moins le ballon.
De fait, Blake pourrait bien être un cas d’étude pour les prochains phénomènes physiques de la ligue. Comment se développer, que convient-il d’éviter ? Travailler son tir en priorité ou son handle ? Doit-on devenir créateur si l’on est pas nettement meilleur que la moyenne dans le domaine ? Autant de questions sans nettes réponses qui nous ont, peut-être, privées d’une version ultime d’un des joyaux de la décennie passée.
Blake Griffin, c’était pour moi un joueur formidable mais comme tant d’autres tributaire de son physique. Il y en a eut et il y en aura des joueurs mutants montés sur ressorts. Je pense à Antonio MacDyess, Shawn Kemp, Larry Johnson qui ont explosé en plein vol. D’ailleurs, beaucoup de fans NBA prédisent une trajectoire similaire au petit Zion des Pélicans.