Et Devin Booker assassina les Clippers au buzzer. En ce 4 août 2020, la planète NBA, déjà sans-dessus-dessous, subit une nouvelle secousse. Pour la première fois depuis des lustres, les projecteurs sont braqués sur les Phoenix Suns pour d’autres motifs que la consternation ou la rigolade généralisée. La franchise signe alors une troisième victoire consécutive avec la manière, entretenant ainsi le rêve d’une qualification pour le play-in tournament et d’une première participation aux playoffs depuis 2010.
Cet objectif, utopique lors de l’interruption de la saison, va pourtant sembler de plus en plus accessible à la faveur de cinq nouvelles victoires, faisant de Phoenix la seule équipe invaincue de Disney World. L’histoire est magnifique mais s’arrête sur un tir raté de Caris Levert face aux Blazers, qui scelle le destin des Suns. Ceux-ci ont fait tout ce qui était en leur pouvoir, mais ce sont bien Portland et Memphis qui se battront pour défier le King au premier tour. Qu’à cela ne tienne. Même si le miracle n’a pas eu lieu, cette fin de saison en boulet de canon laisse entrevoir de belles choses pour les futures saisons, de quoi générer certaines attentes pour la suite. Et la dose de pression qui va avec.
Un travail de fond récompensé
Avec leurs 8 victoires consécutives, les Suns ont une belle tête d’équipe qui a sur-performé sur une courte période. On verra que le contexte a effectivement joué sur les résultats, mais pas seulement. On pourrait plutôt parler d’un alignement de planètes, comme si tout ce qu’avaient montré les Suns au cours de la saison s’était retrouvé sublimé pendant quelques temps.
En effet, malgré des résultats en dents de scie, ceux-ci avaient rarement été pris en défaut sur l’engagement et l’état d’esprit lors des 65 premiers matchs, une constante qui s’est bien évidemment retrouvée dans leurs performances estivales. Symbolisée par Mikal Bridges ou Jevon Carter entre autres, cette volonté de ne rien lâcher a permis de rester au contact lors de moments délicats (Thunder, Sixers), voire d’arracher des rencontres malgré une adresse en berne (Pacers). Par le passé, Phoenix avait souvent payé le fait de ne pas savoir garder la tête froide quand les choses n’allaient pas dans le bon sens, perdant très rapidement le fil des rencontres.
Ce changement salutaire dans les têtes trouve notamment son explication dans le recrutement axé sur l’expérience au cours de l’été 2019.
Ricky Rubio aide considérablement dans la régulation du tempo de la rencontre et la gestion des temps faibles, comblant un manque criant jusqu’alors dans l’organisation collective. Si l’amélioration du fond de jeu de l’équipe n’est pas à mettre à son seul crédit, la présence de l’espagnol est cruciale pour ses jeunes coéquipiers, à l’image de Mikal Bridges :
“C’est bien de l’avoir avec nous. Il me trouve très régulièrement, donc pour moi, mais aussi pour l’équipe, c’est tellement mieux de l’avoir balle en main. Même en défense. Partout, il nous aide.”
Après plusieurs échecs (Tyson Chandler, Trevor Ariza…), l’injection de “sang vieux” semble enfin porter ses fruits, comme on a pu le voir également avec le début de saison incroyable d’Aron Baynes, qui a tenu la baraque durant la suspension inaugurale de Deandre Ayton.
Les jeunes Suns ont ainsi bénéficié d’un cadre de travail (enfin) sain, avec des vétérans desquels s’inspirer et surtout, un coach ayant à cœur de construire une équipe avec une vraie identité. Cette notion de culture, centrale dans la venue de Monty Williams, est très importante pour juger du succès de la saison. Pour la première fois, on a effectivement eu l’impression que toute l’équipe avait un but commun, et surtout, disposait des recettes pour arriver à ses fins. On est d’accord, ça ne semble pas extraordinaire dit comme ça, mais il ne faut pas oublier d’où l’on part.
Il y a peu, la simple volonté de voir les cinq Suns présents sur le parquet agir ensemble, de manière cohérente, était un projet ambitieux. Après 12 mois de travail acharné pour relever ce défi, la bulle a servi d’examen final, comme une validation des efforts consentis depuis l’arrivée de Williams aux commandes. Et ce faisant, le potentiel de l’équipe a éclaté aux yeux de tous.
Comment mieux illustrer ce phénomène qu’avec la performance de Devin Booker ?
Parfois vu comme un soliste incapable de tirer son équipe vers le haut, Booker a mangé son pain noir durant de nombreuses saisons, marquées par une instabilité chronique de l’effectif et l’absence d’un vrai capitaine à bord du navire. Ce dernier point résolu, Booker a profité à fond des conseils de Williams et d’un roster de meilleure qualité à ses côtés pour laisser entrevoir la carrure d’un véritable leader. Il suffit de voir sa manière d’appréhender les différentes phases des rencontres cet été pour s’en convaincre.
Quand les Suns peinaient à trouver la voie collectivement, ses capacités de scoreur naturel permettaient de maintenir l’équipe à flot. Occultées par son adresse, ses qualités athlétiques sont l’un de ses atouts les moins reconnus, alors qu’elles lui ouvrent des boulevards dans la défense. Cette agressivité sur le drive ainsi que sa légitimité grandissante en tant que star lui octroient de plus en plus de coups de sifflet, et donc du lancer en veux-tu en voilà (utiliser cette expression en 2020 : check). Pile ce qu’il faut pour casser le rythme adverse et engranger des points précieux quand le reste ne fonctionne pas.
Cependant, lorsque ses coéquipiers parvenaient à se mettre en rythme et qu’il n’avait plus besoin de porter l’attaque à bout de bras, Book’ n’avait aucun mal à relâcher la gâchette pour se muer en playmaker, mettant à profit la crainte instillée dans la défense pour trouver ses coéquipiers dans des conditions idéales. Deux choses ont alors été mises en lumière; d’une part, sa vision du jeu plus que correcte, et surtout, sa justesse dans le maintien de l’équilibre entre son scoring et l’implication de ses coéquipiers. Si bien qu’il est tout à fait possible aujourd’hui de le voir prendre 25 tirs sans jamais donner l’impression de forcer. On l’a même surpris à ordonner des switchs défensifs ou provoquer des passages en force, bien que sa tendance à commettre des fautes évitables soit toujours présente.
Ce leadership, Booker ne l’a pas sorti de son chapeau.
Il y a fort à parier que ces qualités ont toujours été présentes dans son jeu, dans une certaine mesure, mais le climat détestable de la franchise ne s’était jusqu’alors jamais prêté à leur développement. Désormais dans de bonnes conditions pour donner la pleine mesure de son talent, il pourrait s’affirmer très prochainement parmi le gotha de la ligue. Il n’est d’ailleurs pas le seul à profiter de cette situation.
Sur les ailes, Mikal Bridges et Cam Johnson ont proposé de très bonnes choses dans la bulle, le premier s’affirmant de plus en plus comme un potentiel 3&D de premier plan. Dario Saric, extrêmement précieux en sortie de banc, a quant à lui joué de loin son meilleur basket à Orlando. Pour finir, en tant qu’équipe, Phoenix possédait le 2e offensive rating et le 4e defensive rating parmi les 22 participants. Que dire de plus ?
Recontextualisation nécessaire
Cependant, il est important de prendre du recul sur cette hype momentanée. L’effet “privation de basket pendant 4 mois” donne lieu, et c’est bien normal, à pléthores de jugements hâtifs et de sur-interprétations en tout genre. Oui, les Suns sont les seuls à avoir remporté tous leurs matchs et c’est une performance à saluer. Sauf que si l’on se penche sur les adversaires rencontrés, on a vite fait de remettre ce parcours en perspective :
- Match 1 : Washington avec Rui Hachimura comme seul réel danger
- Match 5 : Miami sans Jimmy Butler, Goran Dragic et Kendrick Nunn
- Match 6 : OKC sans Steven Adams, Dennis Schroder, Danilo Gallinari et SGA.
- Match 7 : Philadelphie sans Ben Simmons, Joel Embiid, Tobias Harris, Josh Richardson et Al Horford
- Match 8 : Dallas sans Kristaps Porzingis, et un Doncic limité à 13 minutes car les Mavs n’avaient rien à jouer sur ce match
Plutôt sympathique comme concours de circonstances, non ? Phoenix a eu le mérite de l’emporter à chaque fois, mais on est loin d’un rouleau compresseur. Malgré des efforts certains en défense, il faut quand même reconnaître que les absences ci-dessus ont une bonne part de responsabilité dans le 4e defensive rating évoqué plus haut, ou dans la capacité de Phoenix à user ses adversaires pour les faire exploser en deuxième mi-temps, comme ce fut le cas face au Thunder ou aux Sixers.
De manière générale, l’échantillon de rencontres est de toute façon trop faible pour dégager de réelles tendances. Prenons deux secteurs clés de l’attaque dans lesquels les Suns étaient médiocres cette année, l’adresse effective (15e) et le pourcentage de pertes de balle (16e). Sur les 8 matchs, ils ont caracolé aux 1e et 3e places dans ces secteurs. Quelle part de réussite là-dedans ? Quelle part liée à la qualité du basket offensif proposé par les Suns ?
Il en va de même pour le banc, subitement performant grâce aux prestations étincelantes de Dario Saric et un duo Cameron Payne – Jevon Carter qui se tire vers le haut mutuellement, le premier cherchant à gagner sa place pendant que le second lutte pour garder la sienne. Une telle rotation peut-elle tenir sur la durée ? Impossible à dire. C’est pourquoi nous préférons nous focaliser sur l’attitude, l’investissement et l’état d’esprit évoqués plus haut, qui nous semblent dans le prolongement des efforts consentis par l’équipe tout au long de l’année et donc, des indications plus fiables de la progression de l’équipe.
Et puisque l’on parle investissement et attitude, il va nous falloir faire un aparté pour évoquer le cas Deandre Ayton.
Loin de nous l’idée de tomber dans la gratuité mais il ne nous semble pas excessif de dire que le pivot bahaméen est parfois désespérant. Son manque d’agressivité, déjà mis en lumière dans cet article au mois de février, tarde à disparaître et devient préoccupant tant il se met en travers de la progression du joueur. Rebonds mal assurés, réceptions cafouillées sur des retours de passe après un pick, dribbles inutiles au lieu de monter directement au cercle après un rebond offensif, autant d’éléments illustrant le manque d’assurance criant qui se dégage du jeu du sophomore.
Et ce ne sont pas ses performances de l’été qui vont rassurer sur ce point, avec des stats au minimum syndical pour un joueur de son calibre (15 pts, 9.5 rbds) et une absence coupable dans les matchs qu’il était censé dominer, en témoignent ses 18 petits points inscrits contre les raquettes dépeuplées d’OKC et de Philadelphie. Quant au carnage qu’a été son match dans le match avec Bam Adebayo, nous tâcherons de ne pas trop nous épancher sur le sujet afin de rester dans les limites du contrôle parental.
Le plus haut fait d’armes d’Ayton cet été, finalement, fut de ne pas se rendre disponible pour un test du coronavirus et de manquer ainsi le premier quart-temps face au Thunder, alors que son équipe jouait pour sa survie. Monty Williams a eu beau minimiser l’incident, de tels manquements posent évidemment des questions dérangeantes quant à la réelle volonté du joueur d’avoir la carrière qui lui est promise. On rappelle qu’il avait déjà été suspendu 25 matchs en ouverture de la saison pour un contrôle positif à un diurétique, ça commence donc à faire beaucoup. Nous ne sommes pas, là non plus, sur un phénomène épisodique né à Disney World, mais dans le prolongement d’un problème déjà existant et donc dérangeant pour l’avenir.
Tomorrow can’t wait
Au final, cette parenthèse dorée n’aura de valeur que si elle donne naissance à des tendances durables. Partant de là, comment faire en sorte que ce 8-0 ne se transforme pas en un pétard mouillé ? Nombreuses sont les équipes qui ont surpris leur monde avant de se fracasser sur le mur de la confirmation. Dans les exemples récents, on peut citer les Kings, les Wolves ou… les Suns après 2013-2014.
On le sait, la conférence Ouest est une jungle et même si vous êtes armé sur le papier, la concurrence est si rude que le moindre accroc – blessure, retard à l’allumage – peut vous mettre dans la panade très rapidement. Il y aura encore largement plus de prétendants crédibles que de places à pourvoir dans le wagon des playoffs la saison prochaine, une donnée qui oblige à être dans le coup dès le départ.
De plus, les Suns vont évoluer dans un cadre inhabituel. On ne s’attendra plus à les voir servir de paillasson à la quasi-totalité de la ligue, une excellente nouvelle qui vient avec son lot d’interrogations. Cette saison, une sorte d’union sacrée pour sortir du ridicule semblait régner dans le vestiaire, mais on ne sait pas ce qu’il se passait en coulisse, ni comment la situation va évoluer, maintenant que l’équipe sait qu’elle peut prétendre à mieux. Le souvenir de l’imbroglio autour de la prolongation d’Eric Bledsoe en 2014 et ses conséquences est encore vivace, surtout que le contexte était similaire : une saison surprenante, une alchimie idéale en apparence, et pourtant…
Prenons le cinq majeur, par exemple.
Le lineup Rubio-Booker-Bridges-Johnson-Ayton a fait forte impression durant l’été, mais il manque un nom là-dedans : Kelly Oubre Jr. Faut-il redonner sa place de titulaire à Tsunami Papi quand il sera de nouveau opérationnel, ou le décaler sur un banc qui a grandement besoin de scoring ? Quelles seraient les conséquences de ce changement de rôle pour le joueur et l’équipe ? Au bout de combien de temps la situation autour d’Ayton va-t-elle passer de “préoccupante” à “ingérable” s’il continue à afficher une telle nonchalance ? Par ailleurs, quelle quantité d’argent est-il acceptable d’investir dans la free agency ? Sur quels joueurs ? Qui, en dehors de Booker, est intransférable ? Jetez tout cela dans un saladier, ajoutez-y (enfin !) la pression du résultat et saupoudrez d’un propriétaire connu pour mettre son nez partout où il ne devrait pas et vous obtenez un grand nombre d’occasions de faire grandir la franchise, ou de faire n’importe quoi.
Ces dernières lignes seront peut-être perçues comme alarmistes, ce qui n’est pourtant pas notre intention. Après des années à écumer le dictionnaire des synonymes pour dire de dix façons différentes que les Suns étaient des tanches absolues, vous n’avez pas idée du plaisir que l’on a à se projeter sur ces problématiques, synonymes de la nouvelle dimension prise par la franchise. Cependant, en fans avertis, nous devons simplement rester prudents, et ne pas oublier d’où l’on vient. L’avenir s’est éclairci, il s’agirait maintenant de garder la fenêtre ouverte quelques années.