Nous sommes le 12 octobre : Adam Silver sacre les Los Angeles Lakers nouveaux champions de la NBA. Dix ans de disette. Sept ans où l’on nous a même interdit l’entrée du restaurant. Sept ans d’années insoutenables, de prières lancées aux divinités de la loterie, d’espoirs déçus, d’humiliations subies. Alors oui, la Lakers Nation avait faim et pour ce millésime 2020, elle a pris le temps de déguster. « A four courses special floridian menu », cuisiné à point tout au long de la bulle et qui a fini sous les litres de champagne. Nous avons dîné, nous avons célébré et nous commençons à peine à digérer sans être vraiment rassasiés.
La NBA, elle, ne perd pas de temps et face aux retombées économiques de la Covid 19, reste déterminée à limiter la casse. La nouvelle est tombée il y a quelques jours, la ligue reprendra le 22 décembre avec quelques ajustements pour respecter les JO 2021 : saison raccourcie à 72 matchs, pas de Summer League, Training Camp et pré-saison expéditifs. Autant dire que les franchises et leurs staffs vont cravacher dur pour boucler leurs devoirs sur la draft avant d’enchaîner sur une Free Agency aux contraintes inédites[1].
Et les Lakers dans tout ça ? L’équipe doit composer avec deux problématiques : le manque de repos et les fins de contrats. Une faiblesse qui pourrait paradoxalement se muer en avantage puisqu’en misant sur une éventuelle continuité, les Lakers capitaliseraient sur un groupe qui sait gagner, qui désire gagner et qui aime le faire ensemble ; tandis que d’autres devraient créer les conditions d’amélioration sans bénéficier du cadre habituel pour ce faire. Sans parler de l’avantage comparatif qu’une équipe championne dans un gros marché possède sur une Free Agency asséchée, autant dire que les Lakers abordent la draft 2020 sans aucune pression.
L’avantage de n’avoir aucune attente particulière concernant le processus de draft est que le Front Office peut avoir recours à toutes les stratégies usuelles : meilleur joueur disponible (BPA dans la langue de Shakespeare), meilleur profil (Best Fit), jeune à fort potentiel (High Risk High Reward), joueur prêt à jouer (Plug and Play) ou…aucune de celles-ci en décidant au dernier moment d’échanger le pick contre un joueur déjà confirmé (*regarde avidement vers le Thunder*). Désolé donc de resserrer drastiquement ce bel éventail d’opportunités en faisant le focus sur celui que Rob Pelinka devrait, selon votre serviteur, choisir le 18 novembre prochain : Grant Riller, arrière senior du College of Charleston.
Partons du fait que les Lakers n’ont pour le moment pas de besoin particulier en termes de poste. En attendant les décisions d’Howard et McGee, le secteur intérieur n’est pas un gros souci (d’autant que les sources de remplacement peu coûteuses existent). Avec LeBron, Kuzma, Green, Horton-Tucker (en attendant la décision de Morris), les ailes sont protégées. Enfin, Caruso, Bradley constituent un bon socle en attendant le choix de Rondo et KCP. Deux critères peuvent néanmoins être retenus. En tant que prétendants à leur propre succession, les Lakers semblent privilégier, à raison, un joueur confirmé capable de contribuer dès son arrivée dans la grande ligue. Si l’on se fie également aux mouvements de la saison dernière, Pelinka et son staff ont couru derrière un profil de dynamiteur de banc sans l’avoir réellement trouvé. Kuzma a définitivement démontré qu’il n’était pas une option offensive crédible et s’est très vite réfugié dans un rôle de role player entre le couteau suisse et le facteur X. Le scoring en sortie de banc semblait être promis à Dion Waiters, mais les promesses de ses premières prestations dans les seeding games n’ont jamais trouvé traduction dans les PO. Si ce dernier devait lui aussi faire ses bagages, la solution à ce maigre cahier de charges est toute trouvée et elle s’appelle Grant Riller.
Un attaquant hors pair
L’attaque est sans hésitation aucune la raison qui distingue Grant Riller de ses petits camarades de la promotion 2020. Il n’est même pas exagéré de dire qu’il est probablement le joueur offensivement le plus complet et le plus grand scoreur à cette date. Les statistiques brutes sont évidemment flatteuses :
21,9 points, 5,1 rebonds, 3,9 passes décisives.
Les pourcentages aussi : 50% de FG, dont 36% à 3pts (4 tentatives par match). Rajoutez quasiment 7 lancers francs provoqués par match, et cela donne un True Shooting% de 60,9 (à titre de comparaison, le TS% d’Anthony Davis est de 61, celui de LeBron James de 57,7 et celui de Kuzma 53,1). Son offensive rating de 115,6 confirme cette efficacité et doit être ramené à la mesure moyenne du College of Charleston de 105 (103ème meilleure attaque du pays). On devinera sans trop de difficulté quel était son rôle : celui de dynamo de l’attaque d’une mid-major au personnel limité. Sans trop de surprise le Player Impact Plus Minus lui donne un gratifiant +3,63 de ce côté du terrain (ce qui le placerait à la 9ème position de la NBA ex aequo avec Karl-Anthony Towns), appuyant son important impact offensif.
Résumons le profil que les chiffres suggèrent : Grant Riller est à la fois productif, efficace et impactant. Comment ceci s’explique alors qu’il est entouré de talents quelconques ? C’est simple, balle en mains, Riller sait à peu près tout faire.
- Le drive
La force première de Riller est sa capacité à aller finir au cercle. L’arrière peut s’appuyer sur trois armes essentielles. La première est son premier pas explosif qui lui permet de mettre hors de position son défenseur. La deuxième est son handle qui achève de déstabiliser la défense : variation de rythme, patience, crossover, in and out dribble, euro step, spin move, Riller dispose d’une boîte à outil complète pour s’ouvrir l’accès vers le panier. La troisième de ses forces est sa finition en elle-même : lay-up, reverse, main forte (droite) ou main faible. On le voit même ne pas rechigner à aller chercher le contact et dispose de capacités athlétiques sous-estimées (à la Caruso). Voilà pourquoi il est dans le 88ème percentile à la finition au cercle (hors post-up) avec 63,4% de FG. Ceci le place au-dessus de ses petits camarades de promotion, notamment ceux destinés aux lottery picks (Maxey, Terry, Anthony et Haliburton).
- Le Pull Up Jumper
Le QI Basket de Riller est impressionnant. L’arrière de Charleston est un habitué des gymnases depuis tout petit et l’on devine dans ses entretiens la présence d’un véritable video junkie afin d’améliorer son jeu. Il a ainsi développé une capacité à lire les défenses pour prendre la meilleure décision (pour lui ou un partenaire). Sur pick and roll, il observe systématiquement la réaction de l’intérieur pour prendre ce que ce dernier lui offre. Si le drive n’est pas disponible en cas de drop coverage, il n’a aucune difficulté à prendre le pull up à mi-distance. Si le défenseur reste très proche, il peut se figer en une fraction de seconde pour prendre un des tirs les plus compliqués de ce sport tout en ayant suffisamment de hang time pour neutraliser la défense. Idem en situation d’isolation, le step-back est une de ses armes pour créer très rapidement de l’espace et faire parler la poudre.
- Le 3 points
Les pourcentages ne sont pas exceptionnels pour de la NCAA, mais ne doivent pas occulter qu’ils sont aussi dépendants de sa sélection de tirs. Du fait de ses partenaires, Riller doit souvent se créer son tir tout seul, en fin de possession, quand rien d’autre n’a fonctionné. Et là encore, grâce à ses feintes, ses appuis et à la rapidité de sa mécanique, il est tout à fait capable de punir une défense resserrée en ayant montré à plusieurs reprises qu’il possédait la distance NBA. Preuve en est que son tir est une arme certaine, il est extrêmement prometteur sur le tir sans ballon. Ses statistiques en catch and shoot remontent à 40% et même à 50% quand il est complètement ouvert. Ses performances à la draft combine en attestent également. Riller finit à 74% sur le spot up à trois points (3ème marque ex aequo), 75% au spot up en mouvement (2ème marque ex aequo) et à 76% (deuxième marque ex aequo) sur l’exercice d’endurance (enchaîner pendant 5 minutes les trois points en spot up en rythme de match).
A ce stade de son jeu, Riller est typé comme un joueur essentiellement on ball, mais quel joueur on ball ! 97ème percentile sur le Pick and Roll, 84ème percentile en isolation, 96ème en spot up, 85ème en Hand Off, autant de marques qui le placent dans l’excellence pour reprendre la nomenclature de Synergy[2]. On l’attend notamment sur du jeu sur coupe (seulement dans le 27ème percentile), sur la transition (44ème percentile) et le jeu en sortie d’écran (21ème percentile). Autant le dernier point ne posera pas un grand problème au regard du style de jeu plutôt statique des Lakers, il devrait en revanche être plus en mesure de s’exprimer sur les deux autres types d’action où les Lakers aiment appuyer, à l’image d’un Caruso (74ème percentile en transition et 55ème sur cut).
L’autre interrogation réside dans son playmaking. Riller sait indéniablement créer pour lui-même, mais rien n’est moins sûr en ce qui concerne les autres. Son QI Basket lui permet de décrypter la défense adverse mais il n’est pas certain que sa vision soit au niveau du reste. Son assist% de 30 le place dans la catégorie des primary/secondary creators de la NCAA, mais n’occulte que partiellement les déchets à la création (3,1 turnovers par match). On peut encore interroger le facteur collectif et dans quelle mesure ses coéquipiers ont pénalisé sa création. L’intelligence de placement, les qualités de toucher de balle, les facultés de finition, l’adresse au tir globale de l’effectif de Charleston n’ont pas nécessairement joué en sa faveur. Avec des coéquipiers de niveau NBA et plus d’espace, le bénéfice du doute doit profiter à Riller qui devrait pouvoir s’exprimer sur les lectures les plus simples sur PnR (swing pass pour le shooteur, drive and dish ou drive and kick) desquelles est d’ailleurs coutumier (mention spéciale à sa behind the back pass pour le popper).
Un défenseur prometteur
A consacrer autant d’énergie et d’attention à l’attaque, il est évident que Grant Riller sacrifie son effort de l’autre côté du terrain. Les statistiques vont dans ce sens, sans toutefois dessiner le profil d’un one-way player. Son defensive rating de 100,9 est légèrement meilleur que la moyenne de son équipe (101,7 soit la 240ème marque de la NCAA). Le Defensive Player Impact Plus Minus le pénalise un peu plus avec une marque négative de -0,13 (46ème percentile de son équipe), ce qui s’explique en partie par ses stats au rebond défensif et au contre (respectivement 15,7% et 1,1%) sachant que la capacité à finir une possession adverse est survalorisée par le DPIPM. Néanmoins, nous n’allons pas nous mentir, Riller ne s’est pas forgé une réputation de stopper en défense et son recrutement ne devrait pas se faire sous ce prisme. Et pourtant, Grant Riller est loin d’être un trou noir en la matière.
Grâce à sa vitesse latérale et sa taille, Riller a les atouts pour défendre (efficacement cela va sans dire) sur la plupart des arrières adverses. Sachant que le poste 2 perd en taille dans la NBA actuelle, il devrait pouvoir tenir son rang face à ce profil également. Au-delà, il reste trop frêle ou trop petit pour être efficace dans une défense switch-everything. De ce que l’on a vu lors des précédents play-offs avec un recours croissant au hard-edge, au drop coverage, à la zone, Riller pourrait ne pas être autant exposé qu’il pourrait l’être dans une opposition de match-ups. Sachant que les Lakers ont défensivement survécu avec un Rondo très présent sur le terrain, il n’y a pas de raison pour que ce se passe plus mal avec Riller. Il n’empêche que lorsqu’il se concentre, il est tout à fait capable de nier le drive à son adversaire, voire à provoquer un nombre impressionnant de charges comme peut le faire Caruso.
A l’instar de l’attaque, son étude du jeu fait de lui un joueur lucide non seulement sur son propre niveau d’effort et de discipline[3], mais aussi sur le bon positionnement à adopter pour ne pas pénaliser son équipe. Un tel niveau de réflexivité est peut-être l’apanage d’un joueurs plu âgé qui ne partait pas gagnant pour taper à la porte de la NBA, mais il est aussi le signe d’un joueur intelligent suffisamment humble et conscient de ses faiblesses pour les rectifier à l’avenir.
Quel destin pour Grant Riller ?
En tant que senior, Grant Riller fait partie de ces joueurs dont on dit « what you see is what you get »[4]. Et ce que l’on voit est déjà très enthousiasmant. Un joueur élite en attaque capable de contribuer dès son arrivée, quel que soit son rôle dans n’importe quel roster. En ce sens, il n’est pas sans rappeler ce qu’un Jordan Clarkson est capable d’amener sur le plan du scoring, qu’on lui demande de mener ou pas le jeu, d’évoluer en sortie de banc ou pas, de devoir passer derrière deux top prospects ou pas. Avoir des certitudes sur la production d’un joueur a de la valeur. Avoir ces certitudes dans une équipe qui n’a pas le développement pour premier objectif dans le contexte d’une intersaison raccourcie en procure d’autant plus.
Comme nous l’avons établi, les Lakers peuvent maximiser le recrutement d’un scoreur soliste. Néanmoins il y a un monde au-delà, un monde où Grant Riller peut se muer en troisième option offensive, à la fois on et off ball. Et dans cette optique, rien ne le condamne ad vitam sur le banc, que ce soit en intégrant le starting 5 mais aussi à finir les matchs importants comme un certain… Alex Caruso. C’est tout le mal que lui souhaitent Jacob Goldstein [5] et ses projected stats [6] :
Malgré notre préférence appuyée pour Grant Riller, les voies de Pelinka restent impénétrables. Jusqu’à présent, il a toujours su ou presque décevoir nos attentes spécifiques sur la draft. Comme nous le rappelions en introduction, peu importe ce qui sera fait avec ce pick, il est peu probable que son incidence soit décisive pour la saison prochaine. Néanmoins ce sentiment que ce choix est le choix à faire reste fort. Le parfum d’un nouveau steal aux senteurs de Staple’s favorite est très fort. Qui plus est, la dernière fois que les Lakers ont sélectionné un scoreur prolifique du College of Charleston, les vrais savent ce que cela a donné.
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[1] Au moment où nous écrivons ces lignes, l’hypothèse d’une Free Agency débutant avant la draft n’est pas encore actée.
[2] L’ensemble de ces statistiques est à retrouver sur l’excellent article de The Stepien auquel nous vous renvoyons. https://www.thestepien.com/2020/03/30/case-grant-riller/
[3] Sa session d’analyse vidéo avec Mike Schmitz d’ESPN est très intéressante sur ce point. https://www.youtube.com/watch?v=y24-61MnWA8&ab_channel=NBAonESPN
[4] Ce que vous voyez est ce que vous obtenez.
[5] https://winsadded.com/
[6] Le rôle offensif se lit comme suit : 1 = créateur et scoreur de premier ordre. 5 = offensivement inutile.