C’est long de construire. Pour les joueurs, c’est souvent l’histoire d’une vie. Pour les franchises, l’affaire de cycles de plusieurs années. Quand Jamal Murray a chuté hier soir, il nous a rappelé qu’une carrière se joue souvent à rien. Il a aussi mis en exergue autre chose : la construction des franchises est un château de cartes.
Pour les coachs, les joueurs, les dirigeants, la nouvelle est catastrophique. Depuis son arrivée, Jamal Murray est apparu comme un personnage à part. Dès sa saison rookie, il se fait une réputation en jouant les 82 rencontres de la saison, malgré 2 pubalgies. Ne disant pas un mot, il supporte les blessures et partagera l’existence de son problème uniquement la saison terminée. Pour les dirigeants, une chose est claire, c’est un caractère hors du commun sur lequel ils viennent de tomber.
L’été dernier, lorsque les Nuggets retournèrent deux séries alors qu’ils étaient menés 3-1, ce n’est pas juste les performances individuelles du meneur qui devaient être soulignées. C’est aussi la mentalité de Jamal qui émanait de tout le groupe. Quand beaucoup d’équipes baissent les bras lorsque une série leur échappe, les Nuggets réussirent par deux fois à élever leur niveau de jeu, dos au mur. Ne jamais lâcher, un mantra que Murray incarne par son énergie communicative.
Aussi, hier soir, tout le monde était sonné à Denver.
Tout le monde sait que Jamal est une énorme, énorme pièce de notre équipe aux côtes de Nikola… Le voir tomber comme ça, jamais, jamais je n’aurai pu penser que cela arriverait. Il soulève tellement de poids, son corps est solide. – Monte Morris
Pour tous ceux qui ont côtoyé cette équipe, l’avis est unanime. Le Blue Arrow est un des joueurs les plus durs et physiques qu’ils ont croisés de leur carrière. Élevé par un père le poussant à tester ses limites en permanence, des entraînements sans fin, dans la neige, où l’erreur était systématiquement sanctionnée par des exercices physiques, le meneur des Nuggets a appris à faire avec la douleur. Des pompes en plein blizzard, des exercices de handle sur la glace, ses coachs avaient pour habitude de le foutre dehors des terrains pour pouvoir fermer la salle. Véritable rat des gymnases, il a fini par embrasser ce rapport à la souffrance physique, devenu une sorte de jauge dans son processus d’entraînement.
Tout au long de sa carrière, il a donc joué à travers multiples blessures et douleurs, sans jamais se dérober, sans jamais cesser de shooter, se perfectionner et s’étoffer physiquement. Et pour cause, comme Monte Morris, nous avons tous été surpris et choqués de voir son genou l’abandonner dans cette fin de rencontre face aux Warriors. Peut-être aussi parce qu’il n’a pas le physique le plus commun pour un meneur. Murray ressemble à un bloc, héritage d’une vie à arpenter les terrains et les salles de musculation. A la manière d’un Marcus Smart, il paraît solide, avec ses presque 100kgs pour 1m90. Et malgré cette préparation de tous les instants, sont corps l’a trahi dans cette ultime tentative pour donner une chance aux siens de recoller face aux Warriors, après avoir été menés de 18 points.
“J’ai pris 5 jours de repos et ça s’est vu” – Jamal Murray
A la reprise post-ASG, Murray semblait détraqué. Enchaînant deux performances indignes de son talent et de son statut dans l’équipe. Durant le All-Star Break, ce dernier avait décidé de faire quelque chose d’inhabituel. Faire une pause avec le basketball. Mentalement et physiquement éprouvé par l’enchaînement de Playoffs très intenses dans la bulle, et une nouvelle saison NBA après un très bref repos, le guard avait besoin de souffler. Sortir et changer sa routine. Perclus de douleurs aux épaules et au coude droit durant l’essentiel de la première partie de la saison, il n’avait pas autant appuyé offensivement que pendant la bulle NBA. Pour autant, il faisait sa meilleure saison régulière en carrière, notamment en affichant des progrès flagrants en défense.
Toujours dans sa quête d’amélioration, il ajoutait une nouvelle dimension à son jeu en faisant régulièrement déjouer ses vis-à-vis. Malheureusement, gêné par son genou droit, le joueur avait dû rater les 4 derniers matchs. A peine revenu, c’est son autre genou qui a fini par céder.
Une perte cataclysmique pour son équipe.
Jamal Murray, lourde perte
Si Nikola Jokic est la plaque tournants des Nuggets, aucun joueur n’est capable de remplacer l’apport global de Murray. L’an passé, ses Playoffs ont démontré à quel point il élevait le plafond de son équipe. Par sa faculté à marquer, mais aussi en étant le second porteur de balle de l’équipe. Quand son USG augmente, il arrive à maintenir une haute efficacité. Et le jeu à deux avec le serbe est devenu la colonne vertébrale de l’équipe, particulièrement quand les défenses se resserrent en Playoffs. Avec un net rating de +9,1 pour 100 possessions, Murray affichait le plus haut total des Nuggets. Un total qui était nettement supérieur quand il était aligné avec le pivot. Pour ce dernier, l’absence du meneur est catastrophique. Quand il n’est pas sur le terrain, son net rating est de -2,1. En revanche, avec le Blue Arrow, il affiche un impressionnant +11,9. Autrement dit, la complémentarité entre les deux joueurs était la clé de voute de l’équipe. Et tout est à refaire.
Dans l’équipe, si quelques joueurs sont susceptibles de compenser sa perte en terme de création, aucun des Monte Morris, Facundo Campazzo et PJ Dozier ne peuvent prendre son relais au scoring. Or, il faut rappeler cette réalité : en 2019, durant les Playoffs, Murray en difficulté, peinait à trouver sa régularité. Et quand Murray n’allait pas, trop souvent, Nikola Jokic était trop isolé pour arracher seul la décision.
Désormais, il va falloir trouver des moyens de palier à une longue absence à venir. Les arrières auront leur rôle à jouer, mais ce sont surtout Michael Porter Jr et Aaron Gordon qui devront prendre davantage de place en attaque. Si le premier n’attend que ça, il faudra voir si le second peut conserver cette nouvelle efficacité en prenant plus de responsabilités offensives.
Et maintenant ?
Les dirigeants de la franchise doivent êtres sonnés à cette heure. Avec cette blessure, les ambitions de l’équipe pour les prochains Playoffs prennent évidemment un coup. Mais il faut le préciser, l’absence de Murray qui pourrait durer entre 9 et 12 mois, n’est que la première étape pour sa réhabilitation. Si une rupture des ligaments croisés est si lourde pour un joueur, c’est qu’en plus de la rééducation, il faut compter ensuite une année supplémentaire pour qu’un joueur puisse envisager de revenir au niveau d’avant-blessure. Or vu le timing de celle-ci : cela signifie dans le meilleur des cas un retour en pleine forme de Murray pour l’exercice 2022-2023.
Comme toujours, la nouvelle d’une blessure laisse un goût amer. Particulièrement pour les fans de la franchise. Dans le cas de Jamal, c’est d’autant plus douloureux que le joueur a laissé entrevoir pendant les Playoffs de la bulle, la faculté à être l’un des shooters les plus prolifiques et spectaculaires de la ligue. Avec ses 26,5pts, 6,6asts et ses 46,3% derrière l’arc, il s’était imposé comme l’un des joueurs majeurs de la jeune génération. Véritable performeur dans le clutch et en post-saison, c’est un coup d’arrêt indéniable dans son ascension. Un putain de coup d’arrêt qui rappelle de bien tristes souvenirs, peu importe la franchise que l’on supporte.
Quant aux fans de Denver, ce 13 avril ne fut pas sans rappeler 2012-2013. A cette époque, George Karl était head coach et avait construit une équipe dense et spectaculaire dans les débris du départ de Carmelo Anthony. La franchise venait de battre son record de victoires consécutives et s’était fait une place dans le top 3 de la conférence Ouest avec une top 5 attaque et une défense flirtant avec le top 10. Le vent d’enthousiasme, porté par le show permanent proposé par l’équipe allait cependant s’essouffler deux semaines avant les Playoffs, lorsque Danilo Gallinari – 24 ans et deuxième scoreur de l’équipe, comme Jamal Murray – allait se blesser au genou gauche. Le lendemain, le verdict tombait : rupture des ligaments croisés. De quoi se faire de nouvelles sueurs, quand bien même la structure que laisse Jamal semble plus solide que celle bâtie à la hâte à fin de l’ère Melo.