Chaque année les Playoffs NBA nous réservent leurs lots d’émotions. Entre performances XXL, upsets mémorables, et records battus, il existe une catégorie de personnes qui doivent se frayer une place sous les projecteurs. C’est le cas de Ja Morant, Trae Young et Devin Booker, qui font cette année, leur début sur un parquet après la fin de la saison régulière. C’est le baptême du feu, une expérience qui marque à tout jamais un tournant dans leur jeune carrière de joueur NBA. Être un bon joueur de saison régulière n’implique pas nécessairement d’être aussi bon en Playoffs. La pression n’est pas la même, le niveau des défenses augmente, en bref, il faut savoir assumer et élever le niveau pour se faire une place dans la cour des grands. Par le passé, certains l’ont compris et en ont profité pour marquer les esprits et écrire les premières lignes de leur légende.
On pense de suite à la première série de Michael Jordan en 1985, qui malgré une élimination face aux Bucks (1-3 score final), a su montrer l’étendue de son talent à la planète basket. Avec une affolante ligne de statistiques : pas moins de 29,3 points, 5,8 rebonds, 8,5 passes et 3 interceptions en moyenne, le tout à 43,6 % de réussite au tir. Première fois réussie pour le rookie qui donne le ton pour ce qui arrivera pour la suite de sa carrière.
Comment ne pas mentionner les Playoffs 2006 de LeBron ? Après trois ans d’attente pour jouer ces Playoffs, il s’illustre avec ses 35,7 points, 7,5 rebonds, et 5,7 passes par match à 51%. James a fait de sa première série de Playoffs une formalité pour éliminer les Wizards en six matchs.
Un autre exemple de première fois maîtrisée un peu plus récent : la première série de Luka Doncic face aux Clippers, qui malgré l’élimination 2-4 se démarque avec 31 points, 9,8 rebonds et 7,8 passes avec 50% de réussite.
Vous l’aurez compris, la première fois en Playoffs est un moment inoubliable et ô combien important dans la carrière d’un joueur. La pression est immense et il faut être au rendez-vous. Cet article n’a pas pour but de simplement comparer les résultats et les chiffres de ces trois joueurs. Les contextes sont différents, et les attentes aussi sont différentes pour chacun. Il s’agit de s’intéresser aux défis et aux objectifs qui étaient accordés à ces trois nouveaux. Nous allons donc faire le bilan des 5 premiers matchs de Playoffs de Ja, Trae, et Devin. Qui sait ? Dans quinze ans, peut-être que l’un des trois nous fera prendre du recul et nous fera dire à quel point ses premiers Playoffs étaient annonciateurs d’une carrière exceptionnelle.
Des records à la pelle et un style de jeu puissant
Bienvenue chez les ours
Ja Morant a connu sa première fois en Playoffs très jeune. Né en août 1999 et probablement plus jeune que la plupart des lecteurs qui lisent cet article, il a su montrer que la pression était le cadet de ses soucis. À seulement 21 ans, le meneur des Grizzlies nous impressionne chaque soir en cumulant des prestations XXL face au meilleur bilan de la ligue. Morant s’offre même le luxe de battre des records All-time. Le plus haut total de points dans l’histoire de la franchise ? Du passé. Rejoindre les plus grandes légendes de ce sport dans les records de précocité ? Fait. Avec sa performance au match 2 face au Jazz, Morant est devenu le deuxième plus jeune joueur à inscrire 45 points ou +, juste derrière un certain LeBron James. Il est même parvenu à se hisser aux côtés de Mikan, Abdul Jabbar, et Chamberlain, dans le club très privé des joueurs ayant inscrits plus de 100 points lors de leurs trois premiers matchs de Postseason.
Drive to survive
Même si les Grizzlies ne sont pas parvenus à faire chuter Donovan Mitchell et sa bande, ils ne leur auront pas rendu la tâche facile. Ce qui est intéressant, c’est de regarder de plus près comment s’est caractérisé le leadership offensif de Morant sur cette série. Vous pouvez d’ailleurs trouver un article qui rentre plus en détail sur le jeu proposé par Ja, paru en début de semaine. Même s’il était particulièrement bien ciblé par une défense resserrée sur lui, étant donné son rôle de clé de voûte de l’attaque, il est parvenu à cumuler en moyenne 30,2 points et 8,2 passes décisives par match. Offensivement le drive est l’arme principale de Morant. En moyenne, Ja attaque la raquette plus d’une fois sur deux. Sur ses onze drives (qui conduisent à un tir) par match en moyenne, il tourne à plus de 50% de réussite, une arme offensive qui fait sa force. Cependant il ne s’est pas contenté de shooter tout au long de la série, il a également une très bonne vision du jeu qu’il allie parfaitement avec sa qualité de passe. Il a eu la faculté de parfaitement distribuer le ballon entre ses partenaires. Habituellement chez les passeurs il y a une tendance qui permet de dégager une relation préférentielle prolifique.
Or, sur la série, Ja a distribué le même nombre de passes décisives à Kyle Anderson et Jonas Valanciunas (7). Et pas beaucoup plus à Jaren Jackson Jr (9) ou Dillon Brooks (10). Un rôle de distributeur qui marche bien donc, puisque le meneur sait marquer, mais il sait aussi faire marquer, ce qui est on ne peut plus important. Finalement, la défaite dans cette série reste anecdotique, tant personne ne voyait les Grizzlies accrocher autant le Jazz, le score n’est pas flatteur voire même assez sévère. Memphis n’avait tout simplement pas les armes pour éliminer Utah. Cependant, ils n’ont pas à rougir de leur prestation, et Ja a eu le temps de montrer qu’il faudra s’attendre à le revoir sur le devant de la scène pour les saisons qui arrivent. Il a d’ailleurs annoncé la couleur après la défaite de cette nuit « tout le monde a faim de plus… ».
Ice Trae
Qui a dit que la première fois était un moment difficile à passer ? Certainement pas Trae Young en tout cas.
Tout le monde se souvient de son game winner dans un Madison Square Garden en ébullition, au match 1 où le public a passé son temps à l’insulter sur plusieurs générations. Pas un problème pour Trae pour qui la haine est un moteur. Grâce à leur jeune meneur de 22 ans, les Faucons se hissent en demi-finale de conférence, en éliminant les Knicks et leur MIP de la régulière, les grosses sensations de cette saison 2020-21. Le tout, en gagnant deux des trois matchs qui se sont joués dans la fournaise du MSG, le dernier des soucis de Ice Trae qui se sera occupé comme il se doit de gérer cette série. Si tous les Hawks sont à féliciter, il faut surtout souligner la grande prestation de Trae qui a été d’un sang froid redoutable et s’est montré sans merci pour ces Knicks. Comme cela avait été souligné dans la preview sur la série Hawks-Knicks, un des facteurs clés était de « cacher » Trae Young à cause de ses errements défensifs. Car si offensivement son efficacité ne faisait aucun doute, sa faculté à défendre correctement était un point central de cette opposition face aux Knicks.
Alors Trae s’est-il adapté au niveau attendu en Post-saison ?
Trae à la hauteur ?
La principale match-up défensive de Trae sur la série était Reggie Bullock.
Deux enseignements sont à tirer : d’un côté le bon travail des Knicks pour agresser Young, et de l’autre le bon ajustement défensif des Hawks pour le cacher au maximum.
Trae est le joueur le plus attaqué côté Hawks. En moyenne Reggie Bullock attaque plus de 8 minutes par match sur Trae, et le moins que l’on puisse dire est que ça marche plutôt bien pour New York. Le chiffre est /sans appel : Bullock tourne à 50% de réussite (7/14) quand il est défendu par Trae, alors que lorsqu’il était défendu par tout le reste de l’effectif il shootait à 32% (8/25). Certes le constat n’est pas glorieux pour Young. Mais cela veut aussi dire que les Hawks ont réussi leur objectif qui était de protéger Trae au maximum. Dans le 5 de départ des Hawks, personne n’a moins défendu que Young sur Derrick Rose et Julius Randle. Par exemple, les Hawks ont réussi à maintenir le temps de défense de Trae sur Derrick Rose en dessous de la minute en moyenne. Soit autant de temps que Clint Capela et John Collins.
Si ce temps de défense est si faible, c’est que Trae Young arrive à éviter les nombreux écrans qui lui sont posés. Avec ses appuis très bas et son explosivité, il ne switch presque jamais de défenseur sur les écrans. Il suit Reggie Bullock à la trace, ce qui fait que défensivement les objectifs sont atteints, mais Trae ne pourra pas se cacher éternellement. Si Atlanta arrive à compenser lors d’une série face aux Knicks, cela ne sera pas aussi évident lorsque le niveau des équipes augmentera au fur et à mesure de la compétition. Cette manière de procéder ne doit donc pas être une fin en soi. Pour ce qui est de l’attaque, Young est dans sa zone de confort : il tourne presque en double-double avec ses 29,2 points et 9,8 passes par match à 44% de réussite. En plus de ses nombreux points inscrits, Trae fait énormément marquer ses partenaires. Il se situe dans le 100eme percentile au pourcentage de passes décisives sur ces playoffs, c’est même lui qui possède le plus haut taux : 49,5% des tirs marqués par ses partenaires ont été assistés par le meneur des Hawks. Des chiffres bien au-dessus de la moyenne.
Sea, sex and Suns
Cette partie aurait pu être consacrée à Deandre Ayton, car le bahaméen de 22 ans a également connu sa première série en Playoffs cette année. De plus, il est peut-être le joueur le plus important de cette série pour les Suns. Mais le sujet ici sera concentré sur Devin Booker. Pourquoi ? Parce que cela fait 6 ans que Devin Booker attend de pouvoir enfin jouer les Playoffs avec les Suns. Parce qu’il aura souffert de l’instabilité de la franchise, et connu 5 coachs différents depuis son arrivée dans l’Arizona. Et enfin parce que toute la planète NBA attendait avec impatience de voir ce que Devin allait pouvoir proposer en Playoffs, vu le niveau qu’il affiche en saison régulière depuis plusieurs années.
Et quoi de mieux que le champion en titre pour honorer comme il se doit, sa première fois ?
Une série qui se joue sur les blessures ?
À la différence de Trae Young et Ja Morant, Devin Booker a tendance à être plus dépendant de son équipe sur le plan offensif. Plus de 50% des tirs inscrits par l’arrière des Suns proviennent d’une passe décisive. Bien loin des 35% de Ja Morant, et encore plus des 16.3% de Trae Young. Mais c’est aussi ce qui fait la force de ces Suns : ce collectif extrêmement bien huilé, où chaque joueur connaît parfaitement son rôle et le respecte à la lettre. Comme cela a été expliqué dans l’article sur la blessure de Chris Paul, les Suns ont souffert de ce handicap, Booker le premier. Un tiers des ballons que reçoit Booker en moyenne lui sont donnés par CP3, Booker a alors connu un coup d’arrêt dans sa production et cela s’est vu sur statistiques lors des matchs 3 et 4. Bien mieux cerné par la défense des Lakers, mais surtout bien moins servi par CP3, Devin Booker s’est retrouvé avec moins de 20 points inscrits sur ces deux matchs. Au cours des trois autres matchs, il n’est pas descendu sous la barre des 30 points. Des chiffres impressionnants : sur ses 5 premiers matchs de Postseason, le Book compile 26,2 points, ainsi que 5,4 passes décisives, et 5,2 rebonds. Une excellente production face au champion en titre.
Le match le plus marquant pour Booker et ses Suns est le match 5. (Statistiques arrêtées à la veille du match 6). Les Suns ont fait subir aux Lakers le cinquième plus gros écart de points pour un champion en titre en Playoffs avec un déficit de 30 points. Pas si loin des 36 points d’écart enregistrés par le Heat face aux Spurs en 2013. Avec ses 30 points, 7 rebonds et 5 passes sur ce match, on peut surtout voir que Booker exploite à merveille les largesses défensives créées par l’absence de Davis à l’intérieur. À en comparer ces deux shots charts issues des matchs 3 et 5, on peut voir que l’accès au panier a été beaucoup plus simple au cours de ce match 5.
Shot chart du match 3 : beaucoup de tirs manqués par Booker, dû notamment à la bonne protection de la raquette par Davis
Shot chart du match 5 avec bien plus de ronds pleins, synonymes de tirs inscrits proches du cercle pour Booker
La présence de Davis dans la raquette se ressent assez nettement sur la première image. Si ce constat met en lumière certaines difficultés éprouvées par Booker, cela montre aussi qu’il a su se relever après deux matchs en dessous des attentes. Lorsque Devin souffrait de l’absence de CP3, les Lakers ont été sans pitié. Mais lorsque le vent a tourné et que les Lakers ont souffert de l’absence de Davis, Booker a été létal et a mis les Suns en très bonne voie. Mais le plus dur reste à venir, il faudra conclure.
Bilan général
Lors de ces trois premières fois le bilan collectif diffère mais chaque joueur aura été à la hauteur du rendez-vous : Ja Morant impressionnant malgré la défaite ; Trae Young, leader offensif des Hawks, éteint tous les espoirs des Knicks ; et enfin Booker, pour qui tout reste encore à faire face aux champions en titre. Mais quelle que soit l’issue pour ce dernier, il est indéniable que ces trois joueurs ont réussi de grandes choses, ils ont montré qu’il fallait s’attendre à les revoir sur le devant de la scène pour les années à venir. Et mieux encore, ils ont su se mettre en mode « Playoffs » en adaptant leur jeu à la hauteur du rendez-vous. Personne n’aura tremblé pour “sa première fois”.
Je me coucherais moins bête grâce à ce travail de qualité méritant de la reconnaissance