S’il y a un art dans lequel Kyrie Irving s’est rendu maître, c’est celui du décalage. La star des Nets a encore créé un torrent médiatique en refusant la vaccination. Qu’importe que la situation eût pu être très différente dans un autre Etat, moins strict. Aimer naviguer en eau trouble, c’est aussi savoir être au mauvais endroit, au mauvais moment. Il y a quelques jours, la franchise de Brooklyn a annoncé que si le joueur refusait de se rendre disponible pour toute la saison, en ne remplissant pas l’exigence nécessaire à sa présence pour les rencontres à domicile, alors elle se passerait de lui pour toute l’année.
Une décision qui semble lourde de conséquences pour l’équipe et évidemment pour Irving. Pourtant, une fois de plus, qu’importe. Depuis son arrivée en NBA, si l’on a bien appris quelque chose sur Kyrie, c’est qu’il n’est pas homme à refuser une bataille. Peu lui chaut les risques, ou la vindicte populaire, le spectaculaire meneur des Nets semble de ceux prêts à endurer.
Mais qui est vraiment Kyrie Irving ? Est-il réellement le personnage fantasque et égoïste largement dépeint par les médias ? Difficile de se faire un avis réel sur des personnages que nous zyeutons de loin, par le biais de quelques séquences de vie, le temps de quelques déclarations. Pourtant, partout sur les réseaux, Kyrie est depuis belle lurette réduit à une caricature. Souvent gaussé pour ses prises de position, dépeint en homme incohérent et finalement réduit à quelques bribes bien loin de ses très multiples facettes.
Avec cet article, j’ai voulu proposer une autre façon de percevoir Irving. Rappeler qu’on n’est pas juste une déclaration, une action, ou ce que l’on raconte de vous. Et en ce faisant, tenter de faire un portrait plus juste du meneur de Brooklyn.
La NBA, le monde du storytelling
Il va sans dire que la NBA aime le storytelling. Et pour écrire une bonne histoire, il faut des personnages forts. Kyrie était sans nul doute un bon client, alors que paradoxalement, il ne semble pas féru de cette sphère indissociable de la balle orange. Tant pis, a-t-on vraiment besoin du concours de quelqu’un pour en dresser le portrait ? De toute évidence, la réponse semble non. Surtout quand de bons raccourcis et quelques traits de caractères suffisent à la romance.
L’an passé, les interviews d’Austin Rivers s’étaient transformées en passages obligés. Le fils du Doc, désireux de s’ouvrir a laissé quelques perles face aux microphones. Particulièrement lorsqu’un soir d’après match, interrogé sur Michael Porter Jr (et la personne qu’il est), il s’épanche sur la manière dont l’image d’un joueur peut rapidement être construite, sur quelques faits, et lui coller à la peau qu’elle soit justifiée ou non. Un phénomène qu’il décrivait en ces mots :
Cette ligue est marrante, vous savez. Parce qu’il suffit d’un seul moment, d’une seule interaction et ils vont vous écrire en termes de qui vous êtes en tant que personne. Je veux dire, l’an passé, Michael a dit une chose dans une interview d’après-match, et il semblerait que tout le monde a subitement compris qui il est, et ça, c’est le monde dans lequel on vit. C’est injuste mais c’est comme ça, et je le sens parce que j’ai souffert des mêmes choses, les gens disent des choses me concernant, qui m’atteignent réellement. Pas à propos du joueur que je suis, les gens peuvent parler du basketteur que je suis toute la journée, je m’en fous. Mais quand ils parlent de moi en tant que personnage, c’est vraiment un challenge, c’est dur de combattre ça. J’ai entendu un tas de choses sur lui, et je suis arrivé ici, et tout ce que je découvre c’est une des meilleurs gars de l’équipe. Il est innocent, il veut apprendre, il a de la grandeur en lui […] En le découvrant, je me dis que cette ligue est vraiment marrante dans sa manière de choisir qui est qui. On a tous de mauvais jours, et j’en ai trop eu, mais on utilise ces quelques instants pour vous tailler un personnage. […]
Difficile de ne pas penser à Kyrie en voyant cette interview. Parmi les joueurs de la ligue, nombreux sont ceux qui, au fond, devraient demeurer un mystère mais nous semblent si limpides de nos regards extérieurs et si éloignés de leur quotidien. Pourtant, de plus en plus nombreux sont ceux semblant pâtir de la manière dont ils ont été érigés aux yeux de tous. Peut-être parce que l’information et les images circulent de plus en plus vite et facilement. Récemment, JaVale McGee parlait donc la façon le Shaq’tin a fool l’avait transformé en phénomène de foire et avait sali sa réputation en tant que personne et que joueur de basket. Une pression si importante pour le joueur, qu’il s’est senti de faire ses choix de carrière en fonction de ce que l’on disait de lui, pour lutter contre cette étiquette.
A ce titre, sommes-nous sûrs que nous peignions un tableau assez large du champion 2016 ?
Kyrie Irving, un mystère ?
En allant dans le détail, n’est-il pas supposé être complexe de dresser un portrait de Kyrie Irving ?
Où se situe-t-il entre le joueur de Duke, proche de son Coach mais en retrait de ses coéquipiers et le recruteur sur tous les fronts lors de son arrivée aux Nets ? Est-ce qu’Irving est le rookie extraverti qui défiait Kobe à miser 50.000$ (pour une association) dans un 1 contre 1, ou est-il ce champion 2016 qui paraît irrité, presque énervé alors que ses coéquipiers célèbrent le titre ? Quel est son mode de pensée entre le joueur très investi dans le syndicat des joueurs, et le joueur clamant sa fidélité à une équipe, un groupe (les Celtics), pour les quitter quelques mois plus tard dans une ambiance délétère ?
Le meneur des Nets ressemble à un oxymore. Capable d’allier les contraires dans l’enchaînement de chacune de ses actions. Mystérieux par ses réactions, il en devient nécessairement difficile à comprendre dans ses choix, qui semblent tracer un chemin sinueux pour n’importe quel observateur. Dès lors, restait deux options pour décrire Irving. Décrire un personnage irrationnel, ou un personnage complexe. Aujourd’hui, pourtant, le costume taillé sur-mesure pour Irving semble plus proche de contenir les adjectifs : “égoïste, simplet, irrationnel” que “complexe, contradictoire, engagé”.
Et désormais, en plein rejet du monde médiatique, ce dernier refusant très régulièrement d’échanger avec les journalistes, qu’il considère comme une partie du problème, difficile de voir son portrait changer alors même que son statut de basketteur est radicalement mis en péril par sa position sur la vaccination.
Puisqu’il est de l’ordre du fantasme d’imaginer percer les secrets de quelqu’un que l’on n’a pas côtoyé, tentons plutôt de rappeler dans les lignes qui suivent les facettes de Kyrie Irving.
Une relation à l’autre compliquée ?
Quand Kyrie est arrivé en NBA, il ne lui fallut pas longtemps pour conquérir le cœur des fans. Rookie de l’année sans conteste aucun, doté d’un handle spectaculaire, Irving est de suite destiné à la grandeur. Parce qu’il est indubitablement talentueux, mais parce que son style est celui d’un esthète. Balle en main, pas grand monde ne peut clamer faire tourner autant de têtes, ni être aussi élégant. Virevoltant, le meneur devient rapidement un joueur qui compte et acquiert une popularité grandissante. Le concept “Uncle Drew“, dans lequel Irving déguisé en grand-père ridiculise des ballers sur les playgrounds termine de l’implanter comme l’un des joueurs les plus médiatiques de la ligue, quand bien même son jeu n’en fait pas une Superstar à part entière.
Sa côte d’amour ne va d’ailleurs faire qu’augmenter, et continuera son envolée lorsqu’il deviendra le numéro 2 des Cavs derrière un LeBron James de retour et en mission. A ses côtés, il fera 3 finales et remportera un titre plein de saveur en 2016, jouera un rôle majeur en multipliant les actions décisives et de grande classe pour épauler le King. Pourtant, le succès ne lui convient pas et il décide de fuir l’ombre de LeBron pour reprendre les rênes d’une équipe. Une aventure de courte durée puisqu’après 2 ans et une saison usante sur le plan humain, il se sépare des Celtes pour rejoindre Kevin Durant à Brooklyn. Ces deux départs en 3 ans ont suffi à faire de Kyrie un joueur considéré comme dangereux pour un vestiaire. Pourtant, la réalité concorde telle avec cette description ?
Dans les faits, peu ou aucun commentaire n’ont été fait pour dépeindre Kyrie comme un mauvais coéquipier. Si bien sûr, on pourrait partir du principe que l’omerta règne entre joueurs, certaines histoires éclatent au grand jour, comme ce fut le cas, par exemple, entre Kevin Durant et plusieurs anciens ou actuels coéquipiers (Thunder et Warriors). Au contraire, Kyrie s’est avéré être un recruteur très efficace pour Brooklyn, ramenant plusieurs joueurs de la ligue ou anciens coéquipiers au sein des Nets ces dernières années.
Si le départ de Boston a laissé des traces avec le public, beaucoup de fans autour de la ligue s’étaient étonnés des interactions entre Kyrie et ses anciens coéquipiers lors des Playoffs de ce printemps. Entre échange de blagues et grandes accolades, le meneur avait paru bien plus proche de son ancien groupe que l’on ne pouvait l’imaginer après un divorce express et une dernière saison asphyxiante.
L’occasion de réaliser que si la rupture était brutale, l’un des plus grands reproches à faire au joueur, serait peut-être, de ne jamais avoir cherché à donner d’explications. Il avait d’ailleurs saisi l’opportunité, face au média, pour orchestrer un retour de flamme :
Grosse surprise hein ? Après toute cette merde à propos de moi et de ma relation avec tous mes coéquipiers
Finalement, la sortie la plus tumultueuse sera probablement celle avec les Cavaliers. En 2017, la surprise est grande lorsque le joueur déclare vouloir son bon de sortie de Cleveland. Les deux joueurs qui semblaient parfaitement s’imbriquer sur le terrain aurait-il plu de mal à s’accorder au quotidien ? La stupeur semble pourtant être générale, y compris pour James qui sent bien que l’équipe perd une fenêtre en voyant le meneur partir, d’autant qu’il semblait avoir laissé toute la place à ce dernier pour s’exprimer sur le terrain. Si quelques rumeurs avaient fut un temps filtrées, sous-entendant que Kyrie avait mal vécu de tomber dans l’ombre du numéro 1 de la ligue, tout portait à croire dans l’entre-deux que ce rôle lui seyait à merveille. Des années plus tard, une impression étrange subsiste pour le public à cause de quelques déclarations du meneur. Notamment, une déclaration à propos de Kevin Durant, par laquelle Irving déclarait n’avoir jamais eu un joueur plus fort que lui pour prendre le dernier tir d’une rencontre. Ou une vanne aux Lakers, le sourire aux lèvres, en février dernier après un lancer franc raté du King : “c’est votre meilleur tireur de lancers ?“.
Pourtant, en 2019, Irving s’excusait publiquement auprès du King de la manière dont il était parti, pour avoir été “ce jeune joueur qui voulait tout en claquant des doigts” et relatait ses appels à James pour lui demander des conseils en tant que leader des celtes :
Finalement, peut-être qu’Iman Shumpert résumait le mieux le comportement de Kyrie dans un vestiaire.
Les gens mettent de la distance avec lui en pensant que c’est ce qu’il veut. Ce n’est pas le cas. A vrai dire, c’est un gars plutôt normal. Si vous le traitez comme un extraterrestre, alors ce sera un extraterrestre. Si dans votre tête vous avez décidé que ce serait un extraterrestre et que vous ne devez pas lui parler, alors oui, il ne vous dira rien. Il se sentira marginalisé.
Un homme de controverse…
Je n’ai pas réellement réussi à trouver de situations explosives entre Irving et ses anciens coachs et coéquipiers. Si ces départs peuvent paraître égoïstes de l’extérieur, à l’inverse de certains joueurs NBA, le meneur n’a pas vraiment de relations compliquées avec des joueurs ou coachs dont il a partagé le quotidien. Tout du moins pas ouvertement. Si d’aucuns diraient que c’est rare en NBA, surtout aujourd’hui, il me vient divers exemples pourtant éloquents : Carmelo Anthony et George Karl, Kevin Durant et plusieurs anciens coéquipiers, Russell Westbrook et James Harden à Houston, le classique Kobe et Shaq et maintes autres histoires de vestiaire qui ont éclaté au grand jour et ont parfois durée très longtemps (Jimmy Butler aux Wolves, Ben Simmons aux Sixers).
En revanche, s’il y a un sujet sur lequel il est aisé de trouver des exemples, c’est certainement les prises de positions controversées du joueur. Que ce soit de l’ordre du savoir, ou par sa faculté à prendre la voie difficile, la communication de Kyrie a grandement contribué à la chute de sa popularité au fil des ans. La plus moquée reste évidemment celle sur son statut de platiste. Véritable écueil médiatique dans laquelle Irving remet en cause l’inattaquable, qu’il tentera ensuite de faire passer pour une blague, le joueur a dans un premier temps fait l’objet de moqueries. Le souci, c’est qu’il met longtemps à faire son Mea Culpa. Pire, il vient de donner à tous ceux qui voudront gausser ses prochaines prises de positions une arme fatale pour réduire toute sa crédibilité à néant. Et alors qu’il s’excusera 1 an plus (et trop) tard d’avoir sombré dans des théories complotistes dans une période sombre de sa vie, et ajoutera même “vous vous rendez compte du pouvoir des paroles et même si vous y croyez, vous réalisez qu’il ne faut pas le dire comme ça, que cela doit rester dans des conversations intimes car la perception de vos propos et la façon dont ils sont reçus sont différentes“, le mal est pourtant bien fait.
D’autant que la prise de conscience est de courte durée, ce dernier partageant récemment des articles complotistes concernant le vaccin, ces derniers étant selon l’auteur “un complot contre la communauté noire“. Dès lors, avec ce type de prises de positions délicates, le joueur est également pris à partie lorsqu’il va à l’encontre de la majorité pour des raisons plus terre-à-terre.
Par exemple, alors que le débat s’embrase autour de la mort de George Floyd, que le mouvement Black Lives Matter prend de l’essor et que plusieurs stars NBA sont dans la rue et utilisent leur notoriété pour donner de l’élan au mouvement, la NBA annonce une reprise des matchs et un enfermement dans la bulle. Alors que beaucoup de joueurs favorables au mouvement préfèrent reprendre la saison et vantent la plateforme qu’offrira la reprise des matchs, Kyrie fait partie des quelques récalcitrants s’opposant à cette idée. Avec des arguments plus que valables, il se fait un des combattants de la reprise, considérant que :
Une fois que nous reprendrons le basket, les nouvelles basculeront du racisme systémique, vers qui a fait quoi dans le match d’hier.
Ce genre de situations est délicate par nature. Irving s’est trouvé en opposition avec l’essentiel des joueurs Playoffables, trouvant certes du soutien, mais se retrouvant inexorablement du côté de la minorité. Par nature inconfortable, ce versant de la montagne a pourtant probablement eu la vision la plus juste à posteriori, l’engagement de la ligue se résumant rapidement à quelques messages au dos des maillots, puis rien.
Autre exemple ? En décembre 2020, la NBA entre dans habituel Media Day. Grand classique de la vie de la ligue, ce dernier signifie le retour imminent de la balle orange dans nos quotidiens. Passage obligé pour coachs et joueurs, celui-ci se déroule pourtant sans l’une des deux stars de Brooklyn. Kyrie décide en effet de sécher l’obligation et explique son absence par son aversion pour les médias. Il se contente d’un simple communiqué :
Au lieu de parler avec les médias aujourd’hui, j’utilise ce procédé afin que mon message soit correctement transmis. Je veux aller au travail tous les jours, prendre du plaisir, être compétitif, performer et gagner le titre.
Dans la foulée, on apprend que Kyrie souhaite réaliser un boycott médiatique pour l’ensemble de la saison. Considérant que les médias déforment ses propos et travestissent le message, il souhaite s’astreindre de cette obligation. Là encore, la controverse est proche. Pour certain, le joueur est ingrat et rompt son contrat avec la ligue. Une attitude qui est renforcée par ses absences non-justifiées durant la saison. Pourtant, difficile de ne pas voir dans le bashing immédiat de certains médias de quoi donner si non raison, des arguments pour ne pas perpétuer une relation bien rude avec le joueur depuis quelques années.
L’envie sans la manière ?
Comme souvent, toutefois, avec Kyrie, c’est la manière qui pêche. Peut être qu’avec une autre approche, beaucoup de ses déclarations et décisions auraient un autre écho.
Peut être que si Kyrie avait prévenu ses coéquipiers de Cleveland, l’impression aurait été différente. Peut-être que s’il n’avait pas promis de prolonger à Boston après une saison, son départ ne lui aurait pas été à ce point reproché. Peut-être que s’il avait participé au Media Day et réalisé un communiqué pour rectifier ce qu’il jugeait mal interprété ou déformé dans son message, il ne serait pas à ce point marginalisé par sa décision.
De ces dernières saisons, il me semble qu’il ressort énormément de maladresse de la part de la star des Nets. S’il assume pleinement son art du décalage, il paie ses difficultés à communiquer, par un trop de spontanéité parfois et éventuellement, un manque de réflexion sur la meilleure manière de faire passer ses messages. Pas aidé par un leadership et de nombreuses déclarations douteuses durant ses deux années chez les celtes, son image en est ressortie écornée. Et puisque le choix des mots est également crucial, qualifier les médias de “pions” n’était certainement pas le meilleur moyen d’améliorer une relation déjà tumultueuse.
Un homme d’engagement
Si l’on peut critiquer les manières de Kyrie, certaines de ses prises de positions et une communication maladroite, il ne faut pas oublier que le meneur est un homme d’engagement. Pas toujours à l’aise dans sa relation avec la ligue, il sait utiliser les moyens et la visibilité que lui ont offert la vie de star NBA pour des causes le dépassant. Irving n’est pas juste présent pour le syndicat des joueurs, non, il s’investit dans sa communauté et sur des sujets qui lui tiennent à cœur. Beaucoup moins mis en avant, ses combats semblent eux, pleinement sincères.
A la manière d’un Jaylen Brown, le meneur sait prendre position.
Kyrie Irving sait utiliser ses moyens financiers pour aider les défavorisés. Les scènes du meneur arrêtant un bus pour aider un enfant, un SDF ou quiconque visiblement dans le besoin sont légion sur le web. Son engagement auprès de la famille de George Floyd ne fut pas autant médiatisée que sa déclaration selon laquelle la terre était plate, mais fut pourtant réel et durable. Tout comme sa position sur le combat qui s’ensuivit.
A la manière d’un LeBron James (qui a créé son école), Kyrie est également investi dans l’éducation. A Brooklyn, The Patrick School compte souvent Kyrie parmi les participants aux entraînements. Après avoir lutté pour sauver son ancienne école, il a décidé prendre en charge les frais de scolarité d’une grande partie des élèves, de participer aux entraînements et d’accompagner les étudiants. Interrogé par The Athletic à propos de son engagement et de sa présence quotidienne, Noah Farrakhan joueur de l’équipe déclare :
Je pensais que ce serait le cas typique de l’ancien étudiant qui fait une donation et basta… Mais il est tout le temps avec nous.
Autre communauté, autre combat.
En 1996, Elizabeth Irving est enterrée à Washington, au Rock Creek Cemetery. 22 ans plus tard, Kyrie et sa sœur se trouvent aux côtés des Lakotas pour une cérémonie d’admission dans la tribu qui a vu naître leur mère. S’il n’a jamais vécu auprès d’eux, sa mère ayant été adoptée à l’âge de 8 ans et ayant quitté la réserve, le joueur veut se rapprocher de ses origines qu’il ne découvre que tardivement, sa mère étant décédée alors qu’il n’a que 4 ans et ayant marqué sa réticence à l’idée de communiquer ses origines. Deux ans avant cette cérémonie et cette connexion retrouvée, le meneur prenait déjà la défense de la cause en mettant la lumière sur une série de manifestation à Standing Rock. Plus tard admis comme un membre Kyrie embrasse ses rituels, ses habitudes et s’investit dans l’amélioration des conditions de vie ainsi qu’en donnant de la voix à leurs combats.
Un dernier exemple ? En juillet 2020, alors que la crise du Covid-19 bat son plein et que la WNBA s’engage dans un bras de fer pour obliger les joueuses à revenir au jeu sans réelles garanties, Kyrie s’insurge. Plusieurs joueuses sont contre et vont se retrouver sur le carreau. Mais plutôt que de se contenter de dénoncer l’attitude des dirigeants, il s’active et appelle plusieurs joueuses désireuses de reprendre, comme celles opposées à un retour. Quelles que soient les raisons : privilégier leur engagement militant ou leur carrière, craintes pour leur santé, situation financière, ou les conséquences potentielles, ce dernier se décide à leur offrir une alternative. Ainsi, il ouvre un fond de 1,5 millions de dollars qu’il finance pour toute joueuse décidant de faire un choix personnel durant cette période.
Kyrie Irving, prêt à assumer
Ces engagements, Kyrie semble autant les prendre par sincère envie d’aider ses prochains que pour partir à la reconquête de son identité. Si évidemment, la manière n’est pas toujours idéale, que sa communication en tant que leader des Celtics avait de quoi faire grincer des dents ou rendre sceptique, que nous aurions pu nous passer de certaines de ses prises de positions scientifiques ou sociologiques, l’objectif de l’article était néanmoins d’essayer de démontrer que le meneur n’est pas juste le prototype de l’égoïste ou de l’idiot du village.
Son dernier combat en date sera donc l’opposition à la vaccination obligatoire. Parmi la vingtaine de joueurs qui refusent de passer à l’acte, le meneur est pourtant celui qui subit les flammes des fans et des médias. Tardant comme souvent à s’exprimer et toujours défiant vis-à-vis de la sphère journalistique, le joueur a pourtant pris la parole sur Instagram concernant ses motivations. Ce dernier a mis en avant plusieurs éléments : il se sent incertain face au vaccin, il souhaite que les gens aient le choix de faire ce qu’ils pensent le mieux pour eux et est en colère pour tous ceux qui perdent leur travail pour les mêmes convictions que lui.
Que l’on se trouve ou non dans la même situation que lui, que son scepticisme face à la communauté scientifique étonne ou pas, le joueur fait un choix qui va contre ses intérêts financiers et ceux de sa carrière. A vrai dire, le joueur semble même entré dans un combat contre le propriétaire de la franchise, Tsai, qui s’est publiquement exprimé sur sa position :
Ce que je veux que les gens comprennent c’est que j’ai fait le vaccin. Je me protège, je protège ma famille, je protège tout le monde. C’est une part de la responsabilité sociale, quand on y pense, de faire les choses responsables socialement. Je sais qu’il y a beaucoup de scénarios dans lesquels les intérêts personnels entrent en conflit avec l’intérêt général. Et vous savez quoi ? L’intérêt général des Nets est clair, c’est de gagner un titre. C’est très, très clair. Et je veux que personne ne perde cela de vue.
Alors que la franchise a donc fait le choix de maintenir le cap sans lui, préférant l’écarter plutôt que de n’avoir sa présence qu’à moitié (à l’extérieur), le joueur clame pourtant Ô combien cette situation est coûteuse pour lui, bien que son engagement soit total :
« Je reste fidèle à ce que je crois. Je connais les conséquences de mes décisions. […] Ce n’est pas une question d’être anti-vax ou d’être d’un côté ou de l’autre. Si vous avez choisi de vous faire vacciner, je vous soutiens. Faites ce qu’il y a de mieux pour vous. Je vais continuer à prier pour tous ceux qui ont perdu des proches à cause du COVID. »
Avant d’ajouter :
« Vous croyez vraiment que j’ai envie de perdre de l’argent ? Vous croyez vraiment que j’ai envie d’abandonner mon rêve de gagner un titre ? Vous croyez vraiment que j’ai envie d’abandonner mon boulot ? Que j’ai envie de rester chez moi et ne pas tenter de poursuivre de grandes choses avec mes coéquipiers, avec lesquels j’ai pu grandir, apprendre, notamment concernant les sacrifices que ça demande. Vous pensez que j’ai envie de lâcher mon gagne-pain à cause d’une obligation, parce que je n’ai pas les autorisations, parce que je ne suis pas vacciné ? Franchement.
Non, je ne vais pas prendre ma retraite. Et non, je ne vais pas quitter ce jeu de cette façon. Il y a encore tellement de travail à faire. »
Alors oui, vous pourrez toujours remettre en question sa position. Mais si vous êtes arrivé jusqu’au bout de cet article, j’espère que l’on pourra tomber d’accord sur au moins une chose. Oui, le désaccord est possible. Mais non, nous ne connaissons pas suffisamment Kyrie Irving pour le résumer à quelques déclarations, ni nous pouvons en faire en permanence une caricature de ses combats, de ses choix, ou de ceux de n’importe quel individu que nous n’avons jamais côtoyé.
J’ai beaucoup aimé cet article. C’est rare aujourd’hui d’avoir une analyse aussi détaillée et sans parti pris sur un sujet.
Je suis vite tombé amoureux du Kyrie Irving balle en main à ses débuts à Cleveland. Puis j’ai perdu en peu d’affection pour ce joueur après les multiples histoires évoquées ci-dessus. Cet article a le mérite de donner une autre perspective et de mettre en avant des qualités de l’homme dont on entend moins parler.
Quelque part, je trouve dommage, bien que compréhensible, le fait que Kyrie ne s’explique pas davantage. Non pas qu’il nous le doive, mais sa personnalité complexe est intriguante. On apprend souvent des choses en essayant de comprendre les personnes atypiques comme lui plutôt qu’en les jugeant.
merci pour cet article.