« Je suis en NBA depuis 13 ans. J’ai eu entre 200 et 300 coéquipiers. C’est un sacré bond en avant pour un gars qui est arrivé il y a 2 ans avec un contrat two-way, non garanti, puis un contrat garanti, pour devenir le joueur qu’il est aujourd’hui. Je ne pense pas avoir vu un tel bond en avant dans ma carrière. »
Une sacrée déclaration du boss de Milwaukee himself, Giannis Antetokounmpo, sur son jeune coéquipier Ryan Rollins, surprise inespérée et inattendue de la saison chez les Bucks.
Chaque début de saison ou presque, la NBA nous réserve ce genre de scénario : un joueur qu’on n’attendait plus ou qu’on n’attendait pas du tout déboule dans la rotation, empile les bonnes performances et suscite la même interrogation : surchauffe ou révélation ?
Avec Ryan Rollins, l’affaire semble plus consistante qu’un simple feu de paille, et il fallait qu’on vous en parle un peu plus en détails.
Une recrue 3 étoiles à l’ombre des spotlights
Rollins est né et grandi sur une terre de basketball et de NBA, à Detroit. Le frère ainé de la fratrie évoluait dans une équipe AAU, coachée par le père, pendant que la mère était elle aussi une baller dans l’âme. Ryan l’avoue lui-même, le basket, il est tombé dedans quand il était petit, un peu contraint et forcé :
« Toute ma famille jouait, donc j’ai été élevé dans ce milieu, j’ai toujours baigné dedans et j’ai été en quelque sorte obligé de jouer. »
C’est au lycée qu’il commencera à frapper les esprits, en évoluant sous les couleurs du Dakota High School à Macomb, et à se dire qu’il pouvait peut-être trouver sa voie via la balle orange,
Lors de son année senior, sa domination était évidente, avec plus de 25,5 points de moyenne, 9 rebonds et 5 passes. En tant que prospect, il sera affublé du statut de « three star recruit« , dans un système de classement pour lequel, comme vous l’imaginez très bien, plus vous êtes attendus, plus votre nombre d’étoiles est important.
Si les fameux prospects « cinq étoiles » ont droit aux faveurs des « blue blood programs », les universités historiques et prestigieuses du circuit NCAA (Duke, UCLA, Kentucky, etc), celles-ci garderont leurs portes fermées pour Rollins. Est-ce que ça l’a affecté et motivé ?
« Oh oui, ça m’a affecté. J’ai eu l’impression d’avoir été sous-recruté et sous-estimé tout au long de mon parcours. Je ne suis pas allé dans une grande université, ils ne m’ont même pas vraiment proposé de contrat, donc ça m’a motivé. Quand je suis arrivé à Toledo, je me suis simplement lancé et j’ai joué mon jeu pour prouver à tout le monde qu’avec le temps, les grandes universités avaient pris la mauvaise décision. »
Ryan Rollins atterrira donc à l’université de Toledo, dont le dernier joueur à avoir réussi à mettre un pied en NBA n’est autre que ce brave Casey Shaw, drafté en 37è position à la draft 1998. Vous ne connaissez pas ? C’est norma, Shaw a disputé 9 matchs NBA, pour un total de 2 points marqués en carrière. Ca vous fait peut être rire, mais en attendant, c’est plus que vous et moi réunis.
Bref, tout ça pour vous dire que Ryan Rollins n’a pas mis les pieds dans un programme universitaire réputé pour son haut niveau, mais que cela ne l’a pas empêché de briller.
Avec plus de 13 points, 5 rebonds et 2,5 passes par match en première année, il sera élu Freshman of the Year au sein de sa conférence, dont Toledo sera sacré champion.
Il clôturera sa seconde saison à plus de 18 points, 6 rebonds et 3,5 passes, en assumant un gros volume de jeu (28% d’usage sur 32 minutes de moyenne), axant principalement son jeu offensif autour d’un profil de ball-handler principal, que l’on rencontre souvent dans l’archétype du joueur doué au milieu d’un programme universitaire de moindre prestige.
Selon les chiffres de Synergy, relayés juste ici, Rollins était alors l’un des joueurs les plus efficaces sur pick and roll, en étant 90è percentile au scoring pur, 93è en ajoutant les passes décisives : 93è percentile, ça signifie qu’il faisait mieux que 93% des joueurs à son poste sur tout le pays. Plutôt pas mal non ?
Pas mal, en effet, mais peut-être pas suffisant, notamment concernant les doutes sur sa capacité à faire le grand saut :
« Faiblesses : Rollins a affiché de très bonnes stats en deux ans pour les Rockets de Toledo, mais le niveau de la compétition n’est évidemment pas le même que beaucoup d’autres meneurs de sa classe de draft, ce qui interroge sur la capacité à le transposer en NBA. » – NBADraft
Au terme de cette seconde saison sous les couleurs des Rockets de Toledo, Rollins prenait en effet son courage à deux mains et se portait candidat à la draft NBA 2022.
Le topo était relativement simple : poste 1 d’1,93m pour 81 kilos, 2m08 d’envergure, 92cm de détente verticale cherche franchise NBA, de préférence au premier tour.
Si la porte est fermée, passe par la fenêtre
Pourquoi évoquer son temps au lycée et à l’université plutôt que ces trois premières saisons NBA me demanderez-vous ? Et bien parce qu’à dire vrai, avant cette saison 2025-26, cette dernière saison à Toledo était la seule où Ryan Rollins allait vraiment jouer au basket.
Contrairement à son souhait, Rollins ne sera pas sélectionné au premier tour, mais au second, via le pick 44 des Atlanta Hawks, qui sera directement envoyé aux Warriors de Golden State.
Rappelez-vous l’ancien logo des Warriors, où l’on voyait un homme bleu tenir entre ses mains un éclair. Et bien cet éclair, c’est typiquement ce qui pourrait symboliser le passage de Rollins dans la baie d’Oakland.
A peine arrivé de Toledo, Rollins débarque dans une franchise qui sort d’un titre NBA et qui compte à son poste sur une rotation Stephen Curry-Jordan Poole. Il va falloir se lever sacrément tôt pour renverser la hiérarchie. Pour ne pas que cette aventure soit trop facile, le sort décide au surplus de s’en mêler : pas de Summer League pour cause de blessure, puis finalement le 6 février 2023, une fin de saison pour cause de fracture au pied droit. Dans l’intervalle ? 12 matchs, 5 minutes en moyenne.
Mais c’est pas grave, Ryan ne flanche pas et compte bien remettre le bleu de chauffe la saison suivante à Golden State. Et bien non, non pas du tout même : début juillet 2023, il servira de monnaie d’échange pour l’échange Jordan Poole-Chris Paul, posant ses valises dans la capitale, Washington. Un éclair, on vous avait prévenu.
L’ère Wizards peut commencer… Ou plutôt le courant d’air, après l’éclair. Arrivé le 6 juillet 2023, Rollins sera coupé 6 mois plus tard par les Wizards, le 8 janvier 2024, pour un bilan de 10 matchs et 6 minutes en moyenne.
Quelques jours plus tard, on apprendra que Rollins devait répondre de 7 vols à l’étalage dans l’enseigne Target de Washington, réalisés entre septembre et novembre 2023. Pour les plus curieux d’entre vous, Rollins était accusé d’avoir volé du gel douche, des clémentines, des bougies et un jouet pour chien.
Problèmes extrasportifs, balancé par Golden State puis coupé par l’équipe la plus à l’ouest de l’Est en milieu de saison, c’est peu dire que la route de Ryan Rollins en NBA commençait à devenir de plus en plus sinueuse. Si l’histoire nous fait retenir le nom de ceux qui réussissent à faire leur place en NBA, combien sont-ils chaque année, à devoir affronter le destin qui se dessinait pour Rollins ? Une flopée, et notre héros du jour voyait dangereusement son nom se rapprocher de cette liste.
Puis le 21 février 2024, un mois et demi après s’être fait couper, ce qui ressemblait déjà à une dernière chance apparue : Rollins signait un two-way contract non-garanti de 2 ans avec les Milwaukee Bucks.
Sur le reste de l’année 2024, il ne disputera que 3 matchs avec eux, début avril, avant l’échéance des playoffs auxquels il ne participera évidemment pas.
Dès son arrivée, Rollins sera assigné en G-League avec les Wisconsin Herd, où il disputera 11 matchs pour 29 minutes de moyenne, avec 16,5 points de moyenne, mais surtout un joli 39,7% aux tirs à 3pts, à plus de 6,5 tentés par match.
La saison suivante, enfin un peu de stabilité : Rollins est toujours chez les Bucks. Et petite surprise, il n’est plus appelé en G-League lorsque la saison démarre. Il ne joue pas des masses, certes, mais petit à petit, il semble se fondre dans le roster.
Puis, vint le miracle de Noël :
- Entre le coup d’envoi de la saison et le 20 décembre 2024, Rollins disputera 11 matchs pour 6,5 minutes en moyenne par match ;
- Puis, entre le 20 décembre 2024 et la fin de la régulière, il participera à 45 matchs, à raison de 16 minutes de jeu, 7 points, 2 rebonds et 2 passes de moyenne, disputant au passage ses premiers matchs de playoffs contre les Pacers.
Ryan Rollins joue enfin de nouveau au basket.
Le malheur des uns, le bonheur des autres
Si cet adage devait trouver une illustration, notre sujet du jour sera tout désigné. Si le chemin de croix de Rollins semble touché à sa fin en cours de saison dernière, le destin décidera visiblement de lui donner un coup de pouce.
Durant les playoffs et sans vous refaire le film, Damian Lillard sera touché au tendon d’Achille, mettant en échec le projet des Bucks dessiné autour de l’axe Lillard-Antetokounmpo. Pour se permettre d’accueillir Myles Turner en provenance d’Indiana et rebâtir un semblant de projet, Milwaukee doit manoeuvrer financièrement, raison pour laquelle le 1er juillet 2025 ils décideront de retirer la qualifying offer à Ryan Rollins, ce dernier se retrouvant ainsi agent libre, sans restriction.
Une semaine plus tard, Rollins s’engagera pour 3 ans et 12 millions de dollars à Milwaukee, intégralement garantis. Un petit pas pour les Bucks, un grand pas pour Rollins.
Quand la saison 2025-26 s’ouvre le 22 octobre dernier, le cinq des Bucks est composé de Giannis, Myles Turner, AJ Green, Gary Trent Jr et Kevin Porter Jr, titulaire à la mène. Mais au bout de 9 minutes de jeu, ce dernier sera contraint de sortir sur blessure, out pour plusieurs mois. Deux jours plus tard face à Toronto, Ryan Rollins est titulaire à la mène, joue 30 minutes et termine son match victorieux avec 13 points, 5 rebonds, 2 passes décisives et 3 interceptions.
Depuis, Rollins est devenu le hit de ce début de saison côté Bucks, titulaire à la mène, affichant à date 17,9 points, 4,1 rebonds, 5,9 passes et 1,7 interceptions par match, le tout à plus de 40% à 3pts sur 6 tentatives par match. Derrière Antetokounmpo, Rollins est indiscutablement le deuxième meilleur joueur de l’effectif, et peut-être la seule lueur positive de ce début de saison galère côté Bucks.
Mais alors, pourquoi et comment ?
L’an dernier, Rollins était un joueur de complément. Son job était simple : rentrer et tenter de maintenir la cadence, et le score. Faire des choses simples, respecter les consignes, le temps que les titulaires reprennent les choses en mains.
Signes de ce rôle de bout de chaîne, 20% de ses tirs étaient pris dans les corners à 3pts, 38% étaient en catch and shoot et il passait le plus clair de son temps à attendre la balle (27% de son temps de jeu en spot-up) ; cette saison, ces mêmes chiffres sont tombés à 8% dans le corner, 22% en catch en shoot et 14% de spot-up.
Rollins n’attend plus seulement la balle, il la porte.
Toujours en réussite longue distance malgré une hausse de volume (de 40,8% à 42,9% cette saison avec deux fois plus de tirs tentés à 3pts), Rollins retrouve des responsabilités balle en main pour la première fois depuis son passage à Toledo.
Un bond de +7% de fréquence de tirs au cercle, +15% sur les tirs en pull up, +18% de situations de picks and roll joués par match, les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Bien sûr, l’efficacité n’est pas encore irréprochable, mais Rollins se montre particulièrement agile sur ses drives, avec une bonne protection de balle et une vraie capacité à absorber le contact au cercle ou sur son élan.
Signe de l’application qu’il y met également, son taux de balles perdues sur ses situations de picks a chuté de 25% (soit une balle perdue sur 4) à 11%, malgré la multiplication des situations jouées.
Les responsabilités ne semblent pas lui faire peur, bien au contraire, et ce même si avec le retour de Giannis, le volume de jeu assumé devrait logiquement retrouver des standards un peu moins élevés.
Si son passage d’une dimension à l’autre s’est fait à une vitesse hallucinante, Rollins semble tenir le cap malgré l’enchainement des matchs et les défenses plus à l’écoute de ses performances. A ce titre, si le tir était certainement en surchauffe depuis le début de saison, le nouveau meneur titulaire des Bucks semble pouvoir compter sur le « système » qui l’entoure pour asseoir sa position.
Depuis des années, l’enjeu pour entourer Giannis est de construire un roster capable de sanctionner les aides généreuses que ce dernier provoque à coup de drives, de roll, de transitions, et j’en passe. AJ Green, Gary Trent Jr, Myles Turner s’inscrivent notamment dans ce registre à ses côtés, et l’inattendu Ryan Rollins également.
Loin d’être un créateur de génie, l’avantage du système Bucks est que ce n’est pas ce qu’on attend de lui, la très grosse majorité de la création étant assurée par Giannis bien évidemment : dans son rôle, Rollins doit se contenter de jouer « propre » pour servir ses intérieurs sur les situations qui s’y prêtent ou chercher les shooteurs dans les bons décalages. Shooteurs qui lui permettent, au surplus, de bénéficier de davantage d’espace balle en mains, les défenses étant plus serrées au marquage.
De la même manière, si Rollins fait le travail en ce début de saison côté Milwaukee, c’est aussi parce qu’il sait s’employer défensivement sur ce qu’on attend de lui.
Ses mains actives et sa grande envergure pour un guard de sa taille en font un excellent playmaker défensif, un joueur capable de briser le rythme de l’attaque adverse par des ballons déviés, interceptés ou des lectures anticipées.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on retrouve Rollins en tête du classement de la ligue sur le nombre de « deflections » par match (5,4), le nombre de ballons dévies en VF, devant des joueurs comme Dyson Daniels, Carson Wallace, Ausar Thompson et autres spécialistes défensifs, ou encore qu’il avoisine les 2 interceptions par match en moyenne depuis le début de saison.
A nouveau, Rollins n’est pas le plus talentueux sur le papier, mais il semble savoir optimiser les erreurs adverses, même s’il n’est pas exempt de tout reproche défensivement, notamment sur l’homme.
Qu’il se rassure néanmoins, en la matière, il s’inscrit dans le contexte plus global des largesses défensives des Bucks, notamment sur le pick and roll avec un personnel plus que limité dans l’exercice sur les lignes arrières :
« Sur X, @BuckAnalytics a développé un indicateur appelé PEST qui quantifie l’agressivité des défenseurs périphériques, en tenant compte de statistiques telles que les interceptions, les contres, les charges et les tirs pris. Rollins se classe dans le 96e centile de la ligue en termes de PEST : c’est un playmaker défensif phénoménal, mais ses résultats on-ball sur un temps long ne correspondent pas tout à fait à l’image renvoyée par ses highlights. Trent et Anthony se classent quant à eux dans le 59e centile, tandis qu’AJ Green chute à la 34e place. Avoir un défenseur à peine au-dessus de la moyenne comme deuxième meilleur joueur de votre équipe n’est pas exactement la recette idéale pour construire une fortification redoutable. » – Brew Hoop
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Rollins n’est pas un prospect dont le nom faisait rêver les scouts NBA. Il n’est pas non plus un joueur que l’on attendait spécialement, et qui a déçu jusqu’alors. Il est simplement, comme tant d’autres, un joueur à qui il suffisait de tomber au bon endroit, au bon moment. Pour l’heure, la pièce semble enfin être tombée du bon côté après des premières années galères dans la Grande Ligue, qui ne laissaient aucunement présager un rôle de titulaire NBA quelques mois plus tard.
Alors qu’importe la suite de la saison et de sa carrière, Rollins a peut être déjà décroché l’une des victoires les plus dures, celle de pouvoir enfin montrer aux yeux de tous quel joueur il est vraiment.





