Depuis combien d’années parlons-nous des « sublimes losers », les Ewing, Malone, Barkley ou autre Baylor, qui, malgré de superbes carrières, n’ont jamais eu en main le fameux graal, le trophée O’Brien ? Que de regrets, de talents non récompensés. Avec le temps, les fans de NBA ont fait émerger le terme de « sublime losers ». Mais durant les années où LeBron peinait à obtenir son premier titre (oui, cette époque a existé), un gag récurrent faisait surface dans la websphère des basketteurs : « Scalabrine a plus de titres que LeBron ». Est alors apparue la catégorie que nous appellerons les « golden losers ». Par ce terme, on entend des joueurs improbables, qui posent les pieds sur un parquet NBA, d’une discrétion telle que personne ne se rappellera qu’ils étaient là. Et pourtant, ces petits gredins terminent leurs carrières NBA dans l’oubli, mais dans leurs cartons, il y a un petit anneau qui manque injustement à tant de stars ! Chez QiBasket, on adore fouiller pour trouver ces petites perles de notre NBA history. Quatrième profil, quatrième « Golden Loser ».
Un parcours modèle
Je dois vous avouer quelque chose, ce “top 10” des Golden loser n’a pas vraiment pour intention de faire un classement, mais une sélection sans ordre précis. Aussi, pour être honnête, j’ai pensé que Sun Yue (voir épisode 3) remportait haut et fort la palme du pire dans cette catégorie et je le pense encore. Mais pourtant…je suis tombé sur Chris…Et mon ami Chris, inexplicablement, a réussi à chopper sa bague non pas en 10 matchs, mais en 6 !
Je parle de Chris Jent, et normalement ce nom ne vous est pas si inconnu que cela, notamment si vous êtes fan des Hawks (vous cachez pas on sait que vous existez). En effet, Jent n’appartient pas encore au passé puisqu’il est actuellement Assistant coach de la franchise géorgienne.
Qui est Chris Jent ? En soi, un joueur américain tout à fait classique qui ne semble pas du tout présenter le profil d’un golden loser. Le gars naît dans le réputé Comté d’Orange en Californie. Il grandit cependant sur la côte Est, dans le New Jersey plus précisément, où il fait ses classes, et plus particulièrement en basket. C’est en effet au sein de la Sparta High School que Jent commence à se distinguer dans ce sport. Bon élève et plutôt nice guy, il gravit les échelon à la régulière pour obtenir sa place en Université. Ce sera donc à Ohio qu’il partira en 1988. Là encore, Jent semble respecter le chemin modèle : 4 années à l’université, dans laquelle il intègre l’équipe de basket des Buckeyes d’Ohio State. 4 saisons très intéressantes pendant laquelle sa progression est visible. Sa moyenne de points gagne deux unités par saison pour finir avec un bon 12-6-2 de moyenne.
Ohio State ces 4 années, c’est aussi 3 titres NCAA de Première division et doublé en Big Ten Championship. Jent termine avec 123 matchs, 1007 points en carrière universitaire, 112 trois points a 112/293. Pourquoi je précise cette stat ? Parce que cela le fait entrer dans le top 10 all time des meilleurs shooteurs à trois points de l’Université. Alors ou est le hic dans ce parcours plutôt prometteur, surtout que Jent est drafté en 1992 ?
“Quoi ? Un ailier venu de l’Ohio drafté, destiné au titre ? Mais qui est cette légende ?”
Trois saisons d’anonymat…et puis…
Drafté, Jent l’est, oui…mais en CBA. Et attention, au quatrième tour, en 50e position ! Clairement le soufflé de l’ambition est sévèrement retombé. Jent, c’est pourtant un prospect intéressant, mesuré à 2m01, pour 100kg. Il est considérable comme joueur professionnel, mais avouez que trois titres NCAA de première division (Ohio State n’a gagné le titre NCAA qu’en 1960 cependant) ça donne plutôt envie de remplacer le C de CBA par un N non ? Hélas, pour Chris, il faudra se contenter de ligue moins connues. Surtout qu’en trois saisons, l’ailier change deux fois d’équipe. Il commence donc en CBA aux Thrillers de Rapid City, qui, au passage, compta Flip Saunders parmi ses coachs. Avec les Thrillers, il atteint les finales de conférence, début modeste. Mais aussitôt arrivé, aussitôt parti…en Espagne ! Chez les les Joventut Badalona. Certes, Badalona peut se vanter d’être une équipe qui n’a jamais connu la descente en ligue inférieure espagnole, mais tout de même, le changement est assez brut. Surtout que l’année suivante, machine arrière ! Jent repart aux USA, et sur des terrains plus connus, dans l’Ohio. Il retourne en effet en CBA pour une saison aux Columbus Horizon.
Alors ou en est Chris Jent ? Un basketteur honorable, appréciable, un bon joueur, mais peu visible. Son parcours est typiquement américain mais sa carrière semble assez chaotique et surtout, il reste dans un anonymat assez marquant… Quoi de mieux dans ce genre de situation qu’une bonne bague de champion NBA avec Hakeem the Dream dans une série épique face aux Knicks ? Ce scénario était bien trop prévisible vous ne trouvez pas ?
#anonymatenpixels – by Chris Jent
3 matchs de saison régulière…11 de playoffs
Et pourtant oui, inexplicablement…Chris Jent va jouer en NBA, pour les Houston Rockets…trois….fois. La raison du recrutement ? Difficile à savoir…mais on sait que Houston le récupère le 19 avril 1994. Vous avez bien compris, Chris Jent prend le train en route, mais à l’avant dernière station. On peut donc imaginer que Jent était là pour compléter l’effectif en fin de saison régulière qui se termine le 24 avril. Théorie confirmée surtout quand l’on observe ses stats. Pour ses trois premiers matchs de NBA -et autant vous dire qu’il en est déjà à la moitié du chemin- Jent tourne à…10.3pts, 5reb et 2ast. Oui, vous avez bien lu, le rookie débarque pour trois matchs pour faire du 10-5-3. Le tout pour 26 minutes par match. En bref, Chris a permis brièvement aux titulaires et à la second unit des Rockets de se reposer un peu avant d’aborder les playoffs. Surtout que Houston finit sa saison sur trois défaites pour une victoire pendant la période ou Jent arrive.
Et les playoffs arrivent. Et Jent joue encore ! Mais cette fois évidemment la rotation est plus serrée. Chris obtient malgré tout 5 minutes en moyenne par match ! Evidemment ses stats sont lilipuciennes et il ne dépasse pas les 1.7pts. Oui mais bon, on sait ce qu’il se passe au bout. Après trois matchs de saison régulière et 11 de playoffs, il aura fallu très exactement 78 minutes passées sur le parquet pour donner à Chris Jent un titre NBA. Et ouaiiiiiii !
Voilà donc notre talent bagué du jour ! Et ce talent entre dans l’histoire, puisqu’il devient l’un des très rares joueurs…à vrai dire l’unique…à avoir joué plus de matchs de playoffs que de saison régulière. Chris n’est même pas sur la photo d’équipe, il ne remettra plus jamais le maillot des Rockets, il ne rejouera plus jamais de match de playoffs, mais il porte dans ses bras le trophée Larry O’Brien deux mois à peine après avoir mis ses baskets. Don’t EVER underestimate the heart of a golden loser.
-“Hey m’sieur, m’sieur c’est pas juste il chope un titre en 3 matchs ! -Hey j’y peux rien je passais par là j’ai vu une bague wesh !”
3 petits matchs de plus pour bien finir.
La suite ? Dehors. Jent disparaît aussitôt qu’il s’est retrouvé sous les spotlights. Terminé les joutes mythiques de la conférences Ouest, les Barkley, Robinson, Kemp etc…finies les grandes finales contre Ewing et Starks. Fini les coéquipiers comme Olajuwon, Horry, Elie, Cassel ou Kenny Smith. Oui Chris Jent a bien fait partie de cette équipe, mais ça s’arrête là. Et quand Houston désaoule enfin de sa parade en regardant vers le back-to-back, qu’ils feront l’année suivante, Jent a déjà disparu.
Disparu pour disparaître encore plus : retour aux Thrillers en CBA, North Melbourne Giants en Australie, Connecticut Pride en CBA encore, puis Serapide Pozzuoli Napoli en Italie. Toutes ces équipes, Jent les fait en deux ans ! Et puis la lumière, le salut, le retour en grâce, Chris Jent, champion NBA, annonce son retour dans la grande ligue en 1996. Sa destination ? Les Knicks, franchise encore au top à l’époque. Encore une fois Chris Jent va se retrouver dans une équipe compétitive, encore une fois il va être entouré de grands joueurs comme Starks ou Ewing, qu’il avait d’ailleurs affronté en finales NBA 1994…et encore une fois il ne jouera…que trois matchs, 10 minutes, pour 6 points, un rebond et une passe.
Contrairement à sa saison Rockets où il avait commencé tard, Chris termine tôt, puisqu’il se fait couper le 6 janvier 1997, terminant la carrière du champion NBA de 6 matchs joués, auxquels s’ajoutent 11 matchs de playoffs de 1994. Son étrange statut lui fait terminer sa carrière NBA à 14 minutes par match de moyenne, pour 6.2pts et 2.7reb. Si l’on ne regardait que ces stats sans rien d’autres, on ne se mettrait jamais en tête ce genre de joueur, et pourtant.
Avant Chris Jent, figurez-vous qu’on avait peur de pas avoir assez de place pour les lignes de stats de nos Fleers
La vraie carrière de Chris Jent
Cette carrière de champion NBA laisse place au retour du globetrottisme : Jent revient à Naples, puis chez les Mouettes d’Atlantic City, puis retour en Italie au Reggio Emilia, Termal Imola, puis la Grèce chez Panionios, avant de retourner encore en Italie au Reggio Emilia (connue aujourd’hui sous le nom de Pallacanestro Reggiana). En 2001, après 15 changements d’équipe en 8 ans, Chris arrête les frais, le terme de journeyman a pris tout son sens dans cette carrière, mais fort heureusement, les cinquante planètes, les trois galaxies, les cinq dimensions, Jésus, Allah, Boudha, Richnou et Obi-Wan Kenobi se sont tous associés pour lui offrir 6 semaines au bout desquelles il choppe à la volée sa bague avant de repartir dans la tornade qui lui aurait fait gagner un bon lot de miles chez Air France.
Que retenir de Chris Jent en joueur NBA ? Rien. Mais que retenir de Chris Jent en NBA ? Beaucoup plus. C’est une fois sorti des parquets que le parcours de Jent devient un vrai parcours, et un vrai parcours NBA surtout. Chris est ce genre de Luke Walton, de Rick Carlisle, le genre de joueur qui semble peu efficace sur le terrain, mais qui en dehors, démontre sa réelle culture basket. Ainsi, en 2003, il est recruté en tant qu’Assistant coach aux Sixers.
La progression de Jent en tant que coach est alors remarquable : après une année, c’est au Magic d’Orlando qu’il arrive. Il profite alors d’une brève vacance du poste de Head coach laissé par Johnny Davis pour diriger l’équipe une vingtaine de matchs ! Son premier bilan est très modeste : 5-13. Mais Jent semble faire ses preuves puisqu’il atterrit chez LeBron l’année suivante ! Jent va en effet intégrer l’équipe de Mike Brown de 2006 à 2011, vivant les premiers exploits du King mais aussi la meilleure saison des Cavs en 2009 (66 victoires). Un poste dans lequel il s’implique donc bien plus que durant sa carrière de joueur, puisqu’il est notamment responsable du secteur “Player development” de la franchise.
Un visage familier
Depuis 2011, Jent a enchaîné les missions. Il est d’abord retourné aux sources à Ohio State University. Déjà à titre personnel pour y achever son parcours académique, mais aussi pour devenir coach de l’équipe universitaire ! Un vrai succès puisqu’il mène les Buckeyes à un bilan de 60 victoires pour 13 défaites, un Elite eight en 2012 et un final four en 2013 ! Mais la NBA le réclame, et Jent arrive en tant qu’Assistant coach une nouvelle fois, chez les Kings pour une saison. On lui offre un poste de Head coach aux Bakersfield Jam en G-League, mais notre bon Chris vaut mieux que ça ! Il repasse brièvement par Ohio State l’an passé. Et voilà que ce long parcours débuté à l’aube des années 90, qui connu les finals 94, les Knicks du grand Pat’, les cross d’Iverson, les tomards du King et les Final four universitaires, nous le retrouvons aujourd’hui dans le staff d’Atlanta ! Budenholzer lui avait montré sa confiance, à voir si Lloyd Pierce en fera de même !
Chris Jent, c’est donc l’ultime Golden Loser, le mec qui arrive vraiment sur le parquet sorti de nulle part, qui apparaît et disparaît…78 minutes auront suffi pour gagner une bague tant convoitée. Ce qui frappe chez ce joueur, c’est la force du passage éclair : 3 matchs de saison régulière, puis 3 ans d’attente avant d’en rejouer trois. Entre-temps, 11 matchs de playoffs sont passés. On se dit finalement que Jent n’est arrivé que pour sabrer le champomy avant de se barrer discrètement. En revanche, sur les bancs de la NBA, Chris est devenu un incontournable, et depuis longtemps.
Cher Chris, ton parcours de coach est admirable, et ce sera un plaisir de te revoir sur les bancs de la NBA l’an prochain !
Mais pour ta carrière de joueur, je te nomme Golden Loser numéro 4 !
“Tu sais faire quoi d’autre en 78 minutes ?”