La semaine dernière, le Grec Giannis Antetokounmpo a été élu meilleur joueur de la saison régulière (MVP) 2018-2019. Un succès retentissant pour le joueur de Milwaukee, manifestement ému lors de son discours. Antetokounmpo est donc devenu le trente-quatrième joueur différent à inscrire son nom au palmarès du tant convoité MVP. Il prend la suite de James Harden, qui figurait à nouveau dans les débats cette année. Mieux, il marche désormais dans les pas d’immenses légendes du basket, telles que Kareem Abdul-Jabbar, Michael Jordan, LeBron James et autres Larry Bird. Ce que l’on oublie (trop) fréquemment, c’est que d’autres joueurs, moins connus, moins médiatisés, figurent également au panthéon des meilleurs joueurs d’une saison régulière. Une fois n’est pas coutume, mettons un coup de projecteur sur quatre de ces légendes souvent oubliées.
Lorsqu’on regarde le palmarès du MVP, on s’aperçoit rapidement qu’une décennie fait la part belle aux “surprises”. Ce dernier mot n’est peut-être pas le plus approprié, mais faute de mieux … Comprenez par-là qu’entre 1969 et 1980, quatre joueurs ont été élus MVP alors que leur nom respectif ne revient (presque) jamais dans les discussions qui tournent autour des légendes de notre jeu. Bien entendu, nos quatre larrons ne sont de loin pas des inconnus, sortis de nulle part pour glaner un titre individuel avant de repartir dans l’anonymat. Non, ce sont tous des véritables légendes du panier-ballon, quasiment tous installés au chaud du Hall-of-fame. Trêve de blabla, passons aux présentations des deux premiers d’entre-eux.
Wes Unseld en 1969
La ligne statistique : 13,8 points, 18,2 rebonds, 2,6 passes décisives à 47,6 % au tir.
Le bilan collectif : 1er de la conférence Est avec les Baltimore Bullets, avec 57 victoires pour 25 défaites.
A la fin des années 1960, le titre de MVP est globalement monopolisé par deux personnes : Bill Russell et Wilt Chamberlain. Neuf titres pour les deux cannibales. Chamberlain restait même sur trois titres consécutifs, rien que ça. Et qui vint stopper l’hégémonie de Wilt ? Un jeune gaillard, bâti comme un gros malabar, nommé Wes Unseld. Mesurant 2m01 pour 111 kilos, Unseld est un pivot aussi large que haut, sélectionné en seconde position de la draft … 1968, par les Bullets de Baltimore.
Oui, oui, vous avez bien lu. Le bonhomme a été drafté en 1968, avant d’être élu MVP en 1969.
Wes Unseld est donc, encore aujourd’hui, l’un des deux seuls joueurs à avoir été élu MVP et … rookie de l’année ! Il est accompagné par Wilt Chamberlain dans ce groupe très restreint. Cette performance, d’un autre temps, est tout bonnement inenvisageable aujourd’hui. L’exemple des saisons 2017 – 2018 et 2018 – 2019 est ici criant. Ben Simmons et Luka Doncic se sont tous les deux fendus d’une saison formidable pour des rookies. Simmons est d’ailleurs devenu All-Star au cours de sa saison sophomore, tandis que Doncic n’était pas loin d’assaisonner sa saison rookie avec un match des étoiles.
Pourtant, aucun des deux n’a jamais eu la moindre prétention au titre de MVP. Pourquoi ? Car quand bien même leurs statistiques furent excellentes, elles se situent dans une stratosphère bien inférieure à celle des Antetokounmpo, Harden ou autre George.
Et pourtant, il y a tout juste 50 ans, c’est bien le tout jeune Wes Unseld qui s’est payé le luxe de rafler deux des prestigieux titres individuels décernés en fin de saison régulière. Deux questions nous viennent à l’esprit. Comment ? Pourquoi ?
La réponse de la première d’entre-elle est assez évidente, bien qu’il soit tout de même nécessaire d’en discuter. Le titre de MVP repose généralement sur deux critères immuables : les statistiques individuelles et le bilan collectif de la franchise. Rappelons tout de même que les statistiques individuelles n’étaient pas toujours prises en compte de manière égale d’une année sur l’autre. Par exemple, en 1961 – 1962, Bill Russell fut nommé MVP, alors que Wilt Chamberlain (50 points et 25 rebonds … de moyenne), Oscar Robertson (triple-double … de moyenne) ou encore Elgin Baylor (38 points et 18 rebonds) présentaient des statistiques bien meilleures que celles de la légende des Celtics.
En ce qui concerne Wes Unseld, nous l’avons mentionné plus haut, les deux conditions semblent être royalement remplies. Certes, et nous en reparlerons rapidement, les statistiques présentées par le pivot des Bullets ne sont pas exceptionnelles. Remarquables, oui, exceptionnelles, non. Dans l’Histoire, il convient de le souligner, Unseld est le joueur possédant la moins bonne moyenne de points à avoir été élu MVP. Il pique cette place non-honorifique à Bill Russell, qui avait scoré 14,1 points de moyenne lors de la saison 1964 – 1965.
Pire encore dans le dossier Unseld, les statistiques brutes qu’il présente ne brillent pas forcément par rapport à celles présentées par ses prédécesseurs, comment vous le verrez ci-dessous. Précisons que nous ne tenons ici compte que des statistiques brutes pour deux raisons : premièrement, celles-ci n’étaient composées du triptyque point / rebond / passe décisive jusqu’en 1973. Deuxièmement, les statistiques avancées n’étaient, à cette époque, qu’utilisées de manière très marginale.
Nous le voyons, les statistiques d’Unseld sont absolument toutes sous les moyennes présentées. Doit-on en conclure qu’il a “volé” son titre de MVP ? Non, bien entendu. Force est cependant de constater que de nombreux joueurs présentaient des statistiques quasiment similaires aux siennes.
La concurrence : Elle est principalement composée de quatre joueurs : Willis Reed et Billy Cunningham, respectivement second et troisième des votes, Wilt Chamberlain, en route pour un quadruplé inédit et Jerry West, futur MVP des finales.
- Willis Reed : 21,1 points, 14,5 rebonds et 2,3 passes décisives à 52 % au tir en 82 rencontres. Évolue sous les couleurs des New-York Knicks, troisième de la conférence Est avec un bilan de 54 victoires pour 28 défaites.
- Billy Cunningham : 24,8 points, 12,8 rebonds, 3,5 passes décisives à 42,6 % au tir en 82 matchs. Évolue sous les couleurs des Philadelphie Sixers, second de la conférence Est avec un bilan de 55 victoires pour 27 défaites.
- Wilt Chamberlain : 20,5 points, 21,1 rebonds, 4,5 passes décisives à 58,3 % au tir en 81 matchs. Évolue sous les couleurs des Los-Angeles Lakers, premier de la conférence Ouest avec un bilan de 55 victoires pour 27 défaites.
- Jerry West : 25,9 points, 4,3 rebonds, 6,9 passes décisives à 47 % au tir en 61 matchs. Évolue également pour les Lakers.
Alors qu’il peut y avoir débat sur les statistiques, il est l’heure de répondre à la question “Pourquoi ?”. Et bien, l’impact de Wes Unseld sur sa franchise a tout simplement été décisif. Les Bullets restaient sur une saison 1967 – 1968 maussade, terminée avec 36 petites victoires au compteur. La franchise n’avait d’ailleurs pas disputée les playoffs. Avec l’intégration d’Unseld dans ses rangs, Baltimore s’est non seulement qualifiée pour les joutes printanières, mais en plus de cela avec la manière : + 21 victoires et la première place de la conférence Est.
Au-delà de son impact indéniable sur les progrès de sa franchise, Unseld s’est également fendu de quelques performances marquantes, qui ont forcément trottées dans la tête des votants. Citons la plus belle d’entre-elles : 28 points et 30 rebonds contre les Bucks dans une rencontre qui s’est déroulée le 14 février 1969.
Il est donc indéniable que le bilan collectif de la franchise de la capitale a joué un rôle prépondérant dans le succès de son rookie. Bilan collectif qui doit beaucoup à Wes Unseld, joueur au comportement exemplaire des deux côtés du terrain. Rebondeur hors pair pour sa petite taille (comparée aux 2m16 de Wilt Chamberlain ou aux 2m18 de Kareem Abdul-Jabbar …), Unseld sera le dernier joueur à attraper plus de 18 rebonds en une saison, jusqu’à Dennis Rodman en 1992.
C’est dire si l’impact du jeune Wes Unseld était unique au cœur de sa franchise. Bien que son titre de MVP puisse être sujet à discussion, la victoire d’Unseld reste infiniment méritée. Oubliée, mais méritée. La suite de la carrière du bonhomme sera du même acabit. Il remportera le titre NBA en 1978 (MVP des finales) et sera nommé parmi les 50 meilleurs joueurs de l’Histoire lors de la cérémonie des “50 greatest”, présentée lors du All-Star Game 1996.
S’il n’y a qu’une chose à retenir, c’est que la saison 1968 – 1969 de Wes Unseld reste un succès individuel peu commun : MVP, rookie de l’année, NBA first team, All-Star, first rookie team. Une saison de légende, en quelque sorte.
Dave Cowens en 1973
La ligne statistique : 20,5 points, 16,2 rebonds, 4,1 passes décisives à 45,2 % au tir.
Le bilan collectif : 1er de la conférence Est avec les Boston Celtics, avec 68 victoires et 14 défaites.
Le tournant des années 1970 aurait pu être fatal aux Celtics, eux qui furent tellement dominateurs depuis près de quinze ans, avec onze titres remportés. Exit la génération des Bill Russell et Sam Jones. Pour autant, la relève semble être dans de très bonnes mains, puisque le flambeau est immédiatement repris aussi bien par des joueurs expérimentés, tels que John Havlicek, que par des jeunes pousses, comme Dave Cowens. Chose qui avait alors de quoi réconforter Red Auerbach, General Manager de l’époque.
Drafté en quatrième position de la draft 1970, derrière quelques énormes pointures (Bob Lanier en first pick, Pete Maravich en troisième), Dave Cowens est sélectionné par les Celtics, pourtant champion en titre (la draft s’étant déroulée le 23 mars 1970). Dans une équipe désormais orpheline de sa légende vivante, le jeune pivot prendra immédiatement la place de feu Bill Russell. Il serait très osé de dire qu’il réussira à faire oublier Russell. Par contre, dire que Cowens a immédiatement eu un impact très positif sur les résultats de sa franchise n’est que pure vérité. Ainsi, sur ses cinq premières rencontres au sein de la Grande Ligue, le jeune Dave tournera à 20 points et 20,4 rebonds de moyenne, alors même que ses pourcentages au tir étaient absolument ignobles.
Pourtant, malgré les performances prometteuses de son rookie (qui terminera rookie de l’année, à l’instar de Wes Unseld), la saison des Celtics restera une déception. C’est le Milwaukee Bucks du tout jeune Lew Alcindor qui remportera le premier titre de son Histoire. D’année en année, et alors même que son niveau de jeu était d’ores et déjà époustouflant pour un joueur de 22 ans, Cowens va … augmenter ses statistiques. Sa saison sophomore ? 18 points, 15,2 rebonds et + 6 points de précision au tir. Et malgré un bilan très honnête avec 56 victoires, aucun joueur des Celtics ne trouvera sa place dans une All-NBA Team. Pour Cowens, ce ne sera que partie remise.
La saison 1972 – 1973 va être une véritable orgie du côté du Massachusetts, des points de vue collectif et individuel. Les Verts vont tout simplement réaliser la meilleure saison régulière de leur Histoire … record qui tient encore aujourd’hui. 68 victoires et, évidemment, la première place de la conférence Est. Nous avons eu l’occasion de le dire, le bilan collectif de la franchise compte énormément dans le vote du meilleur joueur de la saison régulière. Le dossier des joueurs des Celtics sentait donc bon le titre individuel.
Les Celtics étaient alors menés par un trio composé de Jo Jo White à la mène, John Havlicek sur les postes d’arrière / ailier et Dave Cowens dans la raquette. Alors dans sa troisième année, ce dernier va tout simplement réaliser la meilleure saison individuelle de sa carrière, tant au niveau des points marqués (20,5), des rebonds pris (16,2). Ce sera d’ailleurs la seule saison au cours de laquelle le colosse (2m6 et 104 kilos) jouera l’intégralité des quatre-vingt-deux rencontres.
Des statistiques qui lui permettent de figurer au dix-septième rang des meilleurs scoreurs de la saison, mais qui l’amènent surtout sur la troisième place du podium des rebondeurs les plus prolifiques, juste devant … Wes Unseld. Mieux encore, Dave Cowens est le joueur qui possède le meilleur “defensive win share”, indicateur qui permet d’estimer le nombre de victoires auxquelles un joueur a directement contribué grâce à sa défense (9,9, loin devant son coéquipier Paul Silas (7,6)).
Bilan collectif, statistiques individuelles, Dave Cowens avance comme un des favoris au titre du MVP de la saison 1972 – 1973, alors qu’il n’a que 24 ans. La concurrence est néanmoins féroce.
La concurrence :
Face à Dave Cowens, plusieurs joueurs possèdent également un dossier très qualitatif : Lew Alcindor (qui, pour rappel, deviendra Kareem Abdul-Jabbar) et Tiny Archibald sont, sur le papier, les deux adversaires les plus coriaces pour l’intérieur des Celtics. Ils ne sont néanmoins pas seuls, et la meute des poursuivants est uniquement composée de joueurs d’exception, tous membres du Hall-of-fame. Deux d’entre-eux faisaient d’ailleurs partis de la même cuvée de draft que Cowens.
- Lew Alcindor : 30,2 points, 16,1 rebonds, 5 passes à 55 % au tir en 76 rencontres. Évolue sous les couleurs des Milwaukee Bucks, premier de la conférence Ouest avec 60 victoires et 22 défaites.
- Tiny Archibald : 34 points, 2,8 rebonds, 11,4 passes décisives à 48,8 % au tir en 80 rencontres. Évolue sous les couleurs des Kansas-City Omaha Kings, septième de la conférence Ouest avec 36 victoires et 46 défaites.
- Spencer Haywood : 29,2 points, 12,9 rebonds, 2,5 passes décisives à 47,6 % au tir en 77 rencontres. Évolue sous les couleurs des Seattle Supersonics, huitième de la conférence Ouest avec 26 victoires et 56 défaites.
- Pete Maravich : 26,1 points, 4,4 rebonds, 6,9 passes décisives à 44,1 % au tir en 79 rencontres. Évolue sous les couleurs des Atlanta Hawks, quatrième de la conférence Est avec 46 victoires et 36 défaites.
- Bob Lanier : 23,8 points, 14,9 rebonds, 3,2 passes décisives à 49 % au tir en 81 rencontres. Évolue sous les couleurs des Détroit Pistons, cinquième de la conférence Ouest avec 40 victoires et 42 défaites.
Six salles, deux ambiances. Dans la première, nous retrouvons les joueurs qui, individuellement, ont réalisé une “saison de MVP”, mais dont les résultats collectifs ne semblent pas suffisants pour leur permettre de décrocher le trophée suprême. C’est le cas pour Tiny Archibald, qui termine la saison en tant que meilleur scoreur et meilleur passeur décisif (chose qui n’avait alors jamais été réalisé), mais aussi de Spencer Haywood et de Bob Lanier. Il est en effet bien délicat de remettre le trophée de MVP à un joueur qui n’a pas su avoir un impact positif sur les résultats de sa franchise (exemple de Haywood et des Sonics, avant-dernier de la conférence Ouest).
Seconde ambiance, celle des Dave Cowens, Lew Alcindor et Pete Maravich. Tous les trois ont pour eux aussi bien le bilan collectif que les performances individuelles. Très honnêtement, si Pete Maravich semble être légèrement en retard, notamment en raison du bilan uniquement correct de sa franchise, il semblerait que, d’un autre côté, Lew Alcindor possède une longueur d’avance sur le reste de la concurrence. Dave Cowens, lui, se situe donc entre deux eaux, dans une position délicate.
Au final, à l’issue de la saison, c’est bel et bien Cowens qui soulèvera le trophée de MVP, récompensant le caractère historique de la saison des Celtics. Pourtant, bizarrerie suprême, Cowens ne sera élu “que” dans le seconde All-NBA Team. Preuve que parmi ses pairs (les joueurs ont voté pour le trophée de MVP entre 1956 et 1980), Dave Cowens jouissait d’une reconnaissance sans égale.
C’est donc Cowens, dont le nom a été soufflé au front office des Celtics par Bill Russel himself, soulève pour la première – et seule – fois de sa carrière le trophée Marcel Podoloff. Un couronnement pour le pivot de Boston, qui faisait alors figure de franchise player hors norme, comme en atteste le bilan des Celtics en cette saison 1972 – 1973.
Le “sacre” de Cowens, c’est la victoire de l’une des plus grandes saisons régulières de tous les temps, alliée à des statistiques individuelles folles. Et pourtant, si l’on demande aux observateurs NBA de nous citer la longue liste des MVP, nul doute que le nom de Cowens sera oublié la majorité du temps. Une sorte d’injustice pour celui qui a été introduit au Hall-of-fame en 1991, et qui fut, lui aussi, de la cérémonie des cinquante meilleurs joueurs NBA de l’Histoire qui s’est tenue en 1996.
Mais que l’on soit MVP unanime, tel Stephen Curry en 2016, ou MVP de l’ombre comme Wes Unseld ou Dave Cowens, la finalité reste la même. La place dans la légende, aussi. Reste désormais aux journalistes, aux rédacteurs et autres observateurs de donner à ces joueurs “obscurs” la place médiatique et la reconnaissance qu’ils méritent.