Sur QiBasket, on aime vous dépeindre les portraits de certaines légendes historiques de la Grande Ligue. A travers leurs histoires et leurs carrières, on se prend de passion à vous faire vivre leur parcours du combattant, rempli de succès et d’échecs, de haut et de bas, pour que leur souvenir et leur empreinte persistent malgré le temps qui passe et les générations de nouvelles stars qui se succèdent.
Mais cette fois-ci, on a eu envie de prendre un nouvel angle pour vous rappeler pourquoi ces joueurs-là ont été élevés au rang de légendes, pourquoi ils sont parmi les meilleurs dans l’Histoire à avoir jamais foulé un parquet NBA. On abandonne pour une fois le storytelling pour se concentrer sur ce qui s’est passé sur le parquet, techniquement parlant.
Pour quelle raison Magic Johnson, Larry Bird, Tim Duncan, John Stockton, Scottie Pippen, Hakeem Olajuwon et consorts ont-ils été si dominants ? Chacun dans leur domaine de prédilection, ils ont à chaque fois dominé les débats. Qualité de passe, défense intérieure, défense extérieure, vision de jeu, footwork, jeu au poste, pick and roll, tous ont été les maîtres du jeu dans un secteur donné, jusqu’à en devenir des références.
On ouvre le bal aujourd’hui avec l’un des plus grands défenseurs intérieurs de l’Histoire, Tim Duncan
Carte d’identité
Identité : Timothy Theodore Duncan dit Tim Duncan
Naissance : le à Christiansted, sur l’île de Sainte-Croix dans les Îles Vierges.
Poste : ailier-fort puis pivot en fin de carrière.
Mensurations : 2m11 – 113 kilos (environ)
Draft : #1 en 1997
Carrière : Spurs (1997-2016)
Statistiques en carrière : 19 points, 10.8 rebonds, 3 passes décisives, 2.2 contres par match.
Distinctions individuelles majeures :
- 5x Champion NBA (1999, 2003, 2005, 2007 et 2014)
- MVP de la saison régulière en 2002 et 2003,
- MVP des Finales NBA en 1999, 2003 et 2005,
- 15 fois sélectionné au All Star Game,
- 10 fois sélectionné dans la All-NBA First Team (de 1998 à 2005, puis 2007 et 2013)
- 15 fois sélectionné dans une NBA All-Defensive Team (record) : 8 fois en First Team, 7 fois en Second Team.
- Hall of Famer, classe 2017
Tim Duncan et la défense : présentation
Tim Duncan et ses 19 saisons sous le maillot des Spurs sont un symbole de fidélité, de dévouement et de stabilité. Pilier de la maison noire et blanche depuis son arrivée en 1997 avec David Robinson à ses côtés, celui qu’on surnommait The Big Fundamentals s’en retiré des parquets aux termes de la saison 2015-16, à l’âge de 40 ans. Durant ces 19 saisons, il aura été le moteur de la franchise texane, symbole d’une franchise qui dure, et qui gagne. A la quasi-unanimité des observateurs et des fans – il y a toujours d’irréductibles détracteurs -, Tim Duncan est considéré comme le meilleur ailier-fort de l’Histoire NBA. L’un des arguments de poids plaidant en sa faveur : sa défense.
Aux côtés de David Robinson, Duncan formait au début de sa carrière un rempart défensif en forme de véritable calvaire pour les attaquants adverses. Difficile de se frayer un chemin dans la raquette quand les Twins Towers 2.0 vous attendaient de pied ferme dans la raquette, surtout à une époque où la notion de spacing offensif – ce besoin “d’aérer” le terrain en attaque – n’était pas encore à l’ordre du jour et où les intérieurs à l’ancienne étaient encore au premier plan. Au départ à la retraite de l’Amiral, Duncan ne laissa pas pour autant tomber son costume de défenseur intérieur d’élite, au contraire. Timmy s’offrait une double casquette d’option numéro 1 offensive et défensive qu’il assumait sans aucune difficulté. Lorsque son âge d’or fut derrière lui et qu’il passa le flambeau de l’attaque Spurs à ses coéquipiers Ginobili et surtout Parker, il continua à être la clé de voûte de la défense collective mise en place par Greg Popovich.
Malgré le poids des ans, Duncan arrivait prêt et affûté à chaque nouvelle saison pour remplir son rôle de tour de contrôle, tant et si bien qu’à 36 ans, lors de la saison 2012-13, il culminait encore à 2.7 contres par match, sa troisième meilleure moyenne en carrière, et ce alors que la Ligue avait bien changé depuis son arrivée.
Avec 15 sélections dans les All-Defensive NBA Team, Duncan possède le record en la matière, bien qu’il n’eut jamais l’honneur de recevoir le trophée de Défenseur de l’Année, une anomalie. La constance exceptionnelle de la légende des Spurs dans l’exercice défensif ne doit rien au hasard, mais est la résultante d’un savant mélange de toutes les qualités nécessaires pour devenir un défenseur d’élite. Ce cocktail explosif est venu, au fil des années, compenser le déclin logique de ses qualités physiques. Et faire de Tim Duncan une légende des parquets, ad vitam eternam.
Passons tout ça au crible.
Création visuelle de @MEEZdesign
La défense intérieure : de quoi parle-t-on ?
La notion-clé qui va nous intéresser avec l’étude de la défense de Tim Duncan, c’est la protection de cercle.
Que faut-il entendre par là ?
Si le terme semble assez parlant de lui-même, ça ne coûte rien de préciser les contours de la notion : techniquement, la protection de cercle se traduit par l’aptitude d’un joueur à empêcher, gêner ou contrarier les plans prévus par un attaquant ayant voulu se frayer un chemin au cercle.
On décline ici volontairement les verbes pour mettre le doigt sur une distinction basique mais essentielle : protection de cercle et contre ne sont pas synonymes. La protection de cercle est bien plus générale et globale que le seul contre, qui n’est que l’un des effets possibles d’une bonne protection de cercle préalable. Il est vrai que c’est sûrement la forme la plus évocatrice et la plus frappante de protection de cercle, mais limiter celle-ci au seul contre serait très/trop réducteur, et occulterait par exemple toutes les fois où l’attaquant est forcé de changer sa trajectoire de tir, de trouver un angle plus difficile ou tout simplement dissuadé de prendre le tir qu’il souhaitait.
Quels sont les éléments indispensables pour être un bon protecteur de cercle, un bon défenseur intérieur ?
Une autre erreur serait ici de restreindre une nouvelle fois la protection de cercle, cette fois-ci au seul paramètre des qualités physiques. Or, ce n’est pas parce que l’on est un monstre physique avec une détente de marsupial que l’on est forcément un bon défenseur intérieur, et donc un bon protecteur de cercle.
Evidemment, les qualités physiques ont un rôle à jouer, et notamment concernant la mobilité que la défense requiert.
D’ailleurs, si on a souvent l’image d’un Tim Duncan proche de la retraite, les cheveux grisonnants, une détente de grand-père et une mobilité hésitante, on oublie trop souvent le jeune joueur qu’il a été. Après 2m11 pour 113 kilos, Duncan a, durant une bonne partie de sa carrière, eu des aptitudes physiques au-delà de la moyenne en terme de mobilité et d’agilité. On n’oubliera pas non plus que sur les dernières années de sa carrière, il se présentait toujours à l’entame de saison délesté de quelques kilos afin de pouvoir conserver un brin de mobilité.
Mais en effet, le physique ne fait pas tout. Il est impossible d’être considéré comme un très bon défenseur intérieur sans posséder une science du déplacement, un sens du placement et de l’anticipation de haut niveau également. C’est peut-être même ces paramètres-là qui font la différence entre un bon défenseur et un très grand défenseur : l’intelligence de jeu, de situation – tout comme en attaque, finalement. Or, Tim Duncan, malgré ses évidentes qualités physiques naturelles, c’est avant tout et surtout un cerveau. Déplacement, placement, timing, anticipation étaient ses maîtres-mots. Techniquement parlant, la protection de cercle dont ont bénéficié les Spurs en présence de leur icône intérieure reste une référence en matière d’intelligence défensive.
Maintenant, parlons technique. Et surtout, parlons fondamentaux.
Leçon 1 – Le contre
Quand on pense “contre”, on ne pense pas directement à Tim Duncan, il est vrai. Pourtant, il est l’un des contreurs les plus prolifiques de l’histoire NBA, le 5è à vrai dire, avec 3020 contres en carrière (2.2 par match en carrière), et le 1er pour ce qui est des contres en playoffs.
Plus haut, on a précisé que juger un protecteur de cercle à la seule lumière de ses contres n’avait aucun sens. Même raisonnement ici : juger un contreur sur le seul prisme de sa moyenne de contres par match est le meilleur moyen de se tromper sur sa qualité. Un joueur terminant un match à 5 contres, c’est très impressionnant. Mais si sur ces 5 contres-là, deux retombent dans les mains de l’adversaire, donnant 4 points faciles ; que deux autres filent en tribunes, donnant à l’adversaire deux nouvelles possessions… ? L’efficacité devient de suite beaucoup plus relative. Si les contres de Duncan ont rarement eu leur place dans les Top 10, ils sont au contraire de l’inefficacité décrite à l’instant.
Techniquement, les contres de Duncan étaient empreints de quelques caractéristiques bien précises, et facilement identifiables :
- Il s’appuyait énormément, et logiquement, sur sa longueur de bras :
Avec ses 2m11 et son passif de nageur quasi-professionnel, Duncan possède une longueur de bras très importante, sur laquelle il se repose beaucoup pour gêner les incursions adverses en direction du cercle. Mais comment optimiser cette qualité naturelle au service du contre et de la protection de cercle ?
Tout d’abord, cela permettait à Duncan d’éviter de sauter à la moindre feinte, et de rester toujours en contrôle sur son attaquant direct ou sur le drive qu’il contenait. La position de contre de TD était souvent la même : un bras contrôlait la pénétration ou le mouvement de l’attaquant, tandis que l’autre était déjà positionné en hauteur, près à s’étirer pour cueillir la balle orange dès qu’elle sortait des mains de l’adversaire.
De cette manière, Duncan se donnait la possibilité de contrôler le mouvement de l’attaquant et d’attendre le moment opportun pour le contrer plus efficacement ou pour le dissuader.
Autre atout de posséder une telle longueur de bras : contourner l’attaquant. Quand Duncan intervenait en second rideau, en aide défensive, ou lorsqu’il devait intervenir sur les défenses en transition, il savait se positionner intelligemment pour contourner l’attaquant, éviter le contact, et tout de même réussir à bloquer le tir ou à le contrarier.
Ce dernier point répond à un souci important dans la défense collective mise en place par Popovich et les Spurs au cours de la période de domination de Tim Duncan : faire le moins de fautes possibles, pour donner le moins de possessions possibles aux adversaires et ne pas se pénaliser soi-même. Au regard de l’importance de Duncan dans le système Spurs, il aurait été inconcevable qu’il soit un rempart défensif inopérant à cause des fautes sifflées contre lui.
Or, l’intérieur des Spurs incarne tout le contraire : au regard du nombre d’actions défensives où il était impliqué, son nombre de fautes par match est infime.
- Son timing de contre intervient très tôt :
Là où certains défenseurs attendent de cueillir le shoot de l’attaquant une fois celui-ci envoyé en l’air, Tim Duncan intervenait très tôt, dans l’idéal avant-même que le ballon n’ait quitté les mains de l’attaquant. Toujours grâce à cette longueur de bras importante, Duncan peut “cibler” le ballon avant de le contrer, et tuer les espoirs de l’attaquant avant même qu’ils ne naissent.
Là encore, si Duncan décide d’intervenir sur le shoot adverse le plus tôt possible quand il le peut, ce n’est pas sans raison.
D’une, il permet de la sorte que la balle reste en jeu. Or, pour un contre, il y a 3 issues possibles : soit la balle sort, soit la balle est récupérée par l’adversaire, soit par votre équipe. En stoppant le ballon dès le point de relâchement du tir, Duncan conserve la balle dans l’aire de jeu et favorise son équipe, en éliminant une des 3 possibilités et en étant le mieux placé pour récupérer la gonfle. Eviter de donner des possessions supplémentaires à l’adversaire ? Une autre directive de la défense Spurs des années 2000 et 2010.
De plus, l’effet sur l’attaquant est immédiat. Se faire contrer une fois la balle en l’air, c’est toujours un peu contrariant. Mais ne même pas avoir la possibilité de voir la balle quitter ses mains ? C’est encore pire. Du trashtalking en douceur, dans le jeu, mais le geste n’est pas anodin : non, tu ne shooteras pas.
- Le placement et l’anticipation :
Un autre point fort dans les contres chez Tim Duncan, c’est le placement et l’anticipation dont il savait faire preuve, surtout quand il devait intervenir en aide défensive. Pour palier à sa mobilité déclinante au fil des années, Duncan a dû anticiper d’autant plus les mouvements adverses : mais il n’a jamais eu à trop forcer son talent pour se faire, tant l’anticipation et la lecture de jeu dont il a fait preuve toute sa carrière durant défensivement était déjà très élevés. Les demi-pas et demi-secondes qu’il parvient à gagner sur sa simple lecture de jeu lui permettaient de contrarier les plans offensifs de l’adversaire ou du moins de l’amener dans une zone moins confortable que prévue.
La science du placement et la lecture de jeu, notamment défensive, est peut-être l’une des choses les plus difficiles à transmettre. Il n’y a rien à apprendre “techniquement”, car tout se passe dans la tête. D’aucuns diraient que soit on sait lire le jeu, soit on ne le sait pas. Mais évidemment, cela peut s’apprendre, mais c’est beaucoup plus long qu’apprendre quelque chose de “juste” technique. Lorsque la lecture et l’anticipation des mouvements offensifs sont innés, comme chez Duncan, c’est précisément ce qui vous fait passer d’un bon défenseur à un défenseur élite.
***
Filmroom – Leçon 1
#1 : L’action ci-dessus présente 2 qualités vu précédemment chez Duncan, le placement et le timing :
- Plutôt que de coller l’intérieur adverse, éloigné du cercle, Duncan reste en position sous l’arceau et ce malgré la tentative de Boris Diaw de le faire bouger. De cette manière, il est déjà placé pour empêcher le drive de l’extérieur qui se profile : lecture de jeu, quand tu nous tiens.
- L’action de l’attaquant est bonne : Danny Green le suit de près, donc le curl est la meilleure option. Mais Duncan est déjà en place dans la raquette, près à protéger la raquette.
- Sur le contre, la position est celle décrite plus haut : une main contrôle brièvement le drive de l’attaquant tandis que l’autre attend en hauteur le moment idéal. L’attaquant est obligé de tenter un tir très compliqué pour contourner la présence de Duncan, ce qui facilite le contre. Bingo.
#2 : Une illustration du bel athlète qu’a su être Tim Duncan lors de ses premières années NBA, sur cette action des Finales NBA 1999 opposant les Spurs aux Knicks.
- Duncan flotte énormément sur son défenseur : à l’époque, pas de licornes intérieures capables de dégainer des 8 mètres, le risque est sans crainte. Cela lui permet surtout d’être idéalement positionner pour empêcher Allan Houston, sur l’aile avec la balle, de tenter la pénétration dans l’axe.
- Houston, très rapide sur son premier pas, efface son vis-à-vis pour attaquer la ligne de fond. Après son premier dribble, faites pause. Voyez la distance qui séparer Houston de Duncan, et la proximité du premier avec le cercle.
- Duncan réagit très tôt, et s’engage très vite dans sa course : deux pas, appel deux pied, et timing parfait dans l’intervention. Parti avec 2 mètres de retard, tout cela est rattrapé à quelques centimètres du cercle.
#3 : Favors tente de jouer Duncan face au cercle, dans un périmètre restreint. Si l’intérieur du Jazz est plus mobile et rapide que son homologue, Duncan parvient avec sa longueur de bras à stopper net les élans offensifs de Favors.
- Encore une fois, la main en contact avec l’intérieur au moment où celui-ci monte au cercle permet à Duncan de “sentir” et de contrôler son attaquant.
- Favors va plus vite, plus haut, mais la longueur de bras de Duncan fait la différence et lui permet d’intervenir au niveau du cercle, et dans un timing parfait, alors que Favors a encore la balle entre ses mains pour le dunk. Facile.
#4 : On y reviendra dans la partie concernant la défense sur pick and roll de Duncan, mais cette vidéo montre parfaitement comment par sa naturelle longueur de bras et sa lecture du mouvement de l’attaquant, Duncan arrivait à combler un retard pris sur le drive d’un extérieur-turbo comme Westbrook.
- Duncan montre inhabituellement haut sur cet écran, et Westbrook en profite pour cadrer ses appuis, et le déborder côté droit. Duncan est sur les talons, pris de vitesse, et à l’entame de ses deux pas vers le cercle, Westbrook a pris l’avantage.
- Mais la grande envergure de l’intérieur et le champ aérien qu’il couvre avec son corps + son bras droit empêche Westbrook d’exploser au cercle, et ce dernier termine son lay-up assez bas : la naturelle envergure de Duncan fait le reste.
***
Leçon 2 – Le rebond
Pour être un bon défenseur, il faut être un bon rebondeur. Là encore, l’inverse n’est pas forcément vrai. L’un de vos joueurs peut être une machine numérique dans la catégorie, gobant 14 ou 15 rebonds soir après soir, et pourtant n’avoir aucun impact réel dans le domaine défensif outre mesure. Au contraire, un très bon défenseur intérieur sera toujours, à quelques exceptions près, un très bon rebondeur.
Alors pourquoi rapprocher défense intérieure, via la protection de cercle, et rebonds ?
Il est très difficile de juger de la valeur d’un rebond, ou de son importance, avec des chiffres. Défensivement, on pourrait se dire que les rebonds défensifs n’ont qu’un impact minime sur le fait qu’une équipe soit ou non une bonne défense. Pourtant, c’est tout le contraire. On l’a déjà dit plus haut, mais l’un des principes phares de coach Popovich à San Antonio sous l’ère Duncan était de limiter le nombre de possessions adverses. Pour ce faire, plusieurs moyens existent, l’un des principaux étant une domination sans partage au rebond, notamment défensif. En sécurisant les prises de balle sur les shoots adverses manqués, vous évitez de donner trop de possessions supplémentaires à votre adversaire. C’est simple, mais le basket n’est pas obligé d’être plus compliqué que ça.
Maintenant que cela est fixé, pourquoi Tim Duncan est l’un des meilleurs rebondeurs de l’histoire ?
- Le sens du placement “individuel” de Duncan
Tout comme pour sa qualité de contre, le placement de Duncan par rapport aux tirs, par rapport à son joueur direct et par rapport au cercle est d’une grande qualité.
Encore une fois, ce n’est pas flashy, ce n’est pas brillant, ça semble même ordinaire, mais c’est un des fondamentaux essentiels du rebond et par extension, de la défense : savoir bien se placer.
L’une des clés de ce placement était notamment la capacité qu’avait Tim Duncan, en amont, à encaisser les attaques poste bas. N’ayant pas à compenser de déficit de taille ou de poids sur les intérieurs qu’il devait affronter au poste, Duncan pouvait s’offrir le luxe de les attendre en restant derrière eux, même contre les adversaires les plus puissants
Il était suffisamment solide pour encaisser les chocs au poste, et pouvait donc se permettre de laisser les passes intérieures arriver depuis l’aile pour s’occuper ensuite de la défense “1 vs 1”. De cette manière, il se retrouvait déjà placé entre son attaquant et le cercle, dans un périmètre restreint. Peu importe les mouvements faits ultérieurement par son adversaire, Duncan tentait ensuite de conserver cette position “barrière”, entre son attaquant et le cercle, empêchant ainsi un accès facile au cercle, lui permettant de gêner au mieux le tir et lui permettant également de bénéficier d’une position idéale pour le rebond défensif.
Quand il intervient sur un rebond défensif suite à un tir extérieur, il adopte la même stratégie de placement. Jamais trop éloigné du cercle, deux situations s’offraient à lui. Soit il était laissé totalement libre lorsque l’intérieur adverse ne contestait pas forcément le rebond, soit il jouait des coudes et du placement pour pouvoir récupérer la balle orange, surtout dans les moments chauds. Car oui, c’est également une donnée essentielle, voire primordiale, pour être un excellent rebondeur : il faut savoir se battre et se faire sa place.
- Taille et longueur
On l’a dit pour les contres, mais c’est tout aussi valable pour les rebonds : le physique ne fait pas tout. Mais il faut avouer, quand même, que ça aide pas mal.
Avec ses 2m11, Tim Duncan faisait usage de sa taille et de sa force (près de 115 kilos), pour se créer de la place, tant au rebond défensif qu’offensif d’ailleurs. Lorsque Duncan voulait prendre sa place parmi la foule de joueurs présents sous le cercle à certains moments, il y parvenait en général assez facilement. Une fois en place et bien positionné, ses très longs bras lui permettait de venir gratter le rebond directement, mais parfois également en plusieurs temps, après deux ou trois “tips” à la balle pour l’amener dans un coin moins fréquenté de gros bras. Il abusait également des interférences dans les bras adverses, du bout de ses longs bras, pour dégager la balle hors de porté de ses adversaires.
Bref, un cocktail idéal pour terminer parmi les rebondeurs les plus prolifiques de l’histoire NBA.
***
Filmroom – Leçon 2
#1 : Le jeune Tim Duncan, dans son 3è match NBA seulement… face à Dennis Rodman, 36 printemps, machine à rebonds et à défense. Cette courte séquence illustre bien la parfaite utilisation que faisait Duncan de sa longueur de bras, mais montre également la réactivité qu’il savait avoir au sol, rebondissant systématiquement sur ses pieds à chaque fois pour ne pas perdre le contrôle de la balle en l’air.
#2 : Une simple illustration du côté nasty et roublard que peut avoir le bon rebondeur. Lors de sa dernière série de playoffs disputée, à 40 ans et contre Steven Adams, réputé depuis quelques années pour être l’un des joueurs les plus dur à jouer physiquement, Duncan ne se défile pas. Rudesse, physique, moneytime et ça ne bronche pas : playoffs time.
***
Leçon 3 – Le pick and roll
La défense sur pick and roll est l’une des défenses les plus travaillées dans notre NBA actuelle, où cette attaque simplissime est devenue légion. Le principe de base de cette action est des plus simples : un joueur vient porter un écran au porteur de balle. Mis dans une situation de jeu à 5 contre 5, et avec des profils spécifiques entre le porteur de balle et le poseur d’écran, le pick and roll aussi simple soit-il, peut-être létal. Bien le défendre peut se révéler être une énigme insolvable.
Précision importante : si au début de sa carrière, il est vrai que le pick and roll était une arme beaucoup moins utilisée qu’actuellement, le jeune Duncan, notamment dans ses années MVP du début des années 2000, n’avait aucune difficulté à contenir les drives et à sortir au large pour suivre un intérieur un peu fuyant, même s’ils étaient rares encore.
Par la suite, et surtout durant le dernier tiers de sa carrière, Tim Duncan s’est beaucoup vu exposé à ces situations. Logiquement, les équipes qu’affrontait San Antonio souhaitaient mettre à mal la mobilité latérale de l’intérieur. Mais encore une fois, c’était sans compter le cerveau de ce bon vieux Tim, qui au contraire de ses jambes n’avait rien perdu de sa superbe.
Plus de précisions sur la défense du pick and roll made in Duncan :
- Une position souvent très basse au service de la défense collective
Compte tenu de la défense d’élite au cercle qu’il permettait d’assurer aux Spurs, il aurait été étrange de demander à Duncan de multiplier les step-out agressifs ou même d’instaurer des switchs permanents. Là où Tim Duncan était le plus utile à son équipe en défense, c’est lorsqu’il restait dans la zone proche du cercle.
Si les choix défensifs des Spurs vont évidemment varier au fil des années et des équipes/joueurs à affronter, la base avec Tim Duncan restera souvent la même, qu’il soit concerné directement ou non par le pick and roll.
De part sa grande force de dissuasion proche du cercle, Duncan avait en effet la plupart du temps vocation à défendre le pick and roll en “drop” – défense sur pick and roll consistant pour l’intérieur défenseur à rester en retrait de l’écran et de son joueur poseur d’écran – ou en “hedge” – ici, l’intérieur défendant le poseur d’écran sort légèrement pour contrôler et dissuader le drive du preneur d’écran, avant de revenir défendre son joueur initial (en gros, un bon vieux “aider-reprendre”).
Un tel choix n’est pas sans but : compte tenu de la grande efficacité défensive de Duncan à proximité du cercle, les Spurs avaient tout intérêt à faire croire aux équipes adverses que la pénétration était possible. Agissant en véritable épouvantail et rempart défensif, Duncan dissuadait bien souvent dans un second temps les drives au cercle, ou bien, lorsqu’ils étaient tout de même tentés par les attaquants, parvenaient un grand nombre de fois à mettre l’attaquant, qu’il soit intérieur ou extérieur, en échec.
Une bonne défense n’est pas une défense qui encaisse 0 point, c’est une défense qui sait ce qu’elle donne, et le donne pour une raison précise. A San Antonio, avec ce système, on souhaitait avant tout donner des shoots intermédiaires aux joueurs adverses, en leur fermant l’accès au cercle. Avec Duncan sous le cercle ? Jackpot.
- Une force de dissuasion énorme, encore et toujours
Nous nous sommes déjà attardés sur ce point plus haut, mais il est important de remettre une légère couche sur la protection de cercle que pouvait apporter Duncan, notamment dans ces phases de pick and roll, tant elle est importante.
Lorsqu’il est concerné par l’écran en tant que défenseur du poseur d’écran, Duncan attend donc très bas, qu’il s’agisse pour lui d’intervenir sur le roll de l’intérieur, ou pour gérer le drive de l’extérieur. Lorsque l’un ou l’autre décide de venir termine au cercle, la dissuasion offerte par TD est tout simplement exceptionnelle. Par son placement, la plupart du temps frontal entre le joueur adverse et le cercle, Duncan force l’attaquant à faire un choix, sans donner aucune tendance. Son positionnement, son envergure et son timing font le reste.
- Une qualité d’aide défensive exceptionnelle
Quand il était concerné directement par l’écran mis en place, Duncan restait bas, aux alentours de la zone des lancers-francs pour un pick en tête de raquette. Mais là où sa position est encore plus basse, c’est lorsqu’il agit en second rideau, en aide défensive.
Contrairement à ce que certains défenseurs tentent de faire, Duncan ne monte jamais très haut sur ses aides pour venir cueillir l’intérieur s’ouvrant après l’écran dès que ce dernier réceptionne la balle, sur ce que nos amis anglophones appellent appeler le “catch”. Au contraire, il laisse l’intérieur récupérer celle-ci, en se plaçant parfois très en retrait, voire sous le cercle. Une fois encore, tout ceci nécessite une très grande lecture de jeu, et un sens de l’anticipation très fin pour sentir quand le décalage doit être fait.
De la sorte, Tim Duncan tentait d’amener le joueur adverse à venir le défier le plus proche possible du cercle. L’intérieur attaquant n’a que deux solutions : tenter le tir en zone intermédiaire, ou venir défier Duncan. Quand son vis-à-vis choisissait cette option et tentait de pénétrer au panier, Duncan n’avait plus qu’à jouer de son placement, de son timing d’intervention et de sa longueur de bras pour gêner le tir ou venir au contre. Si au contraire, il tentait un shoot dans la zone intermédiaire, les Spurs avaient réussi à l’amener où il le souhaitait, et Duncan pouvait tout de même interférer avec son envergure.
***
Filmroom – Leçon 3
#1 : L’exemple idéal pour illustrer la force de dissuasion au cercle que savait être Duncan.
- L’action mise en place par OKC pourrait laisser croire à un pick and roll entre Kevin Durant et Russell Westbrook, mais il n’en n’est rien. Duncan adopte toutefois la même attitude défensive : non loin d’Adams pour fermer l’angle de passe, non loin du cercle pour empêcher le drive.
- Lorsque Westbrook déborde Leonard et plante ses pieds au sol pour décoller à l’arceau, Duncan en fait de même. Aux limites de la restricted arena, son positionnement empêche une passe à Adams, et lui permet d’intervenir pour gêner la finition.
#2 : Ici aussi, l’action est l’illustration parfaite de ce que l’on a mis en lumière précédemment.
- Duncan, en défense sur Ibaka, n’est pas concerné directement par le pick and roll entre Westbrook et Adams. Ibaka s’éloigne dans le short-corner pour laisser la peinture libre, mais Duncan reste non loin du cercle, notamment car Danny Green est occupé par Kevin Durant à l’opposé et qu’il ne jouera donc pas l’aide.
- Aldridge sort suffisamment fort pour dissuader Westbrook d’aller au drive, surtout que le jeu est complètement bouché de ce côté-là du terrain : il ne reste à Westbrook que le possibilité de servir Adams.
- Grâce à son placement très bas et à sa bonne lecture en anticipation, Duncan est déjà face à Adams lorsque ce dernier reçoit la balle. Duncan est dans la restricted arena, entre le pivot d’OKC et le cercle, idéalement placé. Adams pourrait défier son homologue au cercle, mais il est légèrement trop loin. Il n’a plus que le tir intermédiaire à se mettre sous la dent. Pari gagné pour San Antonio.
#3 : Autre exemple avec ici un pick and roll où Duncan est directement impliqué défensivement.
- La position de départ est très basse, à proximité des lancers-francs : s’il est plus haut, les risques de débordement sont trop importants.
- Quand Westbrook se retrouve face à lui, Duncan reste de front, sans donner aucune orientation : à l’attaquant de créer la scission.
- Une fois proche du cercle, Duncan est dans son jardin. Il accompagne le mouvement de l’attaquant et cueille la balle aisément.
***
Leçon 4 – Le placement, l’anticipation et la lecture de jeu
La partie la plus importante de ce portrait du défenseur qu’était Tim Duncan. Mais aussi la plus difficile à illustrer ou à faire comprendre, tout simplement car au-delà de la technique pure, ces aspects défensifs relèvent de l’intelligence de jeu, beaucoup plus difficile à faire ressentir et à transmettre que les rudiments nécessaires au rebond.
Tim Duncan n’avait pas le physique impressionnant de mobilité qu’ont pu avoir d’autres références défensives dans l’Histoire NBA, comme Hakeem Olajuwon ou même son coéquipier d’un temps, David Robinson. Ceux-là étaient des ballerines de 2m10 et 110 kilos. Evidemment, Duncan n’a pas toujours été le joueur vieillissant qu’il était dans les dernières années de sa carrière : si la qualité des images était peu convaincantes pour illustrer les propos de cet article, je vous invite à aller visionner quelques matchs du Tim Duncan MVP du début des années 2000, et votre avis devrait changer sur le physique du garçon.
Si le physique se détériore inévitablement entre 20 et 40 ans, il y a eu une constante dans la carrière de Duncan : son cerveau. Inné ou acquis, peu importe : la lecture de jeu, la lecture qu’il était capable de faire des mouvements offensifs adverses, des coupes des extérieurs, la capacité qu’il avait de fermer les angles de passes à l’intérieur, à intervenir en aide très rapidement, très en amont, son timing dans ses interventions, dans ses dissuasions, tout ça était le liant de tous les aspects défensifs qui viennent d’être passés en revue.
On retrouve ce sens du placement, de la lecture de jeu et de l’anticipation dans tous les compartiments du jeu de Duncan, offensifs et défensifs. Pour pouvoir la comprendre, il faut s’arrêter sur des séquences entières, observer les pas de décalage qui sont faits en amont des contres ou dissuasions, il faut regarder son positionnement au départ des actions, à la prise de balle d’un intérieur servi après écran, sur les rebonds contestés, etc, etc. Notez que sur chacune des vidéos précédentes, il a été fait mention de la notion de timing, de placement : tout, sauf un hasard.
***
FIlmroom – Leçon 4
Pas vraiment spécifique ici, mais simplement deux vidéos, à 17 ans d’intervalle, pour vous montrer à quel point la défense n’a jamais cessé d’habiter Duncan.
#1 : 1999, face aux Wolves. L’action défensive de Duncan parle d’elle-même sur ses qualités alors qu’il n’est que dans sa deuxième saison NBA.
- Le switch est forcé par Minnesota, et Duncan se retrouve en défense contre un extérieur : s’il se fait passer sur le changement de direction, il reste collé à son attaquant. L’aide permet de fermer l’accès au cercle et le ballon est obligé de ressortir.
- Duncan se repositionne immédiatement sous le cercle, et voit l’attaquant arriver de loin : placement, timing et envergure lui permettent de détruire la tentative d’incursion au cercle tentée par les Wolves.
#2 : 2016, dernière série de playoffs face au Thunder, Duncan a 40 ans. Oui, ça va moins vite, ça va moins haut, mais les efforts sont là, restent là, et sont toujours décisifs.
- Son positionnement initial, à revers de l’écran posé par Adams, montre que Duncan avait anticipé le pick and roll de l’autre côté. Adams joue bien le coup et change son orientation d’écran.
- Cela n’empêche pas Duncan de revenir fermer l’accès au cercle en dissuasion haute, et de se replacer derrière son coéquipier Kyle Anderson.
- Durant arrive à créer la séparation avec son défenseur, mais la défense se ressert automatiquement sur lui, Duncan en chef de file en bloquant l’accès à la ligne des lancers-francs.
- Kevin Durant lâche la balle à Ibaka. Aldridge est très agressif sur le closeout (en raison du chrono restant) et Ibaka joue intelligemment le drive. Mais Duncan a déjà commencé à coulisser pour se mettre face à lui et gêner le floater de l’intérieur. 3 interventions, 3 dissuasions plus ou moins fortes, mais un même résultat.