A l’été 2019, QiBasket vous a transporté dans le temps et l’espace pour retracer l’histoire de l’équipe de France de basket, de 1893 jusqu’à la Coupe du Monde 2019. Mais cet hommage à notre sélection est en réalité incomplet, inachevé. Le 6 février 2020, les qualifications pour les Jeux Olympiques de Tokyo pour le tournoi de basket féminin avaient commencé. Nos Bleues, favorites, ont fait le travail et se sont rapidement qualifiées. C’est donc l’occasion de reprendre notre récit de l’équipe de France de basket, mais cette fois, en parlant de celles qui ont marqué l’histoire en bleu. Car notre sport ne fut jamais la propriété des hommes, il est féministe, il est même féminin, depuis sa création. Voici l’histoire fabuleuse et légendaire de l’équipe de France de basket féminine.
Liste des épisodes précédents :
- Episode 1 : Les pionnières du basket (1893-1928)
- Episode 2 : Championnes avant l’heure (1929-1939)
- Episode 3 :La patte Busnel (1945-1957)
- Episode 4 : Survivre dans le basket soviétique (1957-1963)
- Episode 5 : Génération Clermont (1963-1980)
Episode 6 : En réanimation (1980-1990)
Riffiod s’en va
Nous l’avions vu dans l’épisode précédent, avec la génération Clermont, la France avait connu une relative mais notable période de compétitivité. A l’entrée des années 1980, et à l’instar de leurs homologues masculin, les bleues vont devoir malheureusement passer dans une période discrète, durant laquelle il faudra être patient avant de voir l’équipe resurgir. Mais on le verra dans les épisodes prochains, comme les garçons, cette période d’attente sera récompensée, et assez curieusement, dans des timing plutôt synchronisés. Mais en attendant, il faut conclure cette ère clermontoise. Cela aura lieu lors de l’Eurobasket 1980, auquel suivra exceptionnellement une autre édition, en 1981. La pression est là, mais surtout l’émotion, car après avoir atteint les 247 sélections, Elizabeth Riffiod s’est décidée : la compétition de 1980 ne sera pas dans son agenda. Elle termine ainsi sa carrière internationale avec le record de sélections de l’histoire des deux équipes de France à l’époque. Plus tard, bien plus tard, son fils Boris Diaw s’arrêtera à 246. Riffiod a d’ailleurs elle-même déjà tourné la page Clermont, et joue pour Asnières depuis deux saisons.

Cormy aux côtés de Patrick Beesley. Bien qu’entraîneur reconnu, Cormy ne saura pas faire percer les bleues. – Photo : La Dépêche
Le sélectionneur Jean-Paul Cormy savait qu’il devait assurer la transition, en s’axant sur la formation. Pour le coup, il était en plein dans ce processus. Il peut encore compter sur quelques éléments expérimentés de la décennie précédente, comme Catherine Malfoix. Mais le groupe bleu se lance, une fois n’est pas coûtume, en URSS, pour cet Eurobasket 1980 au format chaotique. La FIBA démontre déjà son savoir faire. Cormy convoque Florence Andrée, Blandine Roudet, Anna-Marie Sarabia, une certaine Paoline Ekambi (on y reviendra), Sylvie Simonetti, Guylaine Isnard, Viviane Labille, Sylvie Gorczewski, Chrystelle Doumergue, Agnès Sainte-Croix et donc Malfois. Un groupe vraiment renouvelé, hormis Labille, Sainte-Croix et Malfois. Mais cet Eurobasket n’offre rien de glorieux, ni-même de notable. Après avoir attendu qu’un tour préliminaire de deux groupes se termine, les françaises ne profitent pas de tomber, pour une fois, dans un groupe remplie d’équipes soviétiques. Pire, elles chutent d’entrée contre les Pays-Bas (49-53). Malfois mène le groupe tant bien que mal au scoring, avec 19pts de moyenne et un impressionnant 79% au shoot. Les bleues se rattrapent contre la Finlande (76-67), mais chutent contre la Roumanie et sortent au premier tour. Dans le tournoi consolante, l’Italie achèvera tout espoir d’un classement honorable, avant que Malfois ne mène encore la sélection à des victoires laborieuse contre la Belgique, puis l’Angleterre, des nations de second plan. Les françaises chutent enfin, lourdement, contre l’Espagne (55-75). Résultat : 11e place sur 14, et aucun espoir de jouer l’Eurobasket 1981. L’URSS remporte son 15e titre européen consécutif.
« L’horizon 80 », incarné par Paoline Ekambi

Ekambi, l’image d’une génération, ou tout simplement de l’équipe de France ? – L’équipe Magazine
Le groupe de l’Eurobasket 1980 l’a montré, une nouvelle génération arrive. Si, au début de la décennie, elles ne sont que des joueuses en progression, certaines d’entre-elles vont devenir incontournables dans le basket-ball français. Paoline Ekambi est l’une d’elles. Ekambi, c’est ce que, à la Fédération et à l’INSEP, on appela « L’horizon 80 ». C’est effectivement en 1980 que cette génération de joueuses, au parcours junior prestigieux (la France des U19 obtient plusieurs médailles), peut apporter au renouveau du basket féminin. Ekambi pourrait vous paraître méconnue aujourd’hui, mais son impact est quasiment sans-équivalent. Professionnelle dès 17 ans, et championne de France dès sa première saison, elle est remarquée pour ses qualités athlétiques. Basket-Retro était venu à sa rencontre : « Joé Jauney le DTN de l’époque est venu chez mes parents accompagné de Jacquie Delachet, ancienne capitaine de l’équipe de France, médaillé d’argent en 1970 pour leur présenter le projet Horizon 80 qui consistait à regrouper les jeunes pousses du basket Français en stage dit « Grands Gabarits » », confie-t-elle à nos collègues. Si le Stade Français bénéficie de sa présence dans son effectif en premier, Ekambi est rapidement repérée aux Etats-Unis et y intègre le championnat universitaire, devenant la première française à le faire : immense. Répondant en 2016 aux questions du site portparalelle.com, Paoline Ekambi explique en quoi cette intégration au système américain avait fait une différence, notamment dans sa reconversion :
« Là bas, tout est mis en oeuvre pour permettre aux sportifs de concilier sport et études supérieures, mais surtout d’obtenir un diplôme dans de bonnes conditions (…) j’avais évolué dans un système d’assistanat depuis l’âge de 14 ans. On ne m’a pas accompagnée à faire face aux problèmes psycho-sociaux qui découlent de la pratique du sport en compétition, comme la perte d’identité, les changements physiologiques, la notion de vide qu’on appelle plus communément la « petite mort ». J’ai dû trouver les solutions toute seule en m’informant comme je le pouvais. J’ai été déçue par le système du sport français pendant très longtemps. »
Un constat qu’elle maintiendra puisqu’elle reprochera plus tard au système français de ne pas l’avoir soutenue dans sa reconversion professionnelle. Ekambi ne manquera pas, dans un discours qui se distingue, de parler de la difficulté à son âge d’être soudainement lancée dans le milieu professionnel :
« il faut savoir qu’on nous demande de nous consacrer à 100% à la performance, et parfois même de choisir entre les études et le sport, ce qui fût le cas pour moi à l’époque. »

Ekambi, modèle du basket, mais aussi de l’entrepreneuriat. Crédit : Skander Guetari – 2017
Le prix à payer pour une carrière de prestige ? Paoline Ekambi est aujourd’hui la joueuse de l’équipe de France féminine avec le plus de sélections avec 254 capes à son compteur, et elle reste aujourd’hui sa meilleure marqueuse (2321pts). Elle est aussi passée par la Commission Juridique et Discipline (CJD) de la LNB, par le collectif Egal Sports pour la parité, et à la région Île-de-France pour l’Amicale des internationaux de basket. Mais comme vous venez de le lire, Ekambi n’a pas manqué de mentionner les contraintes et sacrifices, et peut-être même parfois un peu de préjugés, sans forcément être le gros sexisme que la génération Clermont mettait en avant (voir épisode précédent). Mais quel meilleur exemple de cette idée quand c’est ni plus ni moins que Michael Jordan qui est impliqué ? Lors de son passage à la fac de Marist (New York), Ekambi avait parfois l’occasion de rencontrer His Airness, alors encore loin de ses exploits aux Bulls. Basketsession relate néanmoins qu’il faudra un long échange d’un soir pour que Jordan comprenne que la femme en face de lui était bien une joueuse professionnelle, et non pas, comme il en était persuadé, un…mannequin. Flatteur, basketsession concédera volontiers : « On peut comprendre que Michael Jordan ait pris Paoline Ekambi pour un mannequin à l’époque et, même à 54 ans, elle pourrait en bluffer plus d’un... ». Flatteur pour celle qui est aujourd’hui une prestigieuse chef d’entreprise, mais peut-être un peu cliché d’une époque ?
Odile Santaniello : « parce que les filles font mieux que les garçons. »
Au delà d’Ekambi, qui enchaîne les sélections All-Star en NCAA, d’autres visages émergent. C’est le cas d’Odile Santaniello, dit « Santa ». Comment vous résumer « Santa » ? Le mieux c’est de laisser Ekambi le faire : « Une véritable menace » (..) « Elle refuse la défaite ». Ca ne vous suffit pas ? Alors George Eddy peut en dire plus : « Quelle compétitrice » (…) « C’est une des seules filles qui joue comme un garçon ». Et c’est clair qu’Odile n’est pas le genre de joueuse qui vous fera passer une soirée tranquille. Plutôt le contraire, Santa, c’est la compétitivité, la hargne, la volonté et la rage de vaincre. Impitoyable serait un compliment. Les expressions de son visage ne manquent jamais quand elle fait ficelle derrière l’arc, quand elle bâche son adversaire, ou quand elle doit mettre les points sur les « i » dans les instants tendus. Santaniello se distingue surtout par son atout : un tir en suspension. Allez, on vous laisse la FFBB vous présenter le reste par vidéo. Observez le journaliste de France 3 méchamment intimidé par son leadership et sa franchise. Âmes sensibles s’abstenir, car Santa, c’est aussi de l’émotionnel ! :
Les sélectionneurs successifs ne capitalisent pas

Bergeron et ses joueurs, dans ses jeunes années de coach. Rapidement, son leadership d’ancien meneur de jeu se distingue – Photo : La Nouvelle République
Problème : malgré des talents qui font clairement la différence sur un terrain, le sélectionneur Jean-Paul Cormy ne sait pas trouver un cocktail pour relancer la sélection. Absente de l’Eurobasket 1981, la France disparaît, et rate les jeux de 1982, l’Eurobasket 1983 et le mondial de cette même année. Pour Cormy, le bilan est maussade : 33 victoires, 77 défaites. La fédération souhaite prendre une autre direction et se sépare de son sélectionneur en 1984. C’est, pour la 2e fois de l’histoire, une femme qui prend le pouvoir. Et pas n’importe laquelle, puisque c’est Jacqueline Delachet, élève de Joë Jaunay, et membre éminente de la génération Clermont, qui devient sélectionneuse. Le retour de la mentalité Clermont ? Pas vraiment, car Delachet ne parvient à qualifier la France a aucune des compétitions à portée. Même pire, elle en joue bien une, mais en remplacement d’une nation qui s’est désistée, à savoir l’Eurobasket 1985. La France y fera amende honorable, en terminant 8e sur 12, avec Paoline Ekambi qui plante 18 pions par match en moyenne. Mais le rythme imposé par la FIBA (7 matchs en 8 jours) ne donne l’avantage qu’aux nations qui disposent de l’expérience et de l’athlétisme en groupe pour enchaîner ces rencontres.
Delachet passe la main, et l’héritage des demoiselles de Clermont s’éteint. C’est désormais au tour d’un tourangeau de prendre le relais : Michel Bergeron. Un choix surprenant, mais compréhensible. Champion de France avec Tours, et même finaliste d’une coupe d’Europe, Begeron était un joueur de leadership durant sa carrière. Interrogé par La Nouvelle République en 2018, il explique : « Je n’aimais pas le sport individuel. Pour moi, le sport est, par essence, collectif. J’ai tout de suite été meneur, j’aimais diriger, encadrer, défendre, avoir une vision du jeu… J’aimais aussi enseigner ». Sa période tourangeau sera glorieuse. Il en rappelle même, au Figaro, que son équipe ne pouvait « pas aller dans un endroit sans être invités à boire un verre ou à déjeuner. Nous étions reconnus, adulés ». Mais surtout, Bergeron était coéquipier de la légende de l’équipe de France, Jean-Michel Sénégal. Mais c’était là aussi son soucis, d’être toujours derrière les plus gros, ce qui lui empêcha de percer en bleu. En tant que coach, il saura rester un personnage central à Tours, et aura même l’occasion de coacher…Michael Jordan, encore lui ! Durant un match d’exhibition en 1990. Mais lui-même ne s’y attendais pas. Au journal LNR, il explique : « Pierre Dao qui était à la fédération m’a appelé… Une expérience intéressante… Coacher les filles est compliqué dans la gestion quotidienne. Il faut peser ses mots, ménager les susceptibilités. Par contre, elles s’investissent à fond. Le fait de coacher les filles m’a rendu plus souple… », une déclaration qui ne manque pas de rappeler les préjugés que nous avions évoqué ci-dessus. Mais tout ce portrait à l’avantage de ce bon vieux Michel qui reste très impliqué dans le basket de l’Indre-et-Loire encore aujourd’hui, ne permet pas de se compléter par un tableau flatteur en équipe de France. Après seulement trois ans, 24 victoires et 30 défaites, il passe lui aussi la main.
La chute des murs

La chute du rideau de fer va-t-elle libérer les bleues ? Santaniello est prête.
Lorsqu’en 1989, Paul Besson prend la tête de la sélection, l’équipe de France n’a participé qu’à une seule compétition depuis neuf ans, sans s’y être officiellement qualifiée. La période de vache maigre est clairement identifiée. Mais avec Besson, les bleues vont au moins retrouver la voie de l’Eurobasket, en 1989, pour finir dernière, certes, mais avec « Santa » qui score à foison, Ekambi, et une certaine Valérie Garnier. Besson ne peut pas offrir mieux qu’un Eurobasket à une victoire et quatre défaites, mais il sait, contrairement à ses trois prédécesseurs, qu’il peut réellement emmener cette équipe.
A cela s’ajoute un élément de contexte non-négligeable, et Besson va pouvoir enfin libérer les énergies grâce à lui. Durant les précédents épisodes, vous l’aviez compris, le basket féminin européen est ultra-dominé par l’URSS et les Etats satellites du bloc soviétique. Lorsque le sélectionneur emmène les bleues vers un retour à l’Eurobasket, il ne sait pas que la hiérarchie va s’effondrer, et que le basket féminin va pouvoir se libérer. L’URSS remporte encore le championnat d’Europe de juin 1989, son 20e, suivie par la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie et la Bulgarie. Mais cinq mois plus tard, le mur de Berlin tombe, et l’Union Soviétique amorce un processus qui va aboutir à sa disparition. Le monde soviétique, son sport d’Etat, va disparaître, et avec lui, la domination sans partage de ses basketteuses. De nouvelles nations vont arriver dans le jeu, et ça, ça peut tout changer. Dans ce contexte, les murs et les plafonds de verre ne sont plus, l’équipe de France féminine va pouvoir entrer dans une nouvelle ère qui va l’amener à des victoires historiques, mais pour cela, il faut trouver un événement marquant, une première étincelle.
Prochain épisode : Premières étincelles (1990-1995)