Que vous suiviez de prés ou de loin la NCAA, un nom revient sans cesse depuis l’été dernier : Gonzaga. La fac de Spokane est une référence en termes de formation, qualité de travail, fournit fréquemment des prospects NBA et caracole inlassablement dans le TOP 10 NCAA. Mais cette année avec l’arrivée de Jalen Suggs, recrue 5 étoiles qui vient sublimer un effectif riche et dense, quelque chose se passe. Les grosses écuries comme Duke et Kentucky peinent à s’imposer tandis que Gonzaga est toujours invaincue. Direction l’État de Washington pour découvrir l’équipe qui a du chien. QiBasket vous embarque direction Spokane : entrez dans l’université des besogneux, des légendes du passé et des héros de demain, en prenant garde de laisser à l’entrée toute forme d’objectivité.
Gonzaga chasse en meute
Avant de traiter du cas Jalen Suggs qui concentre une grande partie des espoirs de Gonzaga, nous allons aborder l’effectif des Bulldogs et tout ce qui fait son charme. Le 5 majeur de Spokane est un classique dans le basket :
- un meneur créateur et gestionnaire ;
- un arrière polyvalent aux bras interminables ;
- un ailier agile, friand d’écrans, de tir à 3pts et des marathons interminables ;
- un ailier-fort athlétique, agressif, garde du corps de son meneur ;
- un pivot roi dans la raquette, tour de contrôle de son équipe et au leadership affirmé.
Les profils sont variés et c’est ce qui fait la force de ce 5 majeur : le danger est partout à Gonzaga. La principale traction au scoring est assurée par le duo Drew Timme / Kispert tandis qu’Ayayi élimine le meilleur attaquant adverse, comble les rares failles dans le système de jeu, impacte là où il le faut. Le seul point faible dans ce 5 majeur vient du Poste 4 où Anton Watson, seulement sophomore, est encore très brut, d’autant plus qu’il sort d’une saison rookie compliquée autant au shoot qu’en défense. Il reste un athlète avec une forte marge de progression et saura trouver en Timme un parfait mentor.
Timme, puisque nous en parlons, est l’arme fatale de cette équipe, derrière ce sourire angélique et ses cheveux soyeux se cache un intérieur mobile, puissant, capable aussi bien de jouer au large que d’écraser son adversaire sous l’arceau. Il incarne parfaitement la culture de sa fac : à Gonzaga on ne recrute pas de stars, on les forme. Timme tutoré par l’ancien héros local qu’est Kilian Tillie, sort d’une saison rookie pleine d’espoirs mais malheureusement coupée par la Covid-19. Poste 4/5 moderne, il est autant une menace au poste bas qu’à l’extérieur sur des pick and pop où des shoots dans le corner en fin de système.
Intérieur dominant, il est le point d’ancrage en défense où sa présence au rebond, ses box out et son physique lui permettent de tenir les intérieurs de tout profil. Il a su tenir la dragée haute à Luka Garza lors de la superbe affiche Gonzaga- Iowa State (match conclu par une victoire des Zags). Est-ce assez pour postuler à la draft ? S’il est actuellement placé au second tour selon plusieurs Big Boards, il a toutes les clés en main pour grappiller des places à la draft. Peu importe où il ira, il contribuera.
“Il devient quoi Kyle Korver?” : à défaut d’avoir un rôle impactant chez les Bucks en 2021, il semble s’être réincarné en la personne de Corey Kispert. “Cheveux dans le vent ? Ok. Mécanique léchée et rapide? Ok. Sourire angélique ? Ok. Agilité et haut cardio ? Ok. Défense de fer sur l’homme ? Hein quoi comment ?”.
Kispert coche toutes les cases du 3 and D dont la Grande Ligue raffole, et s’avère être un véritable poison pour les défenses en NCAA. Constamment en mouvement, il sait profiter des nombreux espaces offerts par le système de jeu de son équipe pour sanctionner à longue distance. L’écrasante majorité de ses tirs est en sortie d’écran ou en fin de système. Plus proche du marathonien que du catcheur, il compense son manque de puissance qui l’empêche de terminer ses actions au cercle et de défendre sur des postes 4/5 par une bonne vitesse latérale, des bras longs et un cardio élevé. S’il est un sniper qui tourne à 51% de loin cette saison, son profil de jeu est cependant peu varié ce qui risque de le pénaliser à la draft. Est-ce un problème ? Pas du tout, le joueur se complait dans ce rôle de spécialiste. Il ressemble à ce qui serait un pick malin pour une équipe contender ?
Instant Cocorico, Pain au chocolat (n’écoutez pas les margoulins qui disent Chocolatine), voici le tour de Joël Ayayi.
Titulaire au poste 2 cette saison, il est auteur de 3 triples-doubles consécutifs (une performance qu’on retrouve bien moins fréquemment qu’en NBA en NCAA) et est en progression aussi bien d’un point de vue statistique qu’au niveau du leadership. Joël a affirmé son rôle de glue guy, de couteau suisse dans une équipe à ambitions. Observer Ayayi lors d’un match est une expérience très agréable ; il contribue dans tout les secteurs du jeu, s’ajuste en permanence, suit le cours du jeu. Il passe facilement du lock down en défense au drive en passant par le shoot dans le corner. Ayayi est l’électron libre dans une attaque léchée, son impact sur le terrain libère autant de shoots ouverts pour les artilleurs de son équipe que de positions préférentielles au poste bas pour ses intérieurs. Plusieurs observateurs étaient inquiets de la cohabitation entre Suggs et Ayayi, mais au lieu de jouer la facilité en mettant le second sur le banc dans un rôle de sixième homme, coach Mark Few a pris le risque de responsabiliser ses deux stars. En résulte un duo d’arrières à l’alchimie rare, l’un complétant parfaitement l’autre pour un bilan collectif collectif parfait.
Parlons désormais de Metal Suggs.
Jalen Suggs, à lui seul, concentre une grande majorité des espoirs de Gonzaga. Il est le premier prospect cinq étoiles du programme. Leader de Team USA ? Check. Physique et envergure parfait ? Check. Vision du jeu et handle ? Check.
Suggs n’a pour faiblesse que son shoot extérieur, peu mis à contribution dans son équipe : il tourne actuellement autour des 30% sur l’ensemble de la saison régulière NCAA. Pas de quoi inquiéter les scouts modernes tant Gonzaga impose un rythme élevé en NCAA et artille à 3pts. La mécanique de tir est bonne, les appuis fermes, il ne reste plus qu’à travailler inlassablement.
Suggs ayant joué au football américain ET au basket au lycée (considéré comme une recrue 4 étoiles et intéressant des universités renommées), cette curiosité sportive se retrouve dans son style de jeu. Utilisant parfaitement son physique (1m93 pour 90 kilos) il est un slasher rapide, puissant qui est source de nombreux cauchemars en NCAA. Il n’hésite pas à s’empaler sur un Big man adverse pour aller chercher un And one ou à travailler son adversaire au poste pour faire une prise à deux ou le punir d’un move élégant.
En défense ? Un roc, une teigne. Sans tomber dans un déluge d’agressivité et d’aboiements, Suggs est un défenseur très solide, là où de nombreux meneurs 5 étoiles rechignent – voire ne s’embêtent pas- à défendre. Jalen sort le bleu de chauffe lorsqu’il s’agit de museler un guard adverse. Utilisant encore une fois parfaitement son physique mêlant puissance et vitesse à une vision de jeu éclairée, Suggs se complaît autant dans une presse tout terrain que dans une défense collective où il forme un duo infernale avec Ayayi. Gonzaga gagne avant tout ses matchs en défense et celle ci est menée d’une main de fer par son meneur. Est-ce surprenant de voir un bulldog ne pas lâcher la jugulaire de l’adversaire ?
Petit point coaching désormais, où le travail de fond du coach Mark Few paie d’années en années.
Là où des écuries aux noms plus ronflants se contentent d’assembler des équipes de stars pour espérer en envoyer un maximum à la draft et appliquent un schéma de jeu stéréotypé, Few se renouvelle sans cesse, adaptant son coaching à ses recrutements, cherchant à toujours maximiser leurs forces. Sabonis en star de l’équipe ? Demi terrain rugueux. Une raquette Brandon Clarke / Hachimura ? Small Ball défensif et athlétique.
En 21 ans à Spokane, Few s’est cependant toujours appuyé sur un intérieur dominant (Sabonis, Clarke, Timme, Turiaf, Olynyk).
Cette année il fait appliquer en attaque un jeu up tempo où le tir à 3pts prévaut et le recours à l’isolation n’est pas systématique. Bénéficiant de 4 shooteurs dans son cinq majeur, l’essentiel des systèmes a pour but de libérer Kispert, Ayayi et Suggs. Si la défense vide sa raquette ? Drew Timme est servi au poste bas. Si la défense s’étire trop, Ayayi et Suggs s’élancent plein fer dans la raquette. Courir sans cesse, tout le match ; Gonzaga gagne ses matchs en asphyxiant l’équipe adverse aussi bien en attaque que en défense. Few fait galoper ses Bulldogs en s’appuyant sur la forte défense qu’il aligne chaque soir.
Il est logiquement beaucoup plus facile de scorer en transition face à une défense désorganisée et en manque de repères. Le collectif jouant depuis plusieurs années ensemble sublime ainsi un système de jeu où Kispert et Ayayi circulent sans cesse entre les écrans tandis que Suggs bénéficie des bons écrans de Timme et Watson. De l’autre côté du terrain, Ayayi et Suggs pratiquent une presse tout terrain qui étouffe les backcourts adverses tandis que Kispert zigzague pour couper les lignes de passe, enchaîner les prises à deux et casser le rythme pour permettre à ses intérieurs de verrouiller un adversaire pris au piège.
Les équipes adverses tiennent comme elles le peuvent jusqu’à la mi temps avant d’exploser pour la plupart d’entre elles lors du troisième quart, lorsque Few lâche son banc pour achever la bête blessée.
Aaron Cooks, sixième homme de l’équipe, comble les rares faiblesses de son équipe en bon glue guy et apporte toute son agressivité. Si les autres joueurs n’ont qu’un impact limité, ce n’est non pas dû à un faible niveau mais à la qualité rare du cinq majeur des Zags qui laisse peu de place pour les chiots de l’équipe.
Bilan de saison ? 24 victoires,0 défaite.
Un grand coup de balai sur la NCAA avec des victoires de prestige face à Iowa, Kansas ou West Virginia, le plus souvent avec des écarts de plus de 15 points. Fond, forme, brutalité et finesse Gonzaga a écrasé la concurrence durant toute sa saison. Terrassant avec sérieux les plus grosses écuries, piétinant les plus petites sans aucun mal, Gonzaga s’affiche inlassablement comme un des candidats les plus crédibles au titre ; avant d’envoyer 4 joueurs à la draft ?
Actuellement Gonzaga est classé premier dans le Power Ranking devant Baylor,West Virginia et les Hawkeyes d’Iowa de Luka Garza. Dans une March Madness privée de ses supporters bouillants et de son ambiance si unique, la meute de Spokane a devant elle une opportunité rare pour un programme de ce type, prouver à la NCAA que le travail terrassera toujours le talent, que le basket reste avant tout un sport où les individualités se mettent au service du collectif et où la défense gagne des matchs.
La fac de John Stockton a rendez vous avec l’histoire. Il s’agit d’une dernière croisade pour un groupe mature qui a des places à la draft à aller chercher et un blason à honorer. Jalen Suggs et sa meute s’apprêtent à quitter Spokane en héros… deviendront-ils des légendes ?