Vous vous souvenez de 2020 ? Les déclarations tapageuses, les provocations, les mauvais gestes. Les Clippers, équipe attendue dans une bataille pour la domination de Los Angeles avaient en quelques semaines réussi à endosser le statut du méchant. Derrière les Patrick Beverley, Paul George ou Marcus Morris, l’autre franchise de Los Angeles s’était volontairement ou maladroitement mise dans cette posture de l’équipe antipathique, seule contre le reste du monde. Pour ce faire, un programme simple : moquerie envers l’élimination des Trail Blazers, fautes dangereuses répétées sur Luka Doncic, déclarations très ambitieuses, tendance à minimiser l’adversaire ou les adversaires potentiels, les Clippers ont joué le rôle à fond. Problème, ce costume, pour être porté avec brio nécessite du panache sur le terrain.
Or, la série face aux Denver Nuggets, puis un article accablant de The Athletic allaient nous montrer qu’ils n’avaient pas les épaules pour le rôle. Après s’être mis en position de rejoindre les Lakers en finale de conférence, menant 3-1 face à Nikola Jokic et ses coéquipiers, ils allaient soudainement imploser, dévoilant au grand joueur de multiples fissures derrière l’attitude provocatrice.
Subissant une remontée brutale dans le 3eme quart temps du Game 5, avant de vivre le même scénario dans le 6, ils allaient passer complètement à côté du match 7. Les regards sont hagards, la faculté à se rassembler inexistante, les actions de détresse nombreuses, à l’image de Paul George frappant la tranche de la planche sur une tentative à 3pts dans le corner.
Même Kawhi Leonard, considéré jusqu’à alors comme l’une des stars de la ligue au mental infaillible, y allait de sa performance fantomatique. Le duo George-Leonard compilera d’ailleurs 24pts à 10/38 au tir dans le match décisif. A la tête de ce naufrage, Doc Rivers voit la résurgence des échecs passés, capitaine de ce bateau en péril et fomenteur d’une stratégie ubuesque face à Nikola Jokic.
La gifle nécessaire ?
Autopsie d’un échec
Les échecs sont parfois des opportunités. Perdre face aux Denver Nuggets malgré un statut de favori était peut-être la meilleure chose qui pouvait arriver à ces Clippers. Sonnés en conférence de presse, les joueurs invoquaient des raisons alliant de véritables problématiques, comme Paul George qui s’ouvrait sur la traversée d’une dépression au sein de la bulle, aux plus grotesques : la fatigue pour certains, alors que l’adversaire sortait d’un Game 7 ou l’absence d’urgence de la victoire, pour le même Paul George, soutenant la piste d’une année pour rien après avoir clamé toute la saison des velléités de titre.
Toutefois, perdre après avoir mené 3-1 contre un adversaire considéré comme inférieur peut avoir du bon : celui de rendre évidentes vos faiblesses. Non seulement les joueurs ont dû quitter la bulle le goût amer, et l’envie de se racheter, mais ce sont également les manquements du coach et les fissures du vestiaire qui furent exposées au grand jour.
Le dossier qui sort durant l’intersaison est sans concession. Les membres du staff gênés par les avantages réclamés par Kawhi Leonard et Paul George, la remise en question du statut de George par les anciens Clippers ayant rendu le projet attractif, les retards et absences de Kawhi perçus comme irrespectueux, la main mise du duo sur les entraînements de l’équipe et la liste continue (vous pouvez trouver l’ensemble des raisons dans notre preview de la saison).
Pour ne rien arranger, l’équipe avait peiné au-delà de ces frustrations à créer une cohésion. Les joueurs se connaissent peu, les automatismes ne se créent pas pendant le training camp en raison des absences des deux arrivants et l’équipe qui passait autrefois beaucoup de temps ensemble commence à se côtoyer uniquement lorsqu’elle en est obligée. La camaraderie du vestiaire vire à la cohabitation. En prime, aucun leader ne se dégage réellement du groupe, entraînant un folklore quand il s’agit de s’affirmer. Kawhi ne prend pas le rôle, Paul George un peu plus vocal n’a pas non plus la personnalité idoine pour l’endosser et les aboiements de Patrick Beverley ne permettent pas d’être érigé en tant que tel. Le vide est si colossal que Marcus Morris, arrivé à la trade deadline, tente d’occuper cette place, lui non plus sans succès. Et puis le Covid arrive, avec un retour à la bulle.
Les Clippers sont alors considérés comme la franchise ayant le mieux gérée la période. Appels fréquents avec l’ensemble de l’équipe, mise en place d’équipements au domicile de chaque joueur pour garder la forme, suivi de la part du staff, tout est mené d’une main de maître.
Pourtant, au retour l’équipe n’était visiblement ni la plus affutée, ni la plus soudée. Une force que les Nuggets possèdent et qui vont exposer les stars de Los Angeles. Lors de la preview de début de saison, nous écrivions ceci :
Entre moqueries, trashtalking et déclarations douteuses, elle s’est mise à dos une partie de la concurrence et du public. Une idée qui peut convenir à des équipes très soudées, mais certainement pas à un vestiaire entretenant des relations très diffuses. D’une certaine manière, les Clippers ont semble-t-il tenté de combler le silence qui s’était installé dans le vestiaire par quelque chose. Mais choisir l’hostilité générale comme moteur pour remplir le vide n’était probablement pas leur meilleure idée.
2021, l’autre visage
Entre échec sportif et exposition médiatique de leurs problèmes, Kawhi Leonard, Paul George et l’ensemble des joueurs de retour la nouvelle saison devait adresser le problème. Créer une relation, une unité afin de pouvoir affronter l’adversité des Playoffs. Puisque ce groupe était excellent en termes de jeu (2eme offensive rating, 5eme defensive rating en 2020), il convenait de combler quelques faiblesses, choisir le bon casting et remplacer Doc Rivers, évidemment incriminable pour de nombreuses failles : manque d’adaptation tactique, plan de jeu douteux.
Tyronn Lue, à bord de l’échec en tant qu’assistant était choisi pour lui succéder. Un choix qui pouvait laisser perplexe, bien que le coach ait su prouver sa capacité à unir un vestiaire et remonter des déficits à Cleveland. Pas connu pour apporter une philosophie de jeu très marquée, on pouvait attendre de meilleures ajustements tactiques que son prédécesseur.
Et pour cause, si la saison régulière s’est avérée ressembler peu ou prou à la précédente, c’est le test des Playoffs qui était attendu. Et les Clippers n’ont pas déçu.
Forts dans l’adversité
Et si les Clippers étaient enfin bons dans l’adversité ? Mieux, auraient-ils trouvé un rôle qui leur conviendrait réellement, dans celui d’une équipe moins vocale et plus dure au mal ?
Cette cuvée des Los Angeles Clipper semble aux antipodes de la précédente. Moins bavarde face au média, plus dure face à l’adversaire. Pourtant, à tous les tours ils ont été exposés, alors qu’ils se dirigent vers un nouveau match 6 couperet face aux Suns, en finales de conférence, ils auraient déjà pu tomber par deux fois.
Perdant leurs 2 matchs à domicile face aux Mavericks, ils vont réussir à remonter d’un 2-0 une première fois en arrachant le match 7. Une défaite qui aurait été signe de catastrophe, mais cette fois abordé avec une énergie et une solidité complètement différentes.
Se dirigeant vers le leader de la conférence Ouest au tour suivant, le meilleur était pourtant à venir. Après une nouvelle introduction difficile face aux Jazz (0-2), ils allaient effectuer un nouveau retour en force. Pourtant, les nouvelles sont mauvaises. Le bref retour d’Ibaka a vite été douché par une opération, et après avoir réussi à raccrocher le Jazz, ils perdent Kawhi Leonard en plein milieu de la série.
Toutefois, comme au tour précédent, les Clippers s’adaptent. Le small ball, nouvelle arme secrète de l’équipe met à mal Utah. Et Rudy Gobert a beau tenter de combler les brèches laissées par ses extérieurs, les Clippers portés par Paul George et des role players qui prennent une nouvelle envergure vont l’emporter. Reggie Jackson, incandescent poursuit une campagne de haute volée, Terrence Mann sort de l’ombre pour donner un coup de main aussi puissant qu’inattendu (39pts !), et la défense, désormais, monte de plusieurs crans.
Et puis les Suns…
Mais le plus beau reste encore la série face aux Suns. Bien que la troupe d’Arizona reste favorite pour une place en finale (3-2), ce sont pourtant ces Clippers émoussés qui sont en train de marquer les esprits. Parce que l’absence de nouvelles de Leonard démontre bien qu’il ne reviendra pas, parce que l’absence d’Ibaka pèse lourd contre DeAndre Ayton, parfaitement taillé pour punir le potentiel small ball des Clippers.
Et pourtant, les Clippers s’accrochent (après un nouveau 0-2 initial), durcissant leur défense rencontre après rencontre, se laissant guider par un Paul George alternant les matchs de Superstar et les performances moins glorieuses, mais exemplaire dans l’engagement et la prise de responsabilités. Pendant ce temps, Tyronn Lue continue d’aller chercher des réponses au fond de son banc, s’appuyant tantôt sur Rajon Rondo dans une série, avant de réanimer Beverley, transparent jusqu’ici mais héroïque face à Devin Booker. Puis ramenant DeMarcus Cousins sur la scène NBA, malgré toutes ses peines défensives. Changeant ses 5 de départs régulièrement et trouvant, parfois par flair, et parfois par chance, mais toujours avec flair des combinaisons gagnantes. Les Clippers ont beau être menés et dans le dur, ils survivent ensemble.
Peu importe l’issue
Il semblerait que chacun réussi à avoir son heure dans cette équipe. Courts en terme de talent brut, à un moment de la saison où les stars ont plus d’importance que jamais, Los Angeles prouve enfin avoir une âme et une identité. Dos au mur, ils se révèlent et abordent les rencontres une à une pour tenter de survivre. Et chaque fois, ils semblent repousser ce que l’on pensait inéluctable.
Alors oui, leur parcours se terminera peut-être la nuit prochaine. Sauf que cette saison, il n’y aurait pas de mal. Car dans les conditions actuelles, c’est une opération rédemption brillante que mène cette escouade, bardée de joueurs au statut d’Underdogs. A l’image de Nicolas Batum, revenu des abysses après son passage aux Hornets, de Terrence Mann 2eme tour de draft qui prend de plus en plus de place, de Reggie Jackson qui, après des années dans les bas fonds et souvent stoppé par les blessures à Detroit vit son plus bel enchaînement de matchs en carrière, etc.
Quelle que soit l’issue, ces Playoffs sont réussis pour les Clippers. Parce qu’ils se sont rachetés tant une image, qu’une unité, qu’un basket. Et ce sera crucial en vue d’un été très dur à gérer pour la franchise et ses nombreux free agents.