C'est quoi, "Un monde sans Roi" ?
Uchronie : nom féminin.
-
- Reconstruction fictive de l’histoire, relatant les faits tels qu’ils auraient pu se produire.
C’est initialement là l’origine des What if. Faire découvrir des récits, centrés sur la NBA, relatant une histoire alternative de la Grande Ligue. Des destins qui basculent, des blessures qui s’effacent, des rivalités qui naissent, d’autres qui s’estompent. Et des mondes nouveaux qui s’écrivent. La NBA telle que nous la connaissons aujourd’hui est le résultat d’une multitude d’aléas. Elle est une expérience unique, qui aurait pu être tout autre si le cours d’un seul d’entre eux avait été altéré. Après s’être attaqué à Brandon Roy, à Drazen Petrovic, aux Sacramento Kings de 2002, à Yao Ming, Shaquille O’Neal, Michael Jordan et autres Magic Johnson, il était l’heure pour QiBasket de s’attaquer à une nouvelle légende, dans tous les sens du terme.
“Un monde sans Roi”, c’est l’histoire d’un monde parallèle, où vos repères NBA des 20 dernières années s’apprêtent à partir en fumée. Un monde que vous allez parcourir, de la fin des années 90 aux années 2010. Un monde où vous serez acteur, un peu, mais surtout, observateur, aux premières loges.
Pour l’occasion, c’est un nouveau format que l’on vous propose, avec non pas une sortie unique, mais une sortie en plusieurs volets. Chapitre par chapitre, vous découvrirez cette histoire unique, illustrée par les graphistes de talents qui nous entourent.
Suivez le guide :
Evidemment, un monde NBA sans LeBron James implique de nombreuses, très nombreuses choses. Pour mieux cerner les principaux enjeux de notre histoire, une division en plusieurs livres, plusieurs “ères” est nécessaire. Ce premier livre se concentre sur trois personnages phares de notre histoire : Carmelo Anthony, Dwayne Wade et Chris Bosh. Avec un LeBron James hors de course, leurs destins basculent inévitablement.
Après avoir assisté au remake de la draft 2003, découvrons comment ces trois jeunes hommes sont immédiatement plongés dans le grand bain, entre victoires, défaites, douleurs et apprentissage.
A travers les palmiers, les joggeurs, assidus ou du dimanche, défilaient.
Slalomant entre les poussettes et les promeneurs, évitant les vélos, rollers et skaters, ils tentaient, tant bien que mal, de se frayer un chemin dans les larges allées aménagées longeant la plage. De l’autre côté de l’immense boulevard, comme eux, les voitures essayaient de survivre dans l’enfer du trafic d’une ville aussi dense que la Cité des Anges.
Los Angeles nous avait ouvert ses portes il y a quelques heures à peine. A l’instar de New York, elle faisait partie de ces villes qui ne dorment jamais, où la vie fourmille sans cesse, qu’importe l’heure du jour ou de la nuit. En émulsion constante, elle était le centre névralgique de la Californie, de la côte Ouest des Etats-Unis, et plus largement encore, l’un des centres du monde. Un endroit rêvé pour la grande fête annuelle de la NBA, le All Star Weekend, qui débutait ce vendredi même dans la cité californienne.
Bien évidemment, hors de question de vous faire manquer ça.
Le traditionnel Rookie Challenge, match inaugural des “jeunes” où s’affrontaient Rookies et Sophomores, allait marquer le coup d’envoi de ce weekend étoilé dans quelques heures, alors même que certains de ses protagonistes, encore sur les parquets la veille au soir, débarquaient sur les terres californiennes.
Le shootaround d’une heure était prévu dans l’après-midi pour les deux sélections. Ce bref moment pour tâter la balle orange servait surtout à se décrasser les jambes en prévision du show attendu le soir-même. C’était également une occasion rare, au milieu du rythme infernal d’une saison NBA, de se rencontrer entre joueurs, parfois pour la première fois.
Pour nous, vous vous en doutez, c’était là l’occasion rêvée de revoir nos pépites de la draft 2003, 6 mois après leur arrivée. Des quatre protagonistes principaux de cette cuvée que nous avions découvert, seuls trois d’entre eux seraient présents pour cette grande fête : Darko Milicic, le pivot serbe des Pistons, n’était en effet pas de la partie.
Ce dernier était empêtré dans l’une des pires situations à laquelle peut être confrontée un jeune joueur lors de son arrivée en NBA.
Les Pistons étaient l’une des plus belles écuries de la ligue en cette saison 2003-04, après avoir atteint les Finales de conférence la saison précédente. Le groupe était clairement sur la pente ascendante depuis quelques saisons, et on aurait pu s’attendre à ce que l’ajout d’un jeune joueur talentueux lui donne un élan supplémentaire. Mais force est de constater que les étoiles n’étaient pas alignées pour Darko Milicic, loin de là.
L’arrivée de Larry Brown, coach expérimenté, n’avait pas aidé. L’ancien coach des 76ers d’Allen Iverson n’était pas vraiment connu pour être d’un grand humaniste avec les rookies. Pour le convaincre de faire jouer décemment un jeune, il n’y avait que deux issues : être un phénomène, ou tenter, jour après jour, de gagner sa place à la dure;
S’il avait côtoyé de près ce haut degré d’exigence tout au long de sa formation en Europe dans sa Serbie natale, Darko Milicic n’était, à ce niveau-là, plus que l’ombre de lui-même. Mais s’il avait perdu de vue l’exigence qu’on lui avait pourtant inculqué depuis le plus jeune âge, ce n’était malheureusement pas sans raison.
Jusqu’alors, il avait toujours évolué dans un cadre, un cadre strict, dur, éreintant, mais quasi-familial, en plein cœur du pays qui l’avait vu naître et grandir, et pour lequel il représentait un véritable espoir au plus haut niveau. Plongé au pays de l’oncle Sam, dans une ville de Detroit bien loin des stéréotypes de l’American Dream, l’écart entre la vie d’adolescent menée en Serbie et la vie de joueur NBA avait rattrapé le jeune Darko Milicic.
Aussi bien au sein du vestiaire des Pistons que dans le monde NBA en son entier, le jeune homme était complètement esseulé et isolé.
Il ne maîtrisait aucun code de ce nouvel univers dans lequel il avait été projeté, plein de rêves et d’espoirs. La langue, notamment, lui manquait cruellement. Impossible de se faire pleinement comprendre, d’être pleinement compris, lorsque les mots vous manquent. Ses habitudes de vie étaient totalement bouleversées, retournées. Pour la première fois de sa vie, Milicic devait se gérer par lui-même, et le constat était aussi implacable que navrant : il n’y avait plus ni repère, ni certitude, seulement un grand flou.
Sur le terrain, le niveau qu’on attendait de lui, qui plus est en tant que 2nd choix de draft, lui paraissait de plus en plus inaccessible. Là où certains se servent du basket comme d’un échappatoire à une vie compliquée, pour Milicic, le parquet n’était qu’un miroir supplémentaire lui renvoyant l’image de sa lente mais certaine déchéance. Conjugué à l’exigence requise pour séduire Larry Brown, Darko Milicic semblait devoir affronter, seul, une montagne infranchissable.
Evidemment, il n’était pas irréprochable. Tout aussi jeune soit-il, des échos que l’on avait des observateurs quotidiens de la franchise, il contribuait lui-même, par son immaturité, son comportement et son laxisme, à sa mise au placard. Comme si, six mois à peine après son arrivée, il avait déjà rendu les armes, sans même vouloir bomber le torse ou feindre une rébellion interne prouvant sa bonne volonté d’affronter les défis qui s’imposaient à lui.
Les résultats étaient catastrophiques : en février, à l’heure où les futures stars de demain s’apprêtaient à se réunir pour le Rookie Challenge, le jeune pivot n’avait participé qu’à 16 matchs, dont seulement 4 avec plus de 5 minutes de temps de jeu… Un fiasco total.
Fort heureusement pour notre périple californien, en entrant dans le complexe d’entraînement des Lakers où le shootaround devait se tenir, Carmelo Anthony, Dwyane Wade et Chris Bosh étaient eux bel et bien présents.
Les trois compères étaient réunis dans un coin de la salle, arborant chacun la tenue d’entrainement de leur équipe habituelle. “Sûrement en train de se raconter les premiers mois de leur nouvelle vie, non ?“.
En effet, à en juger par leurs mimiques, leurs gestes et la mine attentive – parfois compréhensive – des uns et des autres, chacun semblait y aller de son anecdote de rookie. Nos trois jeunes protagonistes furent interrompus dans leur discussion par Doug Collins, le coach en charge de l’équipe Rookie, prêt à lancer la séance.
Quelques heures plus tard, nous étions arrivés dans l’enceinte du Staples Center.
Les photographes, présents depuis déjà de longues minutes, s’amoncelaient aux abords du terrain, essayant de trouver le meilleur angle possible. La tribune de presse se remplissait également petit à petit, et on pouvait distinguer en coup d’œil les journalistes rompus à l’exercice, et ceux pour qui tout ce génialissime folklore était une nouveauté.
Si le Rookie Challenge ne suscitait pas autant d’intérêt que les autres évènements du weekend, il était tout de même l’entrée en matière de l’exceptionnel menu qui allait être servi aux convives durant les deux jours à venir.
Les Sophomores firent leur entrée en premier sur le terrain, dans le sillage des deux géants Amar’e Stoudemire et Yao Ming. Manu Ginobili, Tayshaun Prince, Carlos Boozer et consorts étaient bien au rendez-vous, prêts à faire respecter la hiérarchie et à lever les foules. Quelques minutes plus tard, les Rookies débarquèrent, nos trois prodiges en tête.
Le match allait débuter dans quelques minutes, et le moment était venu de nous asseoir confortablement dans nos sièges, et de profiter du spectacle.
***
A peine deux mois s’étaient depuis notre virée californienne étoilée, et force est de constater que le paysage qui nous entourait ce jour était bien différent des allées ensoleillés de Venice Beach.
Le soleil, timide, peinait à trouver un quelconque reflet dans la grisaille des immenses bâtiments fédéraux parsemant le centre-ville de Cleveland. En traversant la ville, peu, voire pas de monde. Cleveland était calme, presque éteinte.
A l’image des villes phares de la région des Grands Lacs, enrichies par l’essor d’un secteur manufacturier d’une époque désormais révolue, la ville avait subi de plein fouet la désindustrialisation des années 70 et l’exil des populations qui s’en était suivi. A la richesse abondante, la pauvreté excessive avait succédé, et malgré les efforts mis en œuvre pour redorer le blason de la ville, les séquelles de cette période trouble étaient encore bien visibles, surtout dans les quartiers les plus éloignés du centre.
Mais si la grise mine de la ville aurait pu aisément nous donner le cafard, la raison de notre venue à Cleveland suffisait, à elle seule, à nous redonner instantanément le goût de l’excitation.
Après un bref détour sur l’ancienne avenue renommée d’Euclid Avenue, nous nous dirigions vers le sud de la ville. Soudain, au milieu des immeubles, un ensemble métallique surplombé de spots lumineux s’élevait dans les airs. Quelques dizaines de mètres plus loin, le Jacobs Field se dressait, impérial, devant nous.
Théâtre des matchs de l’équipe locale de baseball, les Indians de Cleveland – évoluant en MLB –, depuis 1994, l’enceinte était imposante, et résolument moderne. L’avantage avec les stades de baseball, c’était leur ouverture. De la rue, en voyant la hauteur des gradins, leur nombre, en voyant les allées, le terrain, on imaginait sans mal l’agitation dans laquelle le stade pouvait basculer les jours de matchs. Bien que récent, le Jacobs Field avait déjà laissé son empreinte dans l’histoire de la ligue, détenant le record de matchs consécutifs joués à guichets fermés, avec 455 matchs.
Mais si la vue du stade des Indians nous ravissait tant, c’est aussi et surtout parce que notre destination finale, la Gund Arena, l’antre des Cavaliers, y était proche. « Venez, normalement, c’est au bout de la rue. »
Effectivement, au bout de la rue longeant le stade, la salle des Cleveland Cavaliers apparut à son tour.
Ici, nul besoin de s’attarder sur la vue extérieure. L’impression d’immensité et de folie laissée par le Jacob Fields était rapidement douchée par la vue de la Gund Arena. Heureusement, la façade morose du bâtiment avait été parée d’une immense banderole, qui, à la vue des échafauds encore présents, venait tout juste d’être installée. Un Carmelo Anthony tout sourire nous accueillait, avec une inscription en lettres d’or : « Rookie of the Year ».
Quelques minutes plus tard, la salle des médias nous ouvrait ses portes.
Au fond de la salle et sur les allées la bordant, une jungle de trépieds de caméras était déjà en place. Les réglages avaient été faits en amont, et tout le monde tentait de se frayer un chemin entre les chaises bien alignées pour dégoter la meilleure place possible. Au premier rang, quelques photographes, triés sur le volet, étaient fins prêts à capturer le moindre sourire de l’idole du jour.
Sur l’estrade prévue pour la conférence de presse, quatre noms étaient indiqués : aux deux extrémités, Jim Paxson et Paul Silas, respectivement general manager et coach des Cavs ; au centre, Dan Gilbert, le propriétaire de la franchise, et celui que tout le monde attendait, Carmelo Anthony.
Les quatre hommes firent leur apparition au bout d’une petite demi-heure. Melo captait toute l’attention de la salle, et attirait toutes les lumières. Lorsque son regard se posa sur le trophée, installé sur le devant de la table, le crépitement des appareils photos en rafales se fit entendre. La parole fut donnée à Dan Gilbert, qui témoigna de sa fierté de pouvoir compter sur joueur du talent de Carmelo Anthony, qui, il en était persuadé, ferait les beaux jours de sa franchise.
Symboliquement, Gilbert et Melo se levèrent, et le premier remis au second le trophée exposé, sous l’œil aiguisé des photographes, qui ne perdaient pas une miette de cette mise en scène on ne peut plus soignée. Anthony se lança ensuite dans le traditionnel discours de remerciements. Mais si son année rookie avait été des plus impressionnantes, son talent en était le premier facteur, indéniablement.
Son arrivée aux Cavaliers avait suscité une énorme attente. Il incarnait, malgré lui, l’espoir de toute une franchise.
Au terme d’une décennie des années 90 où, en dépit des échecs répétés en playoffs, les Cavs avaient réussi exister au sein de la conférence Est, les années 2000 avaient installé une ambiance des plus sinistres dans l’Ohio. Embourbés depuis 5 ans dans une lente reconstruction sans réel horizon ni ligne directrice, la saison 2002-03 avait été celle du néant : 17 misérables victoires au compteur, un fond de jeu inexistant et une Gund Arena désertée.
De fait, l’obtention du premier choix de draft 2003 avait été une vraie bénédiction pour le front-office de la franchise, pour lequel il était désormais plus qu’urgent de réagir, pour enfin lancer les années 2000 des Cleveland Cavaliers.
La sélection d’Anthony n’avait pas donné à débat tant elle était évidente. Son bagage technique et offensif, ultra-complet du haut de ses 19 ans, avait suffi à lui donner la légitimité requise. Son histoire – brève, mais éternelle – avec Syracuse, renvoyait également l’image d’un joueur conquérant, déterminé et surtout, gagnant. Tout ce dont avait besoin Cleveland.
Une pression énorme, il est vrai, mais dont Melo avait conscience. Surtout, celle-ci n’était pas sans limite.
Dans une conférence Est acquise à la cause du trio New Jersey Nets – Indiana Pacers – Detroit Pistons, les Cavs étaient à mille lieues d’être un candidat crédible aux premiers rôles. Tout juste pouvaient-ils prétendre aux places qualificatives en playoffs, quand bien même derrière le trio de tête, le reste de la conférence était relativement homogène – ou faible, selon les plus médisants.
L’important était ailleurs : il fallait redonner espoir aux fans, raviver leur flamme et leur intérêt mourant, donner vie au projet Cleveland. Bref, séduire. Un rôle taillé pour Melo.
A l’occasion du premier match à domicile de la saison, après 3 défaites inaugurales, le futur Rookie de l’Année allait scorer 34 points face aux Nuggets de Dwyane Wade, numéro 3 de draft. Le match fut un instant de grâce absolu, où le jeune homme avait évolué tout en maîtrise et en contrôle, comme habitué à ce genre d’exploit.
Il faut dire qu’en matière de scoring, il avait du talent à revendre. Avec un physique déjà taillé pour le plus haut niveau, une lecture offensive des un-contre-un létale, une qualité de finition de haut calibre, et une palette technique déjà très complètes, Anthony n’allait pas tarder, du haut de ses 19 ans, à prendre le leadership des Cavaliers offensivement.
Le coach Paul Silas ne s’y trompa pas, et fit rapidement de lui l’option offensive numéro un de la franchise. En quelques semaines à peine, Anthony s’imposa naturellement en tant que meilleur scoreur de l’effectif, mais également deuxième meilleur rebondeur derrière la montagne intérieure Ilgauskas.
Comme attendu cependant, malgré l’évidente prise de pouvoir de la pépite de Syracuse, les Cavs étaient à la peine collectivement.
A des années lumières du niveau des cadors de l’Est et manquant cruellement de régularité, ils oscillaient entre le bon, le moins bon et le médiocre par séquences. Par chance, au regard du niveau relativement moyen d’une grosse majorité des équipes de la conférence Est, l’espoir d’une qualification pour les playoffs n’était pas perdu, aussi improbable que cela puisse paraître pour une équipe pointant à seulement 17 victoires à mi-saison.
Les Cavs luttèrent jusqu’au terme de la saison pour tenter d’accrocher le 8è spot qualificatif, au coude-à-coude avec les Boston Celtics. Malheureusement, avec trois défaites de rang dans les trois derniers matchs de la saison, ils ne furent pas en mesure d’inverser la tendance.
Carmelo Anthony n’avait pourtant pas ménagé ses efforts, déterminé à arracher le dernier spot et à marquer sa première saison NBA du seau des playoffs. Mais trop esseulé offensivement et ne pouvant à lui seul combler les carences évidentes d’un effectif trop pauvre, il avait dû s’avouer vaincu dans sa quête.
Avec plus de 22,5 points par match, accompagnés de 6.3 rebonds et 2.5 passes décisives par match, il avait néanmoins frappé un grand coup pour sa première saison sur les parquets NBA. Ces statistiques, que l’on avait coutume d’observer chez les habitués du All-Star Game, détonnaient forcément pour un rookie âgé d’à peine 19 ans. De fait, les débats pour le trophée de Rookie de l’Année avaient rapidement été clôturés.
Melo avait conquis son auditoire dès ses premières prestations, et tout au long de la saison. Ses pics au scoring, son style de jeu et son charisme naturel avaient séduit bien plus que la fanbase des Cavaliers. Dans tout l’Ohio, l’espoir avait refait surface.
Ce trophée de Rookie de l’Année venait parachever une exceptionnelle première saison. En posant la main sur son précieux, sourire aux lèvres, face aux journalistes et photographes de la salle médias bondée, Carmelo Anthony avait la sensation du devoir accompli, à juste titre.
Quelques minutes plus tard, nous étions de retour sur le parvis de la Gund Arena, face à l’immense affiche déployée à l’effigie de la nouvelle idole locale. « J’aimerais bien voir ce que Dwyane Wade et Chris Bosh en pensent, tiens. Ça vous tente? ».
***
***
Devant sa télévision, Dwyane Wade était pensif.
Son camarade de classe de draft saisissait le trophée de Rookie de l’Année à pleines mains, et Wade était incapable de dire quelle émotion était dominante chez lui devant cette scène. Entre déception et indifférence, son cœur balançait.
La déception était forcément présente. En tant que rookie NBA scruté de toutes parts et présent sur le devant de la scène toute la saison, il avait un temps songé à ce moment, où ses propres mains se poseraient sur ledit trophée. Cependant, il savait que dans ce genre de course aux récompenses, les statistiques, à tort ou à raison, jouaient un rôle prépondérant. Et de ce point de vue-là, Anthony avait été quasiment inatteignable.
Pas le même rôle, pas les mêmes responsabilités, pas les mêmes objectifs, pas le même jeu. Surtout, au regard du déroulé de sa saison, Wade était pleinement satisfait de son baptême dans la Grande Ligue, et refusait de voir une récompense individuelle manquée noircir le tableau.
Le jeune arrière de Marquette avait fait son arrivée dans une franchise des Nuggets en pleine révolution. Avec seulement 17 victoires au compteur avant son arrivée, la saison écoulée avait été en tout point calamiteuse, exception faite de la belle saison individuelle du rookie Nene Hilario, et du pick #3 acquis à la loterie, par lequel il était arrivé.
Cette envie de renouveau des Nuggets avait été clairement mise en avant pendant la saison, lorsqu’au milieu du marasme des défaites, la franchise avait présenté le changement identitaire majeur qui allait être opérer : nouveaux logos, nouvelles couleurs, nouveaux maillots, nouveau parquet, la refonte était totale. Pour lancer concrètement le mouvement, il fallait encore un visage, une figure, à laquelle les fans allaient pouvoir s’identifier. Il ne fallut pas longtemps à Dwyane Wade pour saisir l’occasion. A l’image du joueur qu’il avait été à Marquette, l’arrière allait naturellement se faire sa place dans le roster des Nuggets et dans le cœur des fans.
Il fut d’abord discret dans les premiers matchs, essayant de créer des automatismes avec son compère Andre Miller arrivé à l’été via la free-agency pour former un backcourt au très haut potentiel. Puis, petit à petit, Wade s’était libéré.
Son explosivité, sa fougue, ses slaloms dans la raquette, ses finitions tonitruantes, son sens de l’anticipation défensive, ses contres spectaculaires et son envie de se battre sur chaque ballon allaient conquérir le public du Pepsi Center en plus de temps qu’il n’en fallait pour que l’arrière claque un dunk en transition – c’est dire.
La paire Andre Miller et Dwyane Wade allait également confirmer rapidement les espoirs placés en elle. Maître du tempo et distributeur de caviars en chef, Miller rendait instantanément meilleurs ses coéquipiers, tandis que Wade, véritable électron libre, devenait petit à petit un danger permanent pour les défenses, qui devaient composer avec ce rookie bien décidé à venir perturber la hiérarchie.
La saison avançant, Wade n’allait pas marqué le pas. Le rookie wall ? Très peu pour le jeune homme. A la mi-saison, Denver s’accrochait fermement dans le top 6 de la conférence Ouest, comptabilisant 32 victoires pour 15 défaites lors du All Star Weekend. La révolution avait visiblement fonctionné.
Wade clôtura sa saison rookie avec un peu plus de 18 points de moyenne, accompagnés de plus de 4 rebonds, 4 passes et plus d’une interception par match. Toute la saison durant, il s’était affirmé en tant que joueur complet, tant offensivement que défensivement. S’il avait évidemment des lacunes à combler dans son jeu, sa maturité sur et en-dehors du terrain avait frappé tous les observateurs du monde NBA, fans ou journalistes assidus. Cet état d’esprit de leader naturel, entrevu à Marquette, se confirmait sur la grande scène.
Alors certes, Dwayne Wade avait vu le trophée de Rookie de l’Année lui échapper au profit de Carmelo Anthony, mais le lot de consolation glané par le nouveau visage de Denver était un cadeau bien plus important à ces yeux. L’homogénéité du groupe construit par les Nuggets leur avait en effet permis d’accrocher les playoffs, de justesse, en terminant à la 7è place de l’Ouest. Si le roster souffrait de certaines lacunes, le cinq majeur avait su trouver un réel équilibre, et le groupe avait su faire preuve d’une grande détermination pour conserver le droit de disputer la première campagne de playoffs de la franchise depuis 8 ans.
Au premier tour, Dwyane Wade et les siens se retrouvaient face à la montagne Lakers.
Ces derniers avaient eu la mainmise sur la ligue depuis le début des années 2000. Portés par le duo star Kobe Bryant et Shaquille O’Neal, ils avaient remporté 3 titres consécutifs. Après cet historique three-peat, ils avaient assistés impuissants au sacre de San Antonio en 2003, et étaient revenus avec la ferme intention de reprendre leur trône, aidés par les renforts de Gary Payton et Karl Malone.
Face à une équipe de Denver inexpérimentée à ce niveau, l’issue de la série faisait peu de doutes, quand bien même le duel d’arrières entre le rookie Dwyane Wade et l’idole Kobe Bryant faisait saliver les fans à l’avance. Menés 3 victoires à 1, les Nuggets étaient aux portes de l’élimination, avec un match 5 à disputer, dans deux jours, à Los Angeles.
Alors qu’il était plus concentré sur ses pensées que sur les images de la télévision, Wade éteignit son écran, prépara ses affaires, et pris la direction de la salle d’entrainement. Il avait plus important à faire que de regarder son compagnon sourire, trophée à la main.
***
Chris Bosh n’était pas devant sa télévision. Il y avait eu peu de doutes sur l’identité du vainqueur du trophée de Rookie de l’Année, et il avait préféré consacrer son temps à une activité plus intéressante : prendre un peu de repos, après une année rookie des plus mouvementées.
Son arrivée sur le sol canadien avait donné le ton d’entrée. A peine son nom avait été annoncé par David Stern sur l’estrade du Madison Square Garden que les plus intenses rumeurs de transferts s’étaient fait entendre à son sujet.
Arrivée en NBA en 1995, les Raptors s’étaient qualifiés pour leur première campagne de playoffs au bout de quatre années seulement. Mais après trois qualifications successives, la saison 2002-03 avait été des plus misérables, avec 24 victoires pour 58 défaites. La faute en grande partie à l’absence de Vince Carter durant la moitié de la saison. Et ce dernier, justement, était au centre de l’attention depuis déjà quelques mois.
Les relations entre l’iconique franchise player des Raptors et son front-office étaient apparues de moins en moins cordiales à mesure que la saison 2002-03 avançait. Sorties médiatiques douteuses, bruits de couloirs insistants, avenir incertain et spirale négative due aux défaites, le climat canadien s’était progressivement dégradé, jusqu’à ce que l’orage pointe le bout de son nez. De fait, beaucoup s’attendaient à voir Toronto agressif à l’été 2003 pour renforcer l’effectif, et se donner une chance de conserver Carter le plus longtemps possible.
Toutefois, rien n’aurait pu faire flancher le front-office concernant Chris Bosh. Les espoirs que la franchise plaçait en lui étaient immenses, à l’instar du potentiel que ce dernier avait laissé entrevoir lors de son année à Georgia Tech. Il faudra quelques semaines pour que les choses rentrent dans l’ordre, mais finalement, les faits étaient bel et bien là : Bosh était un Raptor, et rien d’autre.
Passé cette première averse, on aurait pu croire que le ciel allait s’éclaircir pour le jeune intérieur, mais il n’en fut rien. A l’inverse de ses deux compères Anthony et Wade, Bosh n’avait absolument pas anticipé son passage dans la Grande Ligue. Il ne savait absolument pas gérer sa vie quotidienne à la manière d’un adulte, ni même par où commencer dans ce nouvel environnement qui lui était totalement étranger, limite hostile. Du haut de ses 19 ans, il se retrouvait complètement isolé, loin de sa vie universitaire confortable, dans le froid canadien de Toronto, éloigné de tout repère et tout cocon familial.
Ce ne fût qu’une fois de retour sur les terrains que Bosh réussit à retrouver des sensations positives.
En débarquant dans équipe où la hiérarchie était en place, avec un plan de jeu quasi-inamovible, il avait pleinement conscience qu’il allait devoir se contenter des miettes, à l’instar du reste de l’équipe. Vince Carter était – à tort ou à raison – l’option 1, 2 et 3 du coach Kevin O’Neill, le reste devant composer et lutter pour se faire un nom. Or, dans le domaine, Chris Bosh allait se révéler aux yeux de tous.
Quand venait le temps de jouer avec les tripes, Bosh allait rapidement montrer au public de l’Air Canada Center qu’il n’était pas qu’un frêle intérieur mobile ou qu’un prospect à long terme. Si le rythme intense de la saison l’avait cueilli d’entrée, il ne cessait jamais de lutter corps et âme une fois entré sur le terrain, se démultipliant sur chaque action offensive ou défensive pour contribuer le plus efficacement possible.
Avec un temps de jeu considérable, il allait ainsi rapidement dominer les catégories statistiques aux rebonds et aux contres chez les rookies.
En décembre 2003, comme un énième signe que la saison rookie de Chris Bosh ne pouvait décidément pas se dérouler sans perturbation, Toronto se décida enfin à bouger les lignes de son effectif, envoyant le pivot Antonio Davis et l’ailier-fort Jérôme Williams en échange de Donyell Marshall et Jalen Rose. Ce mouvement eut pour conséquence de laisser un trou béant dans la raquette des Raptors. Chris Bosh, 19 ans, raillé pour son physique un peu frêle, allait être projeté pivot titulaire des Raptors pour le restant de la saison.
Luttant soir après soir contre des adversaires plus physiques, plus âgés et expérimentés, Bosh ne se découragea jamais malgré l’adversité colossale qu’il lui fallait encaisser soir après soir. Son corps, bien que jeune, souffrait des coups encaissés à répétition au poste. Mais le jeune homme serrait les dents, et encaissait chaque coup sans mot dire. De l’autre côté du terrain, il tentait également de faire souffrir les mastodontes qu’il affrontait Avec ses propres qualités. Sa rapidité d’exécution balle en main, son jeu de feintes, d’appuis étaient autant d’armes lui permettant de se frayer un chemin sous le cercle, tandis que son shoot extérieur, très viable, lui permettait de sanctionner les largesses des intérieurs adverses, peu habitués à affronter un intérieur véritablement fuyant.
Devant une telle détermination, les fans succombaient. A chaque ballon gratté, rebond gobé, contre mis, and-one arraché, Bosh exultait, et la foule reprenait en cœur avec lui, comme si elle avait multiplié les efforts avec lui sur le terrain. Finalement, ce costume d’underdog lui allait à ravir.
Bien plus, son association avec Marshall, shooteur longue distance réputé dans la ligue, permettait à Toronto de disposer d’une paire d’intérieurs très ennuyante offensivement. Bosh pouvait ainsi profiter des espaces laissées libres par Marshall dans la raquette, et profitait également de sa mobilité pour punir les intérieurs osant le suivre au large, mais très vite mis en difficultés quand venait le temps de multiplier les appuis défensifs pour rester face à l’intérieur canadien.
Dur au mal, se battant à chaque occurrence, inlassablement et sans jamais se plaindre, Bosh conquit le cœur des fans jour après jour, et donnait l’impression de progresser de semaine en semaine, trouvant peu à peu sa place dans la Ligue. Bien qu’en progression par rapport à la saison passée, la saison des Raptors n’avait pas été des plus reluisantes, avec 33 victoires pour 49 défaites. Une nouvelle fois, l’équipe avait échoué dans la course aux playoffs, incapable d’enchainer avec régularité les bons résultats.
Dans ce vaste marasme, la seule lueur d’espoir avait été la saison rookie de Bosh. Avec plus de 12 points de moyenne, plus de 7 rebonds et plus d’1,5 contre par match, le jeune intérieur avait fini par trouver son rôle, dans l’ombre de la star Vince Carter. Aux spotlights de ses compagnons Anthony et Wade, Bosh avait privilégié l’ombre des coulisses ; et ses quelques détracteurs, eux, avaient préféré quitté la scène discrètement.