Si l’on faisait une liste de joueurs sur lesquels trouver le juste milieu n’est pas évident, j’évoquerais très certainement Jaylen Brown en premier. La 2eme options des Celtics va entrer dans une saison unique depuis sa draft : les Celtics ne sont pas une équipe compétitive et il va devoir en enfiler la cape de superhéros.
Quand je dis qu’on peine à trouver le juste milieu, c’est que certains le mentionnent très régulièrement comme une superstar, et ses récompenses individuelles, dont le MVP des Finales 2024, n’ont pas aidé à générer de la nuance autour de Brown. Tantôt, on peut le voir comme un joueur aussi important que Jayson Tatum, qui va devoir aborder une saison blanche, tandis que d’autres, le voit comme un éternel joueur dont la côte est largement surévaluée, et pointent régulièrement ses lacunes avec tant d’insistance, qu’ils nous en feraient presque oublier le niveau de production plancher que représente JB.
Il y a certes à dire sur Brown : son manque de pression infligée dans l’attaque du cercle malgré un physique hors norme, cette main gauche si souvent raillée pour son manque de fiabilité, son efficacité globale plutôt faible en opposition à son statut de star (42eme percentile l’an dernier chez les ailier !). Autant d’éléments qui tendent à élever les boucliers de ceux qui cherchent à réellement catégoriser sa contribution réelle, dans une équipe de Boston qui a roulé sur la ligue pendant la saison 2023-2024, et paraissait encore en position de le faire jusqu’à leur élimination en Playoffs.
Toutefois, cette campagne de Playoffs a finalement marqué la fin d’une ère d’une équipe encore hautement compétitive il y a quelques semaines. Rupture du tendon d’Achille pour Jayson Tatum, dont s’est suivie un nettoyage généralisé de l’effectif pour palier à une masse salariale en passe de devenir incontrôlable. Échange de Jrue Holiday (contre Anfernee Simons), départs de Kristaps Porzingis, Al Horford et Luke Kornet, l’effectif voit sa raquette sinistrée, en plus de l’absence de Tatum.
C’est dans ce contexte compliqué que Jaylen Brown va être passé au révélateur. Sans nier que la saison des Celtics sera sans commune mesure avec ce que les fans ont connu ces dernières années : à quel point Jaylen Brown peut-il relever le défi de faire fonctionner cette attaque ? Quel est son défi personnel ? A quel point l’effectif autour de lui a régressé ?
Des Celtics à la recherche d’un initiateur
L’attaque de Boston a fait couler beaucoup d’encre ces dernières années, la nôtre y compris.
En s’appuyant à l’extrême sur le tir à trois points, les Celtics ont monté une attaque au plafond stratosphériquement élevé, qui associée à une défense de très haut niveau, permettait de complètement oblitérer leurs adversaires dans leurs nombreuses « bonnes soirées ». La qualité globale de l’effectif au tir, entre un secteur extérieur rempli de joueurs allant d’adroits à longue distance aux spécialistes du tir à 3pts, et de la paire Porzingis (quasiment sans équivalent dans le registre) / Al Horford, permettait la mise en place de line-ups en 5-out insolentes d’adresses.
L’an passé, ils shootaient 48,6 tirs à 3pts par rencontre, quasiment 15% de plus que leur dauphin (les Warriors), le tout avec une adresse de loin dans le top 10 de la ligue.
Pour autant, et c’était l’inquiétude originelle autour de l’équipe, c’est qu’une attaque à ce point tournée vers un tir à forte variance, peut vous coûter cher en Playoffs. Si les problèmes de santé se sont mêlés de cette campagne (blessure de Tatum, mais également santé générale de Porzingis), toujours est-il que la série face aux Knicks est venue raviver les craintes concernant les Boston Celtics. Menant largement à domicile dans les matchs 1 & 2, Boston a connu des trous d’airs à longue distance permettant à New-York de remporter 2 matchs qui semblaient pourtant déjà joués.
Les Celtics étaient d’ailleurs la parfaite illustration de la théorie du « Rubber band effect » (effet élastique ou effet de rappel en français), qui décrit la tendance des équipes ou des joueurs à revenir vers la moyenne après une période de performance exceptionnelle — qu’elle soit positive ou négative. Plus les performances sont exceptionnelles, plus les tendances de rééquilibrages sont extrêmes : ou d’un point de vu statistique, plus vous créez un avantage important et tôt dans le match, plus les performances des équipes tendent à se dégrader au fil du match. Boston, et sa tendance à se relâcher après avoir acquis des leads très élevés et rapides, ont été une parfaite illustration de cette théorie.
Le fait est que le système très simple des Celtics, s’est avéré diablement efficace (5eme net rating de l’histoire de la NBA en 2023-2024, le 21eme l’an passé). Il n’en requiert pas moins, pour permettre à l’équipe d’obtenir des bons tirs, qu’elle a besoin de joueurs capables de créer des décalages et de faire vivre la balle, et ceci, est la principale raison pour laquelle, si vous avez un jour douté que Jayson Tatum était de loin le joueur le plus important des Celtics, vous aviez tort.
En effet, le principale initiateur de l’équipe est Tatum. Et s’il n’est pas un créateur de tout premier ordre, il permettait néanmoins à la multitude de créateurs secondaires des celtes d’obtenir des espaces suffisants pour shooter, ou générer des espaces supplémentaires suite aux décalages initiaux qu’il créait.
Mais alors : Jaylen Brown peut-il devenir ce joueur ?
Jaylen Brown en 1ere option offensive…
S’ils sont encore jeunes, Jaylen Brown (28 ans) et Jayson Tatum (27 ans) ont joué une immense quantité de minutes dans des équipes compétitives et ensemble.
Ce qui nous permet de dire que la longue expérience commune rende les échantillons observés très révélateurs. D’une part car ils sont très importants, d’autre part car il n’y a pas de biais de progression de leur synergie. Par exemple, on pouvait émettre des doutes lors de la 1ere saison de Damian Lillard & Giannis Antetokoumpo. On peut se dire que la synergie va s’améliorer au fil des ans. On peut beaucoup moins douter des chiffres affichés par des duos qui ont joué ensemble toute leur carrière comme Brown-Tatum, ou Murray-Jokic, par exemple.
Ainsi, si l’on prend la période 2022-2025 (donc 3 saisons), Brown & Tatum on partagé le terrain ensemble 4616 minutes (!!!) et Brown a passé 2220 minutes sans Tatum sur la même période (source : pbpstats). Qu’est ce que l’on apprend ?
- Que la synergie Tatum / Brown n’a jamais été exceptionnelle. De fait, les Celtics ont 120,8 d’offensive rating avec son duo qui partage le terrain, et 120,8 d’offensive rating avec Brown sur le terrain et Tatum sur le banc. L’équipe n’était jamais meilleure qu’avec Tatum sans Brown (123,3)
- Que l’efficacité de Brown est la même quand il partage le terrain avec Tatum que quand il évolue sans lui

Son volume brut de tir pou lui-même et de création augmente quand il ne partage pas le terrain avec Tatum, mais sa production personnelle, en termes d’efficacité, n’en est pas impactée. Pour cause, les interactions entre les 2 joueurs n’ont jamais été particulièrement intéressantes. Brown n’est pas un joueur très actif sur les coupes, ni un joueur particulièrement prolifique sur catch & shoot. Résultat, certes, l’effectif est bien amoindri (départs non remplacés ou par des joueurs moins talentueux), les minutes de Tatum sans Brown absente et par conséquent les minutes sans Brown sur le terrain pourraient être catastrophiques, mais Brown pourrait réussir, quand il est sur le terrain, à faire tourner, relativement correctement cette attaque de Boston.
Créer pour autrui, sans co-star
Le scoring de Brown n’a jamais été d’une efficacité redoutable. Sur les 7 dernières saisons, 6 d’entre elles se trouvaient entre le 62eme et le 70eme percentile en termes d’efficacité au scoring. Pour l’essentiel, c’est un scoreur autonome, qui profite d’un physique très puissant et d’une solide adresse à mi-distance pour compenser une répartition de tir douteuse, ou tout du moins, pas optimale.
Le problème, c’est qu’il va devoir apporter un très fort volume de création, le tout avec un handle qui peut limiter sa faculté à malmener ses défenseurs primaires. Passeur sans génie, il sait néanmoins faire les lectures évidentes pour servir ses coéquipiers ouverts. Mais en étant plus ciblé par les défenses, plus longtemps sur l’ensemble d’une rencontre, il faudra surveiller sa lucidité et sa gestion du ballon. En effet, si sa production en scoring est stable sans Tatum, que son volume de passe tend à augmenter, son niveau de pertes de balle augmente. Désormais, les adversaires sauront qu’enrayer l’attaque de Boston pourrait passer par s’attaquer à Brown, propulsé en seule star de l’équipe.
Bien évidemment, il aura d’autres porteurs de ballons capables à ses côtés (Derrick White, Anfernee Simons, Payton Pritchard), mais comme susmentionné, ce n’est pas un joueur, à ce stade de sa carrière, qui produit à haut volume des espaces créés par autrui. Il va donc parfois faire face à des défenses d’élite qui le cibleront, et il faudra alors pour lui trouver comment contribuer, mettre en valeur ses coéquipiers et ne pas noyer sa propre attaque en insistant.
Ces nouveaux Celtics, ça peut fonctionner ?
Cependant, sa production personnelle ne sera pas son seul souci. L’autre défi majeur pour Brown est le nouveau contexte.
L’effectif a été largement dégradé. Porzingis est probablement le meilleur intérieur de Pick & Pop de la ligue, particulièrement parce que c’est un shooteur phénoménal, même loin derrière la ligne à 3pts. Cela rendait les actions avec lui très efficaces parce que le dilemme est toujours le même : sortir très haut sur lui, signifie laisser beaucoup d’espace au porteur de balle pour naviguer, donner trop d’attention au porteur de balle, c’est laisser de l’espace à un joueur qui n’a déjà pas besoin de ça pour vous sanctionner. Le tout en vous apportant une protection près du cercle de haut vol. Horford offrait quant à lui une option de 5-out, tout en étant encore un intérieur capable de switcher. Kornet était un back-up plus que viable, également capable de shooter et beaucoup plus polyvalent qu’on l’imaginait initialement devenir.
En prime, Jrue Holiday a obtenu une bonne contrepartie offensivement (Simons), sa défense elle, est bel et bien perdue. Toujours un défenseur de très haut niveau sur l’homme, défenseur extrêmement intelligent sans ballon, son « remplaçant » va devoir hausser le ton de ce côté du terrain.
Ce n’est donc pas que l’absence de Tatum, mais également les départs remplacés par des joueurs moins forts (Chris Boucher, Luka Garza à l’intérieur) qui rendent la saison à venir des Celtics particulièrement fragile.
Sur les lignes extérieures, on peut imaginer que Payton Pritchard et Sam Hauser toujours plus responsabilisés, particulièrement en raison de leur tir d’élite qui sied parfaitement au style de jeu de Boston. Anfernee Simons dans une attaque plus forte, pourrait également voir son efficacité s’accroître. Très bon joueur de catch&shoot (39,4%), il était obligé de prendre beaucoup plus de pull-ups et de tirs en sortie d’écran dans une très jeune équipe de Portland, et pourrait bénéficier d’une meilleure sélection de tirs dans sa nouvelle équipe.
En revanche, le secteur intérieur et de fait, la défense, posent question. D’une part parce que les options offensives sont bien moindres qu’avec des joueurs comme Porzingis ou Horford. Mais surtout défensivement, ou la switchabilité d’Horford et la protection de cercle de Kristaps ne sont pas égalées par les recrues, loin s’en faut. Il sera intéressant là aussi, toutefois, de voir une responsabilisation plus important pour Neemias Queta et Xavier Tillman. Mais le plafond offensif en est nettement amoindri.
Que conclure ?
La saison des Boston Celtics s’annonce difficile dans des proportions que les fans ont eu le temps d’oublier, après tant d’années dans les hauteurs de l’Est. Toutefois, on pourrait assister à la plus grosse saison de la carrière de Brown. Que cela fonctionne ou pas, de ce point de vu-là, la saison permettra de trancher la question d’une équipe menée par l’ailier, et du niveau plancher qu’il est capable de créer pour un groupe. Par ailleurs, elle permettra de voir de nombreux joueurs lancés dans des rôles plus importants et de lancer la carte d’un remaniement de l’effectif en attendant le retour de Jayson Tatum.





