Alors que les Nuggets trônaient parmi les meilleures défenses NBA depuis le début de saison, l’année 2019 s’est terminée sur une piètre note : 115 points encaissés face aux Sacramento Kings, avant de subir un énorme éclat face aux Houston Rockets (130 points)*. Le résultat de fêtes de fin d’année un peu trop arrosées ? Pas vraiment, puisque l’équipe avait déjà baissé d’un ton dans ses prestations depuis la mi-décembre. Néanmoins, dans deux des pires performances défensive de l’équipe cette saison, nul doute que l’absence remarquée de Gary Harris a ouvert les vannes pour les équipes adverses.
Calmement, sans faire de bruit, Harris s’est imposé comme une des armes de limitation offensive les plus létales en NBA. Du haut de son (petit) mètre 93, à l’échelle NBA, l’arrière de Denver se taille petit à petit une réputation solide en garnissant son tableau de chasse des meilleurs extérieurs NBA. Avec sa faculté à lire les attaquants adverses, à étudier les habitudes de ses adversaires, il s’est fait de saison en saison, un défense de plus en plus estimable pour son coach Mike Malone. Mais si l’ancien Spartan est aussi étouffant cette saison, c’est aussi car ses aptitudes physiques lui permettent de rester systématiquement proche des attaquants adverses. Entre des appuis très vifs et légers, une agilité saisissante et des instincts défensifs acérés, ce dernier a pu limiter de nombreuses stars adverses à des chiffres faméliques, dont voici un extrait :
- Luka Doncic : 12pts (3/12 au tir)
- Bradley Beal : 14pts (6/15 au tir)
- Devin Booker : (14/46 au tir sur 3 matchs)
- CJ McCollum (11/29 au tir sur 2 matchs)
- Buddy Hield (17/51 au tir sur 3 matchs)
Si Gary Harris a profité des progrès collectifs des Nuggets pour passer un cap, il ne faut pas s’y méprendre, aucun joueur dans le Colorado n’a l’abatage défensif de l’arrière. Capable de combler de nombreuses brèches, de se charger des meilleurs extérieurs adverses tous les soirs, il est aussi le joueur de la franchise qui autorise le plus faible pourcentage au tir à ses adversaires. On vous laisse juger : les opposants de Gary Harris ne rentrent que 38,6% de leurs tirs pris cette saison. Pour vous donner une idée, à l’échelle de la NBA, le nom de Gary Harris se retrouve au milieu de plusieurs prétendants au titre de défenseur de l’année, comptant à cette heure : Jimmy Butler, Giannis Antetokoumpo, Kawhi Leonard. A vrai dire, chez les extérieurs, les seuls joueurs à faire mieux que le Nugget ne sont autre que Kyle Lowry, Marcus Smart et Wesley Matthews. Si le Raptor a un rôle offensif supérieur à l’ex-Spartan, les deux autres n’ont pas le même poids dans la rotation de leur équipe.
Pour s’immiscer au milieu de joueurs renommés pour être des défenseurs féroces, il faut saisir quel type de défenseur il faut être. La séquence précédente, illustre à la perfection, selon moi, en quoi Gary Harris est un défenseur d’élite. Ici, la défense se retrouve débordée en transition, Grant se faisant dépasser par son vis-à-vis. Pour combler le 4vs5, Gary Harris va venir aider sur la pénétration de Ja Morant et suivre le meneur pour éviter qu’il obtienne un tir ouvert. Un bref coup d’œil va néanmoins lui permette de comprendre que la présence, derrière lui, de Monte Morris laisse un adversaire ouvert. Il va donc rapidement revenir sur Kyle Anderson esseulé dans la corner, sans pour autant se jeter sur le tir qu’il amorce. Grâce à cela, il dissuade le tir mais ne laisse aucune opportunité de se faire déborder par le drive. La défense semble gagnée, Porter Jr n’étant pas supposé se faire éliminer ainsi par Grayson Allen. Pourtant, Harris va continuer de suivre l’action et venir en aide pour contrer la pénétration adverse.
Le profil
Contrairement à de nombreux défenseurs considérés comme élite à l’heure actuelle, Gary Harris ne bénéficie pas d’un avantage de taille ou athlétique sur la plupart de ses vis-à-vis. Ne disposant pas d’une taille ou d’une envergure supérieures aux moyennes du poste, le joueur n’est ainsi pas capable de battre l’adversaire grâce à un avantage “naturel”. En raison de cette taille, il reste encore des domaines où le joueur ne peut pas battre son opposant sans des aides défensives. Lorsqu’il est dépassé par un joueur sur un drive, il n’est par exemple pas équipé physiquement pour reprendre son joueur en second temps ou réellement le gêner dans sa finition. Ainsi, il concède 60,8% du temps un panier lorsque le joueur adverse entre dans la “restricted area”. Ce qui en fait à peine un défenseur dans la moyenne NBA.
En revanche, sorti de cette zone, l’arrière devient une véritable sangsue et limite la plupart de ses adversaires en deçà des moyennes NBA. Pourquoi ? Car depuis qu’il joue au basketball, Harris a toujours eu une rigueur défensive qui lui a permis de s’imposer dans les rotations. Ce qui le démarque de la plupart des autres joueurs, c’est sa conscience de ce qui se passe de ce côté du terrain. Capable de faire les bons choix sur les écrans adverses, rarement pris par surprise par les mouvements offensifs de l’adversaire, toujours prêt sur ses appuis, se laissant toujours une marge pour anticiper le prochain mouvement de l’adversaire, il est rapidement devenu un de ces “glue guys” difficiles à battre sur des feintes ou à dépasser grâce au mouvement de ballon. En alliant son habilité à lire le jeu et sa compréhension de ce qui se passe sur le terrain (y compris hors de son champ de vision), il fait partie de ces joueurs difficiles à déstabiliser par un écran. D’une part car il sait quand passer par-dessus/dessous, mais aussi car il sait se positionner de manière à réduire l’efficacité de l’écran lui-même.
De fait, il devient particulièrement pénible pour les joueurs adeptes de jeu en isolation, car s’il commence à connaître les habitudes de l’attaquant en plus de ses propres aptitudes, il peut facilement l’emmener dans les zones qui lui sont peu favorables. A ce titre, le travail (de concert avec Torrey Craig, disons-le) sur DeMar DeRozan puis Damian Lillard lors des Playoffs 2019 démontre bien sa faculté à éteindre un joueur sur l’ensemble d’une série NBA. Pour se donner un ordre d’idée, en ce début de saison, attaquer Gary Harris en isolation rapporte en moyenne 0,57 points par possession, ce dernier concédant un point (lancer, panier à 2 ou 3 pts)… 29% du temps. Une idée de la pression que le joueur met sur l’attaquant ? Voir ci-dessous :
En outre, s’il est très bon dans l’exercice, c’est aussi car il fait peu de “paris”. Là où certains défenseurs manquent de patience et s’exposent en tentant de voler des ballons ou de contrer des tirs, Harris mord très peu aux hameçons adverses (et fait donc peu de fautes). En cela, ses faibles totaux d’interceptions (1,4 par match) et contres (0,3 par match), illustrent bien le fossé qui existe entre ces statistiques et le bon défenseur. Pourtant, il ne faut pas s’y méprendre, l’arrière a des mains très actives et très précises en défense. Capable de sanctionner un handle un peu hasardeux, de dévier des ballons, il sera en revanche rarement pris hors de position car désireux de couper une ligne de passe. De même, il sautera rarement sur une feinte de tir s’il a du retard en défense, préférant gêner le défenseur et reprendre ses appuis dans le but de ne pas concéder un drive à son adversaire. Le tout démontrant une patience et un QI Basket très louables pour l’ensemble de l’équipe.
Une évolution ?
Après une saison rookie compliquée, Gary Harris devait prouver qu’il avait sa place en NBA. Débarqué à Denver sous la fin de l’ère Brian Shaw, dans une équipe qui cherchait à retrouver sa place après le succès de la période George Karl, il n’a pas fauté sur le terrain, il n’a tout simplement jamais gagné la confiance de Brian Shaw, qui ne voyait pas nécessairement en lui un joueur NBA. Néanmoins, à la fin de deux années pénibles pour la franchise, la reconstruction enclenchée va donner tout le temps nécessaire à l’arrière de prouver sa valeur.
En faisant venir Michael Malone, coach à la réputation défensive, Gary Harris semble avoir été mis dans les meilleures conditions pour réussir. En effet, depuis son entrée au lycée, le joueur s’est fait une place dans les rotations non pas grâce à son talent offensif, mais sa domination défensive. Brian Satterfield, coach qui l’a découvert dès son année freshman en high school avait rapidement dû s’incliner devant la rigueur du joueur de ce côté du terrain. Lors d’un rassemblement avec l’équipe, il demande qui est, selon eux, le meilleur défenseur de l’équipe. Alors qu’il n’a que 14 ans, tout le monde s’accorde à dire qu’Harris est déjà en avance sur tout le monde dans le domaine. Satterfield qui n’a jamais aimé donner beaucoup de minutes aux joueurs les plus jeunes va rapidement faire de Gary un de ses titulaires.
En tant que freshman, il avait déjà un talent offensif et pouvait faire quelques trucs, mais c’était son travail en défense qui le sépare de tous les joueurs que j’ai pu coacher jusqu’ici. Il n’était jamais perdu sur le terrain, il ne se faisait jamais battre par un mouvement ligne de fond, ne se faisait jamais prendre par un écran posé dans son angle mort. Globalement, il ne coûtait jamais de possession à son équipe en ne remplissant pas la tâche qu’on lui avait assignée. Mieux, il savait ce que ses coéquipiers devaient faire de manière à couvrir leurs erreurs.
Conscient que son art commençait avec la défense, il s’était naturellement dirigé vers le mur de Michigan State, coaché par Tom Izzo. Et ce dernier resta sans voix devant son jeune arrière.
Je n’avais jamais vu un joueur aussi peu amusant à coacher. Vous ne pouviez jamais lui hurler dessus. Quand vous souhaitiez lui apprendre quelque chose, il suffisait de lui dire une fois, ensuite il serait toujours prêt à l’appliquer. Ses anticipations étaient si bonnes, et il était bien trop à l’aise à bouger son corps de manière à éviter les écrans. Il était bâti pour défendre.
Pourtant, l’histoire en NBA sera bien moins idyllique. Véritable sensation NCAA avec les Spartans, le travail défensif d’Harris se noie dans la désastreuse défense de Denver. Malone n’arrive pas à instiller cette mentalité à son équipe et les efforts de l’arrière se perdent dans les multiples erreurs de ses coéquipiers. Presque 4 ans après son arrivée dans la grande ligue, son travail défensif est reconnu de manière très confidentielle. Il faut suivre la franchise de près ou être adepte des statistiques avancées pour noter que le joueur fait toujours un travail remarquable. Car bien que les Nuggets soient une des pires défenses NBA, les vis-à-vis de l’arrière voient déjà leurs pourcentages au tir chuter, lorsqu’opposés à Harris. Il est déjà un des joueurs qui dévient le plus de ballons et tente tant bien que mal de couvrir les erreurs de ses coéquipiers, Jamal Murray en tête.
Finalement, l’évolution viendra du collectif. Écorchés d’avoir échoué aux portes des Playoffs pour la seconde fois en 2 ans, l’ensemble de l’équipe décide d’embrasser une philosophie défensive. Intraitable, la franchise émerge parmi les meilleures défenses de la ligue après des années à squatter les bas fonds. Dans ce contexte, Gary Harris va effectuer une sorte de mue. Alors que les blessures commencent à émailler ses saisons depuis 2017, il perd aussi sa place en attaque, lui qui était depuis 2 ans la principale option offensive derrière Nikola Jokic. Alors que d’autres joueurs passent devant lui offensivement, il redevient le spécialiste défensif qu’il a été. Si les blessures et ses difficultés en attaque vont parfois entacher sa perception aux yeux des fans, Mike Malone fait confiance à son joueur qui montre de mois en mois qu’il est un des tous meilleurs défenseurs extérieurs en NBA.
Souvent en délicatesse offensivement, il montre qu’il peut impacter les rencontres malgré tout et même être décisif, comme lors de la semaine de reprise, en sauvant des possessions indispensables, comme ci-dessous :
Néanmoins, Gary Harris n’est pas arrivé comme un produit fini en défense. Ce dernier a effectivement progressé dans certaines phases du jeu, de manière à contre-carrer au mieux les joueurs NBA. S’il devient de plus en plus dur à manoeuvrer en isolation, c’est surtout sur l’une des phases les plus utilisées du jeu en NBA qu’il a mué : le Pick&Roll. Denver est une équipe qui a changé de statut en défense, mais qui ne reste pas sans faiblesses. Parmi ces faiblesses, la volonté des équipes adverses de créer des mismatchs sur la star de l’équipe : Nikola Jokic. A ce titre, ce dernier progresse de saison en saison sur la manière de réagir aux choix adverses. Très communicatif en défense, malgré son apparence assez discrète, l’arrière excelle à diriger la défense. Quand effectuer un switch ? Quand se battre pour passer devant l’écran ? Comment se positionner pour aider le joueur ciblé ? Déjà très solide dans l’exercice jusqu’ici (ses opposants scoraient 42% du temps en 2016-2017 par exemple), il a passé un cap dans sa défense, n’autorisant un panier que 37,5% du temps cette saison. Alors que le P&R est une des phases de jeu les plus efficaces en NBA, se trouver face à Harris est devenu une véritable problématique pour l’équipe adverse.
Souvent utilisé pour donner l’occasion au meilleur extérieur d’une équipe de cibler un intérieur adverse, la présence de l’arrière pousse souvent à lâcher la balle ou accepter une réussite assez faible. L’an dernier déjà, Harris se trouvait dans le 94eme percentile en défense, lorsqu’il gardait le porteur de ballon sur P&R. Devenu maître de l’exercice depuis 2 saisons, il autorisait un peu moins de 0,67 point par possession pour un pourcentage de 35,1% au tir. En outre, sur 154 possessions jouées, 32 se terminaient sur une perte de balle… soit plus d’une action sur cinq. Entre science du placement, conscience du positionnement de ses coéquipiers, appuis très rapides et mains très précises, il génère de nombreux ballons perdus quand bien même il n’est pas, comme nous l’avions vu, nécessairement un joueur qui fait beaucoup d’interceptions.
Au point d’être perçu comme un All-Defensive Player ? Oui, enfin ! S’il a jusqu’ici été boudé malgré ses aptitudes, Gary Harris a enfin un CV défensif assez rempli pour être mentionné depuis cette saison. Si le joueur n’est pas un bon client des médias, il a néanmoins fait part de son intérêt pour une récompense de ce genre. Et alors que sa défense commence à faire parler, ses coéquipiers font eux campagne pour l’arrière. Quant à lui, il n’hésite pas à déclarer :
Je pense que c’est devenu un but. Mon objectif est d’évoluer à haut niveau et d’aider l’équipe à gagner, tant que l’on gagne c’est tout ce qui compte pour moi. Mais si je peux me faire un CV de joueur défensif, j’imagine que je prends.
* statistiques arrêtées au 05/01/2020
Sources : theathletic, stats.nba.com, Synergy.