A l’approche de Jeux Olympiques historiques à Paris pour cet été 2024, QIBasket vous propose de revenir sur l’incroyable histoires des équipes de France féminines et masculines à travers deux séries d’articles. Pour l’épisode 8 sur l’équipe masculine, c’est par ici !
Liste des épisodes précédents :
- Episode 1 : Les pionnières du basket (1893-1928)
- Episode 2 : Championnes avant l’heure (1929-1939)
- Episode 3 :La patte Busnel (1945-1957)
- Episode 4 : Survivre dans le basket soviétique (1957-1963)
- Episode 5 : Génération Clermont (1963-1980)
- Episode 6 : Les légendes d’Horizon 80 (1980-1990)
- Episode 7 : Premières étincelles (1990-1995)
Episode 8 : Entrez dans l’âge des championnes, avec Isabelle Fijalkowski (1995-2001)
Reculer, pour mieux sauter
Alors que la France semblait monter en puissance au début de la décennie 90, les bleues sont finalement renvoyées à la case départ: Eurobasket 1997 en Hongrie ? Pas qualifées, Mondial 1998 en Allemagne ? Pas qualifées…plutôt inquiétant, à trois ans d’un Eurobasket qui aura lieu chez nous, en France. Un motif suffisant pour changer d’entraîneur: en 1997, Paul Besson quitte la tête de l’équipe de France, avec un bilan de 80 victoire pour 64 défaites. “Bien mais pas top” comme on dirait, mais ce bilan est bien plus flatteur que ses prédécesseurs. Toujours avec nous pour cet épisode, Isabelle Fijalkowski résume :
Après le mondial 95, on joue ce Championnat d’Europe à Brno. A ce moment-là, on avait l’ambition, la jeunesse. Mais on ne se qualifie même pas pour les quarts de finale et on ne sait même pas se qualifier pour le Championnat d’Europe. Après une montée progressive, on a finalement échoué à trouver une équipe dans le changement de génération.
Il laisse sa place à Alain Jardel, dont le CV était alors déjà grand comme un Victor Wembanyama : fondateur du Basket Astarac Club de Mirande en 1975, qu’il porte presque à bout de bras lors des débuts du club. Cette équipe qui représente une petite commune d’Occitanie qui ne comptait alors que quelques milliers d’âmes. Jardel commence d’en bas avec ce club, pour en faire un triple champion de France en 1988-89-90. Hallucinant.

Une fois en poste, Jardel aura la lourde tâche de tenter de lier 2 générations de joueuses exceptionnelles
Quelle est sa formule magique ? Dans une superbe série qui lui est dédiée, il confie à nos collègues de Basket-Retro :
“Comme j’étais professeur d’éducation physique à la base, je m’intéressais aussi beaucoup aux différentes pratiques d’entrainement et je faisais de la recherche personnelle pour essayer de m’améliorer. Je suis un amoureux de la technique individuelle.”
Pour Isabelle, Jardel apporte un nouveau souffle:
Orienté sur l’aspect défensif “plus plus”, le contrôle du ballon, le jeu collectif et la création d’une dynamique de groupe sur le terrain. Un grand tacticien avec un staff nouveau. Il a fait des choix au niveau de l’effectif, en choisissant des joueuses qui pouvaient répondre à ses exigences.
Alors, sélectionneur de l’équipe de France féminine, c’est pas mal et là encore, Basket-Rétro, venu interviewé le bonhomme, s’est demandé quels étaient les objectifs ? Jardel leur répondra : “A ce moment-là, tout le monde était déjà content qu’on gagne des matchs”. Il faut bien commencer quelque part.
Le basketball français change de dimension
Mais l’est-ce réellement un recul ? En réalité, pas du tout. Après son passage à l’Université de Colorado en 1994, Isabelle Fijalkowski devient la première joueuse à rejoindre la WNBA en 1997, à Cleveland. Mais vous connaissez à quoi ressemble une saison de basketteuse professionnelle de haut-niveau : on joue en Europe l’hiver, et en Amérique l’été. Isabelle est de ces joueuses-voyageuses : ce sera donc le Tango Bourges et les Cleveland Rockers. Dans les deux, elle va briller.
Ailleurs, les clubs français commencent à poindre leurs bouts-de-nez dans les derniers carrés des coupes d’Europe… Voire même des finales, et même mieux.
En 1995, Bourge gagne la coupe Ronchetti, seconde compétition européenne. En 1996, c’est Tarbes Gespe Bigorre qui gagne cette même coupe. Et puis en 1997, le Tango Bourges gagne contre les allemandes de Wuppertal et devient la première équipe française de basket féminin à gagner l’Euroleague, quatre ans après les hommes du CSP Limoges.
Le Berry Républicain avait ressorti ses archives en 2017 pour fêter les 20 ans de l’exploit et rappelait alors une stat :
“60.7% : un chiffre qui montre la saison énorme d’Isabelle Fijalkowski, meilleure marqueuse de Bourges en Euroligue, avec 17,2 points à 60,7% de réussite ! Elle était également la meilleure rebondeuse avec 8,3 prises.”
Le journal ne s’y trompe pas, car Basket-Retro, dans son article sur cet exploit historique, confirme rapidement: “A la mi-temps, le club français avait une avance confortable de 13 points : 38-25. Isabelle Fijalkowski a signé un match monumental avec un magnifique double-double : 24 points (à 8/14 aux tirs et 8/8 aux lancers-francs) et 12 rebonds”.

Vadim Kapranov, artisant du succès de Bourges en Europe…et artisant malgré lui des futures succès français. Il nous quitte en 2021.
Bourges ira même plus loin et fera le doublé l’année suivante, sans Isabelle cette fois-ci. Mais pour elle, la période est clairement dédiée à un changement de dimension, notamment avec l’arrivée des techniciens comme Kapranov à Bourges :
Les joueuses de l’équipe de France jouaient essentiellement dans des clubs, deux clubs, qui jouaient les premières places au niveau européen. A Bourges, avec Vadim Kapranov, mais aussi Tarbes, Valenciennes…on se retrouvait dans des clubs forts au niveau européen avec des techniciens de très bon niveau. Ils nous ont aidé à casser cette barrière de la confiance: on ne considérait plus qu’on était des “accidents” d’une compétition, non, on savait qu’on était des bonnes joueuses. Kapranov a développé chez nous une confiance incroyable, à moi, Yannick Souvré, Cathy Melain aussi. On ne parlait plus des adversaires, on parlait de notre niveau.
Retour rapide sur un podium… Et dans l’histoire
Qualifiées pour l’Eurobasket 1999 en Pologne, Alain Jardel explique à Basket-Retro: “Je dis au filles que ce qu’on a fait est exceptionnel, deux filles prennent alors la parole, Yannick Souvré et Isabelle Fijalkowski, pour dire que ce qui les intéresse vraiment est d’aller aux Jeux Olympiques de Sydney. Leur vision à long terme était un moteur important pour l’Équipe”. Le cap est fixé, et les bleues vont s’y tenir, car la porte d’entrée vers Sydney, c’est l’Eurobasket 1999.
La sélection pour aller jouer en Pologne: Johanna Boutet, Edwige Lawson, Sandra Le Dréan, Nathalie Lesdema, Cathy Melain, Yannick Souvré, Audrey Sauret, Laëtitia Moussard, Stéphanie Vivenot, Christine Gomis, Isabelle FIalkowski et Nicole Antibe. Ce premier groupe Made In Jardel écrase la Slovaquie (56-43), trébuche contre la Russie (59-53) et dévore le reste: la Lettonie (63-56), la Croatie (71-51) et l’Allemagne (68-60). Les bleues terminent 2e, avec la meilleure défense du tournoi avant les phases finales. En quart, les françaises passe la Yougoslavie (64-58). En demi-finale, les bleues retrouvent la Slovaquie, pour un massacre: 66-39 !
Avant même de penser à la finale et une potentielle médaille d’or, les joueuses de Jardel ont déjà réussi. Oui, elles vont aux Jeux Olympiques de Sydney, mais surtout, elles sont les premières à qualifier une équipe de France d’un sport collectif pour des Jeux Olympiques. Rien que ça.
Et la France est donc en finale de l’Eurobasket. Mais en face, ce sera la Pologne, chez elle.Une finale dominée par un phénomène au coeur de Katowice: Margo Dydek et ses 2m13. Quel joli cadeau pour les intérieures françaises et notamment Isabelle Fijalkowski, qui raconte:
Forcément mon histoire vis-à-vis de la Pologne est particulière. Pour moi je jouais un peu contre mes soeurs ! J’ai beaucoup de tendresse et d’affection pour les joueuses polonaises, qui me considéraient comme “une amie française”. Même encore aujourd’hui, on a beaucoup de plaisir à se revoir. Mais le match, c’est le match : Margo arrive devant moi, elle est démesurée ! Au fil des années, on avait appris à savoir ce qui pouvait la gêner, comment la sortir de la raquette, même si c’est pour la laisser shooter de loin, ce qu’elle pouvait faire. On y arrivait plutôt bien.
Malgré cette motivation, les françaises débutent mal avec un 0-8 bien sale. Mais en renforçant la défense, les bleues éteignent l’incendie. Mieux : Dydek est en pénalité avec 3 fautes dès le 2e quart-temps. A la mi-temps, les polonaises n’ont plus que 4 petits points d’avance. Avec Audrey Sauret qui passe la barre des 20pts, la France est si proche de son premier titre et Dydek prend sa 5e faute. Et c’est Isabelle qui met le panier remettant les françaises en tête. De l’Or en vue ? Les polonaises finissent par reprendre l’avantage et Sauret manque le panier de l’égalisation au buzzer. Les polonaises exultent…mais en France, dans le monde du basket, c’est l’année de la femme, c’est sur. Isabelle Fjalkowski termine à 13.6pts et 5.8reb de moyenne, Audrey Sauret termine à 11.3 et Catherine Melain à 10.9. Mais pour Isabelle, cette deuxième défaite en finale n’efface pas l’objectif atteint :
A partir du quart de finale, on est qualifiée pour Sydney, on est aux anges, le reste c’est du bonus.
Héroïne de cette finale, joueuse WNBA deux fois All-Star, Malgorzata “Margo” Dydek nous quitte en 2011 d’un arrêt cardiaque, alors qu’elle était enceinte de son troisième enfant.
Sydney nous voici !

Edwige Lawson-Wade à la remontée à Sydney. Les filles échoueront aux portes des demi-finales – Crédits : Bellenger/IS/FFBB
Rien de plus beau dans le basket que le reflet des projecteurs sur l’or des médailles olympiques. Et grâce à cette équipe, enfin la France peut y prétendre.
Dans leur groupe, du lourd : Australie, Brésil, Slovaquie, Canada, Sénégal. Dans le groupe de Jardel, on retrouve pas mal de membres de l’épopée polonaise : Cathy Melain, Stéphanie Vivenot, Sandra Le Drean, Nicole Antibe, Edwige Lawson-Wade et bien entendu Yannick Souvré et Isabelle Fijalkowski. On compte aussi Laëtitia Moussard, Dominique Tonnerre, Nathalie Lesdema, Laure Savasta
Evidemment, Sydney 2000, pour le basket français, fait penser à la médaille d’argent des garçons, que nous vous avons déjà racontée avec George Eddy.
Dans ces jeux d’été qui débutent un 16 septembre, la France commence par atomiser le Sénégal: 75-39. Match suivant, la Slovaquie, avec une 2e victoire (58-51) et une Cathy Melain au top : 18pts. Et de trois ! Le Canada tombe aussi sous les shoots de Melain (21pts) et Fijalkowski qui termine à 13pts et 6reb. Face au brésiliennes pour le quatrième match, Fijalkowski et Souvré sortent le grand jeu : 18pts, 6reb pour l’intérieure ; 18pts pour la meneuse et une victoire 73-70.
Et malgré encore une fois une grande Isabelle face à l’Australie (24pts, 7reb), les Bleues concède le match contre les locaux, emmenées par leur intérieure Lauren Jackson, dominante avec 17pts, 12reb. Comme un an plus tôt, les françaises sont très bien placées et se qualifient pour les quarts de finale. Mais comme le disait Isabelle Fijalkowski dans notre précédent épisode, “ne jamais perdre les quarts” :
Clairement, elles nous ont fait déjouer. Un jeu coréen petit, rapide, mais une adresse à 54%…on n’a jamais arrêté d’essayer de poster, de jouer sur nos points forts. Mais elles, elles étaient tellement rapides en défense, qu’on avait l’impression de devoir trouver la solution immédiatement. Mais aussi physiquement, on était à bout. Et en plus l’anxiété du coach qui déteint sur nous. Au final, on a fait face à un basket qu’on n’a pas pu maîtriser. On était venues pour une médaille…c’était super dur.
En face, la Corée du Sud, va en effet mettre les françaises en maladresse : limitées à 40% au shoot, les Bleues font face à une équipe qui va être, quant à elle, plus propre. De quoi maintenir l’équipe de France à une distance suffisante. Malgré Cathy Melain en feu avec 21pts et 11 rebonds, malgré Isabelle Fijalkowski à 18pts et 6 rebonds, les coréennes, jouant à 8, sont en confiance, titulaires comme remplaçantes. Score final: 68-59 pour la Corée du Sud. Le groupe d’Alain Jardel peut être satisfait néanmoins, sur certains aspects : l’équipe de France féminine termine avec un meilleur bilan que les garçons, même s’ils vont jusqu’en finale.
Confirmer les acquis : l’Eurobasket 2001
Médaillée à l’Euro, non loin du podium aux JO, cette fois c’est certain, les bleues sont une place forte du basket européen et mondial. Il est temps de le prouver. En 2001, l’euphorie provoquée par France 98 en football est toujours présente : les équipes de France, lorsqu’elles jouent à domicile en compétition, veulent tout rafler, veulent avoir leur “I will survive” comme au foot ou au handball aussi, avec la France qui remporte le championnat du monde à Bercy. Alors.. Pourquoi pas la bande à Jardel ?
L’Eurobasket 2001 arrive, et il est chez nous. L’aventure sera magnifiquement résumée par le reportage “Douze fille en Or” de la FFBB. On va y retrouver toute la bande : les polonaises de Dydek, les Yougoslaves de Mandic, les espagnoles d’Alamdea, les russes de Stepanova. Et Jardel reconduit la plupart de son groupe, pour une 3è compétition : Laure Savasta, Sandra Le Drean, Catherine Melain, Edwige Lawson-Wade, Yannick Souvré, Audrey Sauret, Nathalie Lesdema, Sandra Dijon, Dominique Tonnerre, Laëtitia Moussard, Nicole Antibe et Isabelle Fijalkowski, qui raconte :
On est passées par tant d’événements, de compétitions, que le groupe est arrivé à maturité, individuelle et collective. Il était hors de question de laisser passer cette opportunité : tu es à domicile, tu gagnes, comme les polonaises. La Fédération était derrière nous. Les médailles c’est sympa, mais la plus belle, c’est l’Or. On était sur l’accomplissement d’un collectif.
Et ce que nous partage Isabelle, nous le voyons sur le terrain. 14 septembre 2001, au Mans, salle Antares, la France écrase la Roumanie 91 à 52. Sandra Dijon, qui n’avait commencé le basket que six ans plus tôt, honore sa première sélection avec 9pts et 75% au shoot. Cathy Melain culmine à 18pts et surtout TOUT l’effectif marque au moins une fois.
Le lendemain, les françaises écrasent la Yougoslavie 88 à 67, avec Edwige Lawson-Wade et Isabelle Fijalkowski à 16pts chacune. Au troisième match, on note un petit relachement face à l’Ukraine (84-71 tout de même) avec cette fois-ci Souvré à 16pts mais surtout Nicoles Antibe, qui surnage à 21pts et 9 rebonds, à côté d’Isabelle Fijalkowski, à 20pts et 9reb.
Cette équipe de France est une locomotive qui ne s’arrête plus et que plus rien n’arrête, pas même Margo Dydek, qui retrouve Isabelle dans la raquette pour le 4e match. Oubliée la finale de 1999, la France limite les polonaises à 10 petits points dans le quatrième quart-temps pour l’emporter 73-66, et encore Isabelle Fijalkowski qui prend 17pts et 9 rebonds. Les matchs s’enchaînent, les sourires restent. La France termine sa phase de poule au sommet en s’offrant l’Espagne, 70-64, un score qui cache le 23-8 des Bleues au second quart-temps.
Tout semble être comme dans un rêve, à l’image de la salle qui chante pour l’anniversaire de Yannick Souvré pour achever cette phase de poules.
Cette fois-ci, ce sera l’Or
Pour la championne d’Europe, ce combat remporté signifiait bien plus que le sportif. Oui, les Françaises étaient les premières, après plus d’un siècle d’existence du basket en France, à ramener un trophée de l’Eurobasket. Elles sont et restent les premières, quoi qu’il en sera. Alors que devait-on retenir de ce titre désormais ? Pour Isabelle, il fallait faire passer un message :
On s’est prêtées au jeu des médias : ça a donné un éclairage au sport et c’était ce pour quoi on se battait. Notre couverture médiatique n’était pas à la hauteur de ce sport. C’était une vraie fierté de dire “oui, on est des basketteuses, oui, on est des filles, oui, les filles font des exploits. Et c’est nous qui avons fait cet exploit, avant les garçons”.
Mais aujourd’hui, que reste-t-il de cet exploit ? Isabelle partage son amertume :
On l’a fait avant les garçons, et ça compte. Et puis on réalise que… les stéréotypes ont la vie dure. C’est presque impensable…les premiers Champions d’Europe ? C’est l’EDF de 2013 !
Quoi qu’on en dise, aujourd’hui ou demain, dans les bars ou sur les terrains, rappelons-nous que ce sont bien Isabelle Fijalkowski, Nicole Antibe, Sandra Dijon, Edwige Lawson-Wade, Sandra Le Dréan, Nathalie Lesdema, Cathy Melain, Laetitia Moussard, Audrey Sauret, Laure Savasta, Yannick Souvré, Dominique Tonnerre, le sélectionneur Alain Jardel et son staff, Ivano Ballarini, Jacques Commères et Jean-Paul Cormy et tous ceux qui ont été de cette aventure, qui ont fait que ces douze filles en Or auront été les premières à donner un trophée à l’équipe de France de basketball.
Crédit photo : PHILIPPE RENAULT
Prochain épisode : Opération reconquête (2002-2010)