Depuis 1946 et la création de la National Basketball Association, quelque cinq mille joueurs ont foulé les parquets de la Grande Ligue. Certains d’entre eux ont laissé une empreinte indélébile qui ne sera jamais oubliée. D’autres sont restés bien plus anonymes. Entre les deux ? Des centaines de joueurs, qui ont tour à tour affiché un niveau de jeu exceptionnel, mais dont on oublie bien souvent la carrière.
Dès lors, @BenjaminForant et @Schoepfer68 ont décidé de dresser – littéralement – le portrait de certains de ces acteurs méconnus ou sous-estimés. Au total, ce sont 60 articles qui vous seront proposés : un par année, entre les saisons 1950 – 1951 et 2009 – 2010. Pour chaque saison, un joueur a été sélectionné comme étendard, parfois en raison d’une saison particulièrement réussie, d’une rencontre extraordinaire ou encore d’une action historique …
Chaque portrait s’inscrira dans une volonté, celle de traverser l’Histoire de la NBA de manière cohérente. Ainsi, ces portraits (hebdomadaires) seront publiés dans un ordre précis : un meneur, un arrière, un ailier, un ailier-fort, un pivot. Au bout de cinq semaines, c’est donc un cinq majeur qui sera constitué. Les plus matheux d’entre vous l’aurons compris : au final, ce seront douze équipes, toutes composées de joueurs ayant évolué au cours de décennies distinctes, qui auront été composées.
A vous de déterminer lequel de ces cinq majeurs sera le plus fort, le plus complémentaire, le plus dynastique.
Vous trouverez en fin d’article les liens vous permettant de (re)consulter les articles précédents.
La jaquette
Pour chaque article, @thibdesign vous proposera ses créations. Vous y retrouverez une illustration du joueur présenté (en tête d’article) ainsi une présentation de chaque cinq majeur projeté (chacun avec une identité visuelle propre).
Le synopsis
Richard Francis Dennis Barry III, connu sous le nom raccourci de Rick Barry, est né le 28 mars 1944, dans le New Jersey. Ailier aux capacités physiques dans la moyenne (201 cm pour environ 90 – 95 kg), il est reconnu par ses pairs comme l’un des meilleurs scoreurs dans l’Histoire. Sur les quatorze saisons qu’il passe à voguer entre ABA et NBA (nous reviendrons sur cette histoire plus tard), il en termine huit avec plus de 25 points scorés de moyenne.
Mais Barry était bien plus qu’un simple ailier scoreur. Très bon manieur de balle et ayant une vision de jeu au dessus de la moyenne, il réalise plusieurs saisons au-delà des 6 passes décisives par rencontre. Il est également un excellent rebondeur, tournant à plus de 6,5 par match sur l’ensemble de sa carrière.
Vous l’aurez donc compris, la carrière statistique de notre ami est relativement pleine. Mais le futur hall-of-famer, en plus de noircir les feuilles de matchs, remplira progressivement son armoire à trophées au cours de son long parcours sur le circuit professionnel.
Cette légende du jeu, considérée comme l’un des meilleurs joueurs de l’histoire des Warriors, et ayant également revêtu les jerseys des Oaks et Nets (lors de son passage en ABA) notamment, restera néanmoins l’un des joueurs les plus talentueux mais les moins médiatisés de l’Histoire. Réputé comme étant peu cordial, l’ex-numéro 24 des guerriers de la baie a divisé autant qu’il a fasciné.
Retour donc, à travers ce nouvel épisode du Magnéto, sur la belle carrière de Rick Barry.
Action !
6 mai 1965 : comme chaque saison depuis sa création, la draft NBA attire les regards de tous les observateurs. Cette édition ne déroge pas à la règle. En effet, plusieurs jeunes phénomènes viennent garnir cette cuvée de draft, qui s’annonce pour le moins intéressante. Entre Gail Goodrich, Billy Cunningham ou Bill Bradley, les Warriors de San Francisco jettent leur dévolu avec leur second pick sur le jeune ailier sortant de l’université de Miami, Rick Barry.
Il faut dire que le passage du joueur dans la faculté floridienne aura laissé des marques. Après une saison sophomore déjà bonne et une année junior impressionnante, Rick Barry retourne complètement la NCAA lors de son exercice sénior : 37 points et 18 rebonds de moyenne avec notamment 6 matchs au dessus des 50 points.
Dès son plus jeune âge, on s’aperçoit donc que le prospect est un scoreur boulimique. Cela tombe parfaitement bien, les Warriors, qui viennent de perdre leur superstar Wilt Chamberlain, recherchent un jeune joueur pouvant potentiellement lui succéder. Avec du recul et une carrière finie depuis maintenant plusieurs décennies, on peut conclure que le choix opéré par les Warriors lors de cette draft fût incroyablement bon.
Dès la saison 1965 – 1966, qui fût donc sa toute première, la Ligue entière va pouvoir admirer l’étendue du talent de l’ailier. En quelques jours et autant de rencontres, Rick s’adapte à l’environnement NBA. Dès ses sixième et septième match, le rookie affiche des lignes statistiques digne des plus grands :
- 31 octobre 1965 vs New York : 33 points, 12 rebonds et 2 passes décisives dans une défaite (-1).
- 03 novembre 1965 @ Cincinnati : 32 points, 14 rebonds et 2 passes décisives dans une défaite (-14).
Néanmoins, comme vous pouvez l’observer, ces deux performances se sont soldées par une défaite. Ce sera malheureusement souvent le cas au cours de cette première saison. Le bilan final de sa franchise sur son exercice rookie sera donc de 35 victoires pour 45 défaites, insuffisant pour décrocher un billet pour la post-season. Cependant, c’est en nette amélioration si l’on compare cette performance à l’année passée, qui avait été conclu par un désastreux 17 – 63, lié en grande partie au trade de Wilt Chamberlain du côté des Sixers.
Mais en dehors de la performance collective intéressante mais insuffisante, Rick Barry réalise une saison individuelle hors norme.Vous avez déjà pu voir il y a plusieurs lignes quelques unes des performances du rookie, mais celles-ci ne sont rien en comparaison à certains autres matchs du reste de la saison.
Voici donc, pour vous, les 5 performances les plus incroyables du premier exercice de l’ailier :
- 14 décembre 1965 @ New York : 57 points, 15 rebonds, 3 passes dans une défaite (-4),
- 20 décembre 1965 vs Philadelphie : 37 points, 25 rebonds et 3 passes dans une victoire (+6),
- 02 janvier 1966 vs Detroit : 43 points, 13 rebonds et 2 passes dans une victoire ( +23),
- 06 février 1966 vs Cincinnati : 43 points, 14 rebonds, 3 passes dans une défaite (-1),
- 19 mars 1966 vs Los Angeles : 43 points, 16 rebonds, 6 passes dans une victoire (+6).
25,7 points, 10,6 rebonds. Cette ligne statistique digne d’un candidat MVP est celle de Rick lors de cette fameuse saison. Sur les 80 rencontres de 1965 – 1966, Barry dépassera 21 fois la barre des 30 points, 6 fois celle des 40 et une fois la cinquantaine.
Il sera donc logiquement All-Star, Rookie of the Year et nommé dans la NBA First Team.
Les Warriors, envoûtés par le niveau de leur nouvelle coqueluche, se voient donc rêver d’un retour de la franchise au plus haut niveau national. Et cela arrivera bien plus tôt que prévu.
L’oscar de la saison 1966 – 1967
A l’aube de sa saison sophomore, Rick Barry revient plus déterminé que jamais. Il désire passer un nouveau cap individuel mais également collectif.
Les Warriors possèdant un one-to-punch de hall-of-famer avec un Nate Thurmond plus que dominant, entouré de nombreux roles players qui inscrivent entre dix et quinze points par match, peuvent espérer rejoindre de nouveau les Finales NBA. Ils avaient déjà atteint ce stade quelques années auparavant, lorsque le poste de pivot était réservé au grand Wilt Chamberlain.
Spoiler : Les objectifs seront atteints, et Rick Barry y jouera un rôle prépondérant.
Dès le premier match de la saison, l’ailier pose les bases : 41 points à 48% au shoot, 13 rebonds, 2 passes décisives. Il quittera néanmoins Boston avec une défaite dans les bagages. Le pyromane continuera d’enflammer les salles tout au long de ce premier mois de compétition. sur les 10 premières rencontres de l’exercice, Il ne passera sous les 30 points qu’à deux reprises (pour inscrire “seulement” 28 et 29 points). Le 29 octobre 1966, il dépassera les 50 points pour la première fois de la saison : 57 points, 15 rebonds, 7 passes et une victoire obtenue dans l’antre des Royals de Cincinnati.
Il est impossible de revenir sur tous les moments forts de sa saison tant les chiffres sont impressionnants. Mais voici malgré tout une petite liste non exhaustive de ses plus gros cartons sur les mois de novembre et décembre 1966 :
- 04 novembre 1966 @ Philadelphie : 46 points, 8 rebonds dans une défaite ( -5 ).
- 09 novembre 1966 vs Baltimore : 47 points, 14 rebonds et 7 passes dans une victoire ( +6 ).
- 06 décembre 1966 @ New York : 47 points, 10 rebonds et 3 passes dans une victoire ( +10 ).
- 08 décembre 1966 vs Saint Louis : 50 points, 13 rebonds et 5 passes dans une victoire ( +18 ).
- 09 décembre 1966 @ Los Angeles : 49 points, 8 rebonds et 2 passes dans une victoire ( +1 ).
- 25 décembre 1966 @ Cincinnati : 50 points, 6 rebonds et 4 passes dans une victoire ( +12 ).
Entre temps, notre ami réalisera également une série de 4 matchs consécutifs à plus de 40 points (entre les 13 et 21 novembre).
Sur cette première moitié de saison, les statistiques individuelles sont donc tout bonnement extraordinaires. Et contrairement à l’année passée, les cartons individuels aboutissent sur des victoires collectives : au 31 décembre 1966, le bilan des Warriors est de 21-13.
Changer d’année n’a pas l’air de déranger Barry et ses coéquipiers. Dès le 14 janvier, le sophomore remet les pendules à l’heure : 50 points, 8 rebonds et 5 passes dans une large victoire (+15) à Detroit. Il en rajoute une couche dès le lendemain : 48 points, 8 rebonds et 3 passes dans une défaite à Saint Louis.
Le numéro 24 de San Francisco vient donc de réaliser un back-to-back à 49 points de moyenne. Mais le plus incroyable dans tout ça, c’est que cela ne choque plus personne. En effet, l’ailier a inscrit plus de 40 points lors de cette saison régulière à 28 reprises et à dépassé par 6 fois la cinquantaine.
Sans forcément rentrer plus en profondeur dans les lignes statistiques, il scorera de nouveau sur la fin de saison 49, 50 ou 52 points. Cependant, les Warriors auront beaucoup plus de difficulté sur le plan collectif, en passant notamment par une série de 6 défaites consécutives entre fin février et début mars. La saison régulière se conclut donc pour toutes les franchises nord américaines. San Francisco s’en sort avec un bilan de 41 victoires pour 37 défaites, ce qui les placent néanmoins premiers de leur division (il n’y avait pas encore de conférence à l’époque).
Barry est quant à lui logiquement All-star. Il intègre également la All NBA First Team aux coté d’Oscar Robertson, Jerry West, Elgin Baylor et Wilt Chamberlain.
Il terminera également meilleur scoreur de la saison, avec un total de 35,6 points de moyenne par match. Cette moyenne de point fait de lui, encore aujourd’hui, le quatrième meilleur scoreur de l’Histoire sur une saison, détenteur de la huitième meilleure performance. En effet, seuls Wilt Chamberlain (à cinq reprises), Michael Jordan et James Harden sont parvenus à scorer plus de 35,6 points de moyenne sur une seule et unique saison. C’est vous dire la portée historique de l’exercice 1966 – 1967 de Rick Barry, géant parmi les plus grands. Surtout qu’à cette incroyable moyenne de points, il convient d’ajouter ses 9 rebonds par match ainsi que les 3,5 passes décisives, ce qui nous offre une saison historique. Et si la grammaire française refuse que l’on y appose un “H” majuscule, vous comprendrez aisément que le cœur y est.
Mais pour qu’une saison soit entièrement réussie, il faut réaliser un gros run en post-season. Rick Barry le sait très bien, et compte tout mettre en œuvre pour aller le plus loin possible. Cela commence par le premier tour, où les guerriers de la baie affrontent les Lakers de la cité des anges. Malgré Goodrich et Baylor, les Angelinos ne feront pas le poids. Barry et ses troupes exécutent en trois matchs les Gold and Purple. L’ailier n’a pas besoin de forcer, passant simplement la barre symbolique des 30 points lors de la dernière rencontre (37 points ce soir là).
Les finales de division, semblent elles, sur le papier, bien plus complexes. Pour atteindre les NBA Finals, San Francisco devra se débarrasser des Hawks de Saint Louis, second de la division lors de la saison régulière.
Menés par un Wilkens de haut niveau, lui-même entouré de roles player de grande qualité, Saint Louis forcera Barry a sortir le grand jeu : 37 points, puis 47 lors des deux premières rencontres pour tenir à distance la franchise du Missouri dans un premier temps, puis 41 points lors du game 6 pour clôturer la série et valider son ticket en finales.
Avant d’attaquer la dernière série de cette belle épopée de 1967, deux petites mentions honorables aux guerriers qui entourent Rick Barry, superstar de la franchise. Tout d’abord Nate Thurmond, pivot bodybuildé, gobant quasiment 20 rebonds tous les soirs, que ce soit en saison régulière ou playoffs. Mention également à Jeff Mullins, extérieur scoreur dépassant régulièrement la vingtaine et ayant notamment inscrit 40 points lors du game 4 face aux Hawks.
Il est grand temps pour les deux franchises finalistes d’entrer sur le ring des NBA Finals. Dans un coin, nous trouvons donc les Warriors de San Francisco, menés par Barry, Thurmond et tous leurs cols-bleus. Dans l’autre, nous trouvons les Sixers de Philadelphie, menés par l’ex-Warrior Wilt Chamberlain, accompagné de Hal Greer et Billy Cunningham. Le premier round peut enfin commencer.
Lors du game 1, les attentes des observateurs sont plus que comblées. Les superstars et les seconds couteaux sont tous au rendez – vous. On peut notamment souligner les performances plus qu’intéressantes de Hall Greer (32 points – 6 passes) et Thurmond (24 points – 31 rebonds). Chamberlain et Barry se mènent quant à eux une bataille impitoyable. Malgré les 37 points de l’ailier, le gigantesque pivot domine la première manche et repart avec la victoire. Sa ligne statistique est une nouvelle fois monumentale (16 points – 33 rebonds – 10 passes), mais ne surprend plus personne.
La deuxième manche connaîtra la même conclusion que la première. Cette fois-ci, Rick Barry et ses 30 points est bien trop isolé. Le second meilleur scoreur de son équipe est Mullins, avec 12 petits points au compteur. En face, les légendes ont tranquillement déroulé leur jeu sans forcer. Nouveau triple double avec plus de 30 rebonds pour Wilt, et nouvelle performance idéale de Hall Greer (30 points – 9 passes).
Vu la tournure des événements, la troisième rencontre semble déjà être décisive. En cas de défaite, les chances de titre des Warriors se verra réduire à un pourcentage absolument nul : jamais une franchise menée 3 – 0 en finale NBA est parvenue à renverser la tendance. Mais c’était sans compter sur Rick “super héros ” Barry, venu une nouvelle fois libérer les siens de la tentaculaire domination du pivot de Phily (26 points – 26 rebonds pour Chamberlain). L’ailier inscrira un total de 55 points, ce qui restera (encore à l’heure actuelle) comme le second meilleur scoring sur un match de Finals, juste derrière les 61 points de Baylor en 1962. Il repartira bien sûr avec la victoire, relançant totalement la série.
Nous en sommes donc à 2-1 en faveur des 76ers. Lors de la rencontre suivante, le sophomore scorera de nouveau 43 points, mais ne pourra malheureusement pas éviter la défaite, le trio Greer – Chamberlain – Walker étant, encore une fois, bien trop dominant.
Le game 5 fera office de baroud d’honneur pour Barry et ses coéquipiers, qui éviteront le gentleman sweep. Vous l’avez donc compris, les Sixers seront donc sacrés en 6 matchs, malgré une série extraordinaire de l’ailier de la baie, qui, sur l’ensemble des six rencontres, présente la ligne statistique suivante : 40,8 points, 8,8 rebonds, 3,3 passes décisives. Cette moyenne de 40,8 points constitue la huitième meilleure performance sur l’ensemble d’une série de playoffs (Jerry West mène cette catégorie, avec ses 46,3 points de moyenne lors des finales de conférences Ouest 1965 contre Baltimore). Mieux, si Michael Jordan n’avait pas réalisé des finales NBA 1993 dantesques contre les Suns (41 points de moyenne), ce serait bel et bien Rick Barry qui posséderait aujourd’hui la meilleure moyenne de points scorés en finales NBA, malgré la défaite.
Voilà ce que fut la saison 1966 – 1967 de Rick Barry : une domination infaillible, qui se traduit par des prestations individuelles comme la Grande Ligue en a rarement vues, doublées par une performances collective de haut niveau. Rappelons que Barry n’est alors que sophomore. A cette idée, c’est toute la NBA qui se met à trembler.
Le générique de fin
Nous avons donc décerné l’oscar de la saison 1966 – 1967 à un sophomore. Et si Rick Barry n’est pas particulièrement reconnu pour sa longévité dans le basketball professionnel, vous vous doutez bien que l’immense majorité de sa carrière était encore devant lui. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle sera mouvementée. Ainsi, lorsque le top départ de la saison NBA 1967 – 1968 est donné, le nom de Rick Barry ne se retrouve pas au sein du roster des Warriors. Ni dans celui de l’une des onze autres franchises de l’époque. En effet, “the Miami Greyhound“, tel qu’il fut surnommé par Bill King, n’évolue plus au sein de la Grande Ligue. Si nous voulions rester dans le champ lexical du tremblement, nous parlerions volontiers de séisme.
Une blessure ? Il n’en est rien. En effet, excédé par le “peu d’argent” qu’il gagnait au sein de la franchise de la baie, Barry décida, à l’aube de la saison 1967 – 1968, de voir si l’herbe était plus verte au sein de la Ligue concurrente, la ABA. Et accessoirement, si les portes-monnaies étaient mieux remplis. Et, surprise, ils l’étaient. L’ailier signe un contrat de trois années avec les Oakland Oaks, l’autre franchise d’Oakland, pour un montant avoisinant les 500 000 dollars. Ce qui faisait de lui, à l’époque, l’un des joueurs les mieux payés de toute l’Histoire. Bien entendu, en 2019, le chiffre prête à sourire. Prenez néanmoins conscience qu’à l’époque, il était loin d’être anodin, comme l’énonce le joueur lui-même :
“L’offre d’Oakland (Oaks) était l’une de celles qu’ont ne peut tout simplement par refuser”.
Mieux encore, en parallèle de la signature de l’ailier star, les Oaks attirent également Bruce Hale comme coach. Si le nom ne vous dit rien, il sonnait familier aux oreilles de Barry, et pour cause … Hale était alors son beau-père !
Toutefois, alors que le deal était ficelé, les Warriors de Golden State entrèrent dans la danse. Une danse judiciaire, et non pas monétaire. Les Warriors poursuivent ainsi leur ancienne gloire en justice. Une clause se retrouvait effectivement dans le contrat (la reserve clause) du jeune Barry, lui imposant d’attendre une année après la fin de son contrat pour pouvoir signer pour le compte d’une autre franchise. Clause que le joueur n’avait absolument pas respectée. Franklin Mieuli, propriétaire des Warriors, qui entretenait pourtant de bons rapports avec son joueur, n’eut donc pas d’autre choix que de saisir la Cour Suprême Américaine, laquelle interdit à Rick Barry de jouer au basketball pendant un an, le contraignant à respecter la fameuse reserve clause.
En l’absence de Barry, les Oaks termineront dernier de la ABA, et Bruce Hale sera évincé, sans avoir eu l’occasion de diriger son beau-fils ailleurs qu’à l’entrainement. Le retour de l’ailier dans le roster d’Oakland se fera immédiatement ressentir au cours de la saison suivante (1968 – 1969). En 35 matchs, il prouve qu’il est, de loin, le meilleur joueur de cette seconde Ligue, avec 34 points, 9,4 rebonds et 3,9 passes décisives de moyenne. Rappelons qu’à cette époque, Barry n’a que 24 ans. Hélas, lorsque ce ne sont pas les problèmes judiciaires qui le clouent hors du terrain, ce sont les blessures. Ainsi, il se blessera en milieu de saison, assistant au sacre de sa franchise depuis les tribunes.
Alors que les Oaks s’étaient engagés – verbalement – sur un projet à long terme, la franchise déménage à Washington. Pour Barry, dont le rythme de la vie de joueur professionnel complexifie malheureusement sa vie de couple, la douche est froide. Refusant d’aller jouer dans la capitale, et estimant que le déménagement le libérait de toute obligation avec la franchise, il décide de l’attaquer en justice. Et pour la seconde fois en autant d’années, il perdra. Ce qui ne lui fera pas perdre son proverbial sens de la formulation :
“Je n’irai dans la capitale que pour me présenter aux élections présidentielles”.
Il sera néanmoins contraint d’aller évoluer pour les Washington Capitals et réalisera une saison en-deçà de ses standards habituels : 27,7 points, 8 rebonds, 3,4 passes décisives et une élimination au premier tour des playoffs.
Les deux procédures judiciaires ont largement terni la réputation de l’ailier, désormais considéré comme un joueur égoïste et cupide. De cela, Barry en avait manifestement cure. Alors que les Capitals devaient une nouvelle fois déménager – en Virginie cette fois – le joueur refuse, à nouveau, de suivre sa franchise. Définitivement cette fois-ci, au point qu’il proposa au propriétaire des Virginia Sqires de payer pour être libéré des deux années de contrat qui lui restaient. Chose que ledit propriétaire, conscient du talent générationnel de son joueur, et de sa réputation sulfureuse, refusa. Ce refus, loin de décourager Barry, le poussa à donner une interview absolument lunaire au sein du populaire Sports Illustrated, dans laquelle il dénigra sa franchise, ses coéquipiers, mais aussi l’ensemble de la population de l’État.
Il sera donc tradé, et signera pour deux saison avec les New-York Nets. Son passage dans la Grosse Pomme achève d’en faire la première véritable légende de la ABA. “La ABA, c’est moi”, aurait-il pu dire s’il avait connu notre Roi Soleil. S’il ne remportera pas le titre, et ne sera pas nommé MVP (ce titre individuel revenant, successivement, à Mel Daniels et Artis Gilmore), son aura et ses performances dantesques font de lui le porte étendard suprême de la Ligue. Au point que, malgré un comportement souvent exécrable sur le parquet, les arbitres n’osaient pas l’expulser.
Il terminera sa pige en ABA par une finale perdue contre les Pacers, au cours d’une saison où Earl Storm, légendaire arbitre ABA et NBA, avait dû lui coller six fautes techniques pour qu’il accepte, enfin, de quitter le terrain.
Barry retournera aux Warriors. En raison de ses blessures au genou, l’ailier fait évoluer son jeu, devenant de plus en plus altruiste. Il conclut ainsi la saison 1972 – 1973 avec sa plus faible moyenne au scoring : 22,3 points. Cela ne l’empêche bien évidemment pas de réaliser certains cartons :
- 8 novembre 1972 @ Boston : 34 points, 13 rebonds, dans une défaite (-17),
- 25 novembre 1972 vs Kansas-City-Omaha : 35 points, 7 rebonds, 4 passes décisives, dans une victoire (+19),
- 17 janvier 1973 vs Houston : 51 points, 5 rebonds, 7 passes décisives à 24 / 33 au tir, dans une victoire (+6).
Des cartons qui lui permettent, une fois de plus, d’être All-star. Et si les Warriors ne parviendront pas à rejoindre les finales NBA, en cédant en finale de conférence contre les Lakers, l’on peut dire, a posteriori, que ce n’est que partie remise.
Il faut dire que Barry côtoie toujours Nate Thurmond qui, s’il est moins aérien, tourne encore en 17 points / 17 rebonds de moyenne. Pourtant, la saison 1973 – 1974 sera collectivement décevante, Golden State ne parvenant pas à se qualifier en playoffs.
Le 18 octobre 1974, au début de cette nouvelle saison (sa neuvième saison professionnelle, sa cinquième en NBA), Golden State ne semble plus faire partie des franchises favorites pour le titre. Thurmond est envoyé à Chicago, et Barry se retrouve à nouveau comme l’option offensive quasi-unique de son équipe. Il offrira alors une saison en forme de baroud d’honneur. Au scoring, principalement, en enchaînant les performances monstrueuses. Il scorera au moins 30 points à quarante-six reprises lors de la saison régulière ! Une régularité incroyable, couronnée, bien évidemment, de certains rencontres “Barryenne” :
- 19 octobre 1974 vs Cleveland : 48 points, 7 rebonds, 4 passes décisives, 2 interceptions, à 20 / 40 au tir, dans une victoire (+3),
- 3 novembre 1974 @ Portland : 41 points, 4 rebonds, 10 passes décisives, 6 interceptions à 19 / 39 au tir, dans une victoire (+9),
- 26 décembre 1974 vs Portland : 46 points, 9 rebonds, 10 passes décisives, 1 interception, 1 contre, dans une victoire (+11),
- 23 janvier 1975 vs Philadelphie : 55 points, 5 rebonds, 5 passes décisives, 7 interceptions, 1 contre, à 23 / 49 au tir, dans une victoire (+8).
Et lorsqu’il ne score pas sa quarantaine de points, Barry s’illustre autrement. Nous avons eu l’occasion, il y a quelque semaines, de présenter la saison 1974 – 1975 sous le spectre de Nate Thurmond, lui qui, pour son premier match sous les couleurs de Chicago, réalisa un fabuleux quadruple-double. Rick Barry était à deux doigts, ou plutôt à une interception, de le rejoindre dix jours plus tard. Dans une très large victoire (+29) contre de biens faibles Buffalo Braves, Barry terminera la rencontre avec la ligne statistique suivante : 30 points, 10 rebonds, 11 passes décisives, 9 interceptions et 1 contre. Comme quoi, entrer dans la légende ne tient parfois à pas grand chose.
Quadruple-double ou pas, les Warriors lavent l’affront de la saison précédente et se qualifient pour les playoffs. Mieux, ils élimineront Seattle (4 – 2) et Chicago (4 – 3, en étant mené 3 – 2) pour retrouver les finales NBA, les secondes pour Barry, après la défaite de 1967. En face se dressent les Bullets d’Hayes et Unseld, titulaires du meilleur bilan de la NBA (60 / 22). Un duo d’intérieur qui aurait pu faire flancher les Warriors. Il n’en sera rien. En quatre rencontres rondement menées, et toujours serrées (jamais plus de 8 points d’écart, deux victoires avec 1 point d’avance), les Warriors remportent le troisième titre de leur Histoire, le premier sous le nom de Golden State.
Avec ses statistiques de 29,5 points, 4 rebonds, 5 passes décisives et 3,5 interceptions de moyenne sur les quatre rencontres, Barry est logiquement nommé MVP de ces finales NBA.
Ce sera le second et dernier titre collectif de Rick Barry en carrière, lui qui évoluera encore trois saisons du côté de la baie avant de terminer sa carrière à Houston, en 1980. Les accomplissements du “Greyhound“ méritent le coup d’œil :
- Hall-of-famer, intronisé en 1987,
- Membre des 50 greatests de la NBA,
- Membre des All-ABA All-time, nommé en 1997,
- Champion ABA en 1969,
- Champion NBA en 1975,
- All-star à 12 reprises : huit fois en NBA, 4 fois en ABA. A noter que ces 12 sélections sont consécutives,
- All-NBA à 6 reprises,
- All-ABA à 4 reprises,
- MVP des finales, nommé en 1975,
- Rookie de l’année, nommé en 1966,
- Meilleur scoreur de la saison 1966 – 1967
- MVP du All-Star Game, nommé en 1967,
- Unique joueur de l’Histoire à avoir été meilleur scoreur en NCAA, ABA et NBA.
A l’issue de quatorze saisons professionnelles, Barry tire donc sa révérence. Si l’on cumule sa carrière NBA avec celle de ABA, il aura disputé 1 020 rencontres, pour 25 279 points scorés, ce qui le classe, encore aujourd’hui, 21ème meilleur scoreur de tous les temps, ex-aequo avec Reggie Miller. Il reste comme le détenteur de la sixième meilleure performance en playoffs au scoring (55 points), lui qui aura atteint la barre des 50 points à vingt reprises dans sa carrière.
Crédits et hommages
De Rick Barry, nous gardons donc une image schizophrénique. D’un côté, nous nous souvenons d’un incroyable joueur, en avance sur son temps, et scoreur inlassable. D’un autre côté, difficile d’oublier qu’il possède une bien mauvaise image. Chose qu’a parfaitement résumé en son temps Jack Kent Cooke, propriétaire des Lakers dans les années 1970 :
“Le bon dieu a donné à certains un excès de maestria et le talent pour jouer au plus haut niveau, et il semble parfois compenser en leur ôtant quelque chose au niveau du jugement. Jamais, dans l’Histoire du sport, un jeune homme n’a fait plus de choses pour gâcher ses opportunités que Rick Barry”.
La tirade est incisive, mais sonne néanmoins très juste. Elle trouve son écho chez Butch Beard, ancien joueur des Warriors, pour qui le comportement de Barry lui a coûté le titre de MVP 1975, pour lequel l’ailier de Golden State a terminé quatrième, derrière Bob McAdoo, Dave Cowens et Elvin Hayes :
“Il ne fait aucun doute que le comportement de Rick sur le terrain nuit à son image”.
Cette image de sale type, Barry en avait conscience. Il la reconnaissait d’ailleurs. Pour certains de ces coéquipiers, c’était toutefois loin d’être un point négatif :
“Vous pouvez l’envoyer à l’armée, il lancerait tout seul la troisième guerre mondiale”. Mike Dunleavy.
Nous n’avons pas encore évoqué un point essentiel de la carrière du joueur : son appétence pour les lancers-francs, et sa manière si particulière de les tirer. En effet, s’il reste dans les mémoires collectives comme l’un des meilleurs tireurs de tous les temps (89,3 % de réussite en carrière, ce qui fait de lui, semblerait-il, le troisième meilleur de l’Histoire dans l’exercice, derrière Mark Price (90,39 %) et Steve Nash (90,42%)), Barry tirait les lancers-francs … à la cuillère !
Les lancers-francs, Barry en a d’ailleurs une drôle de conception :
“Bordel ! Qui est le joueur qui a commencé a tapé dans la main du mec qui vient de rater un lancer-franc ? Si le gars rate son lancer-franc, embrasse-le sur le crâne, fait n’importe quoi, mais sur lui tape pas dans la main ! Il a loupé un foutu lancer-franc et t’a coûté un point !”.
A travers ce portrait, vous aurez pu vous faire, on l’espère, une illustration du personnage qu’était en son temps Rick Barry. C’est à un autre de ses coéquipiers, Clifford Ray, que revient le mot de la synthèse :
“Rick n’était pas le genre de personne à dire “s’il te plaît”. Mais il était le genre de personne à te faire gagner”.
Les précédents épisodes et portraits du Magnéto :
- Cinq majeur #1 : Penny Hardaway (1994/95), Manu Ginobili (2007/08), Terry Cummings (1988/89), Jerry Lucas (1964/65), Nate Thurmond (1974/75),
- Cinq majeur #2 : Jason Kidd (1998/99), Tracy McGrady (2004/05),