La draft. Pour n’importe quel jeune athlète qui se présente à la fameuse draft NBA, cette journée va se révéler l’accomplissement ou la désillusion d’un rêve qui prit forme bien des années auparavant. Parfois, ce rêve date de cette première balle orange touchée aux confins de l’enfance. Entendre son nom appelé lors de la cérémonie, que ce soit à la 1ere ou à la 60eme position, reste donc une concrétisation, un premier pas vers l’american dream pour ces jeunes venus du monde entier. Pourtant, de plus en plus nombreuses sont les histoires de joueurs se taillant un nom dans la Grande Ligue sans avoir reçu l’honneur d’être sélectionné par l’une des 30 franchises NBA. Certaines histoires, sont même encore plus inattendues. C’est notamment le cas de celle de Terence Davis. Rewind.
Alors que de plus en plus nombreux sont les recruteurs et analystes qui blâment l’ultra-spécialisation des jeunes athlètes, parfois dès l’enfance, ceux-ci ne se consacrant qu’à une seule discipline sportive, Terence Davis va lui faire partie de l’autre tranche. De ceux qui en pratiquent plusieurs. Mieux, le gamin excelle rapidement non pas dans l’une des disciplines choisies, mais deux : le football et le basketball. Il grandit dans le Mississipi et va pratiquer ces deux sports de front pour le lycée de Southaven. Grandissant dans une famille qui le pousse à se dépasser et à faire des choix difficiles, lâcher l’une de ces 2 disciplines pour favoriser l’autre n’est pas une option. Pourtant, tout porte à croire que le destin de Davis le mènera à abandonner le basketball dès la fin du lycée.
Basketteur doué, il n’est pourtant pas parmi les meilleurs prospects du pays. Sa réputation d’être dédié au football, où il excelle particulièrement en tant que wide receiver, n’attise pas l’intérêt des recruteurs universitaires. Malgré une taille déjà imposante à 17 ans (environ 1m93), une belle envergure, de grandes mains et des qualités athlétiques indéniables, il ne recevra qu’une bourse pour jouer au basketball au niveau supérieur. La réciproque n’est pas vraie pour le football, où en tant que star de l’État, il attire un grand nombre de scouts et au terme de la saison, il comptabilisera plus de 20 bourses d’études pour jouer parmi les universités les plus prestigieuses du pays.
Beaucoup auraient fait le choix d’assurer leur avenir, en se spécialisant ce pour quoi ils sont les meilleurs. Pourtant, et alors qu’il n’est placé qu’autour de la 40eme place chez les jeunes arrières les plus doués du pays, Terence Davis va montrer un premier flash de sa mentalité bien particulière. Héritant peut-être d’une éducation le poussant à éviter l’évidence et la facilité, il prouve s’être forgé et choisit, contre toutes attentes : le basketball. Il accepte alors la seule bourse qu’il a obtenu, et débarque dans une université locale pour porter les couleurs des Ole Miss Rebels.
Parcours universitaire
En choisissant d’évoluer pour cette équipe, Terence s’écarte des projecteurs. Arrivé dans une université dont l’équipe possède, encore aujourd’hui, un bilan négatif, la seule chose qu’il peut espérer est un gros temps de jeu. Lorsqu’il arrive, elle n’a participé qu’à 7 reprises aux phases finales NCAA. Pour Davis, c’est néanmoins l’occasion de relever un défi, progresser rapidement, et peut-être devenir à terme la star de cette équipe.
Les choses ne vont pourtant pas se passer comme prévu. Qui dit programme peu connu, dit peu de “one-and-done”. Les Ole Miss Rebels possèdent donc divers joueurs plus âgés que Terence, qui va devoir ronger son frein sur le banc. Le bilan de la saison est catastrophique : seulement 20 matchs joués, aucun en tant que titulaire et une moyenne de 6 minutes passées sur les terrains par rencontre. Pour lui, c’est l’heure des doutes et des regrets. Alors qu’un statut indiscutable l’attendait sur les terrains de football, il commence à remettre en doute sa prise de risque. Malgré le soutien de sa famille, il hésite à plusieurs reprises à faire le choix logique, celui que ses coachs, ses coéquipiers, ses amis pensaient qu’il ferait.
Il faut pourtant comprendre qu’à ce moment, il arrive dans une équipe qui a participé au NCAA tournament l’année précédente. En acceptant de prendre son mal en patience, de prendre une année supplémentaire pendant que l’équipe échoue à réitérer sa performance, il va néanmoins obtenir une opportunité. Car entre sa 1ere et sa 2eme saison, Terence va finalement décider de s’accrocher au choix réalisé un an plus tôt. Et sa carrière universitaire va pouvoir décoller. Rapidement, en 2eme année, il montre des progrès évidents et force même son chemin dans le 5 de départ. Avec 48% au tir, une défense déjà très solide, il devient un élément majeur de son équipe. Entre un shoot correct et une faculté à jouer des deux côtés du terrain, il commence à attirer l’attention. Malheureusement, sa 3eme saison ne sera pas aussi aboutie. Toujours très utile, il ne devient pas un titulaire indéboulonnable, ses pourcentages au tir chutent sévèrement et l’obligent à rester pour une dernière année. En effet, les retours qu’il obtient vis-à-vis de la draft ne le séduisent pas particulièrement, et il en vient à penser qu’il va devoir s’offrir une dernière danse pour définitivement marquer les esprits.
Une idée qui va lui réussir. Les Ole Miss retrouvent le NCAA Tournament, une première pour lui depuis son arrivée en NCAA. Il devient enfin un tireur à 3 points intéressant aux standards NBA (37,1%) et réalise divers progrès, notamment dans ses prises de décision et dans sa faculté à trouver ses coéquipiers.
Non-drafté
Fort de cette saison solide, les retours pour Terence Davis sont bien meilleurs et diverses franchises semblent intéressées alors que le grand soir de la Draft NBA 2019 arrive. D’après plusieurs sources, l’arrière est assuré d’être sélectionné entre la 30eme et la 40eme position. L’apparition de Mock Draft de tous bords le conforte dans cette idée, puisqu’absolument aucune n’omet son nom. De quoi arriver avec de véritables certitudes et envisager son avenir dans la Grande Ligue. En outre, chaque exposition qu’il obtiendra durant le long processus vers la draft sera une réussite. Que ce soit lors de matchs d’exhibitions, ou lors de la draft combine, tout porte à croire que le jeune arrière est désormais assuré d’être appelé.
Très en avant durant ses matchs, notamment avec un solide 12-21 au tir lors d’une des deux rencontres, il est notamment intéressant pour ses aptitudes physiques. Athlétique, possédant les plus grandes mains chez les arrières et désormais doté d’un tir à 3 points fiable, son rôle en NBA apparaît comme très clair. Terence Davis pourrait bien faire partie de la caste des 3&D, véritable sésame dans la NBA moderne.
Dans ce contexte, toute la famille du joueur se rassemble le 21 juin 2019, pour assister à la cérémonie retransmise en direct du Barclays Center. Une soirée qui va s’avérer très longue pour cette dernière, qui, prête à célébrer, n’entendra pas le nom de Terence Davis résonner. Un camouflet pour les espoirs familiaux. Mais qu’en est-il vraiment ?
“Bet on yourself”
Les apparences peuvent néanmoins, parfois, être trompeuses. Et ce fut le cas ici. Si, officiellement, l’histoire retiendra que Terence Davis a connu un grand moment de solitude le soir de la draft, la version officieuse est pourtant bien différente. Au terme de 4 années universitaires, le joueur espérait se frayer un chemin vers le 1er tour de la draft. “Quelle différence ?” vous direz vous peut-être. Après tout, l’importance est de jouer en NBA, non ?
La différence est pourtant majeure entre une sélection en 30eme position et une sélection en 31eme. L’arrière de 22 ans n’était d’ailleurs pas dupe. La place qu’on lui assurait alors lui garantissait d’être appelé par les équipes NBA mais pas de jouer en NBA. D’une part car les contrats du 2eme tour ne sont pas garantis. D’autre part, car même si la franchise garde le joueur, les chances d’obtenir un “two-way contract” sont désormais élevées. Ce procédé permet aux franchises de garder la main sur leurs joueurs, tout en les faisant évoluer entre la G-League et la NBA. Le plus souvent, une opportunité de se montrer dans la ligue mineure, mais en pas en NBA.. En pratique, peu de joueurs survivent à ce processus qui peut s’arrêter à tout moment.
Au moment de la draft, Davis va donc faire un choix très risqué, mais potentiellement aussi très réussi. Convaincu de son potentiel, il va alors demander aux franchises NBA de… ne pas le drafter. Pour l’arrière, l’idée est claire. Tout donner après la draft pour arriver dans la Grande Ligue mais avec un contrat garanti. Davis va dès lors, lorgner vers la Summer League où il devra se faire une place parmi les top prospects venus se faire les dents, les second rounders venus s’affirmer et pléthores de joueurs souhaitant se faire ou refaire une place en NBA. L’invitation à la Summer League, pour l’arrière, viendra des Denver Nuggets avec qui il acceptera d’évoluer pour la période.
En d’autres termes, Terence a fait le choix de parier sur lui-même pour contourner le système. Une décision en laquelle il croit dur comme fer. Durant la Summer League, il va d’ailleurs confirmer sa très bonne saison Senior et même afficher divers progrès pour devenir ce 3&D que les franchises NBA voient en lui. Au terme de celle-ci, il va recevoir des offres de 4 franchises en vogue ces dernières saisons : Denver Nuggets, Philadephia Sixers, Boston Celtics et Golden State Warriors. Il va se presser d’entrer en négociation avec chacune d’entre elle, mais va à nouveau connaître ce doute de sa première saison NCAA.
Alors que ses performances parlent pour lui, aucune de ces équipes ne vont accepter de lui donner ce qu’il souhaite : un contrat garanti. Fort heureusement, l’intérêt pour le joueur ne s’arrêtera pas là. Une autre équipe va entrer dans la danse, en accédant à sa requête : les Toronto Raptors.
De l’inspiration à la reproduction
Dès que Masai Ujiri et ses équipes vont offrir un contrat à Davis, il va accepter sans tergiverse. Pour lui, être choisi par la franchise canadienne va s’avérer être une récompense à de nombreux égards. Outre la validation et la réussite de son pari, prouvant qu’un autre chemin est possible vers la NBA, arriver à Toronto va également s’avérer parfait.
Quelques semaines avant son arrivée, les Raptors ont été sacrés champions NBA. Le risque, pour un rookie, est alors d’arriver dans une équipe ne possédant ni le temps de jeu, ni le besoin de développer un jeune joueur. Néanmoins, les départs de Kawhi Leonard et Danny Green vont lui offrir l’opportunité d’exister dans le roster. D’autant que l’équipe croit et a de quoi croire en son parcours. Tout d’abord, car elle possède d’autres exemples de joueurs ayant réussi par une voie similaire. Davis citait dans ses inspirations Fred VanVleet. Non drafté en 2016, le meneur s’est pourtant imposé comme un élément majeur de la franchise – notamment dans la quête du titre, moins de 2 ans après son premier match en NBA. Par ailleurs, la présence de Nick Nurse et de Masai Ujiri dans la franchise avait de quoi le rassurer.
Nick Nurse, head coach depuis seulement une saison à l’orée de l’exercice 2019-2020 s’est alors déjà imposé comme un des coachs les plus ingénieux de la Ligue. Capable de tirer profit des forces de son effectif, il n’hésite pas à tenter divers schémas au cours d’une rencontre, mais aussi à laisser sa chance à ses joueurs. Avec la perte de plusieurs éléments majeurs, Davis était en droit d’espérer voir sa chance arriver, mais également d’être mis dans les meilleures dispositions pour réussir. D’autant qu’être appelé par Masai Ujiri est une forme de validation quant à ses chances de trouver sa place en NBA. Parmi les GMs les plus clairvoyants de la Ligue, il a su créer un effectif fourni et profond, parfois en allant chercher des joueurs que nombreux ont laissé de côté.
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Terence Davis, le rookie
Son spot désormais validé en NBA, Terence Davis ne va pas décevoir. Alors que les Raptors réalisent une saison de haut vol malgré la perte de Kawhi Leonard, de Danny Green, mais aussi d’une avalanche de blessure, notre rookie se montre. D’une part, il va démontrer qu’il a sa place en NBA, en faisant ce qu’on attendait de lui : défense, spacing, fiabilité. Mais en plus, il va le faire tout au long de la saison et en produisant à un meilleur niveau que ses meilleures saisons NCAA. Meilleur au shoot longue distance (39,6% à 3pts !), aux lancers francs (86,5% vs 77,4 pour sa dernière saison universitaire), il profite du haut niveau de ses coéquipiers pour s’épanouir… et étonne par sa maturité.
Âgé de 22 ans, Terence Davis va en effet se montrer “plus qu’un rookie” et devenir un membre récurrent de la rotation de Nick Nurse. Mature dans ses choix, il remplit un critère indispensable pour être dans la rotation de son coach : faire l’effort en défense. Parmi les révélations de cet effectif, aux côtés, notamment, de Chris Boucher, le joueur semble pouvoir envisager une carrière durable en NBA. Dans une équipe qui a du s’adapter à de nombreuses absences, il a su tirer son épingle du jeu. Pourtant, ne voyons pas l’arrière uniquement comme quelqu’un qui a su saisir l’opportunité des absences. Non. Dès la première rencontre de la saison, il faisait partie de la rotation de l’équipe. Et s’il est anecdotique, un dernier fait mérite d’être précisé : au moment où la saison s’arrêtait, Terence Davis était le seul joueur de l’effectif a avoir pris part à tous les matchs des Toronto Raptors. Mieux, il pouvait déjà dire avoir connu la titularisation en NBA : 2 fois.
Alors que nous attendons une conclusion pour cette saison 2019 – 2020, une chose est sûre : Terence Davis est bel et bien un joueur NBA. En refusant d’être drafté, il a pris un risque indubitable. Pourtant, en étant récompensé pour ce risque, il s’est peut-être mis dans de bien meilleures conditions pour réussir une carrière. Alors que la différence entre réussite et échec d’une carrière est parfois fine, il va sans dire que nous pourrions voir d’autres prospects imiter l’arrière des Raptors dans les années à venir. Parce que comme la marque de Fred Van Vleet le scande, parfois il vaut mieux “Parier sur soi-même“.