Russell Westbrook a donc joué son premier match sous le maillot des Los Angeles Clippers. Une défaite au prix d’un match offensivement historique, mais surtout, le début d’un nouveau chapitre de sa carrière.
Le choix fut sans doute compliqué pour l’ex-meneur des Lakers. Après avoir longtemps été le visage du Thunder, ce dernier a entamé une vie de nomade en NBA. D’abord envoyé à Houston, puis à Washington, il arrête finalement son expérience avec les Pourpres & Or après quasiment 2 saisons ayant ressemblé à un long chemin de croix. Après un an chez les Wizards, signé d’une saison régulière tonitruante, le meneur avait orienté sa carrière vers les Lakers afin de repartir en quête du titre.
Un choix inopportun qui l’a finalement mené sur une route qui l’aura vu passer par de nombreuses phases. Incapable de trouver sa place aux côtés de LeBron James et Anthony Davis, puis finalement obligé de rallier le banc après une première saison tumultueuse tant d’un point de vue basket qu’en raison de l’hostilité des fans, Brodie a finalement été transféré au Utah Jazz à la trade deadline 2023, avant d’être laissé libre.
Libre de s’engager auprès de qui souhaitait ses services, la situation n’a pour autant pas dû être limpide pour Westbrook.
Chercher un rôle majeur en retournant, par exemple, aux Wizards pour recouvrer le plaisir de jouer, ou continuer de poursuivre une bague en s’engageant avec une grosse écurie de la ligue ? Il a finalement fini par trancher en acceptant de s’engager avec les Clippers. Menés par Kawhi Leonard et son ancien coéquipier au Thunder, Paul George, Westbrook arrive dans une équipe compétitive mais qui se cherche encore en vue des Playoffs.
Si le choix semble avisé, le poste de meneur restant vacant, l’histoire a néanmoins montré qu’intégrer Russell dans un effectif ne se fait pas sans une réflexion préalable. Dès lors, il est logique de s’interroger sur le choix qu’a fait Westbrook : a-t-il visé juste cette fois-ci ?
A bientôt 35 ans, l’horloge tourne en accéléré pour le meneur. Chaque saison est désormais cruciale, et après une expérience crève-cœur chez les voisins des Lakers, deux questions doivent être tranchées : que va-t-il apporter aux Clippers et a-t-il choisi la bonne destination pour s’offrir une rédemption digne de ce nom ?
Aux Lakers, les raisons de l’échec
Si la décision de rester à Los Angeles pour l’autre équipe résidente a de quoi interroger, c’est qu’après une collaboration peu fructueuse avec deux stars bien implantées (LeBron James & Anthony Davis), il rejoint une équipe avec deux stars très identifiées (Kawhi Leonard & Paul George). Cela signifie donc que Westbrook doit à nouveau se mettre au service de deux joueurs qui sont aujourd’hui très clairement les pièces maîtresses de l’échiquier des Clippers.
La différence toutefois, c’est que là où les Lakers ont semblé cherché une star pour avoir une star en montant un échange pour Westbrook, les Clippers signent un joueur sur un poste problématique pour l’équipe depuis la formation de la paire Leonard-George. En effet, les Lakers possédaient en LeBron James un porteur de ballon dominant qui n’est jamais mieux utilisé que lorsqu’il a la balle en main. Or cet état de fait n’était pas sans répercussion pour Wesbrook, qui était encore plus dépendant que James d’être en possession de la gonfle.
Autrement dit, leur collaboration signifiait forcément que le succès individuel de l’un risquait de se faire au dépend de l’autre, mais surtout, que leur cohabitation sur le terrain handicaperait l’équipe. Or là où James est devenu un shooteur fiable au cours de sa carrière, Westbrook n’a lui jamais réussi à franchir ce cap. Ceci étant, moins celui-ci partageait le terrain avec James, plus il pouvait être lui-même… Plus il passait de temps avec, plus l’adversaire pouvait faire l’impasse sur Westbrook pour défendre sur les 4 autres joueurs.
Au cours de la première saison, établir ce constat a pourtant été insuffisant, et le refus catégorique de Westbrook de devenir le sixième homme de l’équipe a obligé le coaching staff à une cohabitation contre-nature entre lui et LeBron James.
Le problème était d’autant plus criant qu’en raison des salaires du trio Westbrook-James-Davis et des transferts successifs réalisés par la franchise, l’équipe manquait cruellement de défenseurs en 2021-2022 ; puis de shooteurs et donc d’espace dans lequel se mouvoir cette saison : les Lakers étaient ainsi 24è en nombre de tirs tentés et 26è en pourcentage de réussite à 3pts. Or l’optimisation de Westbrook et James passe par un maximum d’espace à exploiter, du mouvement, et des joueurs vers qui ressortir pour sanctionner les aides ou prises à deux créées.
Dans ces conditions, difficile d’envisager un succès du tandem James-Westbrook, et, quand au surplus votre tandem prend 90M du salary cap, de multiplier les pièces pour les optimiser.
Nécessairement, la première question qu’il faut se poser est la suivante :
Bis repetita aux Clippers ? Pas si sûr !
Russell Westbrook en Clippers, c’est peut être la fin d’une problématique de fond pour Tyronn Lue.
Depuis 2019, les coachs de la franchise (Doc Rivers, puis Lue) doivent faire face à un même souci : l’équipe manque d’un porteur de ballon de premier plan. Patrick Beverley est plus un 3&D qu’un véritable meneur de jeu, et si une solution de repli a bien été trouvée, notamment avec Reggie Jackson, brillant pendant les playoffs 2021, son profil est plutôt celui d’un scoreur/shooteur, tandis que les paris Eric Bledsoe ou plus récemment John Wall n’ont pas été couronnés de succès.
Avec Westbrook, l’équipe obtient donc une amélioration plus que notable, qui, si elle n’est pas sans défi, représente toutefois la meilleure option à disposition depuis le lancement de ce cycle. En outre, la franchise offre un tableau bien différent que celui des Lakers.
Paul George et Kawhi Leonard ne sont pas des porteurs de ballon “primaires”. George est un excellent joueur off-ball, Leonard peut vivre sans porter beaucoup la balle, et tous les deux sont de bons shooteurs, qui peuvent donc laisser Westbrook être Westbrook. C’est probablement un soulagement pour les fans du meneur, mais c’est aussi probablement ce qui a motivé les Clippers à bouger : acquérir Westbrook à bas prix, c’est combler une lacune en obtenant un porteur de balle capable de pousser en transition et de créer des tirs ouverts pour les shooteurs.
Car si Westbrook risque de devoir laisser George et Leonard obtenir leurs isolations et leurs pick & roll, il va bénéficier d’une situation bien plus confortable chez les Clippers que chez leurs voisins : en plus d’avoir des stars lui offrant plus de ballons à gérer, il arrive dans une équipe bardée de joueurs sur lesquels il est impossible de faire l’impasse sans risquer d’être sanctionné.
Et pour cause ! Les Clippers sont 12è en tirs à 3pts pris, mais également 5è en termes d’adresse cette saison. Et si Russell Westbrook est connu pour son shoot hautement médiocre, il est également excellent pour attirer les aides lorsqu’il s’élance vers le cercle et ressortir vers des coéquipiers ouverts. Dans ces conditions, la vie pourrait être très différente pour Westbrook, particulièrement quand Tyronn Lue fait appel à ses rotations small-ball, laissant ses pivots sur le banc.
Exemple ? Lors de son premier match face aux Kings, Lue s’est passé d’intérieurs en fin de matchs. Résultat sur ce screen (très flou et je m’en excuse), qui met en avant plusieurs choses :
Sur le terrain, les Clippers alignent avec Westbrook :
- Paul George (38,5% de loin)
- Kawhi Leonard (40,5% de loin)
- Norman Powell (42,3% de loin)
- Nicolas Batum (38,4% de loin)
Westbrook évolue ainsi avec des joueurs qu’il est impossible de laisser ouvert, et qui peuvent au surplus couper, tirer à mi-distance et près du cercle, dont 2 stars qui peuvent elle-même générer des aides ou des prises à 2. Par ailleurs, si le danger représenté par ses coéquipiers est crucial, la conséquence principale pour Brodie est de pouvoir bénéficier d’une ligne de drive colossale s’il passe son vis-à-vis (aucune aide au cercle).
Et comment se termine l’action de cette capture d’écran ?
Westbrook passe la balle à Leonard et se rapproche du corner où se trouve Batum, défendu par l’intérieur adverse. Westbrook feint de poser un écran sortant, et Batum coupe finalement ligne de fond. Sabonis a anticipé la sortie, et cherche à contourner l’écran de Westbrook pour reprendre son vis-à-vis, mais Fox a déjà anticipé le retard. Pendant une fraction de seconde, les Kings se retrouvent à 2 sur Batum, libérant Westbrook, qui se retrouve finalement face à Sabonis avec 1 mètre d’avance. Mismatch : les Clippers ont gagné. Ensuite ?
Un meneur athlétique face à un intérieur bien moins mobile et déboussolé, vous vous doutez de comment ça se finit.
Quel “plus” pour les Clippers avec Westbrook ?
Vous avez compris l’idée, Westbrook est dans une bien meilleure situation que chez les Lakers. Mais concrètement, qu’est-ce qu’on attend de lui aux Clippers ? Quels compartiments du jeu peut-il améliorer ? Que devrait-on voir de sa part ?
Le premier élément qui me vient en tête, c’est la transition.
Les Clippers sont, quand ils le souhaitent, une bonne défense. Ils ont le 12è defensive rating cette saison, ce qui est en soit décevant connaissant leurs standards, mais peut s’expliquer par les absences et une attaque en bien meilleure forme depuis 2 mois permettant des relâchements en saison régulière. En prime, malgré l’absence de pivots remplaçants jusqu’à la trade deadline (avec l’arrivée de Mason Plumlee), ils sont solides voire même très bons au rebond défensif (5è au % de rebonds défensifs captés).
Défense en place, excellents au rebond défensif ? Vous l’aurez compris, l’attaque en transition (les possessions les plus rentables de la ligue) devrait donc faire partie des spécialités des Clippers. Cependant, rappelons-le, si les Clippers peuvent jouer small ball, s’ils ont 9 joueurs qui shootent au-dessus des 38% à 3pts, voilà plusieurs années qu’ils manquent d’un meneur de jeu ou d’un joueur capable de dynamiser leurs contre-attaques. Conséquence directe, ils ne sont 19è en tirs pris en transition, 16è en FREQ% et 15è en efficacité sur ces séquences (61,2 eFG%).
Bonne nouvelle, Westbrook est un meneur réputé pour son dynamisme en transition. Capable de capter ses propres rebonds, toujours très explosif malgré son âge et vraie menace dans l’attaque du cercle, il pourrait réellement changer la donne.
Dans son premier match aux Clippers, face à la faible défense des Kings, il s’en est donné à cœur joie en multipliant ce type d’actions :
Sur jeu placé, la recette ne devrait pas être bien différente pour les Clippers. En effet, Westbrook possède le jeu pour se fondre dans l’existant. Globalement, Tyronn Lue ne prône pas une philosophie particulièrement marquée. Il possède une large panoplie de talents offensifs et d’ailiers polyvalents, et à ce titre, Westbrook permettra de posséder une force de création supplémentaire en plus de PG et Kawhi qui, se rapproche de plus en plus de son niveau pré-blessure au fil de la saison.
L’arrivée de Westbrook permet donc de posséder une 3è solide option balle en main, rôle confié jusqu’alors à Norman Powell. Le jeu des Clippers repose globalement sur du Spot-Up, du pick & roll et de l’isolation. Peu efficace dans le premier et le troisième, Westbrook devra permettre aux siens d’optimiser les situations de pick, et s’insérer dans le collectif de manière à sanctionner en isolation uniquement lorsque son équipe lui offre des mismatchs favorables.
Puisque les Clippers usent beaucoup de flare screen, d’actions visant à déstabiliser les défenseurs pour offrir des opportunités de tirs faciles, Russ peut utiliser la menace de ses drives et ses timings de passes pour aider les siens. D’autant que si les Clippers n’ont pas d’intérieurs très athlétiques, Zubac autant que Plumlee sont des joueurs intelligents qui savent manipuler une défense :
Avec des joueurs comme Leonard, George ou Powell qui peuvent aussi bien s’impliquer dans le P&R en tant que porteur de ballon ou poseur d’écran, les Clippers offriront de nombreuses options pour se déplacer à Westbrook.
Quand à lui, il s’agit de véritablement prendre ce que le jeu lui donne et ne rien forcer. Plus son jeu sera basé sur l’attaque du cercle et plus il sera efficace. Comme lorsque Westbrook était aux Rockets ou aux Wizards, cette équipe de Los Angeles lui met à disposition un roster particulièrement bien construit pour tirer profit de ses qualités. Que ce soit en small ball, ou avec un intérieur classique :
Quelles limites potentielles ?
Évidemment, Westbrook n’est pas un joueur dont le jeu est exempt de déchets, tout comme il n’est pas, à la manière d’un Kevin Durant ou d’un 3&D, le genre de joueur qu’on insère dans n’importe quel collectif et qui trouvera sa place. Pour ce point, nous avons tenté d’expliquer que les Clippers lui proposaient, a priori, un environnement plus favorable à son épanouissement.
En revanche, pour ce qui concerne les déchets de son jeu, il existe deux séries de problématiques : celles sur lesquelles il peut agir pour en réduire les conséquences, et d’autres, immuables, car inhérentes à son jeu.
Partons du côté des certitudes, d’abord. Avec Westbrook, on sait que l’on a à composer avec un shooteur peu menaçant, voire médiocre, et qui doit donc limiter l’utilisation de son tir à mi-distance ou à 3pts pour pouvoir être efficace. Il semble également acté que RW ne sera jamais un joueur très propre balle en main, malgré son jeu orienté en ce sens – ses 7 pertes de balles dans son premier match face aux Kings l’ont d’ailleurs bien rappelé.
Dès lors, pour aider les Clippers et pour se réhabiliter aux yeux des GMs dont les regards seront rivés sur lui dans les semaines à venir, il va convenir de jouer intelligemment et de chercher à contourner ses propres limites.
Qui dit shooteur médiocre, dit tentation de faire l’impasse on & off-ball. Dans la NBA moderne, laisser un joueur comme Westbrook seul derrière la ligue à 3pts et défendre à 5 sur les 4 joueurs restants est une tentation naturelle. Cela permet de mieux défendre la raquette et de tendre un piège à ce dernier. Pour lui, il s’agit donc d’être actif et d’aider la circulation de balle. Face aux Kings, il a paru plutôt à l’aise et a su faire vivre la gonfle :
Face à une défense plus disciplinée et mieux outillée, cela pourrait en revanche se compliquer pour le meneur. Face aux Nuggets, Westbrook a été globalement propre : 6/10 aux tirs et seulement 2 pertes de balle. Mais Denver a mieux joué le coup sur le meneur que Sacramento. Impasses plus nombreuses et meilleur déclenchement des aides ont réduit son impact, et ce alors que Denver ne possède pas de vraie force de dissuasion dans la raquette.
Résultat, malgré un match statistiquement correct, il ne joue que 25 minutes et n’est pas impliqué dans le clutch, ni en prolongation. Et là, on retrouve certaines problématiques inhérentes à sa présence.
Je m’explique. Sur cette action, Jamal Murray commence en faisant l’erreur de sauter sur la feinte de Westbrook. Malgré tout, Jokic l’attend dans la raquette, obligeant le meneur à passer. Il ressort vers la ligne à 3pts, mais cette fois, Murray ne le suit pas, et l’aide côté fort non plus. Résultat, Denver à 3 joueurs dans la peinture (Gordon, Jokic et Murray), et Westbrook est grand ouvert à 3pts. Que font les Nuggets ? Ils laissent tout le temps nécessaire à Westbrook pour prendre un tir : pick your poison.
Au coaching staff des Clippers de lui offrir des options dans ces situations, qui se répèteront à ne pas en douter. En présence d’un pivot, les options défensives pour l’adversaire augmentent également considérablement. Ce sera alors à Tyronn Lue de choisir entre se passer de taille (ce qui n’est pas possible dans certains match-ups) ou de Westbrook pour s’offrir plus d’espaces, notamment en fin de match.
En Playoffs, la situation se posera probablement et selon l’adversaire, Russ pourrait alors en faire les frais.
Enfin, le dernier élément à surveiller est sa défense.
Westbrook n’est pas un mauvais défenseur en soit. Il a tout ce qu’il faut pour être même un élément plus que correct de ce côté-là. En revanche, il a tendance à choisir ses moments et sa défense est de plus en plus inconstante ces dernières années et si quelques errances sont pardonnables, les Clippers auront toutefois besoin de retrouver leur solidité défensive à l’approche de la fin de saison. Il s’agira donc de monter en régime et de se rassurer, car s’ils étaient top 5 en defensive rating au termes d’un mois et demi de compétition, ces derniers ont chuté depuis le mois de décembre. Une fois en playoffs, Brodie ne pourra se permettre d’être un maillon faible de ce côté-là, d’autant que certains cadres vieillissent et que les derniers renforts (Eric Gordon, Bones Hyland) n’offrent pas d’immenses garanties défensives à ce jour.
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En dépit de ces limites dernièrement évoquées, Russell Westbrook représente un bel ajout pour les Clippers, avec probablement la plus belle signature qu’offrait le marché des buy-outs pour qui saura le mettre en valeur. En le signant, les hommes de Tyronn Lue récupèrent un très probable titulaire, une option plus que viable qui, si elle ne pourra probablement pas être une option majeure en toutes circonstances, peut apporter une grosse cartouche supplémentaire à ces Clippers.
Reste à la franchise à bien gérer les rotations et bien l’intégrer, et reste au joueur à garder la tête froide et jouer de ses forces. Et qui sait, alors que le probable dernier chapitre de sa carrière s’ouvre, s’offrir une belle rédemption en finissant en trombe cette saison 2022-2023 ?