Depuis 1946 et la création de la National Basketball Association, quelque cinq mille joueurs ont foulé les parquets de la Grande Ligue. Certains d’entre eux ont laissé une empreinte indélébile qui ne sera jamais oubliée. D’autres sont restés bien plus anonymes. Entre les deux ? Des centaines de joueurs, qui ont tour à tour affiché un niveau de jeu exceptionnel, mais dont on oublie bien souvent la carrière.
Dès lors, @BenjaminForant et @Schoepfer68 ont décidé de dresser – littéralement – le portrait de certains de ces acteurs méconnus ou sous-estimés. Au total, ce sont 60 articles qui vous seront proposés : un par année, entre les saisons 1950 – 1951 et 2009 – 2010. Pour chaque saison, un joueur a été sélectionné comme étendard, parfois en raison d’une saison particulièrement réussie, d’une rencontre extraordinaire ou encore d’une action historique …
Chaque portrait s’inscrira dans une volonté, celle de traverser l’Histoire de la NBA de manière cohérente. Ainsi, ces portraits (hebdomadaires) seront publiés dans un ordre précis : un meneur, un arrière, un ailier, un ailier-fort, un pivot. Au bout de cinq semaines, c’est donc un cinq majeur qui sera constitué. Les plus matheux d’entre vous l’aurons compris : au final, ce seront douze équipes, toutes composées de joueurs ayant évolué au cours de décennies distinctes, qui auront été composées.
A vous de déterminer lequel de ces cinq majeurs sera le plus fort, le plus complémentaire, le plus dynastique.
Vous trouverez en fin d’article les liens vous permettant de (re)consulter les articles précédents.
La jaquette
Pour chaque article, @t7gfx vous proposera ses créations. Vous y retrouverez une illustration du joueur présenté (en tête d’article) ainsi une présentation de chaque cinq majeur projeté (chacun avec une identité visuelle propre).
Le synopsis
Soyons tout à fait franc. Ce 26è épisode du Magnéto ne devait pas être dédié à Lafayette Lever. Dans notre projet initial, c’est la fameuse saison 1961 – 1962 qui devait être traitée aujourd’hui. Wilt Chamberlain y avait scoré plus de 50 points par rencontre, avec quelques 25 rebonds de moyenne. Elgin Baylor, lui, faisait à peine moins bien, affichant 38 points et 18,5 rebonds par soir, sous le maillot des Lakers. Chez les meneurs, puisque c’est d’eux dont nous parlons, Oscar Robertson venait de terminer la première saison de l’Histoire en triple-double de moyenne. Cela méritait bien un focus, nous pensions.
Puis, avec le recul, qu’aurions pu dire qui n’avait pas déjà été narré cinquante fois ? Qui parmi vous, cher(e)s lectrices / lecteurs, n’a pas eu vent de la performance légendaire du meneur des Royals, que seul Russell Westbrook est parvenu à égaler ? Gageons que vous êtes peu.
Dès lors, comme toutes les trois semaines, les plans ont été bouleversés. Si rien ne change d’ici là, nous parlerons de la saison 1961 – 1962 la semaine prochaine, pour présenter un extérieur bien moins connu que le Big O. Tout n’est toutefois pas perdu ; nous qui voulions évoquer la ligne statistique archi-complète de Robertson, nous parlerons de celle de Fat Lever. Le détour vaut le coup d’œil, croyez-nous sur parole.
Effectivement, celui que l’on affilie très volontiers aux spectaculaires Nuggets des années 1980 était un combo-guard qui brillait chaque saison par son style de jeu, complet au possible. Né le 18 août 1960 dans l’Arkansas, État cher à Scottie Pippen, Lafayette était relativement grand pour un meneur (1m91), bien que très filiforme (77 kilos). Surtout, il savait absolument tout faire sur un terrain, au point d’être considéré, lors de sa pige sous le maillot arc-en-ciel de Denver, comme l’un des tous meilleurs meneurs de la Ligue, derrière l’intouchable Magic Johnson.
Ce titre honorifique était mérité en tout point. Pour l’évoquer, revenons 35 ans en arrière, à une époque où Michael Jordan n’était pas encore le Roi.
Action !
Pas casanier, Fat Lever fit quelques 1 300 miles pour entrer à l’université. Il traversa ainsi trois États pour déposer ses bagages à Tempe, Arizona, et évoluer sous les couleurs des Sun Devils d’Arizona State. Celles-là même pour lesquelles James Harden joua entre 2007 et 2009. A l’inverse du barbu, Lever y fit un cursus complet, entre 1978 et 1982. Quatre saisons au cours desquelles, aux côtés de Byron Scott et Alton Lister, il fit les belles heures d’ASU. D’abord remplaçant, il commença a avoir de véritables responsabilités au début des 80’s.
Il y réalisa quelques coups d’éclat avant de décider, âgé de 22 ans, de tenter l’expérience NBA. Individuellement, il fût nommé dans la meilleure équipe de sa conférence deux années de suite, lors de ses saisons sophomore et junior. A la fin de cette-dernière, il termina même dans une All-American Team, signe que son rayonnement s’étendait désormais au-delà des frontières de l’Arizona. Il resta, pendant longtemps, celui qui avait inscrit le plus grand nombre de point contre le voisin honnit, les Wildcats d’Arizona, dans une rencontre disputée le 20 février 1982 : 38 points au compteur, soit la 11è meilleure marque de l’Histoire de la faculté.
Il reste, encore aujourd’hui, comme l’un des meilleurs passeurs et intercepteurs des Sun Devils.
Collectivement, retenons qu’il prit part à l’immense raclée infligée à Oregon State, le 7 mars 1981. Oregon State se présentait alors en tant que leader incontesté de la Pac-10, sans avoir perdu la moindre rencontre. La première défaite sera un véritable blowout (81 – 61), ce qui constitue l’un des plus gros écarts jamais concédé par une équipe invaincue jusqu’alors.
Fort d’une dernière saison terminée avec 16 points, 5,5 rebonds et 4 passes décisives (45 % au tir, et 81 % aux lancers), Lever se présenta à la draft 1982, celle de James Worthy, Dominique Wilkins ou Terry Cummings. Il en sortit affublé de la casquette des Blazers, sélectionné en 11è position. Il s’y fit rapidement une place, et fût même le meneur le plus utilisé par Jack Ramsay lors de sa saison rookie. Il faut dire que la concurrence sur le poste 1 n’était pas des plus relevées, Darnell Valentine et Don Buse étant alors les seuls autres meneurs d’un roster qui comptait notamment dans ses rangs les plus illustres Jim Paxson et Mychal Thompson, père de Klay.
Il sera néanmoins relativement discret, ne parvenant pas à se faire une place dans l’unique All-rookie Team de l’époque, laissant les places de guards à Terry Cummings, rookie de l’année, et au plus anonyme Quintin Dailey, alors joueur des Bulls. Si sa moyenne au scoring est mitigée (7,8 points en 25 minutes de jeu, 43 % au tir), celle à la passe laisse deviner de très belles promesses. Il devient dès lors le 17è rookie de l’Histoire à afficher 5,3 passes décisives par rencontre, s’inscrivant dans les pas de Tom Gola, Tiny Archibald ou Magic Johnson. La performance est bien plus commune aujourd’hui, à l’heure où les Ball, Simmons, Doncic et autres Young ont distribué énormément de caviars dès leurs premiers jours en NBA.
Portland s’inclinera en demi-finale de conférence Ouest face aux Lakers. La seconde saison verra le jeune meneur prendre ses aises balle en main, bien que son temps de jeu n’évoluera pas d’un pouce. Alors qu’il n’avait jamais atteint la barre des 20 points au cours de son premier exercice, il la dépassera à 4 reprises en 1983 – 1984. A chaque fois, les Blazers sont repartis avec la victoire dans la soute :
- 22 nov. 1983 vs Denver : 22 points, 6 rebonds et 11 passes décisives à 61,5 % au tir, dans une victoire (+40). A noter que Lever ne produisait que des lignes statistiques en rapport avec la date de la rencontre (22 / 11, en l’espèce). Autant dire qu’il valait mieux le jouer le 4 janvier que le 27 décembre.
- 3 déc. 1983 @ New-Jersey : 28 points, 5 rebonds, 1 passe décisive, 2 interceptions et 1 contre, dans une victoire (+6),
- 6 déc. 1983 vs San Antonio : 23 points, 1 rebond, 6 passes décisives, 3 interceptions et 1 contre, dans une victoire (+12),
- 17 janv. 1984 vs Dallas : 20 points, 3 rebonds, 8 passes décisives, 3 interceptions et 1 contre, dans une victoire (+7)
S’il était encore timide dans l’exercice du rebond, le bonhomme prenait toutefois de l’assurance et de l’épaisseur dans les autres compartiments du jeu. Passeur plus qu’honnête, il lisait excessivement bien les lignes de passe, devenant un intercepteur redoutable. Chose qu’il confirmera par la suite : aujourd’hui, Fat Lever possède la 5è meilleure moyenne en carrière de tous les temps, avec 2,21 ballons chipés par soir. Il devance notamment John Stockton, intercepteur le plus prolifique (2,17 de moyenne), mais aussi Chris Paul (2,20) ou Allen Iverson (2,16).
Lever s’impose également comme un bon défenseur sur l’homme. Si son inexpérience et son inconstance viennent ternir le tableau, les prémisses sont porteuses d’espoir. Des espoirs qui connaîtront une consécration, mais pas chez les Blazers. En effet, après une élimination au premier tour face aux Suns de Larry Nance et Paul Westphal, Lafayette est prié d’aller voir si l’herbe était plus verte à 1 600 mètres d’altitude, du côté de Denver. En effet, souhaitant attirer dans ses filets Kiki Vandeweghe, alors double All-star, Portland n’avait pas d’autre choix que d’inclure dans le trade son jeune meneur.
Cela devient une marotte. Comme ce fut le cas pour Dick Van Arsdale et Jermaine O’Neal, le transfert aura un effet infiniment positif sur la carrière de Fat. Il sera immédiatement propulsé en tant que titulaire indéboulonnable de l’une des équipes les plus excitantes de la décennie. Il avait alors la lourde tâche de servir Alex English, considéré comme l’un des tous meilleurs scoreurs de la Ligue (qu’il fût en 1982 – 1983, avec 28,4 pts/match).
Alors que le jeu prôné par Jack Ramsay n’était pas spécialement rapide, le schéma de jeu de Doug Moe s’articulait autour d’un seul mot d’ordre : courir. Les Nuggets galopaient tout le temps. La légende raconte même qu’ils venaient à la salle en courant. Cela faisait d’eux la meilleure équipe offensive de la saison 1984 – 1985. Ce style de jeu, qui a manifestement inspiré les Wizards de la cuvée 2019 – 2020, avait pourtant un tendon d’achille assumé : la défense. Denver marquait des valises de points, mais en encaissait également des remorques pleines. Ce qui a parfois donné lieu à certaines rencontres ubuesques, comme celle du 13 décembre 1983, conclue sur le score de 186 – 184 face aux Pistons.
Ce jeu up-tempo semble convenir à merveille à Fat Lever. Il ne lui fallut pas longtemps pour se mettre le public dans la poche, puisqu’il claqua 24 points, 6 rebonds,18 passes décisives et 4 interceptions lors de sa 6è rencontre, contre les terribles Lakers (+16). Jamais un Nuggets n’avait réalisé un 24 – 18.
C’est donc cela, l’intégration expresse.
Il est l’un des contributeurs de l’excellent début de saison des Nuggets (13 – 3), dont le jeu du “tout-pour-l’attaque” attire forcément la sympathie des observateurs. Rapide, costaud et attaquant perpétuellement le cercle, il devient soudainement l’un des meilleurs meneur rebondeur de la Ligue. Ses statistiques auraient fait de lui le candidat idéal pour le titre de meilleur progression de la saison … qui ne fût créé que l’année suivante. Il augmenta l’ensemble de ses statistiques brutes de manière significative, inscrivant 3 points de plus (12,8 contre 9,7), gobant le double de rebonds (5 contre 2,7) et distribuant 3 passes supplémentaires (7,5 contre 4,6). Mieux, son taux d’utilisation de la balle augmente, tandis que celui de perte de ballon diminue. Il distribue 3 passes décisives pour 1 balle perdue.
Il rééditera sa sublime rencontre de début de saison, en passant 26 points, 7 rebonds, 18 passes décisives et 4 interceptions contre les Clippers (-2). Ce jeu all-around lui vaut un nouveau surnom : Mr. Triple-double. Et pourtant, avant le 9 mars 1985, il n’était jamais parvenu à en réaliser un. Il fallut attendre le 226è match de sa carrière pour le voir dépasser les 10 unités statistiques dans 3 catégories différentes : 13 points, 15 passes décisives et 10 interceptions dans une victoire contre Indiana. A noter que lors de cette rencontre, il devint l’un des 20 joueurs à atteindre la barre des 10 interceptions en un seul match. Mieux, il co-détient encore aujourd’hui le record du nombre de ballon volé en une mi-temps : 8.
Les Nuggets iront défier les Lakers en finale de conférence. Néanmoins, comme souvent au cours de cette décennie, les pourpre et or n’ont pas laissé grand chose aux bleu arc-en-ciel (défaite 4 – 1). Lever profita toutefois de cette campagne de playoffs pour faire honneur à son nouveau surnom, en détruisant le Jazz lors de la première rencontre des demi-finales de conférences, avec 19 points, 16 rebonds et 18 passes décisives. Personne d’autre n’a jamais réalisé cela en playoffs avant lui. Ni après, d’ailleurs.
Précisons qu’il est, aux côtés de Wilt Chamberlain et Jason Kidd, l’unique joueur a avoir dépassé la barre des 15 unités dans 3 catégories statistiques lors d’une rencontre de playoffs.
Ce n’était toutefois pas encore l’heure de la consécration individuelle de Fat Lever. Celle-ci attendra encore un tout petit plus d’une année. En effet, la saison 1985 – 1986 sera celle de la confirmation, et Denver chutera en demi-finale face aux tours jumelles de Houston, composée des monstrueux Ralph Sampson et Hakeem Olajuwon. C’est ainsi à compter du mois d’octobre 1986 que Lafayette entra dans la caste des tous meilleurs poste 1 de la Ligue. Il n’y avait d’ailleurs pas grand monde pour être étonné. Âgé de 26 ans, l’enfant de l’Arkansas va prendre une nouvelle dimension, symbolisée par un volume “Westbrookien”.
L’oscar de la saison 1986 – 1987
Depuis ses grands débuts en NBA, Fat Lever a connu une progression constante et graduelle. Chaque saison est un petit peu meilleure que la précédente. Un point de plus par-ci. Un rebond de plus par-là. Une baisse du pourcentage du turn-over pour couronner le tout. La saison 1986 – 1987 va être un condensé de tout ceci, marquant véritablement le début de son prime.
Le ton est donné dès la première rencontre de la saison, qui vit les Nuggets exploser des Spurs orphelins d’un véritable franchise player, entre la fin de carrière de George Gervin et l’arrivée, quelques années plus tard, de David Robinson. Bien que confronté à un exceptionnel défenseur en la personne d’Alvin Robertson (Défenseur de l’année en titre, 6 fois All-defensive Team), Lever va faire ce qu’il fait de mieux, c’est-à-dire : absolument tout. S’il n’a jamais été – et ne sera d’ailleurs jamais – un formidable scoreur (record à 38 points), la rencontre du 31 octobre 1986 est une sorte d’avertissement envoyé à l’ensemble de la concurrence ; il n’y aura plus de saison à 11 points scorés.
Ainsi, avec 25 points, 9 rebonds, 8 passes décisives, 3 interceptions et 2 contres, Lafayette fit la leçon à son jeune vis-à-vis, et les Nuggets lancèrent leur saison de la plus belle des manière (+30). Une saison qui, à bien des égards, sera bien plus compliquée que les précédentes.
En effet, les années s’enchaînent, et certains organismes s’épuisent. Dan Issel a opté pour une retraite bien méritée, et Alex English est désormais bien plus proche du crépuscule que de l’aube de sa carrière. Il reste tout de même un scoreur absolument effrayant, sortant de sa meilleure saison en carrière en la matière (29,8 points de moyenne en 1985 – 1986). Pourtant, s’il y a bien quelque chose que le temps n’a pas su changer, c’est la défense de Denver, toujours aussi perméable. Or, si l’objectif du basket est bel et bien de scorer plus que l’adversaire, il est nécessaire de s’adapter si l’attaque commence à hoqueter. Chose que Doug Moe n’a pas su faire.
Le collectif de l’équipe des Rocheuses est donc bien moins huilé qu’il ne le fût en début de décennie. La courbe de performance de Fat Lever croise celle de ses coéquipiers, comme si son sommet individuel arrivait au pire des moments. Après avoir été giflé par les Warriors, puis avoir redressé la barre face aux Knicks et au Jazz (avec, au passage, le premier de ses 16 triple-doubles de la saison contre Utah), Lever et les Nuggets vont connaître leur première période creuse, en enchaînant 4 défaites en 5 rencontres.
La faiblesse du secteur intérieur est dévoilée au grand jour, et le meneur est très (trop ?) fréquemment le meilleur rebondeur de son équipe. A cet égard, la série de rencontre entre les 15 et 26 novembre 1986 est frappante. Sur ces 5 rencontres, le numéro 12 attrapera un total de 72 rebonds, atteignant toujours la barre des 10 prises par soir. L’on retrouve ainsi quelques rencontres pleines, avec un 30 – 10 – 7 – 5 infligé à Terry Porter dans une victoire face aux Blazers, ou un 29 – 17 – 9 – 4 – 2, le surlendemain, contre les Suns et Jay Humphries.
Bien emmené par sa traction arrière, Denver effectue un début de saison honnête. Le rythme de jeu imprimé par Lever est toujours le plus rapide de la Ligue (PACE de 106,2). Quand les Nuggets entrent sur le terrain, le score de la rencontre est toujours fleuve. Seuls les Bucks parviendront à laisser Denver sous la barre des 100 points inscrits, dans une rencontre du 29 novembre (131 – … 99). La réciproque est tout aussi véridique, puisque les hommes de Moe ne limiteront leurs adversaires sous cette barre qu’une seule fois également, au début du mois d’avril dans une victoire contre les Warriors (132 – 96). Acheter son billet pour voir une rencontre dans la McNichols Sports Arena, c’était la certitude de voir du spectacle. Même un narcoleptique ne s’y endormirait pas.
L’illusion collective durera un mois. A peine. S’en suivirent 16 défaites en 21 rencontres, et Denver plongea dans les abysses de sa conférence. Et malgré les résultats collectifs délicats, Lever performe. Au point d’apparaître dans plusieurs discussions. Celle de la meilleure progression de la saison, d’abord (et encore). Si le scoring reste fluctuant, son jeu ne possède désormais plus aucune faille. Lafayette étrangle le meneur adverse lorsqu’il défend, et prend systématiquement le pas sur lui lorsqu’il a la balle en main. Il est également bien positionné pour devenir All-star pour la première fois de sa carrière. Si Magic possède bien entendu son ticket composté, rares sont les meneurs de l’Ouest qui peuvent prétendre au graal individuel. Il n’y a guère qu’Éric “Sleepy” Floyd, meneur des Warriors, qui pourrait se joindre à la discussion.
Et pour cause, à la fin de l’année 1986, après 30 rencontres, Lafayette porte comme un gant ses deux surnoms. Fat, tout d’abord, puisqu’il domine la concurrence. Pour accompagner ses 17,5 points par soir (+3,7 par rapport à sa meilleure moyenne en carrière), il gobe 8,7 rebonds (dont, tout de même, 2,6 offensifs), distribue 7,7 passes décisives et chipe 2 ballons, avec 44,8 % de réussite au tir et 84,3 % aux lancers. Que demander de plus ? Des victoires, certes.
Mr. Triple-Double, ensuite, puisqu’il en totalise déjà 4 au 30 décembre 1986. Un chiffre qui pourrait presque être doublé, tant les rencontres où il manquait simplement un rebond ou deux passes se multiplient.
L’immonde série de défaites se parachève en apothéose, si l’on peut dire, avec un – 38 infligé par les Lakers. Une rencontre où Lever est l’unique Nuggets a posséder une Box +/- positive, et où il regarda Johnson presque dans les yeux. Sans complexe aucun.
L’approche du All-star game le rend d’ailleurs encore meilleur. Les 8 rencontres qui précèdent l’événement le verront donc toujours inscrire au moins 21 points. Ce n’est pas un hasard si, exactement au même moment, Denver connaîtra l’une de ses rares belles séries de cette morne saison. Voici les moyennes de son meneur phare au cours de ces 8 matchs :
Des statistiques qui, reproduites sur une saison complète, se résument en trois lettres : MVP. La NBA ne s’y est d’ailleurs pas trompée, et récompensera le meneur d’un titre de joueur de la semaine de la conférence Ouest. Et pourtant, c’est Sleepy Floyd qui sera convié au All-star game, Lever pâtissant certainement du mauvais bilan de sa franchise.
Il sera moins constant en fin de saison. Il reste, bien entendu, capable de briller sur une rencontre. Ce ne sont pas les Pacers qui diront le contraire (30 – 10 – 8 – 5 et victoire +16). Toutefois, on retrouve également quelques rencontres loupées bien comme il faut (4, 8, 9 et 6 points entre les 4 et 15 mars 1987, par exemple).
Denver terminera sa saison avec 37 victoires pour 45 défaites, et une qualification miraculeuse en playoffs, où les hommes de Moe se donnent le droit de rêver face aux Lakers en plein showtime. Les deux équipes se sont jouées 5 fois lors de cette saison régulière, pour autant de victoire pour L.A (+22, +38, +6, +36, +8). Autant dire que le pas entre le rêve et la réalité était celui d’un géant.
Fort de sa magnifique saison, Lever terminera 9è au classement de MVP, devant Alex English (14è) et 8è au classement du meilleur défenseur de la saison. Il se retrouve dans énormément de top 20 NBA, comme celui des tirs à 2 points tentés (20è), des rebonds défensifs (17è), des interceptions (5è) ou des passes décisives (8è). Malgré les 28 points par rencontre d’English, c’est bel et bien Fat Lever qui fût le meilleur joueur des Nuggets. C’est d’ailleurs peut-être bien là le problème. Si nous n’avons pas tari d’éloges sur les accomplissements du meneur, il n’avait probablement pas l’étoffe d’un franchise player.
Cela se confirmera en playoffs, où les Lakers sweeperont Denver sans aucune difficulté (+33, +12, +37). Face à Magic, Lever n’a, à nouveau, pas à rougir de ses performances. Si le titre de notre article est volontairement excessif et provocateur, il faut bien comprendre que le meneur des Nuggets, à cet époque, n’était pas qu’un simple faire-valoir, même pour l’immense numéro 32 de Los Angeles. Sa seconde rencontre est d’ailleurs magnifique, bien que largement insuffisante pour permettre aux siens d’espérer : 26 points, 10 rebonds, 9 passes décisives et 3 interceptions.
Rendez-vous compte ! Fat Lever sortait tout juste d’une incroyable saison individuelle. Et son prime ne faisait que commencer. Il se poursuivra encore trois années, au cours desquelles il prouva, si besoin était encore, qu’il était un top meneur.
Le générique de fin
Il aurait d’ailleurs été tout à fait pertinent de le sélectionner pour évoquer l’ensemble des saisons jusqu’en 1990. A la fin des années 1980, avoir Lever comme matchup devenait rapidement synonyme de calvaire. Il enfile les double-doubles comme des perles, et les Nuggets redeviennent une place forte de la conférence Ouest.
Son amélioration croissante lui offre une place plus que méritée au All-star game 1987 (17,8 points, 7,5 rebonds, 7,8 passes décisives, 2,9 interceptions alors). Sa fin de saison, au cours de laquelle les Nuggets valident aisément leur place en post-season, sera le théâtre de trois performances venues tout droit d’une autre galaxie.
Mentionnons d’abord sa rencontre du 7 janvier 1988, contre les Bulls d’un Jordan désormais au sommet de son art. Chicago remportera d’ailleurs la rencontre (+4). Et pourtant, ce n’est pas “Sa Majestée” qui creva l’écran. Alors qu’il avait Pippen, Oakley et Jordan sur le râble, Fat Lever va tout simplement terminer la rencontre en tant que meilleur scoreur, rebondeur, passeur et intercepteur : 31 points, 16 rebonds, 12 passes décisives, 6 interceptions. La superstar n’était, cette fois-ci, pas en rouge.
Attaquons-nous aux deux autres prestations. Formulons cela sous forme de petit quiz : selon-vous, combien de meneurs, dans toute l’Histoire de la NBA, ont terminé une rencontre avec au moins 20 points et 20 rebonds ? Que ceux qui parviennent à trouver la liste des 10 noms gagnent notre respect éternel.
Parmi ceux-là, combien sont-ils parvenus à ajouter au moins 10 passes décisives ? Ici, l’étau se ressert, naturellement. Au 21è siècle, la performance n’a été réalisée qu’une seule fois, par l’incontournable Russell Westbrook, auteur d’un des deux double-triple-doubles de l’Histoire le 2 avril 2019 (20 points, 20 rebonds, 21 passes décisives). Nous retrouvons cette fois-ci 4 noms. Fat Lever fait partie d’eux (20 – 20 – 12 – 6 !). Jamais Mr. Triple-Double n’a aussi bien porté son nom.
Il récidivera presque un mois plus tard, avec 22 points et 21 rebonds contre Houston. Il est le deuxième scoreur et rebondeur de l’équipe (8,1 rebonds / match, seul Danny Schayes, ailier-fort, fait mieux, avec … 8,2), mais aussi meilleur passeur et intercepteur. En somme, il est celui qui fait tourner la belle machine de Denver, éliminée par les Mavericks en demi-finale. Et comme si cela ne suffisait pas, il figure également dans la All-defensive Team de la saison. Il est désormais le joueur complet par excellence, et doit être cité, à cet égard, dans la discussion des meneurs all-around, aux côtés des Westbrook, Johnson, Kidd et autres Robertson.
Lever, c’était la complétude totale et un plaisir visuel rarement égalé.
Les saisons suivantes regorgent également de perles dans ce genre. Nous ne pouvons toutefois pas toutes les mentionner, sans quoi vous en auriez encore pour une demi-heure de lecture. Nous vous invitons donc vivement à aller jeter un œil à ses statistiques de la fin des années 1980. Certaines sont toutefois impossibles à passer sous silence, comme celle du 21 avril 1989, où le meneur réalisa un énième triple-double, en lâchant 23 passes décisives aux copains. Encore une fois, ils ne sont que 5 à l’avoir fait. Parmi ceux-là, Lever est le meilleur rebondeur (13), et aussi celui qui possède le plus petit temps de jeu (42 minutes).
Au final, le seul bémol, certes de taille, que nous pouvons formuler à l’encontre de sa période chez les Nuggets, c’est l’absence de véritables prouesses collectives. Hormis la finale de conférence de 1985, qui constitue d’ailleurs la meilleure performance de la franchise en NBA (avec 1978), il n’y aura pas de coups d’éclat en post-season. C’est la preuve, certainement, que Michael Jordan ne se trompait pas lorsqu’il disait que c’est la défense qui fait gagner des titres. Par contre, la morale n’est pas forcément belle : le beau jeu ne paie pas toujours. Évidemment, les Celtics de 1986 et les Spurs de 2014, entre autres, ne seront pas d’accord.
La saison 1988 – 1989 constituera son sommet statistique, avec 19,8 points, 9,3 rebonds et 7,9 passes décisives. Le tout dans une équipe qui présente un bilan honorable. Des chiffres qui, de manière tout à fait incompréhensible, ne lui ont pas permis de décrocher une seconde étoile individuelle. Il l’aura la saison d’après, malgré des statistiques en très légères baisses. Néanmoins, les Nuggets ne parviennent plus à passer le premier tour de playoffs, et concèdent deux sweep consécutifs, contre les Suns et les Spurs.
Il est alors envoyé à Dallas en juin 1990, contre deux premier tour de draft. Il ratera 2 saisons complètes, en raison d’une blessure au genou, et terminera sa carrière en 1994, aux termes de l’une des pires saisons collectives de tous les temps (13 – 69), dans une équipe de Dallas qui attendait encore son franchise player Allemand.
Une triste fin de carrière, à l’exacte opposée du joueur flamboyant qu’il fût au cours de ses belles années. Des saisons qui lui offrent un palmarès pas piqué des hannetons :
- All-star, à 2 reprises,
- All-defensive Team, à 1 reprise,
- All-NBA Team, à 1 reprise,
- Maillot retiré : le 12 à Denver,
- 5è meilleure moyenne à l’interception,
- 43 triple-doubles : 9è.
Jusqu’au bout, Fat Lever aura honoré le surnom qui était le sien. Il compte ainsi plus de triple-doubles que Jordan, Baylor, Frazier ou Abdul-Jabbar. Et si les jeunes Jokic, Doncic et Simmons viendront très vite le dépasser, il est le symbole du joueur complet d’une époque où les meneurs n’étaient généralement “que” de bons distributeurs de ballons. En somme, il peut être considéré comme le lieutenant de Magic Johnson, toute proportion gardée, chez les meneurs all-around. Les Nuggets ne s’y sont pas trompés, eux qui ont retiré son maillot à la fin de l’année 2017.
Comme pour définitivement entériner le fait qu’il est le meilleur meneur de leur histoire.
Crédits et hommages
Il n’y a pas lieu, à notre sens, d’en rajouter beaucoup. En effet, le joueur que fût Lafayette Lever, durant près de 15 années, était déjà décrit à la perfection par Herb Sendek, son entraîneur chez les Sun Devils d’Arizona State, qui disait de lui :
“Il passe, il prend des rebonds, il défend … et il score. Il sait tout faire. Et par-dessus tout, c’est un gagnant”.
Il manque bien entendu cette bague au palmarès. Mais Fat Lever est un perdant magnifique. Au cours de ses 6 saisons à Denver, il a surtout pu apporter une réponse claire à la direction des Blazers : effectivement, l’herbe était bien plus verte dans les Rocheuses.
Les précédents épisodes et portraits du Magnéto :
- Cinq majeur #1 : Penny Hardaway (1994/95), Manu Ginobili (2007/08), Terry Cummings (1988/89), Jerry Lucas (1964/65), Nate Thurmond (1974/75),
- Cinq majeur #2 : Jason Kidd (1998/99), Tracy McGrady (2004/05), Rick Barry (1966/67), Elvin Hayes (1979/80), Neil Johnston (1952/53),
- Cinq majeur #3 : Isiah Thomas (1989/90), David Thompson (1977/78), Paul Arizin (1951/52), Tom Gugliotta (1996/97), Yao Ming (2008/09),
- Cinq majeur #4 : Baron Davis (2006/07), Bill Sharman (1958/59), Chet Walker (1963/64), Gus Johnson (1970/71), Jack Sikma (1982/83),
- Cinq majeur #5 : Tiny Archibald (1972/73), Dick Van Arsdale (1968/69), Bernard King (1983/84), Jermaine O’Neal (2003/04), Larry Foust (1954/55),