Depuis 1946 et la création de la National Basketball Association, quelque cinq mille joueurs ont foulé les parquets de la Grande Ligue. Certains d’entre eux ont laissé une empreinte indélébile qui ne sera jamais oubliée. D’autres sont restés bien plus anonymes. Entre les deux ? Des centaines de joueurs, qui ont tour à tour affiché un niveau de jeu exceptionnel, mais dont on oublie bien souvent la carrière.
Dès lors, @BenjaminForant et @Schoepfer68 ont décidé de dresser – littéralement – le portrait de certains de ces acteurs méconnus ou sous-estimés. Au total, ce sont 60 articles qui vous seront proposés : un par année, entre les saisons 1950 – 1951 et 2009 – 2010. Pour chaque saison, un joueur a été sélectionné comme étendard, parfois en raison d’une saison particulièrement réussie, d’une rencontre extraordinaire ou encore d’une action historique …
Chaque portrait s’inscrira dans une volonté, celle de traverser l’Histoire de la NBA de manière cohérente. Ainsi, ces portraits (hebdomadaires) seront publiés dans un ordre précis : un meneur, un arrière, un ailier, un ailier-fort, un pivot. Au bout de cinq semaines, c’est donc un cinq majeur qui sera constitué. Les plus matheux d’entre vous l’aurons compris : au final, ce seront douze équipes, toutes composées de joueurs ayant évolué au cours de décennies distinctes, qui auront été composées.
A vous de déterminer lequel de ces cinq majeurs sera le plus fort, le plus complémentaire, le plus dynastique.
Vous trouverez en fin d’article les liens vous permettant de (re)consulter les articles précédents.
La semaine passée, @BenjaminForant vous parlait de la (trop) courte carrière d’Arvydas Sabonis en NBA, du côté des Blazers de Portland.
Si le colosse ne fît le grand saut en NBA qu’au milieu des années 1990, il commença sa carrière de basketteur professionnel en 1981, dans sa Lituanie natale. Exclusion faite son passage outre-Atlantique, sa carrière professionnelle européenne semble pouvoir être divisée en trois périodes distinctes.
Présentons les rapidement : Sabonis évolua d’abord sous les couleurs du Zalgiris Kaunas jusqu’en 1989. Il quittera une URSS à bout de souffle en 1989, rejoignant l’Espagne et le club de Valladolid, avant d’effectuer trois piges dans le maillot immaculé de Madrid. Enfin, âgé de 39 ans, il reviendra à Kaunas définitivement pour boucler la boucle.
Plus encore qu’un changement de paysage basketballistique, ces trois périodes coïncident avec l’évolution du jeu du pivot. Si chacun sait désormais que malgré ses 220 centimètres, l’intérieur était capable de réaliser les prouesses techniques d’un arrière, il s’agira pour nous de louer également sa faculté à adapter son jeu au pays et à l’époque au sein desquels il évoluait.
Avant d’effectuer quelques tours de notre retourneur de temps – direction la Lituanie du début des années 1980 – remercions pour ses nombreux conseils @OlivierRaguin, puits de science intarissable, et dont le micro grésillant de la Dacia n’est pas parvenu à effacer sa passion pour Arvydas Sabonis.
Sabonis et Zalgiris : oh darling, Stand by me
Pour comprendre avec exactitude le poids, l’impact, qu’a eu Sabonis dans le basket lituanien, il convient d’abord de passer par une inévitable recontextualisation politique.
Le pays déclara sa première indépendance en 1918, à la sortie du premier conflit mondial. Cependant, lorsque les allemands entraient à Paris, le 14 juin 1940, les soviétiques, eux, envahissaient les trois états baltes que sont l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. Cette dernière sera placée alternativement sous pavillons soviétiques et nazis entre 1940 et 1944. A compter de cette date, et jusqu’à la seconde déclaration d’indépendance du 11 mars 1990, la Lituanie était intégrée au sein de l’URSS.
On le sait : pour les pays annexés, le sport est un moyen privilégié de résistance face à l’envahisseur. A ce titre, la Lituanie possédait en son sein deux immenses symboles de lutte contre les soviétiques. Le Zalgiris, club de basket de Kaunas, seconde ville du pays, est l’un d’eux. Le second ? Le boxeur Algirdas Socikas, qui terrassa la star russe Nikolaj Koroliov, donnant lieu à des scènes de liesses.
Échapper à l’œil de Moscou
En URSS, le championnat national de basket était ultra-dominé par le CSKA Moscou, lequel remporta l’ensemble des titres entre 1969 et 1984, à l’exception de la cuvée 1975 arrachée par le Spartak de Leningrad (devenu depuis Saint-Pétersbourg). Le Zalgiris Kaunas, avant l’arrivée d’Arvydas Sabonis dans ses rangs, comptait un seul titre de champion national, remporté en 1951.
Si le CSKA était si hégémonique, c’est parce qu’il disposait d’un avantage incroyable sur l’ensemble de la concurrence : en tant que club de l’armée rouge, il possédait la faculté d’incorporer les meilleurs jeunes joueurs du pays sous couvert d’un “service militaire”. En réalité, les athlètes recrutés par le club n’étaient jamais intégrés dans l’armée soviétique ; par contre, ils portaient bel et bien le maillot du club moscovite. En quelque sorte, le CSKA disposait chaque année du first pick de draft, voire de plusieurs par an.
Le recrutement forcé de Sabonis à Moscou, toute la Lituanie le craignait.
Dès lors, pour éviter que l’enfant prodige ne doive quitter le berceau lituanien, il fût inscrit à l’Institut Agricole de Kaunas, l’Université du coin. Il ne posera pas son imposante carcasse sur les bancs de la faculté, mais avait alors l’obligation de donner mensuellement une conférence centrée autour… du basketball, à laquelle seuls les professeurs pouvaient assister. Toutefois, pour pallier à tout imprévu, les autorités lituaniennes auraient (ndlr : conditionnel oblige ici, tant il semblerait qu’un flou demeure au sujet de cette anecdote) rédigé et signé un document attestant l’adoption de deux orphelins par Sabonis, lui permettant ainsi, en qualité de père de famille, de reporter l’obligation du service militaire.
Et si cela ne suffisait toujours pas, la détermination du joueur aurait assurément fait le reste. Ainsi, Aleksandr Gomelski, entraîneur du CSKA et de l’équipe nationale de l’URSS, a toujours énoncé que Sabonis refuserait tout net de rejoindre le club de la capitale et d’affronter ses anciens coéquipiers. La suite de sa tirade laisse deviner l’impact qu’avait – déjà – le pivot au sein de son pays natal :
“Il est tellement populaire en Lituanie ! Il pourrait devenir président du pays s’il le voulait. Tout le monde voterait pour lui”.
La Lituanie était ainsi prête à tout pour garder le pivot dans son giron national, et elle parviendra à ses fins.
Ces manœuvres, dignes d’un polar, mèneront aux plus belles heures du sport lituanien. En effet, avec Arvydas Sabonis, le Zalgiris Kaunas viendra à bout de l’ennemi juré de Moscou, événement alors impensable au début de la décennie 1980, tant que le club de la capitale dominait outrageusement son championnat.
Tu m’parles pas d’âge
Âgé de seulement 17 ans, Sabonis débute seulement sa carrière professionnelle. Sa progression au cours de ses trois premières saisons sera exponentielle (13,2, 14,4 puis 17,9 points par saison). Ses performances lui vaudront, dès 1982, une participation au mondial de basket disputé en Colombie.
Dans un championnat où le rythme de jeu était très élevé, le pivot régale. Si les statistiques nous manquent, les témoignages de certains de ses adversaires, mais aussi ceux des coachs américains, nous permettent d’imaginer avec plus d’exactitude quel joueur dominant il était, déjà si jeune. Ce sont les mots de Bobby Knight qui résonnent le plus fort :
“Il sait tout faire. Il a les fondamentaux de Larry Bird et de Pete Maravich. Il a les qualités athlétiques de Kareem (Abdul-Jabbar) et il peut shooter à trois-points. Nous aurions dû [les américains] mettre en place un plan pour le kidnapper et le ramener chez nous au début des années 1980″.
Il n’y aura finalement pas de plan. Portland draftera le bonhomme en 24è position en 1986, ce que le joueur apprendra en lisant un magazine, certain que le climat politique de l’époque l’empêcherait de traverser l’Atlantique. Ironiquement, c’est toute la Lituanie qui peut remercier le blocus de l’URSS vis-à-vis de son ennemi américain. En effet, à l’époque de la draft d’Arvydas, jamais le résistant n’avait aussi bien déjoué les plans de l’envahisseur.
En 1984-85, un séisme surpuissant traverse le monde basketballistique de l’URSS. En cinq confrontations, Zalgiris a battu le CSKA autant de fois. La gifle est sanglante pour le pouvoir soviétique, dans un monde où sport et politique sont étroitement liés, vous l’aurez compris.
La joie du peuple lituanien est immense, d’autant plus qu’en fin de saison, le club de Kaunas remporte son second championnat national, mettant fin à 8 années de domination du club moscovite. Bien qu’âgé seulement de 20 ans au début de la saison, Sabonis est le franchise player de cette équipe de Kaunas, dont les prestations déborderont des immenses frontières URSSiennes. Le club lituanien ira également, en cette année 1985, défier le FC Barcelone en finale de la coupe des Coupes, s’inclinant 77-73 dans une rencontre disputée à … Grenoble.
Ce n’est pourtant que le début.
Alors qu’il scorait près de 23 points par soir en 1984-85, et qu’il fût d’ailleurs récompensé la même saison par le titre de meilleur joueur européen (qu’il fût 6 fois, record co-détenu avec Dirk Nowtizki), sa production statistique explosera au cours de l’exercice suivant. Avec 29 points par rencontres, le colosse gracile devint le meilleur joueur du continent, titre que seul Drazen Petrovic pouvait alors lui contester sérieusement.
Dans l’imposant sillage de son pivot, Zalgiris remporta un second championnat consécutif (le titre n’avait plus échappé au CSKA deux années de suite depuis 1968) et s’inclina en finale de l’Euroleague contre le Cibona Zagreb de ce même Petrovic. Une finale en demi-teinte pour l’idole lituanienne : avec 27 points, 12 rebonds, 3 passes décisives, 3 contres, il semblait bien parti pour mener les siens à une victoire inédite. Cependant, il fût expulsé pour avoir bousculé un joueur adverse, hypothéquant par la même occasion les chances de victoire de Kaunas. Mais ce ne fût que partie remise, le Zalgiris venant à bout du club de Zagreb en demi-finale de la Coupe Intercontinentale l’année suivante, en 1986, avant de soulever le trophée en battant le Ferro Carril Oeste, club argentin.
Talent d’Achille, tendon fragile
Qui pouvait arrêter Sabonis ? La question ne semble pas avoir de réponse.
Alexander Wolf, journaliste de Sport Illustrated, sera lui aussi dithyrambique sur le niveau de jeu de celui qui commence à être surnommé “le meilleur non-américain de tous les temps“. Malheureusement, comme trop souvent dans ces épisodes du Magnéto, ce sont les blessures qui viendront freiner la progression effrénée de la gazelle géante. Elles donneront également lieu à des scènes comme on ne pourrait plus en voir aujourd’hui, à l’heure de la surmédiatisation instantanée.
Ainsi, Sabonis se rompra le tendon d’Achille en 1987, juste après avoir remporté son troisième titre consécutif de champion national. Comme Yao Ming ou Kristaps Porzingis – pour ne citer qu’eux – le lituanien subira les conséquences physiques de son corps surdimensionné. Ledit tendon lâchera une seconde fois, au cours de la rééducation, suite à une chute dans un escalier. La situation devient alors urgente : les Jeux Olympiques 1988 approchaient à grand pas, et constituaient l’objectif ultime de l’URSS.
La Guerre Froide faisait alors rage, et Sabonis était objet de toutes les rumeurs, fantasmes et autres propagandes. Les autorités l’autorisèrent à rejoindre Portland pour soigner sa blessure, ce qui fit jaser des deux côtés de l’Atlantique.
D’un côté, le défunt John Thompson, historique coach de Georgetown, estimait qu’il ne revenait pas aux américains de remettre sur pied – et c’est le cas de le dire – le meilleur joueur du rival soviétique. Pire : aux Etats-Unis, la rumeur veut que ce soit le KGB qui ait orchestré la rupture du tendon du pivot lituanien, pour éviter qu’il exporte son talent dans une université américaine. Pour couronner le tout, le bruit insidieux selon lequel Sabonis s’est donné la mort parvient jusqu’aux oreilles du pays communiste.
Ce n’est bien évidemment pas le cas, et le joueur se présentera aux Jeux Olympiques de Séoul avec l’équipe de l’URSS. Cependant, on ne verra plus jamais le bondissant intérieur qui martyrisait les pivots adverses. Il est d’ailleurs conscient de ses nouvelles limites physiques, qu’il parviendra à synthétiser avec humour :
“Je ne suis plus une locomotive, je suis plutôt un petit chariot maintenant”.
Il réalisera une dernière saison sous le maillot du Zalgiris Kaunas, et roulera encore et toujours sur ses adversaires (24,7 points par soir). Après une défaite en demi-finale de la coupe des Coupes face au Caserte d’Oscar Schmidt, il s’envolera loin de l’URSS, pour rejoindre le club de Valladolid. Une destination qui, à bien des égards, paraît étonnante.
Sabonis et l’Espagne : petit chariot redevint bulldozer
Valladolid, l’entrée par la petite porte
Le Forum Valladolid est alors un club de seconde zone espagnole, qui vient de terminer la saison 1988-89 à la 17è place de son championnat. On pourrait alors croire que le choix du pivot fût guidé par des intérêts pécuniers. Il n’en est rien : il semblerait que Sabonis percevait alors 800.000 dollars par an, salaire alors minime dans le championnat espagnol.
S’il a quitté la Lituanie avec une côte énorme pour un sportif, pour les évidentes raisons contestataires que nous avons brièvement évoquées, Arvydas ne mettra pas longtemps pour acquérir une belle popularité dans le nord-ouest de l’Espagne.
Il passera 3 saisons à Valladolid, mais il ne lui en faudra pas une pour conquérir le cœur des supporters. La raison est enfantine : avec le lituanien dans ses rangs, le club changera de dimension, allant jusqu’à jouer des compétitions européennes. Il faut dire que le pivot s’est bien vite adapté à ce nouveau championnat. Exit le rythme affolant de ses premières années : bienvenu dans l’ère du jeu au poste bas.
Sans grande surprise, vu son bagage technique très supérieur à la moyenne, il parviendra sans mal à s’imposer dans les raquettes espagnoles, et même en dehors, lui qui, avant l’heure, dégainait avec aisance derrière l’arc : 2 tentatives par soir avec 40,9 % de réussite !
De fait, à l’issue de sa première saison, Valladolid termina à la 6è place du championnat avant de s’incliner en quart de finale des playoffs. La progression collective est notable, et son explication parle lituanien : 23,3 points (50,5 % au tir), 13,5 rebonds, 2 passes décisives, 1 interception, 3,6 contres.
La seconde saison sera plus décevante du pur point de vue individuel. Néanmoins, lors des matchs à enjeu, c’est sous son meilleur visage que Sabonis apparaissait. Le FC Barcelone aurait bien du mal à affirmer le contraire. Le club Catalan batailla pour éliminer Valladolid au stade des quarts de finale (2-1) ; la faute à un bulldozer dans la raquette vallisotélaine : 31 points, 13 rebonds de moyenne sur les 3 rencontres.
Il passera une dernière saison dans le nord-ouest du pays, pour l’exercice 1991-92. Puisque Valladolid avait terminé la saison précédente à la 4è place du championnat, le club a gagné le droit de disputer la coupe Korac, où il ira jusqu’en demi-finale, défait par le Virtus de Rome. En championnat, pour la troisième saison consécutive, Sabonis et les siens s’inclinèrent en quart de finale des playoffs, malgré les statistiques rocambolesques du pivot : 24,6 points et 15,6 rebonds de moyenne.
Après avoir placé Valladolid sur la carte des clubs qui comptent en Espagne, le lituanien cédera aux sirènes de l’une des meilleures équipes du continent : le Real Madrid.
A Madrid, le taureau prend le pouvoir
Il a alors 28 ans. Depuis deux saisons désormais, les européens s’exportent massivement en NBA (Marciulionis, Petrovic, Divac …). Pourtant, celui qui a été drafté depuis désormais 5 années ne réalisa pas encore le grand saut. On le sait, il rejoindra le pays de l’Oncle Sam trois années plus tard, trop tardivement pour laisser une empreinte définitive dans la plus Grande Ligue du monde. Il mis toutefois à profit ces trois saisons pour marquer l’Europe de manière indélébile.
Le passage de Sabonis à Madrid sera celui d’un ogre insatiable.
Le Real n’avait alors plus gagné la plus belle des Coupes européenne depuis 1980. Sur la scène nationale, le club de la capitale est fanny depuis 6 années, laissant le devant de la scène au rival barcelonais (quatre titres consécutifs entre 1987 et 1990). Tout cela va changer dès l’année 1 du projet “Madrid x Lituanie“. Et les changements seront à la hauteurs de l’homme de Kaunas : démesurés.
Le pivot est alors la première option offensive du club, avec Ricky Brown, éphémère joueur NBA au cours de la première moitié des années 1980, et qui formait avec Sabonis une raquette impressionnante, et trop dominante pour les équipes du vieux continent.
De surcroît, jamais “petit chariot” n’avait été aussi adroit : avec 56,2 % de réussite au tir, dont 48,8 % à trois-points, il est immédiatement le meilleur joueur de la Maison Blanche. Il en est d’ailleurs le meilleur scoreur, rebondeur et contreur (meilleur contreur de la Ligue). Le joueur surdominant physiquement n’est certes plus, mais il a remplacé ses facultés de golgoth des raquettes par celles de cerveau du jeu.
Alors qu’il venait juste d’être nommé dans le top 50 des meilleurs joueurs de l’Histoire de la FIBA, il participe au sacre madrilène sur le territoire national, venant à bout de la Joventut de Badalone en finale (3-2). Il remporte d’ailleurs le titre de MVP de ces finales : 22 points, 10 rebonds, 3 passes décisives, 2 interceptions et 1 contre de moyenne. Il fût notamment déterminant lors de la 5è et dernière rencontre, en claquant 34 points pour assurer la première victoire des blancs sur la scène espagnole depuis 1986.
C’est alors George Karl, entraîneur de Madrid en 1991-92, qui parle le mieux de la saison gargantuesque du Lituanien :
“Sabonis était le meilleur joueur européen. C’était l’adversaire le plus redoutable du continent. J’ai dit à tous les scouts NBA de venir en Europe pour voir jouer Toni Kukoc et Arvydas Sabonis en même temps. Je leur ai assuré que Kukoc était bon. C’est un joueur NBA. Mais le meilleur gars, si vous voulez gagner, c’est Sabonis”.
Pourtant, la première saison madrilène de l’enfant de Kaunas n’était pas parfaite.
En effet, Madrid s’est fait éliminer en demi-finale de l’Euroleague par Limoges (62-52). Face au collectif limougeaud, le Real a craqué collectivement. Un seul joueur dépasse d’ailleurs la barre des 10 points inscrits, son franchise player balte, qui affiche 19 points à 6/10 aux tirs. Cette défaite surprise fait office de camouflet.
Or, on le sait, il n’est pas bon d’énerver les superstars. Et si Madrid échouera face à Badalone en quart de finale sur la scène européenne, il remportera son second titre national consécutif. Son pivot, lui, sera nommé MVP de la saison et MVP des finales remportées face à Barcelone (3-0). Il faut dire qu’il a littéralement fait de la mousseline avec les intérieurs catalans : 21,5 points, 16,8 rebonds, 3,3 contres par soir. A cet égard, il est le premier joueur à remporter deux fois le titre de MVP des finales du championnat espagnol. Il sera d’ailleurs le seul jusqu’à ce que Juan Carlos Navarro le rejoigne (2009, 2011).
Nous sommes alors en 1994. De l’autre côté du globe, les Rockets d’Hakeem Olajuwon viennent de remporter le premier titre de leur Histoire. En Lituanie, le Zalgiris Kaunas domine le championnat national sans partage. Et en Espagne, le Real Madrid s’apprête à rouler sur l’ensemble de la concurrence.
Les chiffres, d’abord : 22,9 points, 13,2 rebonds, 2,5 passes décisives, 1,6 interception et 2,6 contres. Peu importe le pays dans lequel vous jouez, ces statistiques vous propulsent immédiatement en tant que favori pour le trophée de MVP. A l’occasion, le rouleau compresseur balte devient meilleur rebondeur de la saison espagnole pour la troisième fois de sa carrière, ce qui constitue un record pour l’époque.
Mais trêve d’analyse individuelle ! Collectivement, Madrid va redevenir le grand d’Europe qu’il était entre 1965 et 1980. Second de son groupe, derrière le Panathinaikos (9 victoires, 5 défaites), les madrilènes viendront à bout du Cibona Zagreb en quart de finale (2-0), avant de prendre une revanche sèche face à Limoges (62-49) et de terrasser l’Olympiakos en finale (73-61). C’est le huitième sacre du Real dans la plus belles des compétitions européennes, et celle-ci porte plus que jamais la marque d’Arvydas Sabonis, qui sera élu MVP de la saison d’Euroleague, mais également MVP du Final Four. Et si, sur la scène espagnole, Madrid sera éliminé en demi-finale de playoffs, c’est à nouveau le géant Kaunassien qui fût nommé meilleur joueur de la saison.
A l’heure de retourner à Portland – cette fois-ci pour jouer au basket, et non pas pour se faire soigner – Sabonis est au sommet de son immense carrière. L’Europe est à ses pieds, et il s’en est fallu de très peu pour qu’il remporte, en plus de cela, le championnat d’Europe disputé à l’été 1995 à Athènes.
On ne le reverra plus jamais sous le maillot madrilène. Il fait indéniablement partie des joueurs emblématiques d’un club qui ne l’est d’ailleurs pas moins. Son départ pour le continent américain n’est cependant pas un adieu au basket européen. Il reviendra, bien des années plus tard, là où tout avait commencé.
Sabonis et Zalgiris : Guess who’s back ?
Nous mentionnerons sa toute petite pige de la saison 2001-02 que dans un souci d’exhaustivité. En effet, après 6 années dans le nord-ouest des USA, Sabonis décida de mettre sa carrière en parenthèse pour privilégier sa vie familiale. Il ne tiendra promesse qu’à moitié, et termina la saison européenne sous le maillot vert et blanc de Kaunas.
40 ans, toujours précieux
Il reviendra définitivement dans la ville qui l’a vu grandir en août 2003, alors âgé de 39 ans. Ses problèmes de santé, notamment aux pieds, font de lui un joueur à mobilité ultra-réduite. Il est bien loin, le Sabonis galopant de cercle en cercle au début des années 1980. Il est d’ailleurs presque tout aussi loin le pivot qui dominait l’ensemble de l’Europe au milieu des nineties. Place désormais à un vieux joueur presque bedonnant. L’on pourrait croire qu’avec cette 23è saison professionnelle (à titre de comparaison à trois francs six ronds, en NBA, le record est détenu par Vince Carter : 22 saisons professionnelles) le pivot s’offre une tournée d’adieu.
Sauf que le croire serait méconnaître totalement le gaillard.
On le retrouve dans son jardin favori : l’Euroleague. Le Zalgiris Kaunas parvient effectivement à s’extirper de la phase de poule, en terminant à la 6è et dernière position qualificative de son groupe B (6 victoires, 8 défaites), avant d’échouer au stade du top 16 (3 victoires, 3 défaites). Sur l’ensemble des 20 rencontres disputées, il est le second meilleur rebondeur et contreur, et trône à la première place du classement de l’évaluation.
Sous ses aspects de pré-retraité, Arvydas Sabonis n’a finalement rien perdu de sa science du jeu. Il a simplement mué ; il n’est plus capable de galoper comme à ses 18 ans ? Il se contente de poster le pivot adverse. Le jeune intérieur d’en face est trop athlétique dans la raquette ? Il s’écarte et fait filoche de loin.
C’est ainsi qu’à 40 ans et après avoir écumé les parquets européens et américains en long, large et diagonale, il sera nommé MVP de la saison régulière et du top 16 de l’Euroleague 2003-04. Je répète : à 40 ans.
Une rencontre – pourtant perdue – illustre à merveille ce que savait encore faire Sabonis balle en main.
Pour la 6è et dernière rencontre du top 16, Kaunas affrontait le Maccabi Tel Aviv, futur vainqueur de la compétition. Sur le terrain, le talent parlait lituanien. Côté israélien, Sarunas Jasikevicius donnera le tournis à l’ensemble du backcourt du Zalgiris, en scorant 37 points à 11/19 aux tirs.
De l’autre côté, en 30 minutes de jeu, Sabonis fît la totale à Nikola Vujcic, pourtant de 14 ans son cadet : si, sur le papier, la prestation du pivot croate est loin d’être ridicule (19pts à 100% à 2pts), Vujcic passa une soirée calamiteuse dans sa propre moitié de terrain. Sous le cercle, le vieil Arvydas fît honneur aux fondamentaux tant loués, il y a longtemps déjà, par Bobby Knight, pour terminer avec 29 points, 9 rebonds, 3 passes décisives et 1 contre.
The end
Il prendra définitivement sa retraite sportive en 2005. Il a depuis été nommé au FIBA Hall-of-fame et reçu le même honneur au Mémorial de Naismith en 2011, dans une cuvée qui sacra également Dennis Rodman ou Chris Mullin.
Outre-Atlantique, l’image populaire d’Arvydas Sabonis est biaisée. La faute aux tensions politiques et à une arrivée en NBA à l’âge de 31 ans. Pourtant en Europe, le colosse lituanien est encore aujourd’hui considéré comme l’un des papes du basketball. Sa technique et sa science du jeu font de lui un OVNI dans le paysage de la balle orange, dans un style que Nikola Jokic tente de faire actuellement sien.
Nous l’avons mentionné : dans un pays en proie à un climat social, économique et politique extrêmement compliqué, le sport reste le meilleur exutoire. A ce petit jeu, les Lituaniens avaient Algirdas Socikas. Mais l’envahisseur soviétique fût mis à terre, balayé et humilié dans les salles de basket. Le Zalgiris Kaunas restera le meilleur symbole de lutte de la seconde moitié du 20è siècle. Arvydas Sabonis, lui, en était le premier maillon. C’est dire si son impact culturel, politique et populaire était autrement plus grand que son impact sportif.
L’exploit est de taille. Au moins 2m20.
Les précédents épisodes et portraits du Magnéto :
- Cinq majeur #1 : Penny Hardaway (1994/95), Manu Ginobili (2007/08), Terry Cummings (1988/89), Jerry Lucas (1964/65), Nate Thurmond (1974/75),
- Cinq majeur #2 : Jason Kidd (1998/99), Tracy McGrady (2004/05), Rick Barry (1966/67), Elvin Hayes (1979/80), Neil Johnston (1952/53),
- Cinq majeur #3 : Isiah Thomas (1989/90), David Thompson (1977/78), Paul Arizin (1951/52), Tom Gugliotta (1996/97), Yao Ming (2008/09),
- Cinq majeur #4 : Baron Davis (2006/07), Bill Sharman (1958/59), Chet Walker (1963/64), Gus Johnson (1970/71), Jack Sikma (1982/83),
- Cinq majeur #5 : Tiny Archibald (1972/73), Dick Van Arsdale (1968/69), Bernard King (1983/84), Jermaine O’Neal (2003/04), Larry Foust (1954/55),
- Cinq majeur #6 : Fat Lever (1986/87), Richie Guerin (1961/62), Grant Hill (1999/00), Dan Issel (1971/72), Ben Wallace (2002/03),
- Cinq majeur #7 : Lenny Wilkens (1965/66) (Lenny Wilkens, bonus : le coach), Calvin Murphy (1975/76), Peja Stojakovic (2001/02), Shawn Kemp (1991/92), Arvydas Sabonis (1995/96),