Depuis 1946 et la création de la National Basketball Association, quelque cinq mille joueurs ont foulé les parquets de la Grande Ligue. Certains d’entre eux ont laissé une empreinte indélébile qui ne sera jamais oubliée. D’autres sont restés bien plus anonymes. Entre les deux ? Des centaines de joueurs, qui ont tour à tour affiché un niveau de jeu exceptionnel, mais dont on oublie bien souvent la carrière.
Dès lors, @BenjaminForant et @Schoepfer68 ont décidé de dresser – littéralement – le portrait de certains de ces acteurs méconnus ou sous-estimés. Au total, ce sont 60 articles qui vous seront proposés : un par année, entre les saisons 1950 – 1951 et 2009 – 2010. Pour chaque saison, un joueur a été sélectionné comme étendard, parfois en raison d’une saison particulièrement réussie, d’une rencontre extraordinaire ou encore d’une action historique …
Chaque portrait s’inscrira dans une volonté, celle de traverser l’Histoire de la NBA de manière cohérente. Ainsi, ces portraits (hebdomadaires) seront publiés dans un ordre précis : un meneur, un arrière, un ailier, un ailier-fort, un pivot. Au bout de cinq semaines, c’est donc un cinq majeur qui sera constitué. Les plus matheux d’entre vous l’aurons compris : au final, ce seront douze équipes, toutes composées de joueurs ayant évolué au cours de décennies distinctes, qui auront été composées.
A vous de déterminer lequel de ces cinq majeurs sera le plus fort, le plus complémentaire, le plus dynastique.
Vous trouverez en fin d’article les liens vous permettant de (re)consulter les articles précédents.
La jaquette
Pour chaque article, @t7gfx vous proposera ses créations. Vous y retrouverez une illustration du joueur présenté (en tête d’article) ainsi qu’une présentation de chaque cinq majeur projeté (chacun avec une identité visuelle propre).
Le synopsis
Drôle de personnage que celui de Chuck Person. En tant que joueur, l’ailier identifié à la franchise des Pacers d’Indiana correspond largement – selon nous – à l’esprit que nous tentons d’insuffler au Magnéto. En effet, s’il était bien évidemment moins dominant – pouvons-nous véritablement dire qu’il l’était ? – que George Gervin, qui fît l’objet de notre dernier épisode, Person était un joueur sur lequel il fallait compter ; il n’était jamais le dernier à scorer sa vingtaine de points, ni à se sublimer lorsque le printemps arrivait.
Et pourtant, dans l’hypothèse même où son nom ne vous dit rien, vous avez forcément – si vous êtes un suiveur / une suiveuse relativement assidu(e) de la Grande Ligue – entendu une anecdote à son sujet. Vous vous en doutez, nous en reparlerons ci-dessous. En guise d’amuse-bouche, notons simplement que Person – qui portait mal son nom, décidément – fait l’objet du présent portrait aussi bien pour ses performances sportives que pour sa personnalité peu commune.
Né le 27 juin 1964 à Brantley (Alabama), l’ancien numéro 45 – les plus taquins diraient que c’est le meilleur numéro 45 de l’Histoire – était un ailier scoreur et un shooteur de qualité. Son physique (2m03 et 100 kilos) lui permettait d’avaler ses 6 rebonds par soir. Sa défense, elle, était au niveau de ses capacités offensives. The Riffleman, puisque c’est comme cela qu’il était surnommé, était donc un ailier complet qui ne ferait pas tâche dans notre NBA actuelle.
Avant de poursuivre, il est impératif de braquer les projecteur sur ses compétences extraordinaires de trashtalker. Chuck Person avait une grande gueule et l’amabilité de le faire savoir à tout le monde. Dans une NBA moins aseptisée qu’aujourd’hui, il reste dans les mémoires pour ses joutes verbales avec le non-moins verbeux Larry Bird.
Paniers et phrases bien senties ; voici le menu que nous nous proposons de vous servir pour ce 48è épisode du Magnéto !
Action !
Chuck Person a fait ses gammes au lycée de sa ville natale, avant d’intégrer l’université d’Auburn en 1982, au sein de laquelle il côtoya notamment Charles Barkley. C’est avec l’ailier dans ses rangs que la faculté disputa les premiers tournois NCAA de son histoire (trois consécutifs, entre 1984 et 1986, élimination en elite eight en 1986). Il contribua à garnir l’armoire à trophées de l’université, en terminant MVP du tournoi SEC en 1985, remporté 53 – 49 après prolongation face à Alabama.
Après avoir été nommé dans deux équipes all-american et être devenu le meilleur scoreur de l’Histoire des Tigers d’Auburn (2 311 points), Person s’est inscrit à la draft 1986, où il fût sélectionné en 4è position. Il est d’ailleurs le seul du top 4 à réaliser une carrière complète en NBA ; Brad Daugherty (#1, Cleveland) fût en effet contraint de renoncer au sport professionnel en raison de trop nombreuses blessures. Len Bias (#2, Boston) décéda d’une overdose de cocaïne le lendemain de la draft tandis que Chris Washburn (#3, Golden State) termina pivot remplaçant … en prison.
Person intègre une bien piètre équipe d’Indiana, qui venait de terminer la saison précédente avec l’avant dernier bilan de la Ligue avec 26 petites victoires. Il ne tardera d’ailleurs pas à s’imposer en tant que titulaire de l’équipe, prenant la place du pauvre Clark Kellog, dont la 4è rencontre de la saison 1986 – 1987 fût également la dernière de sa carrière. Dans ces circonstances, The Riffleman prit, au pied levé, la place du Special K. Avec une certaine forme de régularité dans la performance : sur les 82 rencontres disputées (36 minutes par soir), il inscrivit au moins 10 points à 78 reprises, et goba au moins 5 rebonds en 71 occurrences.
Fort logiquement, certaines performances, dignes du rookie de l’année qu’il allait être, sont à mettre en exergue. La plus belle ? Peut-être celle réalisée au Madison Square Garden le 20 décembre 1986, dans une victoire (+ 24) : 34 points, 12 rebonds, 10 passes décisives et 1 interception, à 16 / 24 au tir et en 45 minutes. Un triple-double avec 34 points en année 1, c’est suffisamment rare pour être mis en avant ; ils ne sont que 8 à l’avoir réalisé. Hormis Chuck Person et Luka Doncic, il n’y a que des hall-of-famer en puissance : Elgin Baylor, Stephen Curry, Michael Jordan, Jason Kidd, Oscar Robertson et Jerry West.
Mentionnons également ses 42 points et 9 rebonds contre Phoenix en février 1987.
A l’issue de ce premier exercice, Person fût le meilleur scoreur de son équipe qui retrouva les playoffs pour la seconde fois depuis l’arrivée de la franchise en NBA en 1976 (élimination au premier tour en 1981). En effet, avec l’arrivée déterminante de l’ailier dans le roster, Indiana remporta 17 victoires de plus que la saison précédente (bilan de 41 – 41), ce qui lui permit d’accrocher la 7è place de la conférence Est. Après avoir très largement remporté le titre de meilleur débutant (68 points, soit 58 de plus de Ron Harper, second), l’homme fusil découvrit les playoffs dans une série disputée face aux Hawks de Dominique Wilkins.
Et si Indiana s’inclina en 4 rencontres (3 – 1), l’élimination fût pleine de promesses, comme le disent les commentateurs des mondiaux d’athlétisme sur France Télévision au sujet des français(es). Dans un effectif relativement jeune (seulement 2 trentenaires), qui allait être renforcé par l’arrivée d’un Reggie Miller tout juste drafté, Chuck Person creva l’écran. Pas impressionné pour un sou par l’adversité d’un des meilleurs ailiers de l’époque, le numéro 45 termina la série par deux rencontres de très haut vol :
- game 3 : 23 points, 17 rebonds, 7 passes décisives, dans une victoire (+ 9) ;
- game 4 : 40 points, 7 rebonds, 6 passes décisives, dans une défaite (- 4). Nous ne retrouvons trace que de 6 rookies qui ont scoré 40 points dans une rencontre de playoffs : Kareem Abdul-Jabbar (46 points), Wilt Chamberlain (42, 50 et 53 points), Magic Johnson (42 points), Slick Leonard (42 points) et George Mikan (42 points) sont les autres membres de ce club.
Au final, sur 4 rencontres, le rookie affiche 27 points, 8,3 rebonds et 5 passes décisives (39,8 minutes, 51,4 % au tir). De quoi alimenter – vous l’imaginez – ses inénarrables égo et grande bouche.
Et pourtant, la suite immédiate de sa carrière sera un véritable désert collectif. Indiana, malgré les promesses affichées en 1987 et la draft de Reggie Miller, va terminer la décennie dans les bas-fonds de sa conférence. Chuck Person, en dépit des défaites qui s’empilent, réalise très exactement ce pourquoi on se souvient de lui : il marque des points et harangue foules et adversaires. The Mouth that score ; voilà le second surnom qu’on commence à lui affilier. En VF dans le texte, cela signifie littéralement la bouche qui score. Tout est dit.
Nous passerons rapidement sur la saison sophomore, pour nous intéresser plus largement sur son troisième exercice qui semble être, a posteriori, le meilleur de sa carrière. Nous sommes alors en 1988 – 1989 ; les Pacers possèdent en leur sein tous les joueurs (ou presque) qui les feront briller au cours des ninetees : Vern Fleming, Reggie Miller, Chuck Person et Rik Smits. Et pourtant, encore trop verte, la franchise ne remportera que 28 rencontres cette saison-ci. La faute à une défense catastrophique (23è / 25 au defensive rating, que l’attaque, tout juste moyenne, ne parvenait clairement pas à compenser (16è à l’offensive rating).
C’est la preuve que Chuck Person, bien qu’excellent, ne possédait ni les épaules, ni le leadership, ni le talent pour être un franchise player. Lorsqu’il était la première option de son équipe, celle-ci ne parvenait pas à accrocher le wagons des playoffables. Or, en 1988 – 1989, il est de très loin la première option de son équipe : 18,2 tirs / soir, là où Miller, Tisdale, Flemming et Williams étaient les seuls à prendre plus de 10 tirs par soir (entre 10,7 et 11,8). Les tirs étaient rentabilisés, d’ailleurs ; si le début de saison était moyennasse à la vue de ses standards, sa montée en puissance fût inexorable. Avec, au final, un career high réalisé le 31 janvier 1989, toujours au Madison Square Garden : 47 points (18 / 30 au tir), dans une défaite (- 9).
Cette année-ci, il dépassa la barre symbolique des 40 points à trois reprises. Avec 37,7 minutes de temps de jeu de moyenne, il atteint – assez largement d’ailleurs – les 20 points de moyenne pour la seule et unique fois de sa carrière longue de 13 saisons : 21,6 points par soir. Notons, à cet égard, que The Riffleman utilise abondamment (pour l’époque) le tir à trois-points, qui était alors loin d’être démocratisé. Michael Adams est ainsi celui qui, avec 466 tentatives, a dégainé le plus derrière l’arc dans la saison ; Person se retrouve en 16è position, avec 205 tentatives (un peu plus de 30% de réussite).
Il ne sera ni All-star, ni présent dans une All-NBA Team à l’issue de la saison. Il ne le sera d’ailleurs jamais. Avec un autre bilan collectif, il aurait pourtant pu prétendre à une sélection au match des étoiles cette année-ci. Par exemple, le chasseur présente la même ligne statistique, à peu de chose près, que Terry Cummings (honoré par la seconde sélection de sa carrière) mais dont le bilan au sein d’une belle équipe des Bucks est incomparable avec celui des Pacers.
Avec la nouvelle décennie, Indiana retrouve ses ambitions collective. Et pour cause ; de franchise player, Chuck Person devint lieutenant d’un Reggie Miller passé en mode superstar. Dans le profil, Person ressemble alors à un Khris Middleton version 2019 – 2020 : scoring approchant les 20 points, défense agressive et une précision au tir (certes moindre que celle de l’actuel daim) qui l’empêche d’avoir trop de tirs ouverts : 19,7 points à 48,7 % au tir, dont 37,2 derrière l’arc. Le tout pour une 42 victoires et une 8è place à l’Est, qui aboutit sur un sweep au premier tour face aux Pistons, futurs champion NBA.
Pour l’heure – cela ne vous aura pas échappé -, nous avons uniquement mis l’accent sur l’aspect scoring de Chuck Person, aux dépens de sa facette trashtalking. Pourtant, jouer Indiana au début des années 1990, c’est l’assurance d’entendre Person et Miller vous murmurer à l’oreille. En cela, la saison 1990 – 1991 du Riffleman est un exemple topique.
L’oscar de la saison 1990 – 1991
A l’aube de cette nouvelle saison, l’effectif dirigé par Dick Versace (brièvement, puis par Bob Hill) est prometteur : Vern Fleming, Reggie Miller, Chuck Person, Detlef Schrempf, LaSalle Thompson ou encore Rik Smits. Dans une conférence Est certes plus relevée que celle que nous connaissons actuellement (bien que la saison 2020 – 2021 peut, sur le papier, faire mentir cette affirmation), les Pacers semblent posséder les armes pour retourner en playoffs. Concrètement, sur le terrain, le scoring se concentre de manière assez homogène entre Miller, définitivement devenu le leader technique et vocal de l’équipe, Person et Schrempf ; l’allemand tient alors un rôle qui lui sied comme un gant, à savoir celui de 6è homme de l’équipe. D’ailleurs, il s’apprêtait à remporter deux fois consécutivement le trophée de meilleur 6è homme de la Ligue (1991 et 1992).
Moins responsabilisé qu’en début de carrière, Person reprend donc son rôle de premier lieutenant. En effet, il présente, lors de cette cinquième saison, son plus faible temps de jeu moyen depuis sa draft (32,1 minutes / soir, contre minimum 35,2 jusqu’alors). Il en va de même, logiquement, pour le nombre de tirs pris par rencontre : 15,4, minimum 15,8 jusqu’alors. Et pourtant, si on se prête au jeu biaisé de la comparaison des statistiques sur 36 minutes, l’exercice 1990 – 1991 est le meilleur de sa carrière.
La raison est simple ; s’il est moins précis à trois-points que quelques années auparavant (34 %, pour 3 tentatives de moyenne), jamais il n’a aussi bien tiré : 50,4 % de réussite. Une moyenne qui le place à la 41è position des joueurs les plus précis de la saison, classement qui fait la part belle aux intérieurs. Et pourtant, l’ailier mit du temps à régler la mire en ce début de saison : 2 / 10 au tir dans l’opening night (victoire + 19 contre les Nets), 2 / 9 contre le Heat lors de la 5è rencontre (défaite – 15) puis 4 / 16 contre le Magic peu de temps après (défaite – 7).
La bouche se met véritablement en marche à compter du 21 novembre, enchaînant plusieurs performances à plus de 30 points avec une adresse enfin digne d’elle. A l’heure de célébrer Noël 1990, Person présente 20 points, 5,6 rebonds et 3 passes décisives de moyenne, à 50 % au tir (35,2 % de loin). C’est d’ailleurs à l’occasion d’une rencontre disputée le 26 décembre 1990, face aux Celtics, que s’est déroulée une scène qui marqua l’Histoire de la Grande Ligue.
Fidèle à lui-même, Person énonça dans les médias avant la rencontre qu’il partait à la chasse à l’oiseau. Une phrase anodine aux premiers abords, mais qui était loin de l’être en vérité. En effet, dans les rangs des Celtics, la superstar s’appelle Bird : l’oiseau, en français dans le texte. Il faut dire que les deux hommes ont déjà un passif commun. C’est en effet le légendaire numéro 33 des verts qui s’est occupé du bizutage du Pacers :
“Je ne sais pas s’il s’en souvient, mais mon premier match contre lui était à Terre Haute. Il m’a pris à part et m’a dit “Écoute, si tu veux joueur au basket, il faut jouer dur tous les soirs, sinon tu ne feras ridiculiser. Surtout par moi”. Sur ma première action, il a reculé d’un grand mètre avant de me dire “vas-y le rookie, tire !”. Je crois bien qu’il a terminé notre premier duel avec 40 points, 20 rebonds et 15 passes.
Et si, en réalité, Bird s’est contenté de 38 points, 11 rebonds et 8 passes décisives, on comprend que le futur co-capitaine de la Dream Team a joué le rôle de mentor d’un Chuck Person encore bien tendre. Manifestement, cinq années plus tard, ce dernier avait bien plus confiance en ses capacités pour verrouiller un Larry Bird vieillissant. Celui-ci, bien évidemment mis au courant du plan de chasse de son vis-à-vis du soir, se rendit dans le vestiaire des Pacers pour énoncer à Person qu’il avait un cadeau à lui offrir.
Sur le parquet, après un début de rencontre où les défenses étaient manifestement absentes, les Celtics vont surdominer leurs adversaires. Et s’il n’attendait pas forcément de mener largement pour trashtalker, c’est le moment que choisit Larry Bird pour ajouter une pierre à sa légende. Après avoir reçu une balle dans le corner situé juste devant le banc des Pacers, l’oiseau dégaine. Avant même que la balle ne fasse ficelle, il se retourna vers Chuck Person, assit sur ledit banc. Il le toisa de haut, avant de lui lancer son désormais célèbre :
“Merry Fucking Christmas, Chuck !”.
Ce soir, un oiseau a tué un chasseur ; c’était un oiseau qui n’avait certes plus de dos, mais qui avait un shoot. 1 – 0 pour Bird, balle au centre. Les deux hommes n’allaient plus se lâcher, mais il faudra patienter quelques mois pour qu’ils s’adonnent à nouveau à leurs joutes verbales.
A l’heure de célébrer l’année 1991, Indiana n’a remporté que 11 de ses 29 rencontres. Comme ce serait le cas avec un diesel toussotant, Reggie Miller et consorts vont passer la vitesse supérieure. Il faut dire que sur le banc, Versace a laissé sa place à Bob Hill, dont les préceptes semblent porter leurs fruits. Une chance, cependant, que la course aux playoffs ne soit pas d’ores et déjà hors de portée ; en effet, les Sixers, Hawks, Pacers, Knicks et Cavaliers se battent pour arracher les derniers strapontins.
Chuck Person, lui, réalisa une seconde partie de saison à l’image de la première. Certes, il tire légèrement moins et moins bien. Il joue cependant à la perfection le rôle de side-kick de Reggie Miller. S’il n’atteindra pas les sommets des années précédentes, on le retrouve finalement à 38 reprises au-dessus de la barre des 20 points. Les présences de Schrempf et du duo Thompson / Smits dans la raquette contribuent à diminuer ses performances au rebond, lui qui s’était affirmé en début de carrière comme un excellent ailier rebondeur (8,3 la première année, pour rappel).
Avec 18,4 points, 5,2 rebonds et 3 passes décisives en 32,1 minutes, Person conclut sa cinquième saison dans la Ligue la plus compétitive du monde. Avec leur 7è place, les Pacers s’offrent le luxe d’un premier tour de playoffs face aux Celtics. L’heure des retrouvailles entre les deux ailiers les plus bavards a sonné.
Elle n’accouchera pas d’une souris. Certes, les deux bonhommes n’ont pas offert de tirades mémorables. Mais qu’importe ; ils étaient basketteurs, pas dialoguistes. Or, sur le terrain, la série fût extrêmement serrée et haletante. C’est d’ailleurs le plus célèbre des oiseaux qui en parle le mieux :
“Indiana marquait beaucoup de points, dans un style run & gun. Ils appelaient un pick haut et mettaient soit Chuck soit Reggie dans un corner. Micheal Williams prenait le pick et les servait dans le corner. Et ils scoraient. Ils ont failli nous battre avec cette seule tactique, c’était tellement dur à défendre !”.
En effet, Indiana va pousser la franchise du Massachusetts dans ses derniers retranchements, dans le sillage de son duo de snipers. Parce qu’effectivement, c’est bel et bien en tireur de précision que The Riffleman s’est mué dans cette série disputée en 5 rencontres (3 – 2). Voyez plutôt : 26 points, 5,6 rebonds, 3,2 passes décisives, à 53,3 % au tir, dont 54,8 % à trois-points (6,2 tentatives / soir) et 81 % aux lancers ! Sur cette série, n’est pas fou celui qui vous soutiendra que le franchise player des Pacers portait le numéro 45.
Et pourtant, malgré trois performances à plus de 30 points, le game 3 peut laisser énormément de regrets à la toute la fanbase de l’Indiana. Remportée 112 – 105 par les Celtics, la rencontre est marquée par l’unique contre-performance de Chuck Person : 6 points à 2 / 8 au tir. La différence statistique est saisissante par rapport à la rencontre précédente (130 – 118 pour les Pacers) : the Riffleman y avait pris 24 tirs (16 convertis), pour 39 points inscrits.
La dernière rencontre, disputée au Boston Garden, symbolise à merveille le face-à-face auquel Bird et Person se sont adonnés. L’Indanien de naissance, drapé d’un maillot vert et blanc, termina la rencontre avec 32 points, 9 rebonds et 7 passes décisives, à 63 % au tir. Mais surtout avec la victoire et la qualification (+ 3). En face, l’Alabamien répondit avec 32 points, 4 rebonds et 4 passes décisives à 50 % au tir.
2 – 0 pour Bird. Cependant, les tirs du chasseur qui s’était lancé à sa poursuite lui ont frôlé les ailes. S’ils avaient fait mouche, nul doute que Chuck Person n’aurait pas manqué de le souligner par le truchement de quelques phrases bien senties.
Le générique de fin
La pige Indanienne de Person touchait à sa fin. Avec un effectif absolument inchangé, il aurait pourtant été étonnant de voir les Pacers devenir une tête de gondole de leur conférence. De surprise, il n’y en aura d’ailleurs pas.
Le scoring, toujours partagé de manière équitable entre plusieurs joueurs, reste la force principale des hommes dirigés par Bob Hill. Avec le 6è offensive rating, Indiana ne surjoue pas : ça galope (5è PACE de la Ligue) et ça dégaine de loin (940 tentatives, 4è équipe au total). Cependant, à l’instar de nombreuses équipes du genre (citons, par exemple, les Spurs de George Gervin ou les Nuggets de Fat Lever et Alex English, même si ces deux équipes avaient poussé le paradigme de manière jusqu’au-boutiste), la défense était largement insuffisante pour que l’équipe soit réellement dangereuse.
En cette saison 1991 – 1992, Person fût davantage responsabilisé à la création. Pourtant, l’usage rate qu’il affiche est le plus faible de sa carrière (22,8 %). Ses moyennes au rebond et au scoring restent absolument identiques ; à l’inverse, celle à la passe décisive augmente sensiblement : de 3 à 4,7 par soir, de 14,7 à 19,6 d’assist %. Ce qui fait de l’ailier le second créateur de l’équipe derrière Micheal Williams, meneur qui présente la 8è moyenne de passe décisive de la Ligue (8,2 / match).
La formule ne changera cependant rien sur les résultats de l’équipe, qui termine la saison régulière avec 40 victoires et une 6è place de la conférence. Une place qui lui offre l’occasion de prendre une revanche face aux Celtics, orphelins de Larry Bird. Il n’en sera rien, et Indiana sera renvoyée à ses chères études en trois rencontres, dans une série où Person souffla le chaud et le glacial : trouade totale lors du game 1 (7 points, 3 / 10 au tir, défaite – 11), excellent lors du second (32 points, 12 / 23, défaite – 7), mauvais lors du dernier match (12 points, 4 / 14, défaite – 4).
La défaite scelle le destin du numéro 45 dans la franchise qui l’a drafté. Le 8 septembre 1992, il est envoyé avec Micheal Williams dans le nord du pays, direction Minneapolis. Dans l’échange, Sam Mitchell et Pooh Richardson atterrissent à Indiana. Person se retrouve alors dans un roster absolument désert en talent et en ambition(s) collective(s). Il faut dire que les Timberwolves venaient de disputer la troisième saison de leur Histoire ; la franchise fût en effet créée en 1989. Comme souvent, sauf lorsqu’on a la chance de drafter Lew Alcindor en année 2, la période post draft d’extension est synonyme de souffrance collective. Cela se vérifie avec les loups des bois et leurs 15 victoires en 1991.
Il en ira de même, ou presque, en 1992 – 1993 : 19 victoires et 63 défaites. Person est utilisé en tant qu’option offensive principale (avec Doug West), costume dont on sait qu’il est trop grand pour lui. Il est d’autant plus démesuré lorsqu’on voit qu’il a de plus en plus de mal de régler la mire : 43,3 % au tir, 64,9 % aux lancers. Sans véritable franchise player, en attendant les arrivées conjuguées des jeunes Kevin Garnett et Stephon Marbury, Minnesota n’a pas d’autre objectif que celui de tanker.
On s’aperçoit que pour l’heure, jamais Chuck Person ne fût en position de jouer autre chose qu’un premier tour de playoffs. Sa double pige chez les Wolves n’y changera donc rien, puisqu’en 164 rencontres disputées, il n’en a remporté que 39. Lui-même est d’ailleurs méconnaissable, et l’exercice 1993 – 1994 sonne le glas de sa carrière de lieutenant. Âgé de 29 ans, ses piètres performances lui font perdre sa place de titulaire dans un effectif pourtant médiocre. Pour une fois, ce ne sont pas des difficultés physiques qui sont la cause des prestations moyennes d’un joueur ; depuis sa draft, Person n’a raté que 18 rencontres, jouant a minima 77 matchs par saison.
Devenu l’ombre du joueur qu’il fût, il n’est pas conservé pour la saison suivante et signe du côté des Spurs de San Antonio. Il se retrouve dans un vestiaire de vétérans, au sein duquel il côtoie notamment Dennis Rodman, Terry Cummings, Moses Malone ou David Robinson. Surtout, il intègre enfin un roster taillé pour autre chose que servir de faire-valoir au printemps ; l’objectif des Spurs est de remporter un titre autour de David Robinson, qui s’apprête à devenir MVP de la saison.
Remplaçant, Person profita de son arrivée dans le Texas pour donner tout son sens à son surnom de Riffleman. En effet, lors de ses deux premières saisons, il se mue en 3&D et en profite pour battre certains records. Ainsi, avec 172 tirs à trois-points inscrits (38,7 %, en 1994 – 1995, il devient le recordman en la matière sur une saison pour un joueur sortant du banc. A ce jour, seul Mirza Teletovic et ses 181 paniers primés ont battu ce record. Rebelote l’année suivante, où il signa le record de trois-points sur une saison sous un maillot des Spurs (battu depuis par Danny Green).
Il visita également les finales de conférence en 1995, où les Spurs s’inclinèrent face à un Hakeem Olajuwon monstrueux. C’est son meilleur résultat collectif en carrière. En effet, après avoir raté une saison complète en raison d’une blessure, il quitta la franchise la saison suivante, en étant tradé en janvier 1999 aux Bulls en échange de Steve Kerr ; il rata donc de peu la bague remportée par les hommes de Popovich en juin de la même année.
Il sera envoyé dans la foulée à Charlotte, avant de finir sa carrière en 2000 du côté des Sonics. Il quitte la Grande Ligue avec pour seul palmarès ce titre de rookie de l’année 1987, et quelques regrets :
“Est-ce que je souhaitais quitter Indiana ? Bien-sûr que non. Mais Detlef (Schrempf) devenait vraiment bon et voulait devenir titulaire sur le poste d’ailier. Dale Davis a été recruté et était considéré comme l’ailier-fort du futur ; la franchise voulait donc du changement. Je pense que si c’était une bonne chose pour l’équipe, il fallait le faire. Ils ont été honnêtes avec moi et m’ont donné les clés de l’équipe pendant 6 ans. J’ai fait de mon mieux”.
Chuck Person était certes un trashtalker, mais il était au moins humble.
Crédits et hommages
S’il n’a réalisé véritablement que six ou sept saisons au haut niveau, Person était reconnu par ses pairs. A cet égard, deux des meilleurs ailiers de sa génération ont reconnu publiquement ses talents, de basketteur et de parleur.
Commençons par le joueur. C’est Larry Bird, qui le connaissait plutôt bien et qui a loué les qualités de son chasseur :
“Ce qui était génial avec Chuck, c’est que peu importe l’enjeux de la rencontre, que ce soit de la présaison, de la saison régulière ou en playoffs, il jouait dur chaque soir. Je crois qu’il a été le plus dur avec moi, et c’était excitant. Il se ramenait concentré quoi qu’il arrivait”.
Comme quoi, les leçons transmises par le vieux Larry au jeune Chuck en 1986 ont rapidement été intégrées par celui-ci. Quid de sa grande bouche ? A ce sujet, c’est Dominique Wilkins qui s’est exprimé avec le plus de clarté, en considérant Person comme l’un des meilleurs trashtalker de l’Histoire, tout simplement :
“Chuck Person était probablement le meilleur – ou le pire – parce qu’il trashtalkait tout le temps. Il m’énervait tellement. Il parlait tellement, mais vous ne pouvez pas écrire ce qu’il me disait. Je peux vous le dire, mais vous ne pourrez pas l’écrire dans votre journal”, disait-il au Boston Herald.
Offrons à notre protagoniste du jour l’infini honneur de clôturer ce portrait, en mêlant les deux facettes de sa personnalité de joueur de basket professionnel :
“Je pense que personne n’est au-dessus de moi. Dès que je mets mes pieds sur le parquet, je pense que je suis le meilleur du monde”.
Que disions-nous donc, au sujet de l’humilité ? Finalement, il n’y a peut-être pas que Perceval de Galles pour penser qu’il s’agit d’infiltrations.
Les précédents épisodes et portraits du Magnéto :
- Cinq majeur #1 : Penny Hardaway (1994/95), Manu Ginobili (2007/08), Terry Cummings (1988/89), Jerry Lucas (1964/65), Nate Thurmond (1974/75),
- Cinq majeur #2 : Jason Kidd (1998/99), Tracy McGrady (2004/05), Rick Barry (1966/67), Elvin Hayes (1979/80), Neil Johnston(1952/53),
- Cinq majeur #3 : Isiah Thomas (1989/90), David Thompson (1977/78), Paul Arizin (1951/52), Tom Gugliotta (1996/97), Yao Ming (2008/09),
- Cinq majeur #4 : Baron Davis (2006/07), Bill Sharman (1958/59), Chet Walker (1963/64), Gus Johnson (1970/71), Jack Sikma (1982/83),
- Cinq majeur #5 : Tiny Archibald (1972/73), Dick Van Arsdale (1968/69), Bernard King (1983/84), Jermaine O’Neal (2003/04), Larry Foust (1954/55),
- Cinq majeur #6 : Fat Lever (1986/87), Richie Guerin (1961/62), Grant Hill (1999/00), Dan Issel (1971/72), Ben Wallace (2002/03),
- Cinq majeur #7 : Lenny Wilkens (1965/66) (Lenny Wilkens, bonus : le coach), Calvin Murphy (1975/76), Peja Stojakovic (2001/02), Shawn Kemp (1991/92), Arvydas Sabonis (1995/96), (Arvydas Sabonis, bonus n°1 : la carrière européenne), (Arvydas Sabonis, bonus n°2 : la carrière internationale).
- Cinq majeur #8 : Kevin Porter (1978/79), Tom Gola (1959/60), Xavier McDaniel (1987/88), Bob Pettit (1955/56), Vin Baker (1997/98),
- Cinq majeur #9 : Stephon Marbury (2000/01), Michael Cooper (1984/1985), Lou Hudson (1973/1974), Tom Heinsohn (1962/63), Maurice Stokes (1957/58),
- Cinq majeur #10 : Slater Martin (1953/54), George Gervin (1980/81),